Patrick Cintas
Histoire de Jéhan Babelin,
de son chien, de son enfant
et même de Jésus
poèmes
© Patrick Cintas
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Vous m’avez demandé
De vous raconter
L’histoire de Jéhan Babelin,
De son chien, de son enfant,
et même de Jésus,
Sa vie.
Je la connais.
Il est mort maintenant,
Mort et enterré,
Ou calciné, oublié.
Mais vous vous souvenez,
Ce qui fait de vous
Une personne rare.
On ne le fera pas revenir
En évoquant
Ces souvenirs
Marquants.
On ne fera rien d’autre
Que raconter
Ce qui s’est passé
Ici, il y a longtemps.
En se multipliant
A l’infini,
La vie nous complique
L’existence.
Voici donc l’histoire
De Jéhan Babelin,
Citoyen
Et grimoire :
Babelin est né,
Comme tout le monde,
Un jour ou une nuit.
Sa mère a crié
Comme toutes les mères
Qui ne dorment pas
Au moment de donner
La nuit et le jour.
La clinique était sombre
A cause
D’une panne d’électricité,
D’un orage
Et de la malchance.
Quelqu’un mourut ce jour-là
Ou cette nuit.
Femme ou enfant,
Quelqu’un cessa
De vivre.
Et Babelin poussa un cri
Qui prouvait
Qu’il avait envie
De vivre.
Le cadavre traversa
Le long couloir
Vers la porte
De sortie.
Et la lumière revint.
Babelin était gris.
Sa mère épouvantée
Poussa un autre cri.
Et Babelin surpris
Avala sa salive
Pour la première fois.
Elle avait un goût
De fraise trop mûre,
Mais Babelin ignorait tout
De la fraise.
Il en savait un peu plus
Sur le goût des choses
Qui arrivent à cheval
Sur le cri de la mère.
Babelin sortit
De la clinique
Sans crier alors qu’il en avait envie.
On ne crie plus
Quand on sort
De l’endroit
Où on a connu
De nouvelles sensations.
Il savait cela,
Déjà !
La voiture de Papa
Attendait dehors
Sous le soleil
Qui était
Une autre personne
A considérer
Géométriquement.
Papa regarda l’enfant
Sans quitter le volant.
Il fuma la cigarette
Jusqu’au bout
De sa cendre couleur
De sa peau.
Papa était gris
Lui aussi.
Seule Maman
Était blanche
Comme la Lune.
Mais on n’entra pas
Dans la voiture.
On s’arrêta à peine
Devant la vitre ouverte
Où le visage de Papa
Luttait contre ses sentiments.
Il referma la vitre
Sans rien dire
Et la voiture l’emporta
A tout jamais
A l’autre bout de l’existence,
Là où on ne va jamais
De peur de tout savoir.
L’homme qui attendait
Dans l’autre voiture
Était un chauffeur de taxi.
On arriva à la maison.
Il n’y avait personne
Dedans.
Ni dehors non plus.
Il n’y avait rien
D’autre
Que l’existence
De Maman.
Babelin s’amusa
A connaître ces objets.
Il leur trouva même
Un nom et le nom
Leur allait parfaitement
Comme si la couleur
Inventait la forme.
Le sein s’offrit.
Il le mordit.
Il s’endormit.
Il rêva qu’il était
Le fils de quelqu’un,
Comme le chien
Du voisin
Qui avait aboyé
Quand le taxi
S’était garé
Devant la porte.
Chien qui aboyez
A l’arrivée
Des nouveaux venus,
Rongez votre os
Maintenant que c’est fait.
L’enfance ne serait rien
Si le temps ne passait pas
Comme passe
L’eau du fleuve
Qui nourrit l’océan.
Babelin inventait
Son histoire
En jouant
Avec les filles
A la marelle
Et au mari jaloux.
Babelin n’apprit rien
D’utile
Ni d’agréable
A l’école.
Il n’apprit rien
Nulle part.
Il était mort
Avant d’avoir vécu.
Chaque jour il songeait
A ce qu’il allait devenir
Question travail et famille
Et aussi patrie.
Mais les nombres
Ni les mots,
Ni la terre,
Ni les peuples
N’entraient dans sa tête
Pour y former
Quelque chose
Qui ressemblât
A un esprit.
Babelin n’eut jamais d’esprit.
Il attendait de devenir
Lui aussi
Un citoyen comme les autres.
Il attendit longtemps.
Et ce temps détruisit
La possibilité de devenir
Autre chose que lui-même.
Babelin connut la jouissance
Avant de savoir
A quoi pouvait bien servir
Cette agréable faculté
De dialogue
Avec la vie.
Il connut même une fille
A qui ça ne déplaisait pas.
Il crut l’aimer
Et elle l’aima.
Mais le fleuve l’emporta
Elle aussi
Avec tous les jouets
Nés de l’imagination.
Babelin entra dans l’existence
Seul et déconcerté.
Il n’apprit aucun métier.
Il ne se passait jamais rien
Entre ses mains
Et son cerveau.
Il manquait à ses mains
De l’ambition
Et à son cerveau
Un esprit digne de ce nom.
Il fallut donc accepter
De se faire pistonner
Par un « ami » de Maman
Qui connaissait les ficelles
De l’administration.
Babelin « entra »
« Aux » ateliers municipaux.
On ne lui demanda pas de travailler.
Il obéissait à des requêtes.
Il y avait un tas de requêtes
Formulées par les employés
Qui travaillaient au bien public
Pour avoir des vacances
Et tout ce que l’existence
Met en vente dans les vitrines
Du bonheur constitutionnalisé.
Babelin pédalait
D’un bout à l’autre
Du territoire.
Il avait un vélo
Fourni par l’administration.
À son passage dans les rues
De la ville,
Les enfants criaient
« Babelin maillot jaune ! »
Il n’y avait que les enfants
Qui criaient.
Les autres se taisaient.
Ils souriaient parfois,
Mais sans rien dire.
Peut-être parce qu’ils ne savaient rien.
Babelin pédala
Pendant plus de dix ans.
Il recommença tous les jours
Ce qu’il avait fait la veille.
Il connut des dimanches tranquilles
Et des filles faciles.
Il rêva d’un foyer,
Mais sa mère vivait encore
Et il habitait chez elle.
Le chien du voisin
Était mort depuis longtemps.
Babelin ! Babelin !
Son nom sonnait
Comme les cloches
De l’église.
La selle du vélo
Grinçait au rythme
De ses fesses pressées
D’en finir avec le travail.
Le soir il buvait
En jouant aux cartes.
Il jouait aussi aux dés.
Il n’aimait pas perdre,
Mais il n’avait pas de dettes.
Il savait s’arrêter.
Sa mère l’avait prévenu
« Pas question de payer ! »
Aussi s’en tint-il toujours
A la règle qui veut
Qu’on ne joue pas
Ce qu’on n’a pas.
La tentation était forte
Pourtant !
Mais le dernier verre
Portait conseil
Et Babelin rentrait chez lui,
Dans sa chambre chez sa mère,
Avec le sentiment
De savoir se tenir
Dans les circonstances
Du plaisir qui promet.
Babelin eut pourtant de la chance.
Le pompiste des ateliers municipaux
Creva,
Laissant la place vacante.
Babelin écouta sa mère
Le soir même au coin
De la cheminée en feu :
« Tu vas te faire des ennemis,
Toi qui n’en as pas encore.
Ils vont te haïr
Et chercher
A te faire du mal.
Mais tu es prévenu.
Alors ne réponds pas
A leurs provocations ! »
Le lendemain
Babelin
Reçut des mains
De la chef des services
Municipaux
La clé de la pompe
Municipale.
Comme il savait
Où la trouver,
Il s’y rendit
Assis
Sur sa bicy.
La porte était ouverte !
Alors qu’il avait la clé…
Il rangea le vélo
Contre le poteau
Qui sert aussi
Aux chiens municipaux
Et jeta un œil prudent
A l’intérieur
Du petit bureau
Où le pompiste municipal
Est censé
Travailler
Chaque fois
Qu’il faut pomper
Pour le bien
Public.
Il y avait un homme
Sur la chaise réservée
A l’agent agréé.
Babelin s’enfuit.
Il oublia le vélo
Et retourna chez lui.
Sa mère l’attendait
Car elle se doutait
Que les choses
N’allait pas se passer
Aussi facilement.
Babelin ! Babelin !
Criaient les enfants
Debout sur les trottoirs
De la ville.
Babelin tu as perdu !
Il savait bien
Qu’il avait perdu
Une fois de plus.
Il perdait toujours
Chaque fois
Qu’une chose
Ou une autre
Changeait de place
Ou d’aspect.
Les enfants lui coururent après
Ce jour-là,
Ce qui n’était jamais arrivé
Car en principe,
Et même toujours,
Les enfants demeuraient
Vissés à la surface
Des trottoirs de la ville
Qui ne les lâchaient pas
Aussi facilement.
Cette fois ils couraient !
Ils couraient derrière lui !
« Babelin tu as perdu »
Ou
« Babelin tu ES perdu »
Il n’était pas possible
De faire la différence
Tellement ça circulait
Dans les deux sens.
Babelin se rendit alors compte
Qu’il marchait
Au lieu de pédaler.
Il s’arrêta pour expliquer
Qu’il n’avait pas perdu
Son vélo,
Qu’il l’avait oublié
Parce qu’il pensait à autre chose
Au moment d’agir.
Les enfants ne savaient plus
S’ils avaient crié « as » ou « es ».
Babelin oublia les enfants.
Il oublia la bicyclette.
Mais il n’oublia pas
Pourquoi
Il revenait chez lui
Alors qu’il avait la clé
De la pompe municipale.
Il hésita sur le paillasson.
Sa mère comprendrait-elle ?
Et puis que ferait-elle
Une fois informée
Du problème posé
Par la nouvelle configuration
De la pompe municipale ?
Babelin eut envie de pleurer,
Mais il n’était plus un enfant.
Il voulut jeter la clé,
Mais il la mit sous le paillasson.
Il entendit le rideau se froisser
Derrière les carreaux de la fenêtre.
Sa mère l’attendait
Sans savoir
Pourquoi elle attendait.
Sa surprise allait
Etre de taille.
Babelin entra,
La peur au ventre.
Sa mère était assise
Dans un fauteuil
Où elle cousait.
Elle leva les yeux,
Un peu essoufflée
D’avoir couru
De la fenêtre
Au fauteuil
Qui étaient distants.
Elle ne dit rien,
Mais ses yeux voulaient savoir.
Il n’était pas midi,
Après tout !
Babelin bafouilla.
« Tu as oublié quelque chose, mon fils ? »
Babelin fit oui de la tête.
Il ne lui restait plus
Qu’à dire
En quoi consistait
Cet oubli.
« J’ai oublié la clé ! »
Sa mère haussa les épaules.
Elle en avait entendu d’autres.
Elle dit
« Ça te servira de leçon »
Et elle se remit à coudre.
Babelin recula jusqu’à la porte
Qui était restée ouverte.
Il retourna le paillasson,
Prit la clé et s’enfuit.
Il ne savait pas où il allait.
C’était déjà arrivé.
On retrouva Babelin
Au bord du fleuve.
Il était tard.
Le soleil se couchait.
Babelin avait allumé
Un feu pour s’éclairer.
On vit le feu
De l’autre rive,
Celle où s’élève
L’Hôtel de ville.
« Si c’est pas Babelin,
Dit le maire en se mouchant,
Que j’aille voir ailleurs !
Prévenez sa mère ! »
La mère arriva
Sur les lieux.
Babelin s’était endormi.
Le feu s’éteignait.
Les oiseaux veillaient.
La nuit tombait.
Il s’en passait des choses !
Dit plus tard Babelin
A un collègue de travail
(si on peut appeler ça travail)
Et il ajouta
Avec une pointe de nostalgie
Qui lui transperça le cœur :
« Ce jour-là..
Le jour où… »
Pourquoi y penser encore,
Des années plus tard ?
Il ennuyait tout le monde
Avec cette histoire
Qui s’était bien terminée
Alors qu’elle était partie
Pour s’achever en tragédie.
Ce jour-là,
C’était la nuit
Et le jour se finissait.
Sa mère était arrivée
Sur les lieux.
Il dormait.
Il la vit cependant.
Il voyait dans son sommeil.
Il voyait tout.
Le passé, le présent
Et même l’avenir.
Il voyait et pourtant
Il n’avait aucune envie de voir,
Mais, n’est-ce pas,
Quand on voit, on voit
Et il n’y a rien à faire
Pour ne pas voir.
Ça, tout le monde le comprenait.
Mais ce jour-là,
Dans la nuit,
Que voyait-il ?
Tout le monde
Se posait la question,
Sur les deux rives du fleuve,
En amont comme en aval.
« Il est gris, » dit sa mère,
Croyant tout expliquer.
On passa le message,
Pointant le pouce vers la bouche.
Tout le monde comprit.
« Quand il est gris,
Dit sa mère sans larmes,
Il voit quelqu’un
Et ce quelqu’un l’empêche…
— L’empêche de quoi !
S’exclama le public.
— Qu’est-ce que j’en sais … ?
Murmura la mère.
— Vous êtes sa mère,
Tout de même !
— Il vous expliquera peut-être
Un jour… Qui sait ? »
Babelin profita
De cette conversation
Improvisée
Pour se réveiller.
On l’interrogea du regard.
Sa mère dit
« Tu l’as, la clé ? »
Babelin avait la clé
Dans la poche.
Il n’avait plus aucune raison
De se chercher des excuses
Pour ne pas aller travailler.
Maintenant que vous connaissez Babelin
Comme si vous l’aviez inventé,
Il est temps de passer
Au nœud de son histoire.
Qui dit nœud dit dénouement,
Mais voyons d’abord le nœud.
Il est déjà assez compliqué comme ça.
Nous sommes tous bâtis
Sur le même patron.
Après l’enfant,
Qui est comme un fil
Qu’on déroule
Sans se soucier
De sa longueur,
L’homme se noue.
On ne peut rien changer
A cette pratique.
Mais il y a nœud et nœud.
Les uns se nouent
En parfait accord
Avec les usages.
Les autres ont le nœud
Plus ou moins conforme.
Un rien suffit à nouer
Comme il ne le faut pas.
Et alors
Les choses se compliquent.
Babelin,
A l’âge d’être un homme,
Avait observé
De près
Une quantité non négligeable
De nœuds en tous genres.
Il ne savait pas tout
Mais en savait assez
Pour s’occuper sciemment
De son propre nœud.
Le jour arriva.
Il était temps de nouer.
Ce matin-là,
Il connut une angoisse
Plus noire que d’habitude.
C’était écrit dans tous les livres :
Si l’angoisse noircit
Et que vous êtes sur le point
De passer à l’âge du nœud,
Alors vous êtes dans de beaux draps !
Ainsi va l’existence
Qu’à la fin de l’enfance
On se lève du mauvais pied.
Ce matin-là,
Babelin était d’humeur morose.
Il n’était pas écrit
Que ce jour entre tous
Fût celui qu’il n’avait pas choisi
Pour se livrer à la pratique du nœud
Qui clôt une bonne fois pour toutes
L’enfance et ce qui l’habite.
Il se regarda dans le miroir.
Il n’avait plus l’air d’un enfant,
Mais ça,
Il le savait déjà
Depuis longtemps.
On le lui avait assez reproché !
« Je ne sais même pas
Pourquoi je m’accroche
A l’enfant que j’étais
Et que je ne suis déjà plus.
Il y a là un mystère
Que j’aurais pu résoudre
Pour me différencier
Des autres, ceux
Qui ne me ressemblent pas. »
Cette réflexion
N’était pas nouvelle.
Mais ce matin-là,
Il s’agissait
De ne pas l’interrompre
Pour demeurer un enfant.
Aucune interruption
N’interviendrait
En faveur
De l’enfant.
À partir d’aujourd’hui,
Se dit Babelin
En retenant ses larmes,
J’entre dans le système
Qui consiste
A trouver la suite
Sous peine de devenir fou
Ou criminel.
Quand on a commencé,
On ne peut plus s’arrêter.
C’est la règle ici-bas.
En attendant l’épuisement
De cette faculté majeure,
Il faut s’adonner
A la pratique
De la série
En commençant
Par un nœud.
Il se saisit du fil
Symbolique
De l’enfance
Et retint son souffle.
Arrivé à ce point
De l’histoire de Jéhan Babelin,
Vous en avez saisi
La chronologie :
D’abord il fut enfant,
Comme tout le monde,
Même s’il était gris
Comme ça arrive rarement
Aux créatures ordinaires.
Ensuite il fit le nœud
Demandé par les mœurs
Les mieux partagées.
Puis il entra comme factotum
Aux ateliers municipaux.
Après dix ans
Qui se ressemblèrent,
Il obtint la clé
(par piston)
De la pompe municipale.
Il était donc noué
Quand le nœud
Fit enfin son effet.
Il avait trente ans et plus.
Et sa mère
N’était guère plus âgée
Car elle avait enfanté
A l’âge de douze ans,
Selon la légende,
Un an plus tard
Aux dires de la rumeur.
Après un épisode de crise
Bien compréhensible,
Babelin empoigna la clé
Qu’il devait
A son père légitime,
Homme secret
Et lointain
Qui ne se montra pas.
Il retourna à la pompe.
Cette fois,
Il n’y avait personne
Dans le petit bureau
Qui jouxtait
La pompe.
Un véhicule destiné
Aux rondes sécuritaires
Attendait sagement
Depuis une heure,
Car Babelin était en retard.
Il prit toutefois le temps
D’ouvrir la porte
Avec la clé.
Il considéra le bureau,
Sa table,
Sa chaise,
Son étagère,
Sa fenêtre sur l’intérieur
Du garage municipal.
Il se laissa envahir
Par la tristesse.
Il allait passer
Le reste de son existence
Active
Entre ces quatre murs.
Il n’avancerait plus,
A moins d’un miracle.
Cette réalité
Se mit à peser lourdement
Sur ses épaules.
L’autre attendait.
Il avait envie d’une cigarette,
Mais on ne fume pas
En présence d’une pompe.
« Si ça continue, dit-il
Sans aucun signe d’impatience,
Je vais me la fumer dehors.
Tu n’y vois pas d’inconvénient,
Babelin ? »
Et Babelin,
Enfin seul,
S’assit sur la chaise.
Il caressa la surface
De la table,
Veilla à ne pas déranger
La paperasse,
Actionna plusieurs fois
L’interrupteur de la lampe
Et frotta le carreau
Qui laissa échapper
Une mouche affolée.
Babelin comprit alors
Qu’un deuxième nœud
Vital
Était en formation
Quelque part en lui-même.
Que peut-il arriver d’autre
A un homme qui vient de tomber
Dans le piège suivant le premier ?
La corde à nœuds de l’existence
Ne sert pas à tracer le chemin
Ni les figures phénoménales.
À trente ans Babelin
Se vit plutôt sur des rails.
En nouant son enfance
Dix ans auparavant,
Il s’était accroché
Au train de l’existence.
Son vélo et lui
Avait parcouru
Des distances
Imprenables autrement.
Et pour quoi faire ?
Des commissions utiles
Aux missions municipales.
Des perspectives de vacances
A l’étranger et au cœur
Du plaisir d’exister
Sous la houlette de l’État.
Pasteur, guide, ministre,
Il n’avait su s’en passer.
Et il avait fini
Par la posséder,
Cette clé de pistonné
Par Papa l’amant de Maman.
« Moi, pompiste ?
Et municipal avec ça !
Moi l’enfant qui rêvait
De poésie !
Moi qui ai accepté
De nouer ce fil
Pourtant fait pour l’infini !
Ah ! j’ai trahi mon enfance !
Et tout ça
Parce que j’ai peur
De manquer du nécessaire ! »
Le téléphone sonna.
Babelin le laissa sonner.
Le garde municipal le décrocha.
Il ne fumait plus.
Tout cela avait duré
Le temps d’une cigarette.
Rien de plus…
« C’est votre maman, »
Dit le garde en tendant
Le combiné
Qui rouscaillait.
Papa était mort.
Maintenant qu’il n’était plus
Il était permis de le voir.
Et même de lui parler.
Le cadavre était couché
Dans un lit blanc comme neige.
L’ambiance était noire.
Des flammes consumaient l’oxygène.
La lumière jouait
Avec les traits
Du visage pétrifié.
« Ma semence est sortie
De cet homme,
Pensa Babelin.
Elle aurait pu sortir
De n’importe où.
Ce n’est qu’un lieu
D’où je viens.
Je ne reviens
Que pour m’y ennuyer. »
Il prit place lui aussi.
Les chaises ne manquaient pas
Dans cet endroit qui était
L’intérieur d’une maison
Comme les autres.
On avait croisé des regards.
Et il avait écouté des voix
Sans en saisir le sens.
Maintenant il était assis
Et il regardait le cadavre
De celui qui avait été
A la source
Et qui avait fui
Pour ne pas y boire.
Babelin ne connaissait pas
Cette histoire.
Il n’avait pas cherché
A la connaître,
Même quand il était enfant
Et que parfois
Sa langue s’agitait
Pour en savoir plus.
Sa mère parlerait peut-être
Et il serait forcé d’écouter.
Elle attendrait le bon moment.
Elle attendait toujours
Avant de dévoiler les faits
Qui façonnent l’existence
De ceux qui les subissent.
Ce n’était pas de la patience.
Elle était trop impatiente pour ça.
Ce n’était pas de la cruauté non plus.
Cela lui ressemblait, c’était tout.
Le visage du mort aussi ressemblait
A ce genre de chose.
On revient toujours
Des enterrements
Avec l’envie de vivre
Plus intensément.
Il y a un avant
Et un après
Des enterrements.
Babelin se félicita
D’éprouver lui aussi
Ce joyeux sentiment
D’appartenir
A la terre
Qui l’avait vu naître
Et qui le portait
Vers la guerre
Ou vers la paix,
Comment savoir
Ce que nous réservent
Les jeux de la politique ?
Ce soir-là,
Il dormit
Mieux
Que d’habitude.
L’angoisse
En forme de poire
N’avait pas franchi
Le seuil de la porte.
Et puis c’était l’été.
Seul le ronflement
Du compresseur
Résonnait encore
Dans ses rêves.
La fenêtre était ouverte.
On entendait les merles.
Le vent d’autan
Agitait les aiguilles des pins.
Il s’endormit vite,
Sans demander pourquoi
Le sommeil l’ensevelissait.
Il se donna aux rêves.
Le piston du compresseur
Cognait à l’intérieur de son crâne.
Mais l’air était chaud.
Le mort était enterré.
On avait ouvert les rideaux
Après le départ du cortège.
Le lit demeura défait
Jusqu’à leur retour.
Puis on referma la porte
Et on fut invité
A quitter les lieux.
Personne n’avait pleuré,
Comme si le mort
Ne laissait pas de traces.
Dans la nuit pourtant
Babelin ouvrit les yeux.
Une chauve-souris piaillait
Dans le ciel noir sans lune.
Il eut peur
De ne pas comprendre
Ces signes.
Il sentit alors
Que quelque chose
Était mort en lui.
Il n’avait rien ressenti
Pendant la journée.
Il n’avait pas répondu
Aux questions posées
Par des inconnus
Qui n’attendaient pas
De réponses d’ailleurs.
Mais maintenant il avait peur
D’avoir raté quelque chose
Et la peur grandissait
Avec celle de ne pas savoir
S’il était trop tard
Ou s’il avait encore le temps
De penser à ce que le mort
Laissait en lui, Babelin.
Il vit cette trace
Et en imagina la semence.
Il avait ce pouvoir lui aussi.
Avec un peu de chance
Il jetterait ce galet
A la surface des eaux
Usées de l’existence.
Il n’y a rien de plus beau
Que le nombre des ricochets.
Voilà dans quel
État d’esprit était
Babelin à la veille
De refaire le nœud.
A la pompe il veillait
A ne pas dépasser
Les limites données
De la conversation.
On ne sait jamais bien…
Les mots ont le pouvoir
De trahir nos pensées,
Nos projets, nos calculs.
Il faut se comporter
Comme si de rien n’était,
Travailler, être à l’heure,
N’rien donner à penser.
Ce qu’il fit
Toute la journée
Qui fut la veille
Du jour où
Il noua encore
Le fil de son existence.
Je suis ce que je suis,
Répétait-il sans le dire.
Ce monde est un fruit pourri,
Un morceau de viande avariée,
Un poison pour le cœur
Et la raison.
Je n’ai pas le pouvoir
De détruire,
D’anéantir,
Et je n’ai pas l’intention
De participer aux rébellions
Qui alimentent la chronique
Du Bien et du Mal.
Je n’ai pas de point de vue.
Je vois tout
Ou je suis aveugle.
Il est temps
De jeter les dés
Sur le tapis
De la joie.
Il rentra chez lui
A l’heure,
Pas en avance
Ni en retard.
Il était à l’heure
Pour une fois,
Et sa mère nota
Ce nouveau détail
Dans un coin
De sa mémoire
Hyperbolique.
Il mangea, but, parla,
Fuma sa pipe sur le balcon,
Descendit dans le jardin,
Arpenta ses allées,
Leva les yeux
Pour observer les oiseaux
Dans les arbres,
S’assit sur le banc de pierre
Et attendit.
Le poison tardait
A faire son effet.
Le temps s’abolit,
Comme dans la caverne de Montesinos.
Le sommeil expliquait-il
Cette sensation de ne plus appartenir
Au monde des vivants ?
Il n’était pas seul,
Mais les autres ne voyageaient pas
Avec lui.
Ils passaient comme des arbres.
Voici le temps du rêve,
Qui n’est temps
Que de passer
Comme toute histoire
Racontée aux autres.
Je suis ce temps !
S’écria Babelin
En arrivant au sommet
D’une montagne
Ou d’un escalier
Conçu pour être gravi
Avant toute chose.
De là-haut il contempla
Sa propre existence,
Son enfance et sa fin,
Le travail, la patrie,
La famille passée
Et les biens à venir.
Tout était clair.
C’est une question de semence.
Or, continua-t-il tout haut,
Je n’en suis pas le réceptacle.
La nature a voulu,
Allez donc savoir pourquoi,
Que contrairement aux escargots
Il me soit interdit
De me reproduire moi-même.
Je me limite par nature
A l’usage des miroirs.
Si je continue comme ça
Il ne restera rien de moi
Quand je retournerai,
Comme il est dit,
A la poussière
Avec les étoiles,
Les hypothèses
Et les axiomes.
Il était couché
Sur le banc de pierre.
Sa mère l’observait
De la fenêtre
Derrière les rideaux.
Elle attendait elle aussi.
Toutes les montagnes se ressemblent.
Une fois arrivé au sommet
Nous découvrons l’autre côté
Et la tentation est grande
De revenir à la surface
Par ce nouveau chemin.
Babelin réfléchissait
Et pendant ce temps
Le ciel s’obscurcissait.
Il se laissa envelopper
Par la froide humidité
Et le vent le paralysa
Au bord du précipice.
Le poison agissait.
Il faut que je meure,
Pensa-t-il faiblement.
Si jamais je survis,
Je serai condamné
A expliquer
Et expliquer encore
Les « raisons de mon geste ».
Je deviendrai fou
Ou assassin.
Et impuissant
Par-dessus le marché.
Le poison,
Peut-être à cause de l’altitude,
Provoquait de petites douleurs
A l’intérieur.
Mes organes se défendent,
Pensa-t-il en voyant
Comment la nuit,
Le vent,
La pluie
Ensevelissaient la nouvelle vallée.
Descendre maintenant,
C’était se condamner
A ne pas assister au spectacle
De sa propre mort.
Or, se dit-il en riant,
Je suis venu pour ça !
On ne peut pas être
Plus désespéré, cria-t-il
Dans le néant
Qui montait vers lui.
On se sent enfin seul,
Gémit-il et sa main
Arrachait des morceaux
De chair à la nuit.
À la fin n’y tenant plus
Sa mère descendit
Dans le jardin,
Dans la nuit,
Dans le vent et la pluie.
La pipe s’éteignait dans l’herbe.
La bouche parlait
Dans une langue inconnue,
Mais sa mère entendit
Que l’enfance n’est pas comprise
Tant que la mort
Ne l’a pas expliquée.
On ne vous demande jamais
Comment vous avez fait,
Mais pourquoi vous l’avez fait.
Dans son lit Babelin
Écouta ce qu’on lui disait.
Il avait perdu sa place
A la pompe municipale.
On ne peut pas confier
Un produit inflammable
A un suicidaire
Qui est passé à l’acte,
Preuve qu’il l’est.
Tu feras autre chose,
Dit sa mère au visage
Froissé par la colère.
Il tenta d’expliquer cette colère
Sans recourir aux usages
De la raison commune.
Mais il ne parla pas,
Car ses paroles contenaient
Autre chose que la source
Qui était devenue
Le fleuve de son enfer.
Tu deviendras utile
Si tu te raisonnes, mon fils !
Tu écriras au père Noël,
Au président,
A tes amis.
Tu n’écriras jamais plus
Dans l’espoir de cacher
Ta véritable nature.
Vois-tu, mon fils, on est
Ce qu’on est, rien de plus.
Tu seras comme les autres.
Tu raconteras des histoires.
Tu chanteras avec refrain,
Rimes et assonances.
Il n’y a rien comme la poésie
Pour approcher l’homme de l’homme
Et la femme de l’homme.
Trouve-la ! Et vite !
Je veux un enfant de toi !
De retour à la maison,
Babelin profita du congé.
D’abord il eut honte
De se montrer dans le jardin.
Un matin il descendit
Pour déjeuner dans la rosée
Sous l’acacia qui fleurissait.
Les abeilles déjà
S’adonnaient à leur œuvre.
Le soleil coulait entre les branches
Comme le jaune impressionniste.
Le noir café fumait.
Il avala gouttes et comprimés
Et leva encore les yeux
Pour revoir les oiseaux,
Merles et tourterelles,
Moineaux vifs et corbeaux.
Sa mère le lui avait dit :
« Tu as de la chance
Que ce soit le printemps !
C’est bon pour le retour.
L’été t’aurait rendu
Encore plus fou que tu es.
L’automne t’aurait vaincu.
Et l’hiver, le vieil hiver,
T’aurait envoyé au diable.
Tu as de la chance
Que ce soit le printemps
Qui t’ouvre les portes
Du retour à la vie ! »
Un vol d’étourneaux
Accéléra soudain
Le bleu du ciel.
Babelin en conçut
Un étrange vertige,
Comme s’il venait
De monter au ciel
Et d’en redescendre
Par le même chemin
Vertical et brûlant.
Il alluma sa pipe.
Je n’ai pas besoin
De savoir qui je suis
Ni ce que je possède.
Et je me fiche bien
De savoir ce que pensent
Les autres de moi.
Là n’est pas la question.
Je suis ce que je ne suis pas.
Tel est mon tourment
De fonctionnaire municipal,
Jacobin, assisté, paresseux.
Mais je ne connais pas
Le moyen de changer
Cette fatalité
De lois, de nature et de foi.
Il y a autre chose
Que la raison et la folie
Pour expliquer ce que nous sommes.
Quelque chose que nous ne pouvons pas Concevoir
Parce que nous ne sommes pas construits pour Ça.
Ah ! pauvre de moi ! s’écria-t-il
En jetant sa pipe
Dans le fumier en formation.
Alors sa mère descendit
Pour expliquer au voisin
Qu’il n’y a rien comme la patience
Pour comprendre les produits
De l’amour et de l’attente.
La vie de Babelin
Eût été ordinaire
S’il n’avait pas tenté
D’y mettre fin.
C’était en tous cas
L’avis de son voisin
Qui l’exprimait
Par-dessus le feuillage
D’une haie de buis.
Voilà comment on se sépare
Quand on est propriétaire.
Babelin écoutait ces conversations.
Il n’agissait plus depuis des jours.
Il descendait dans le jardin,
Montait dans sa chambre,
Sortait ou ne sortait pas,
Dormait mal, rêvait trop,
Mangeait pour ne pas mourir
Et vivait pour qu’on lui foute la paix.
Il ne savait pas
Si le deuxième nœud
De son existence
Était un nœud
Ou un effet de lacet.
Personne n’a honte
D’en avoir fini avec l’enfance.
Mais avoir tenté
De mettre fin à tout
Et avoir manqué la cible,
Qui n’en aurait pas honte ?
Il n’avait pas fallu longtemps
A Babelin
Pour s’habituer
A l’odeur du garage,
De sa pompe,
De ses pneus,
Du mortier des murs
Et de la crasse des mains.
Il avait même aimé ça.
Il n’avait jamais aimé
L’odeur de la rue
Du temps où son vélo
Passait pour une légende.
Et voilà qu’il y retournait,
Mais sans le vélo.
Pas de carburant inflammable
Ni de vélo véloce
Entre les mains du suicidaire,
C’est la loi municipale.
Il allait donc à pied.
Il ne se promenait pas.
Il n’attirait pas l’attention,
Mais on le reconnaissait.
Il saluait en ôtant
Sa casquette de service.
Et si on lui signalait
Un chien errant ou crevé,
Il allait à sa rencontre
Et ramenait au crématoire
Le vagabond ou son cadavre.
Ce qui n’arrivait pas
Tous les jours que Dieu
Invente à tour de bras
Pour pousser le bouchon
Aussi loin que possible.
Qui n’a pas rêvé
D’être un dieu
Ou de le devenir ?
Les femmes aiment les dieux
Plus que les enfants.
Mais en cessant d’être un enfant,
On devient homme,
Pas dieu.
Ce qui devait arriver arriva.
À force de rencontrer des chiens,
Des vivants et des morts,
Babelin se mit à aboyer
Au lieu d’affiner son langage
Au contact de ceux qui savent.
Il rencontra le chien de sa vie.
Cette fois, il ne savait pourquoi,
Il rentra à la maison avec un chien.
Sa mère s’épouvanta
Et leva les bras au ciel
Pour demander des explications.
Babelin aimait le chien.
Il confessa cet amour
A une mère en proie
Au dernier désespoir.
Ses bras retombèrent
Et sa tête se pencha,
Non pas sur le chien,
Mais sur l’ouvrage
Qui occupait ses jours
Depuis qu’elle s’ennuyait
Au point d’avoir perdu
Le sens de la parole.
Mais Babelin était joyeux.
Le chien aussi aboyait,
Joyeusement ils aboyaient.
C’était nouveau pour eux,
Cette joie d’aboyer ensemble.
Babelin cherchait le mot
Qui donne un sens à cette joie,
Mais il n’en trouva aucun
Pour recommencer à parler
Au lieu d’aboyer comme le chien
Qu’il était devenu à force
D’avoir honte d’attendre.
Cette attente était la cause
De son malheur et maintenant
Elle devenait chienne de joie.
Sa mère se remit à l’ouvrage
Et le cuir de son fauteuil
Recommença à grincer
De tous ses ressorts.
« Nous avons toi et moi,
Dit Babelin au chien,
Des raisons de penser
Que nous sommes faits
L’un pour l’autre.
Si elle pouvait crever
Pour te laisser la place,
Preuve serait que Dieu
N’est pas si con que ça ! »
La mère mit du temps
A crever mais elle creva.
Babelin hérita du jardin
Et le chien de la maison.
Ce fut le chien
Qui eut l’idée
De connecter
Leurs deux esprits
Au Grand Réseau
Universel, le GRU.
On paya redevance,
Impôts et pots de vin
Et le tour fut joué.
On était connecté.
Il ne restait plus,
En bon consommateur,
Qu’à se laisser aller
Au fil des algorithmes.
Le chien était doué.
Babelin moins chanceux
Perdait souvent au jeu,
Mais le chien était juste
En affaire de cœur.
Ils connurent l’amour,
La richesse et la joie.
Que demande le peuple ?
Demandait Babelin,
Bourrant sa pipe de doux rêves
Et ses rêves d’autres peuples.
Il changea du tout au tout.
Il était maître du jeu
Car il n’était pas chien
Et le chien rejouait
Ce qu’il avait perdu.
« On ne peut vivre mieux
Qu’en compagnie d’un chien,
Dit Babelin à son voisin,
Surtout que celui-là
Est un chien de ma chienne ! »
Et Babelin s’enfonça encore
Dans les mailles du réseau,
Tant et si bien
Qu’un jour de nuit
Il se perdit
Sur le chemin.
Il perdit aussi le chien.
Sans chien on est perdu.
Il le savait depuis toujours,
Mais ce qui devait arriver
Arriva. On en était là
Quand le jour se leva.
Rien n’était plus comme avant,
Constata Babelin au matin
De ce jour qui fut le dernier
De sa triste existence.
Il avait perdu la trace
Du chien et de la joie
Après avoir joué
Avec les mots et le hasard.
Perdre son père,
Perdre une mère,
Perdre son travail
Ou sa patience
N’est rien en comparaison !
Hurla Babelin à la fenêtre.
Mais ce matin-là,
Le monde était vide.
Vous ouvriez la fenêtre
Sur le monde et ses hommes,
Ses animaux et tout le reste,
Et c’était le néant
Qui vous sautait aux yeux.
À force de jouer
Et à force de perdre,
Il ne reste plus rien
A l’extérieur de ce qu’on est,
De ce qu’on possède
Et de ce qu’on sait
De l’opinion des autres
A propos de vous-même.
Et pour compliquer encore,
On ne sort pas dehors
S’il n’y a rien à voir,
A entendre, à respirer,
Si plus rien n’a de sens.
Le monde n’est plus à l’extérieur
Et comme il n’est pas dedans
Non plus, on se sent seul.
Babelin ce matin de printemps
N’alla pas au travail.
Il resta chez lui à attendre
Que le chien se décide
A revenir à la niche.
Il ne répondit pas au téléphone
Et quand on sonna à la porte,
Il n’ouvrit pas, ne donna
Aucun signe de vie.
On allait s’inquiéter.
À midi pourtant,
Il pensa que cette probable
Inquiétude légitime
Allait inspirer des visites
Et avec les visites
Des questions comment pourquoi.
Il descendit dans le jardin
Pour répondre à tous ceux
Qui s’approchaient du portail
Donnant sur la rue.
Il répondit même,
Mais en substance.
Pas besoin de docteur,
Ni de curé, ni de femmes !
Plaisanta-t-il en soufflant
La fumée de sa pipe.
Les gens passaient en nombre,
Mais il pouvait les compter.
Toutefois pas un ne demanda
Des nouvelles du chien.
Les gens se fichent pas mal
Des chiens qu’on perd
Et qu’on attend.
Les gens ne savent pas
Qu’on peut aimer un chien,
Surtout si c’est un homme.
« Aimez-moi comme je l’aime, »
Dit mystérieusement
Babelin à ces gens
Qui passaient comme on passe
Quand on n’attend rien d’autre
Que des explications.
Les jours passaient aussi,
Sans plus d’explication.
Et le chien ne revenait pas.
Long voyage celui
Qu’il a entrepris !
Mais il fallait se résoudre
A accepter les faits :
Ceux qui étaient partis
N’avaient pas le pouvoir
De revenir ici.
Axiome de la mort.
Qu’en était-il, Babelin,
De l’hypothèse du chien ?
On n’y comprenait rien.
De quel chien parlait-il ?
De quelle allégorie
Ce fou de Babelin
Encombrait son grenier ?
Un homme au grenier vide
Ne survit pas à son roman.
Mais si le grenier est trop plein,
La maison se fissure.
Qu’en était-il du jardin ?
Demandez au voisin.
Il a un œil sur le jardin
Qui jouxte le sien.
Il n’y a plus de chien
Dans la niche que Babelin
A construite de ses mains,
Témoigne le voisin
Si c’est son opinion
Que recherchent les gens.
« Il y avait un chien,
Mais ça n’a pas duré.
Les chiens s’en vont un jour.
Si on ne sait pas ça,
On finit malheureux,
Même pauvre et maudit, »
Dit le voisin
De Babelin
Que Babelin
A entendu
De sa fenêtre.
« Ce genre d’histoire
Finit toujours
En tragédie, »
Dit le voisin
Qui s’y connaît
En bourgeoisie,
En poésie
Et en récit.
Sans chien,
Sans rien,
Babelin
N’est plus rien,
Pas même chien.
Sans père,
Ni mère,
La mort
N’a pas de sens.
La vie non plus.
Seule l’existence
Sert encore
De chemin.
Babelin
Ne sort pas.
Il n’entre pas
Non plus.
Il habite
Des murs.
« Ni jour,
Ni nuit,
Pas de soleil,
Pas de lune.
Des arbres
Que l’été
Ensanglante
A coups
De fouet.
De l’herbe grise
Comme ma peau.
Et sur cette herbe
Je n’attends pas.
J’existe,
Mais je n’attends plus.
Dire que j’aurais pu
Devenir chien,
A moins qu’il faille l’être
Avant de devenir.
— Tu ne perds rien
Pour attendre ! »
Menacent le temps
Et ses gens.
Il les voit passer.
Il ne répond plus.
« Il mange, il boit,
Il se comporte
Comme s’il n’avait pas besoin
De travailler,
Disent les gens.
Pour l’instant,
A notre connaissance,
Il ne fait rien de mal,
A part exister
Comme personne n’existe.
Il a du pognon, peut-être ! »
Un magot caché
Sous l’herbe du jardin
Ou dans le mur
De la remise.
Babelin y pense
Lui aussi.
Cette pensée finit
Par remplacer le chien.
Il y a de quoi
Devenir fou,
Pense-t-il en riant
Comme s’il redevenait
L’enfant qu’il a été.
Alors il creuse.
S’il creuse,
C’est qu’il cherche.
Et s’il cherche,
C’est qu’il n’a pas trouvé.
Définition du malheur
Qui frappe toujours l’homme
Qui possède son jardin,
Sa maison, son passé.
Et le jour où il a fini
De creuser,
On se dit
Qu’il a trouvé
Ce qu’il cherchait.
On a une envie folle
De reboucher les trous
En sa compagnie.
On revient plus souvent,
On s’arrête devant la grille,
On l’interroge du regard,
Mais le poète demeure
Muet comme une carpe.
Comme la carpe en rut
Il a reflété le soleil
Dans un saut parabolique.
Pas si fou, Babelin !
Il n’a plus besoin de travailler
Pour ne pas s’ennuyer.
S’il continue sur cette voie,
Il aura des enfants.
On le voit
Devant
Le maire et le curé.
Mais quelle femme
Sait ce qu’elle sait ?
Quelle enfant déjà mûre
Quitte l’arbre pour vivre
Son existence de fruit ?
On regarde autour de soi.
On observe ses propres enfants.
Babelin n’a-t-il pas aimé un chien ?
Un chien d’homme ou de chien.
Un amour de passage.
Une folie pour rien.
Mais tout est bien qui finit bien,
Même si ce n’est pas fini.
Une femme est en route,
Dans un ventre ou à l’école.
Qui sait qui est la femme ?
Elle arrive de loin,
Matrice des philosophies
De l’existence et de la mort.
On la voit arriver
Même si son visage
N’a pas de nom.
Elle portera celui de Babelin.
En attendant il ne creuse plus.
Il ne revient
Dans son jardin
Que pour s’asseoir
Sur le vieux banc de pierre.
Il lève les yeux dans les arbres,
Interroge du regard
Les oiseaux des branches.
Il n’écrit pas encore.
Il faut un enfant pour ça.
Et pour que l’enfant soit,
La femme est nécessaire.
Nous connaissons l’histoire
Comme si nous l’avions inventée.
Nous sommes les poètes
De l’existence du poète.
C’est l’dernier jour.
Il en faut un.
Et ça compte pour plus
Que tous ceux
Qui ne sont plus.
Un jour comm’ les autres,
Mais yen aura p’us !
Ainsi chantait Jéhan
Au dernier jour
De son existence.
Ils le voyaient
Dans son jardin,
Assis sur le banc de pierre
Face aux arbres en fleurs
Où piaillaient les nouveaux nés
En attendant d’avoir des ailes.
Ils les auront pas volées, tiens.
Ah ! ce sacré Babelin
Avait fini par mettre la main
Sur un trésor :
Mais c’était sa dernière chanson.
Il n’y en aurait plus d’autres.
Tout c’ qu’on aurait à faire
C’est de chanter toutes les autres
Et même de les apprendre
A l’école
Où on devient intelligent
Avec l’ennemi.
C’est drôle de crever
Dans son propre jardin,
Le cul à froid sur la pierre
D’un vieux banc
Qui en a connu d’autres
Et pas des meilleurs.
Il écoutait les oiseaux,
Les grands, les p’tits,
Les farceurs et les idiots,
Toutes sortes d’oiseaux
Qui avaient toujours habité
Dans ces arbres de jardin.
Il ne les voyait plus.
Il les avait trop vus,
Trop imités, trop invités
A changer les syllabes
En son de flûte ou de corbeau.
Tout se passait comme prévu
Depuis l’invention du trésor.
Tout avait été écrit.
La dernière chanson
Creusait son sillon
Dans la mémoire.
Jéhan le grimoire
Était aussi un citoyen,
Mais on n’ saurait pas dire
Qui qui l’était en premier,
De vieux bouquin
Ou d’ citoyen.
Et le v’là mort.
Là, sur le banc,
Jambes croisées
Sous la feuillée.
Ya pas plus raide.
Un’ fois mort,
C’est l’usage,
On laiss’ tout
En partage.
Ya pas plus juste.
Le notaire
En bon père
Lis le lai
Intégral.
Ya pas plus vrai.
Ça alors !
L’héritier
Est un chien !
Pas un homme.
Ya pas moins vif.
Et v’là l’ chien
Qui s’ ramène
Un dimanche
‘près la messe.
Ya plus d’ respect.
Et le chien
Prend la clé,
Le trésor
Et ses cliques.
Ya des fois…
Il s’installe,
Sort les meubles,
Les bouquins
Et le vin.
Ya pas plus vache.
Yen a plein
Le trottoir.
On se sert.
Yen a plus.
Ya pas moins clair.
C’est le chien
D’ Babelin
Qui revient
Nous hanter.
Les belles histoires,
Ça commence mal
Et ça finit bien.
Celle de Jéhan Babelin
Est écrite maintenant.
Il a suffi d’un trésor
Pour changer la fin
Et donner un sens
Au commencement.
Je le sais.
J’étais là.
Pas tout seul,
Mais enfin,
J’y étais,
Citoyens
De mes deux !
Le chien de Babelin
Veille au grain,
Toutes dents dehors
Derrière la grille
Que personne ne franchit.
On ne fait que passer.
On change de trottoir.
On presse le pas.
Il faut faire vite !
Le chien se sert aussi
De sa langue française.
C’est une belle histoire,
Avec pour commencer
Un pauvre idiot bon à rien.
Sans l’invention du trésor
Il ne serait rien devenu.
Et sans rien devenir,
On l’aurait oublié
Une fois mort et enterré.
Mais vous existez,
Ô rare passant des textes
Qui servent de semelles
Au vent et aux orages !
On ne l’oubliera plus.
Promis ! Croix de bois !
Peut-on vous demander,
Maintenant qu’on se connaît,
Si vous avez une idée
A propos du chien ?
C’est pas qu’il nous emmerde,
Mais il veut pas crever !
Ô précieux promeneur
Des rencontres fortuites,
Connaissez-vous les chiens
Au point de les mater
Comme on dompte les lions ?
Il n’y a pas de mystère,
Mais des fois on se demande
Si on est fait pour nous comprendre.
La poésie est une invention.
Rien à voir avec les hypothèses
Et autres convictions de l’intime.
Un imbécile né bêtement
— et qui le prouve ! —
Peut parfaitement
Inventer quelque chose
D’inattendu, de prometteur.
Son chien veillera toujours.
J’entends vos blanches voix
Et j’en comprends le sens,
Car je suis né sous une bonne étoile.
Maintenant que Jéhan Babelin
Est mort et enterré,
Oublié par le populo
Et renié par ses personnages,
Qu’en est-il
De l’histoire du chien ?
Le voilà revenu
D’un long voyage
Au bout du monde
Ou de la nuit
Si c’est un roman.
Le voilà propriétaire
De la maison
Et du jardin,
Du banc de pierre,
Des arbres vieux
Comme le temps
Et des oiseaux
Qui virevoltent
Dans cet espace.
Chien d’homme parti
Qui laissa seul Babelin
Avec ses nuits blanches
Et ses noires idées.
Le revoilà, le chien !
Il a été
Et il sera.
Mais jusqu’où
A-t-il été ?
Et jusqu’à quand
Existera-t-il ?
Passons dans la rue,
Promeneurs phénomènes.
Passons en silence,
A l’écoute des mots
Et de leurs hiéroglyphes.
Ce chien a voyagé,
Si longtemps que Jéhan
En est peut-être mort.
Il s’appelle Nano
Et n’a pas de langage.
Il partit une nuit.
Babelin endormi
Rêvait à autre chose.
Un beau rêve peut-être
Ou un mauvais si l’art
De dormir dans son lit
Ne se partage pas.
Le chien quitta sa niche
Un peu après minuit
Pour suivre un être né
De la nuit et du temps.
Il y avait longtemps
Qu’il s’ennuyait
Avec Babelin le poète.
Et ce temps avait fini
Dans la cendre des jours.
On la voit soulevée
Par le vent des montagnes
Mais rarement elle vous quitte,
Surtout si vous êtes un chien
Et si le meilleur de vos nuits
Se passe dans la niche.
Il vit un être fantastique.
Il vit sa lumière
Et sa trace.
Il vit comment
La cendre du temps
Se souleva
En tourbillon
De froidure
Et de nuit.
Il n’avait jamais rien vu
D’extraordinaire ici-bas.
Il avait été le témoin
De bien des fortunes,
Mais jamais rien n’arriva
Qui fût aussi prodigieux
Que le passage
De cette sorte d’oiseau
Aux ailes de silence.
Souvent il avait
Renoncé au génie
A la faveur d’un os
Ou d’une soupe chaude
Comme un sein apparu
Entre peau et chemise.
Longue et dure la vie
Dans ces conditions !
Chien de poète,
Pour lui les mots
Ne désignaient
Que les choses,
Les apparences
Et les circonstances.
Mais la cendre du temps
Revient avec l’autan.
Après la tramontane,
Ses oiseaux et ses saints,
L’attente et ses angoisses
Sur la rosée des fleurs
Agitent les reflets
De convexes tumeurs.
Le nez dans la poussière
Du seuil et des saisons,
Le chien voyait comment
On finit quand
Plus rien n’existe
Que le vent,
Ses herbes et ses folies.
Moi je passais par là,
Complètement inventé.
Par qui ? Mais par le chien !
Le chien m’inventait et,
Vous n’allez pas me croire,
Je vivais d’existence !
Je fus complètement surpris
De m’étonner ainsi,
Tout nu dans la forêt
Des symboles les mieux gardés.
J’étais un homme hérité !
Un objet de chien en vadrouille.
Au-dessus de nos têtes volait
L’étrange créature de nos rêves.
Car le chien et moi
Partagions cet espace
Où il est donné
A certains malfaiteurs
D’exister et de vivre
En même temps.
Sans Babelin nous étions trois.
Un chien, un être et un vivant.
Vadrouillant, cheminant,
Sous les arbres ou sans,
Dans le soleil ou la nuit,
La pluie, le vent, les hommes,
Beaucoup d’hommes qui
Ne nous ressemblaient pas
Tellement ils vivaient
De ne pas exister.
Moi, que voulez-vous !
J’ai cru que c’était le grand amour.
Celui dont parlent les romans.
L’amour à trois
Comme en religion.
Le vrai, le faux et le possible.
Ou le contraire et l’improbable.
J’y pensais mais comme on vit,
Sans trop me faire de souci
Quant à la cohérence
Des faits et des trouvailles.
Le chien parlait comme je parle.
L’oiseau lugubre avait plus l’air
D’un oiseau qu’autre chose.
Et le monde nous appartenait,
Un peu comme la terre
Contient la totalité des morts.
Le matin tout était clair.
Le soir on était gris
Et la nuit nous voyait noir.
Jamais je n’avais voyagé
En compagnie d’un chien
Et encore moins d’un oiseau
Qui faisait tout ce qu’il pouvait
Pour ressembler à ses ailes.
Nous parcourions toutes les distances,
Clairs, gris ou noirs
Selon les circonstances.
Et à force de tout pouvoir,
Nous nous sommes souvenus
De tout.
J’ai dessiné le profil
De Jéhan Babelin
Sur le miroir
D’une onde
Où l’araignée traçait
D’autres ondes.
J’étais seul alors,
Sans chien, sans rêve,
Sans rien à dire aux autres.
Presqu’enfant et déjà vieux.
Comme si l’existence
Ne connaissait
Que l’enfance et la mort prochaine.
Rien d’autre
Que cet amour insensé
Qui volatilise le présent.
J’étais devenu un autre homme.
Je me prenais pour un arbre.
Ou pour un fleuve entre les arbres.
Quelquefois même je voguais.
Je me laissais aller.
Je ne pensais plus, j’étais.
Et le plaisir m’envahissait
Comme les parfums du printemps
Qui valent bien ceux de l’automne.
Il fallait bien
Que je me raisonne
Pourtant :
Si je n’étais plus
Ce que j’avais été,
Je n’étais toutefois pas
Ce que je rêvais d’être.
Je ne troublais pas
La surface de l’eau,
Car ce n’était pas moi
Ce personnage
Qui n’était plus
Ce que j’avais été.
Je suis plutôt la tragédie
De ce que je ne serais jamais.
Et cela me plonge
Dans d’horribles souffrances.
Si mon visage n’existait pas,
On ne pourrait pas
En mesurer
L’intensité.
Hélas je suis
Comme les autres
Et l’apparence
Trahit ce qui
M’en différencie.
La forêt épuise les symboles.
Je voyageais avec
Le chien de celui
Qui ne m’avait pas connu
Mais que j’avais accompagné
Depuis le jour de sa naissance.
L’oiseau qui virevoltait
Comme s’il nous appartenait
N’était peut-être
Qu’un cerf-volant.
Qui sait
Si à ce moment
Précis de ma vie
Et de mon existence,
Je n’étais pas l’enfant
Que personne ne désire… ?
Qui sait ce genre de choses ?
Même le chien
Qui a nom Nano
Et qui a appartenu
A Jéhan Babelin
Ne peut répondre
A cette question tournoyante
Comme un oiseau
Sorti des rêves
Pour occuper
Cette place dans le ciel
De nos divagations.
Nous voyageâmes longtemps,
Que nous fussions trois,
Ou seulement deux,
Ou même un si je suis moi.
Je voyageais ou je rêvais.
Je rencontrais d’autres animaux,
Ce qui me changeait
De l’ambiance municipale
A laquelle le citoyen ordinaire
Soumet son apparence
Et ses possessions.
Je ne sais pas
S’il vous est arrivé
De rencontrer
Autre chose
Que la vie…
Je ne sais rien de vous,
Sinon que vous êtes un homme,
Ou peut-être même une femme,
Voire un enfant vieilli
Comme ne peut rajeunir
Le vieux qui s’apprête à mourir.
Je suis sincère
Quand je vous dis,
Quand je vous chante
Que ce qui m’est arrivé
Ne vous arrivera pas.
Bien sûr j’ai rencontré
D’autres hommes que le chien
Et son épouvantail volant.
L’homme me disait alors :
« Il est à vous ce chien ? »
Je ne répondais pas, je disais :
« J’ai connu d’autres chiens,
Monsieur,
Mais rien de comparable
A celui que vous voyez
En ma sinistre compagnie.
J’ai tué trop d’hommes
Pour ne pas en arriver là ! »
Et alors ils vous regardent
Comme s’ils vous avaient déjà vu,
Quelque part dans la forêt
De leurs jardins municipaux.
Vous y étiez vous aussi,
Mais vous avez bien changé depuis !
C’est drôle,
Et même c’est chouette,
De passer son chemin
Dans ces circonstances
Somme toute ordinaires.
C’est même plus poétique
Que de violer une femme
Ou d’abuser d’un enfant.
On s’y retrouve tout entier !
Un jour après avoir tué
L’homme ou le temps,
Je ne sais plus
A quels saints je me vouais alors,
Je suis tombé
Nez à nez
Avec un homme qui poussait
Un chien
Au lieu de le suivre.
Il poussait et je suivais.
On allait dans le même sens,
Mais sans s’imiter l’un l’autre.
On se voyait différents
Et on se regardait
De la même manière.
Comme le chemin était étroit
Et que les arbres faisaient de l’ombre,
Nous clignions des yeux,
Lui à droite et moi à gauche,
Ou le contraire
Si le temps
Nous ramenait
Où nous étions
Avant de prendre la route
En compagnie
De deux chiens qui se ressemblaient
Comme les gouttes de rosée
De nos enfances respectives.
Je ne me souviens pas de son oiseau,
Ni s’il en avait un.
Je n’ai pas regardé si haut
En le voyant à ma hauteur.
Il m’a souri.
Je lui ai montré les dents.
Il a respiré l’air des fleurs.
J’en arrachais sur le talus.
Son chapeau était de paille.
Le mien volait entre les arbres.
Il me parla.
Je me tus
Pendant tout ce temps.
Et quand nous eûmes franchi
Assez d’espace
Pour nous rapprocher l’un de l’autre,
Nous nous embrassâmes
Sur la bouche pour commencer
Ce qui allait bien se finir
Par un poème ou un enfant.
Ensuite,
Une fois l’acte consommé,
Nous nous assîmes sous un arbre
Sans nous occuper de nos oiseaux
(Ou de mon oiseau s’il n’en avait pas,
Ce que j’étais toujours incapable de dire
Ni de chanter).
Pendant qu’il parlait
Et que je ne parlais toujours pas,
Je pensais à Jéhan Babelin,
A son village ou sa cité,
A sa maison, à son tombeau,
A tous ceux qu’il avait quittés
Quand son chien sans crier gare
S’était enfui sans rien laisser.
Moi, si j’avais été lui,
Je lui aurais couru après !
Et je l’aurais rattrapé.
Je l’aurais enfermé dans sa niche.
Et c’est moi qui l’aurais mordu
Pour lui apprendre la leçon !
Mais tout ceci n’est pas arrivé
Et pendant que l’autre
Me raconte
Ce qu’il a été,
Ce qu’il est
Et ce qu’il deviendra
Si je ne l’aime pas,
Je pense à ce que j’aurais pu inventer
Pour remplacer chien et maison,
Mère et tombeau
Et même père !
Je pense que je n’aurais pas dû.
Mais je l’ai fait !
Rien n’a pu m’en empêcher.
Et j’ai suivi le chien
Au lieu de le pousser.
Voilà comment ça arrive.
J’en avais oublié les cris
De la femme ou de l’enfant
Que je venais de pénétrer
Avant d’être pénétré moi-même.
Ensuite tout a disparu.
Sauf le chien et l’oiseau
Qui volait comme un linge
Un jour de très grand vent.
Tu parles d’un vent !
La mer parlait à la montagne,
Emportant d’autres animaux
Vers les sommets neigeux
Et les nuages cotonneux.
Je marchais contre le vent,
Donc dans la direction de la mer
Qui luttait contre moi
Mais vainement, vainement,
Car je voulais mourir.
On ne peut pas vivre
De violer et d’être violé
Sans savoir pourquoi
On est violé plutôt que violeur
Ou le contraire si ça arrive.
J’étais désespéré, dégonflé,
Meurtri, assoiffé, presque mort
De ma main et de celle des autres.
Je vous parle d’un moment de désespoir
Comme je n’en avais jamais connu,
Foi d’animal et de poète !
Je sentais déjà le sel.
Il changeait ma langue en statue.
Bientôt l’écume des vagues
Pénétra en moi comme on entre
Sans s’annoncer clairement.
Si c’était le matin, j’étais clair.
Ou gris ou noir si le soleil
Cédait encore à l’infini
Qui courbe jusques à nos sciences.
Était-il possible que je visse
Une sirène ou seulement
Une femme nue ou seulement
En maillot de bain ou même morte ?
Les mots me manquaient.
La peau me quittait.
Mes cheveux flottaient
Ou se laissaient arracher
Par la courbure intense
De la vague en mouvement
Sous le vent.
C’est ainsi qu’on me sauva.
On m’appela Jéhan Babelin.
Et de l’hôpital où je me remis
De l’émotion et du voyage,
Je revins à la maison
Pour y mourir une seconde fois.
« Putain ! Merdier ! Enfer !
Où ai-je mis les pieds
Quand je suis né
Sans le vouloir ?
C’est compliqué,
Alambiqué,
Je suis niqué !
Je voudrais m’en aller
Au diable
Et au bout du monde
En même temps !
Mais je n’ai pas l’argent !
Je n’ai pas le chien !
Je n’ai rien qui vaille !
— Mais si que vous avez !
Me dit une infirmière
Que j’aurais bien épousé
Mais qui avait tellement d’enfants
Qu’elle n’en pouvait plus
De compter sur eux
Pour passer
A la postérité.
Vous avez un trésor caché !
Ça tout le monde le sait.
Vous avez même un chien
Et la laisse qui va avec.
Et la maison ?
Vous oubliez la maison !
Avec son jardin, son arbre,
Son banc de bois peint en vert
Et vos plates-bandes
De fleurs et de légumes.
Ah ! vous en avez de ces choses
Qui moi me font rêver !
— Épousez-moi et on n’en parle plus ! »
Mais les choses
Ne sont pas si simples.
S’il suffisait
De s’épouser
Ça se saurait
Et les enfants
En mourraient !
Mais ils ne meurent pas,
C’est bien connu.
Là-dessus, l’infirmière
Était d’accord avec moi.
Les enfants qu’on fait
C’est pour mesurer
Ce qui nous sépare
De la vérité.
Or, nous n’arrêtons de mentir
Que quand la parole nous manque,
Qu’on soit vivant langue coupée
Ou mort en terre et en os.
La vie, on en a assez soupé
Pour savoir de quoi on parle
Et pourquoi on se tait.
On a quand même fait l’amour
Entre deux portes fermées
Puis on s’est séparé
Sans se mettre d’accord
A propos des enfants
Que les autres nous font
Au nom des grands principes
Et des valeurs républicaines.
J’avais un nom, un chien,
Une maison avec jardin,
Quelques poèmes sous le bras
Et un tas de substances
En attente d’importance
Dans les recoins de mon cerveau
Et les plis de mon cœur.
J’étais seul mais à l’abri
Des critiques si jamais
Il n’était plus question désormais
De remettre sur le tapis
Mes anciennes aventures
De temps, d’espace et de malheur.
Je frappai à ma porte.
Ma main étreignait
Une angoisse agitée
De joie, de cris et de folie.
Il y en a qui aiment
Revenir chez eux
Après les longs voyages
Du commerce
Et de la curiosité.
J’étais malheureux
De devoir frotter mes pieds
Sur l’ancien paillasson
Qui avait connu ceux
De ma mère et du maire.
Mais comme elle était morte
Et que je n’avais plus besoin
De travailler pour gagner ma vie,
Je me jetai sur mon trésor
Sans penser à mon chien
Qui enterrait déjà
Ses os dans le jardin
Et compissait le tronc
De l’arbre aux oiseaux fous
De chants et de passions.
Que d’argent ! Que d’argent
J’avais contre les gens
Pour vaincre leurs critiques
Et leur faire la nique !
Encore un peu
Et j’étais heureux !
De l’or, des pierres,
Un tas de documents
Compromettant
Le cours de choses,
Des filets à poissons,
D’autres à papillons.
Des fleurs en pot
Et des tricots
Tricotés par ma mère
Du temps qu’elle était là !
Je pouvais même lire
Ce que j’avais écrit
Et effacé aussi
Car l’une chose ne va pas
Sans l’autre qui revient
Pour tout recommencer.
Et dans le miroir familial
Je me voyais m’aimer
Comme la parque se voit.
Je me voyais aussi
Me tuer au couteau,
A la guerre, au tripot.
J’étais comme Rimbaud
Complètement barjot.
« Maintenant il faut sortir, »
Me dit ma conscience
Qui avait la voix juteuse
De mon ex-infirmière.
« Il ne s’agit pas
De devenir complètement fou !
Continua-t-elle sur ce ton.
Que ce serait donc triste
De mourir riche et fou !
Mais on n’a pas idée !
Il faut sortir d’ici !
Mettre le nez dehors !
Aller au voisinage,
Trinquer à la santé
Qui doit accompagner
Impérativement
La richesse et l’ennui ! »
Mais comment ouvre-t-on les fenêtres
Quand elles sont fermées
Comme des portes
D’entrée et de sortie ?
Dedans, je suis fou.
Dehors, je ne suis pas riche.
J’ai des voisins, un chien, des jeux
Que le gazon enfouit lentement,
Saison après saison,
Inexorable gazon
Fatal comme le gazouillis
Des feuilles qui s’y cachent.
Par la fenêtre je vois ça.
Un seul œil me regarde
Et je redeviens tombe.
Pourquoi, pourquoi, ô mon père,
N’ai-je rien perdu de l’héritage ?
Je suis Jéhan le petit,
Le nain en toutes formes,
Figure du rétrécissement,
Babelin le muet, langue morte
Au seuil des bouches d’antan.
Ça se complique dans les plis.
L’ombre se décolore,
En blanc, en noir, c’est selon.
Et je ne suis toujours pas dehors !
Le chien gratta à la porte
Dès le lendemain de mon retour
A la réalité civile.
Le même chien qui ne mord pas
Et qui aboie devant la porte
Après avoir gratté.
Il ne possède pas la clé.
Il entrera si je le veux.
Chien d’homme ou chienne,
Je ne désire que son anus.
Cette érection est un signal.
On voit de loin que je suis fou.
Sous moi le trésor rutile.
On parle de mes épousailles,
De mes enfants, de mes noëls,
De mes lointaines villégiatures
Et même d’une amante
A l’accent étranger.
On invente mon roman.
Si l’auteur devient écrivain
Et même poète à ses heures,
Alors je sors, mais c’est un rêve
Et mes voisins reviennent devant
Le portail qui me sépare d’eux.
J’écris, j’écris, et je m’invente
Des lieux, des temps, des personnages,
Voyant toute la cochonnerie
De l’écriture s’épancher
Comme le rêve d’un suicidaire.
« Se tuera-t-il avec ce feu ?
Brûlera-t-il comme en Enfer ?
Reviendra-t-il sans nom, sans nous
Pour alimenter la nation
D’une autre fable si nouvelle
Que les enfants de nos écoles
Apprennent par cœur et en chœur ?
Nous irons au bois pour crier
Avec les loups de nos chemins.
Nous mangerons l’homme et sa femme
Pour alimenter nos enfants.
Se tuera-t-il dans la chaleur
Insoutenable du récit ?
Que restera-t-il à la fin
De cette incroyable aventure ? »
Et comme ils polissaient ce chant
Devant le portail dans la rue,
Le chien s’est mis à aboyer
Et voilà qu’une fois de plus
Ils ont aimé ce chant volé.
Car voici c’est toujours le chien
Qui emporte vents et marées
Où mon esprit, toute ma chair
Ont connu d’autres aventures.
Je n’y peux rien, je suis le fou.
Je ne suis riche que dedans.
Je ne sors pas et je m’ennuie.
Et une fois de plus le chien
A ouvert le portail de ma maison,
Non pas pour les laisser entrer,
Mais pour sortir dans la rue
Et se laisser caresser le dos,
La tête, les pattes, l’anus.
« Tu ne partiras plus, Jéhan !
Tu es la source de mon bonheur.
Je ne te quitterai pas non plus.
Il en sera ainsi jusqu’à
Ce que la mort nous sépare, »
Dit le chien qu’ils entendaient
Parce qu’il était parmi eux
Et que j’étais seul et fou,
Peut-être aveugle, sourd et vieux
A l’intérieur de la maison.
La nuit, je cherchais l’oiseau
Ou ce que j’avais pris
Pour un oiseau de compagnie.
Mais le plafond ne sert pas de ciel
A ceux qui couchent dans leur lit.
Et le chien dormait sur le tapis
Comme il avait jadis dormi
Sur le paillasson de ma mère.
Comment rêver dans ces conditions ?
Comment trouver le sommeil ?
Comment exister autrement
Qu’en pensée retravaillée
Sur l’enclume du désir ?
La fenêtre je l’ouvrais.
Et au premier rayon de soleil
Je la fermais en douceur
Pour ne pas éveiller l’attention
De mon voisin le plus proche.
L’oiseau n’est jamais revenu
Hanter mes ciels d’angoisse.
J’étais seul avec le chien,
Toute la nuit qui me créait,
Et le jour il sortait dans la rue
Pour recevoir le panégyrique
De la populace assemblée.
Et ainsi de chaque jour,
Chaque nuit, chaque soleil,
Seule fenêtre sur la vie.
On n’avançait pas,
Le chien ni moi.
On recommençait
Ce qui lui plaisait
Aux antipodes
De ce que j’étais.
Ainsi le temps retrouve
La cadence infernale
Du tarissement existentiel.
Fragments parfaitement égaux,
Unité sans cesse reproduite
Pour former la fable de Jéhan,
Jéhan Babelin, pauvre aède
Dont la rhapsodie canine
Charme les oreilles et le cœur,
Seuls organes à la mode
En ces temps de disette mentale.
Le temps était-il venu
Pour Jéhan de sortir
De la maison héritée ?
Mon voisin en était
Convaincu jusqu’à l’os
Tandis que je sombrais
Dans le redoutable soupçon
Qui crée les pédants notoires.
Poésie ! Mais où est ta philosophie ?
Comment sort-on de l’inaction
Pour plonger tête baissée
Dans l’homme et son humanité ?
« Sortez ! Sortez ! Voisin
Qui ne sortez jamais !
Sortez de la maison.
Sortez dehors, voisin du dedans !
Et tant pis pour la redondance !
Je ne suis pas voisin pour rien.
Vous verrez, j’ai de l’expérience.
Jadis je fus serviteur de l’État.
J’ai de quoi le prouver, vous verrez !
Prenez exemple sur votre chien,
Ce chien voleur de rimes léonines.
Venez jouer de la guitare
Avec moi qui sais jouer
De la guitare et d’un tas
D’autres choses enchanteresses.
Je joue ! Je joue ! Je suis dehors
Et vous vous attendez la saint Glinglin
Qui ne viendra jamais
Parce que c’est écrit
Dans le Grand Livre Tautologique. »
Je n’avais pas encore
Lu ce livre ni les autres
Ce qui expliquait
Selon mon voisin
Mon ignorance en matière
De truisme et de redite.
Le chien avait revu et corrigé
Mon propre texte dans ce sens.
Et tout le monde applaudissait,
Même moi qui suis l’auteur
Incontestable de la légende
Du Géant de Babel au pays des Sots.
« Si vous ne sortez pas à temps,
Continua mon voisin magnanime,
Vous perdrez l’avantage de la surprise.
Il n’y a rien de pire en temps de guerre.
Ajoutez à cela
Que les chiens qu’on nourrit
Finissent par vous mordre
Pour en avoir plus.
Vous ne connaissez pas les chiens ! »
Alors soudain je me rendis compte
Que j’avais ouvert la fenêtre !
En plein jour ! À contrejour !
Le soleil dans les yeux
Et le cul sur une chaise.
Une vitre lançait
Des fragments de lumière
Qui ponctuaient mon invention
Comme jamais
Aucun oiseau
Ne l’avait fait.
Le chien qui était dans la rue
Avec les autres se retourna
Et cessa de les charmer.
Il grinça des dents, aboya,
Mais on ne l’écoutait plus.
J’étais apparu dans toute ma splendeur
D’homme assis sur une chaise
Derrière une fenêtre ouverte
En plein jour ! En plein soleil !
En plein dans la gueule du peuple !
« Il en faut, du courage,
Dit mon voisin lui aussi
A la fenêtre de sa maison.
Je le reconnais volontiers,
Moi qui fus fonctionnaire
Et délateur à mes heures.
L’heure, c’est l’heure !
On approche de la mort !
Il n’y a rien de plus mortel
Que l’ennui des autres
Quand il s’agit d’en apaiser
Les effets destructeurs.
Je connais ça, j’ai bien vécu ! »
Et en effet, levant mon cul,
Dix centimètres au-dessus
De la paille tressée
Par un Gitan de mes amis,
Je sentis l’odeur de la mort,
Une mort flamenca ou mora,
Je n’aurais pas su le dire,
Mais c’était elle
Et le peuple de la rue,
Avec son chien et ses chansons,
Recula en se tenant la langue.
La mort se lisait dans mes yeux.
Je ne connaissais qu’elle
Et elle les regardait.
Je ne tuais pas, je jouissais,
Le cul à ras de la chaise
Et la queue en l’air
Entre mes cuisses gourmandes
Comme jamais elles n’avaient
Désiré que je fusse
Le seul objet digne d’attention,
Du moins dans les limites
De la cité
Que j’habitais
Alors.
Je peux l’avouer maintenant :
Il est très agréable
De ne plus être contraint
De violer, de tuer, de réduire
A l’état d’excrément
Tout ce qui se présente
Sur le seuil de ma maison.
Priape m’en est témoin.
Je m’endors sur le dos.
Je rêve que je suis éveillé.
Je ne crains plus
De ne pas trouver de quoi dormir.
Certes, je n’étais pas dehors.
Le dehors se contentait
De caresser mon visage.
Il devenait brise d’azur
Pour flatter mes journées.
Et si quelque passant
S’attardait dans la nuit,
Il assistait à mes jets
Et revenait chez lui
Pour en émerveiller les autres.
Mon voisin,
Dès le matin,
Ne se lassait pas
De m’inviter
A sortir tout entier,
Par exemple sur la terrasse
Ou dans le jardin
Au gazon frais
Comme les joues d’un enfant.
Le chien, par jalousie,
Me conseillait la prudence,
Car les fonctionnaires
N’ont jamais constitué
Le nœud de la vérité.
D’ailleurs sans nœud,
On ne comprend plus rien
Et le mystère reste total.
La nuit le chien léchait mes lèvres
Pour en recueillir les trésors
De facilité et de charme.
« Sortons ensemble,
Si ton intention
Est de finalement
Sortir comme tout le monde,
Disait-il en bavant à son tour.
Tu me tiendras en laisse.
Je serai ton rhapsode.
Tout le mérite revient
A l’aède à condition
Qu’il sorte de la niche
Où les impondérables
De l’existence
L’ont confiné un jour
De très grand vent et de tonnerre.
Compose et j’interprète.
Tout le monde sera content. »
Mais moi, je pensais à l’oiseau,
L’oiseau lugubre
Des nuits sommaires.
Le verrais-je si je sortais la nuit ?
Avec ou sans le chien ?
Mon voisin le sait-il ?
Qui sait ce genre de chose ?
Peut-être personne,
Pas même moi,
Ce moi futur
Toujours plus près
De la mort et du style.
Quand je pense que j’ai été
Employé municipal !
Qui aurait pensé,
Alors que je traversais en vélo
Les rues de la Cité,
Que je deviendrais à la fenêtre
Le véritable chien de ma chienne ?
Peut-on oublier
Ce style de passé ?
Quelle importance cela a-t-il
D’avoir été le contraire
De ce qu’on est devenu ?
Ah ! si Maman avait vécu !
Je m’endormis sur cette pensée.
Et au premier rayon de soleil
Qui emprunta mes interstices
Un jet plus vertical que les autres
Atteignit le plafond et l’araignée.
Il goutta sur ma langue.
Ah ! ce que j’étais bien inspiré !
Le chien ne quitta pas le tapis
Sans emporter avec lui
La dernière goutte, la meilleure,
Et j’entendis en suivant
Le grincement du vieux portail
Pénétrer le silence de la foule.
Il y avait ce jour-là
Plus de monde que d’habitude.
Le chien grogna avant d’aboyer,
Signe que j’avais atteint un sommet
Et que je n’en étais pas encore redescendu.
« C’est fort, grogna à son tour
Mon voisin qui s’apprêtait
A aboyer à son tour
Des fois que la chance lui sourie.
C’est fort en tout et même en soi.
Mais je ne suis pas aussi fou.
Même pas riche pour le coup.
Et le chien ne m’aime pas.
La preuve toutes les nuits
Il vient chier sur mon gazon.
Je ne suis pas envieux
Mais tout de même !
La merde c’est pour moi
Et la gloire pour ce monsieur
Qu’on dit géant et babélien !
Je ne supporterai pas ça longtemps ! »
Ces paroles me terrifièrent sur place.
Et je n’étais même pas à la fenêtre
Quand je les entendis.
Le chien aboyait dans la rue.
Et pourtant j’ai entendu
Ces paroles de haine
Comme je vous entends
Maintenant que vous m’écoutez.
Je n’ai pas pu décoller mon anus
De la paille de ma chaise.
Ma langue ne franchit pas
Le seuil de mes dents.
Et j’apparus à la fenêtre
Plus muet qu’une limace.
Ils attendaient, bien sûr.
Et le chien s’impatientait.
Comment devient-on poète
Dans ces conditions humaines ?
« Le jet ! Le jet ! » criait la foule.
Mais j’avais beau me caresser,
Rien ne venait qui ressemblât
A un jet inspiré et sensé.
« On n’a pas idée, dit mon voisin
Dont le nez apparaissait
Entre deux rideaux,
De donner ainsi en spectacle
Le sens de ses masturbations !
Le peuple veut des fruits
Et peu importe si ce sucre
N’ajoute rien au sens commun.
Nous voulons mordre et être mordus ! »
Le chien mordait comme il pouvait,
Mais trop de sens change le sens
En idée si complexe qu’on s’y perd.
On l’empêcha même de mordre.
On lui donna des coups de pied.
On lui jeta des pierres,
On le frappa avec des bâtons.
Bref on lui fit tant de mal
Qu’il rentra dans la maison.
« Que t’arrive-t-il ? me dit-il.
Tu ne m’aimes donc plus ?
Tu m’abandonnes à la colère !
Au désespoir ! À la vengeance ! »
Il me mordit et se coucha.
Mais j’avais beau m’agiter,
Je n’agissais pas, je mourais plutôt.
Je sentais l’odeur de la mort.
Elle me tournait le dos.
Elle allait me demander de la suivre.
Ignoble moment que l’agonie !
Mon corps ne savait plus
A quel sein se vouer.
Ma langue se gonflait
D’injures, de propos
Qui eussent offensé
Ma propre mère.
Je devenais enfin
Ce que je n’avais jamais été.
Alors au plus fort de la douleur,
Je priai qu’on me sauvât.
Mon voisin referma sa fenêtre.
Les passants de la rue
S’égaillèrent comme des passereaux.
Le chien se gratta l’oreille
Et se mit à observer
La puce qui s’enfuyait
Dans les nœuds du tapis.
Je redevenais seul.
Voilà ce qu’on est
Quand la seule compagnie
Est celle de la mort.
Certes ce n’était pas la première fois
Qu’elle me montrait le chemin.
Mais cette fois je ne me tuais pas.
Personne ne me tuait.
Je mourais seul dans ma maison.
Sans chien, sans voisin, sans les autres.
Peut-être la puce et encore !
Elle allait si vite
Que je la perdis de vue
Quand elle atteignit
Le bord du tapis.
Elle disparut je crois
Entre deux planches disjointes.
J’aime la solitude mais pas à ce point !
Alors j’entrais dans le rêve,
Mais cette fois pour de bon
Et non pas pour me réveiller
A l’autre bout de la nuit.
Je vais sans doute vous surprendre,
Mais je me sentais bien,
Un peu comme si je me tuais.
Je ne tentai même pas
De me réveiller en sursaut.
Je me laissais aller
Comme la mort me le conseillait.
C’était facile comme tout !
Ah ! si à ce moment-là
J’avais eu de quoi écrire,
J’aurais atteint la limite de mon génie !
Cependant, je n’y songeai pas.
C’est maintenant que j’y pense.
Je suivais la mort sur le chemin
Qui naissait sous ses pas.
Chemin de guerre et de tuerie.
Il y avait des morts partout
Et je n’en connaissais pas un.
Arbres de morts, potence, fossés
Traversant même les prairies
Où le hasard tissait des toiles
Avec les membres et les tripes.
C’était dantesque comme spectacle !
Je m’y habituais cependant.
Rien ne m’horrifia vraiment.
Rien non plus pour inspirer la joie.
J’avais laissé mon cœur
Dans la réalité.
Aujourd’hui que je suis de nouveau
Plus vivant que mortel,
Je ne m’étonne pas
De ne m’être pas épaté.
Je ne ressentais rien
Sinon ce bien-être intérieur.
Je vérifiais toutefois
L’état de mes poignets.
Ils ne saignaient pas.
Rien ne saignait ni dehors ni dedans.
Aucun poison ne pétrifiait mes surfaces.
Je mourais d’une belle mort
Comme tout le monde en rêve.
Bien sûr, les derniers moments
De mon existence de poète
N’étaient pas beaux à voir
Ni à entendre,
Mais je n’y pensais pas,
Je ne regrettais rien,
Ni le chien, ni le peuple,
Ni rien de tout
Ce qui avait empoisonné
Mon existence.
Au diable le passé !
Moi qui en ai possédé trop.
Trop de passé, pas de futur.
Mais maintenant je jouissais au présent.
Il n’y a que la mort qui le peut
A la place de la vie qui s’en va.
Hélas, je ne vous apprends rien,
Les bons moments ne durent pas.
On a beau s’accrocher à leurs basques,
Le temps revient pour imposer
Les conditions de la durée.
Sapristi ! Je me réveillai !
Le sommeil avait pris le masque de la mort !
Et j’y avais cru, comme à Venise !
Ah ! le réveil dura plus longtemps.
Quelle douleur abstraite !
Finasserie du devenir en puissance !
Je me tordais dans des draps blancs
Comme les neiges du bon temps,
Celui que je n’ai pas connu.
Misérable existence du riche fou !
Vie exécrable de celui
Qui a son chien pour le chanter !
Le rêve se dissout dans la lumière.
La mort s’en va comme elle est venue.
Mais il ne s’agit pas de se tuer.
Il faut revivre pour regoûter.
Il est absolument nécessaire,
Et je pèse des mots sans poids,
De retrouver le fil du récit
Dont l’auteur est la mort.
Voilà où j’en étais ce matin-là !
Matin sans chien, pas de voisins,
La rue déserte, et tout vivait !
Bon sang ce que le monde est beau
Quand il n’y plus personne pour l’enlaidir !
Et comme on se sent bien
Quand personne ne pense à mal !
Semence sans avenir
Des murs et des fenêtres.
J’ensemençais ! J’ensemençais
Sachant qu’aucun enfant
Ne viendrait empoisonner mon amour.
J’ai tout vu, tout visité,
Fouillé caves, greniers, salons,
Chambres à coucher, et les cuisines
Qui sentaient encore la friture
Et la fleur d’oranger, ô Monde !
Je te tenais dans ma seule pogne !
Aucune chance de rencontrer
Quelqu’un qui me ressemble de près
Ou de loin, personne de vivant.
Pas même des morts ! Tous enterrés
Sous le fardeau de la poésie enfin nue !
J’étais dehors, je sortais,
Je n’arrêtais pas de sortir.
Personne ne sortait à ma place.
Et je ne sortais pour personne !
Le cadavre de mon voisin
Gisait sur la pelouse
De son jardin d’agrément.
Surpris par la vivacité
De ma première sortie.
Figé dans l’herbe grasse
De sa retraite et de ses nuits.
Le regard encore occupé
A regarder de mon côté.
La bouche pliée à angle droit
Sur le dernier mot vivant
De sa vie ordinaire de langue
Morte, passage des cimes.
Je l’enjambais sans rien en dire.
Plus loin montait son escalier.
J’en gravis toutes les marches.
La porte était ouverte
A tous les vents. Il ventait.
J’entrai dans cet intérieur
Comme j’étais sorti à l’extérieur,
Juste pour me faire une idée
Du probable et de l’improbable.
La rumeur voulait encore
Que je fusse conçu là-dedans
Entre le mur et le sofa,
Face à la télé surmontée d’un oiseau
Qui ressemblait étrangement
A celui que j’avais perdu,
Preuve qu’on a toujours raison
D’accorder de l’importance
Même au plus petit détail
De l’aventure et de ses dieux.
Je m’assis dans le sofa de soie.
Cette seule idée provoqua
Une formidable érection,
Mais je me retins d’ensemencer
Ce territoire encore secret.
D’ailleurs le chien n’était pas mort.
Il était entré lui aussi,
Juste pour voir si je disais juste
Au moment d’en savoir plus.
Il entra sur deux pattes,
Celle de devant, vertes et poilues,
Car c’était un acrobate hors norme.
Il gesticula au bord d’un tapis,
Funambule des angles morts
Et de la poussière qui va avec.
Je n’étais plus seul sans doute.
Mais un chien de compagnie
Meuble-t-il le néant qui jouxte
Le terrain des jeux solitaires ?
Tu n’aboieras point, disait Moïse.
Et il s’en tint à ce principe,
Tant et si bien que j’ensemençai
Une guitare qui m’avait joué
Entre les cuisses de ma mère
A l’époque où elle se cherchait
Pour ne pas se retrouver seule.
Quel poète n’a pas vécu
De pareils moments cruciaux ?
Le chien me suivait pas à pas
Comme j’avais suivi la mort.
J’étais peut-être sa mort après tout,
Non pas que j’éprouvasse le désir
De la tuer comme on tue le dernier,
Mais j’avançais en terrain inconnu.
Je trouvais le plat de pommes frites,
Les beignets arabes et le vin.
Je me sentais heureux d’être vivant
Et de pouvoir mourir à tout instant.
Où donc avais-je rencontré cet oiseau ?
Quel malheur annonçait son envol ?
Oiseau de mes premiers instants
Et d’autres instants moins enfantins.
Je le voyais alors qu’il n’existait plus.
Et le chien levait aussi la tête
Pour le voir voler comme un avion
De combat dans un film épique.
Étions-nous vraiment si seuls que ça ?
Et si nous ne l’étions pas,
Quelle créature avions-nous conçue ?
« Quand je pense que tu as été
Employé municipal, ô poète ! »
Grogna-t-il en se voyant
Dans le miroir
D’une vieille armoire.
Je me regardais aussi.
Je me vis en vélo.
Je vis ce que j’étais,
Ce que les gens voyaient
En me regardant.
Comme j’avais changé !
Je n’avais pas vieilli.
Je n’avais pas perdu un seul cheveu.
J’avais toutes mes dents.
Je bandais comme un adolescent.
Et mes yeux voyaient aussi bien
Au-dedans qu’au dehors.
Je ne pouvais pas rêver mieux
Et pourtant je rêvais !
Nous montâmes au grenier,
Écartant du bout du pied
Les cadavres d’animaux
Qui avaient vieilli sans moi.
Le chien me montra à quel point
Il avait horreur de la mort.
D’ailleurs il me voyait mort,
Ce qui expliquait la morosité
De son regard et de ses lèvres.
Nous ouvrîmes la malle
Qui contenait la relation
Épistolaire de mes exploits.
Qui écrivit toutes ses lettres ?
Nous nous tûmes d’un commun accord
Pour ne pas répondre à cette question.
« Tu te multiplieras, » avait dit Moïse.
Je savais que ça arriverait un jour.
J’étais bien jeune quand je le sus
Pour la première fois et pour toujours.
Dans la malle il y avait aussi
Les poils pubiens de l’adolescente
Qu’avait été ma mère avant
De devenir la mienne.
Je les fis jouer entre mes doigts.
C’était de la pure soie de Chine,
Noire comme l’Afrique
Et dorée comme l’Arabie.
J’en avais fait des voyages
Avant de venir au monde.
Et je les imaginais encore
Alors qu’il n’était plus question
De mordre de sein de pacotille.
Le chien ne commenta pas mes réflexions.
Je refermai la malle sans en sortir
Aucun des objets qui avaient formé
Le moindre de mes angles.
Géométrie de l’enfance garde
Tes secrets pour l’exégète fou
Que tu deviendras quand l’heure
Sonnera au campanile de l’été.
J’aime les promenades solitaires
Ou même avec un chien pour compagnon.
L’oiseau se montrera-t-il à la fin ?
Je suis bon pour un tour de plus.
Et je recommençai la sarabande.
Dix fois, cent fois et plus
Sans rien changer à l’ordre acquis.
Fous que vous êtes vous poètes
De jeter l’or par les fenêtres !
Certes je m’appauvrissais ainsi,
Mais le chien mangeait moins
Et je ne buvais qu’aux meilleures sources.
Qui es-tu Jéhan Babelin ?
Je t’ai connu à moitié fou,
Puis plus que riche et enfin mort.
A-t-on idée de ta fortune ?
Quand tu sors tu es dedans
Et quand tu entres tu sors.
Tu ne fais rien comme les autres.
Quand tu es mort ils sont vivants.
Et quand ils meurent tu revis.
Qui est ce chien qui te sert de rhapsode ?
De quel amour t’enchaîne-t-il ?
Et pourquoi tant de cadavres
Sur ta route de voyageur pressé
D’en finir avec l’aventure ?
Ils sont là devant le portail,
Attendant que tu meures enfin,
Ayant préparé la plaque dorée
Aux lettres noires de soleil.
« Ici repose et a vécu,
Jéhan Babelin chien d’amour
Qui dès l’enfance a toujours su
Qu’il ne connaîtrait pas le jour.
Telle est sa nuit nu parmi nous.
Rimons la rime au masculin
Car en lui femme à deux genoux
Prie qu’on retrouve le matin. »
Quelle angoisse ! Quelle tuerie !
Quel flot de sang et de chair cuite !
Mes nuits j’adore vos envies
Car c’est ici que Jean habite.
Babel trouée de langues mortes.
Jet de passion et d’existence.
Je n’aboie pas devant vos portes,
O paillassons de l’impuissance !
Et ainsi herborisant le vers,
Le chien suivant comme un chien
Et le vent sans l’oiseau
Qui lui eût pourtant donné un sens.
J’aurais pu mourir de soif
Au milieu de ce désert d’homme,
Crever comme meurt l’animal
Entre une souche fossilisée
Et la ruine d’un ancien temple.
Je le reconnais volontiers…
Allez savoir pourquoi
Je suis si vite revenu…
Car cela ne dura pas.
La mort des autres
Était provisoire,
Sans doute par décret.
Je me rendis à l’évidence.
S’ils revenaient d’entre les morts,
Je retournais à mes pénates,
Avec mon chien et mon sommeil,
Sommeil de jour, travaux des nuits.
Non je ne suis pas mort de soif.
Mon chien aussi a survécu.
Même l’oiseau est revenu,
Dans ma tête il est revenu.
Et le monde reprit son cours.
On voit ça dans tous les films.
L’interruption ne laisse aucun souvenir.
Au fond il ne s’est rien passé
Si l’on en juge par ce qui se passe
En ce moment là devant moi.
Le chien renverse son chapeau,
Le tend à la foule pressée
De revoir femmes et enfants
Entre les murs de l’existence
Que les séries télévisées
Doucement empoisonnent.
Dans le chapeau, quand il revient
A la maison où je compose,
De l’argent, des lettres d’amour,
Des boutons et des ex-voto.
Des vers contre les détritus
De l’esprit qui n’en peut mais plus.
Voilà comment Jéhan Babelin
D’enfant devint municipal,
Puis déserteur et suicidaire,
Aède suivi de son rhapsode
Et enfin poète à ses heures.
En arriver là à trente ans,
C’est plus que triste et affligeant.
Et pourtant c’est ce qui fut fait.
Voilà comment on perd le fil.
On a beau être riche d’argent
Et rendu fou par les passions,
Tout est mal qui finit bien
Selon les principes de la tribu.
La vie de Jean devint monotone.
Le chien aboyait de temps en temps.
De temps en temps un admirateur
Exigeait par-dessus le portail
Une dédicace ou un détail
Biographique ou encore autre chose,
Des tas de choses
Qui n’avaient pas d’importance
Et que Jéhan laissait passer
Comme on regarde les hirondelles
Aller et revenir au rythme des saisons.
Des femmes il en avait
En veux-tu en voilà
Et pas des boudins de légionnaires.
Il choisissait la beauté
Si c’était ce qu’il voulait
Ou bien il vomissait
Sur le corps d’une intruse.
Sa grande queue était connue
Pour ses grandes performances,
Mais vous savez ce que c’est,
La rumeur…
On exagère toujours un peu.
Mais oui, il y avait bien
Une légende en formation.
Elle concernait sa queue,
Pas ses travaux d’écriture.
Et comme il ne travaillait pas
A autre chose,
On ne parlait que de ça.
Pourtant parfois ou au hasard,
Il signait des pages de garde,
Se vantait ou au contraire
Montrait à quel point
Il n’était rien
A côté de ce que d’autres
Avaient inscrit dans la fable
Nationale.
« Ainsi vous fûtes,
Disons le mot,
Un peu débile
En votre enfance…
Puis employé municipal,
Et à vélo !
Vous voyageâtes chez les fous
Et en revîntes avec un chien
Pour compagnon et allégeance.
Bravo l’artiste ! C’est complet !
Que peut-on attendre de plus
De la part d’un artiste du stylo ?
Vous écrivez toujours… ? »
Voilà ce qui arrive
Quand on revient.
On n’écrit plus.
On a écrit,
Mais c’est fini.
On fait semblant.
On recommence.
Quelquefois même
On se corrige
Et on revoit.
Le chien se tait.
« Abois ! hurlait Moïse,
Et toi reproduis-toi ! »
Mais c’était fini.
La vie continue.
Elle ne s’arrête plus.
Beaucoup ont connu ça.
Ils avaient la trentaine
Tonton tontaine.
Le chien ne meurt pas.
Il ne se tue pas.
Il traverse dans les clous.
Il surveille les génoises des rues.
Il se méfie des mains.
Un enfant à roulettes
Peut tuer le passant.
Ça s’est déjà vu.
« Je déteste les enfants, »
Se disait Babelin
En passant devant la cour
De l’école municipale.
Mais il ne tuait plus,
Ne volait plus,
N’y pensait plus.
Et s’il avait écrit,
Il n’aurait rien écrit,
Comme tout le monde.
Il était le monde
Après avoir été la solitude.
C’est aussi dur
Que de passer
De l’ombre à la lumière
Et pas le contraire.
Maintenant il pouvait passer
De la lumière à l’ombre
Pour faire comme tout le monde.
C’était ça être le monde
Dans sa totalité :
La lumière puis l’ombre
Où l’œil retrouve
Sa tranquillité
De vieil objet
Du passé.
Aussi une fois dans l’ombre,
On y restait.
Pas question de recommencer !
Il a déjà donné.
« J’y suis, j’y reste.
Comme tout le monde.
Rien de plus, rien de moins.
Et si ça continue,
Je laisse tomber les putes
Et j’épouse une femme. »
Il parlait sérieusement,
Pas pour ne rien dire
Comme tout le monde.
Une femme entre les femmes.
Pas facile de trouver l’introuvable.
Il pensa à l’échec,
A l’approximation,
A la résignation.
Il pensa à l’enfant.
Il en aurait un.
Au moins un pour le dire.
Un être de passé
Projeté dans le futur.
Gros risque pour le présent !
Mais les dés sont jetés
Depuis si longtemps
Qu’on a perdu le fil
Du récit primitif.
La poésie ne mène à rien.
On revient en chantant
Des ateliers municipaux
Et on repart sans chanson
Vers de nouveaux horizons.
Oui mais on en revient.
Trop de passé, pas de futur
Et rien à faire au temps présent
Sinon brasser l’ennui
Comme l’eau de la piscine
Municipale.
C’est ça l’expérience.
Il en avait, de l’expérience.
De quoi nourrir la critique.
Un pas de côté
Et c’est le fossé.
Un pas de trop
Et c’est la faux.
Impossible de reculer.
On ne ment qu’aux autres.
Et c’est l’enfer.
Fossé, faux, enfer.
Jetez les dés
Pour vous refaire !
Sinon fallait pas entrer…
À Las Vegas
On est plus chanceux.
Et ainsi tous les jours,
Toutes les nuits
Et tous les crépuscules.
Des giclées de sperme
A n’en plus finir.
Et la femme en ombre chinoise.
Un enfant qui promet
Ou qui ne donne rien,
Au hasard, Balthazar !
La feuille blanche,
Immaculée conception.
Pas de suicide,
Pas de douleur inutile,
Une angoisse en catimini,
Des rêves clos sur eux-mêmes,
Et l’ombre d’une femme
Qui ne dit pas son nom.
Jéhan Babelin perdait son temps
Et il commençait à en souffrir.
On ne souffre jamais longtemps.
Il avait déjà souffert.
Et il avait bu les vins
Du ciel et de la terre.
Le feu était entré en lui,
Feu des substances mirifiques.
Et il en était sorti
Comme il était entré,
En voleur patenté.
Le chien ne servait plus à rien.
« N’aboie pas ! » hurlait Moïse.
Aussi n’aboyait-il pas,
Car Moïse était son maître.
Jéhan observa son couteau.
C’était un fin acier damasquiné.
Avec des plis et des retours
D’ombres et de nuances.
Douloureux, le couteau,
Quand on l’applique à la peau.
Mais si facile
Quand on y pense.
« Je reviendrai un autre jour… »
Et il revenait, ouvrait
Le tiroir des couteaux
Et il prenait ce couteau-là
Et lui parlait comme il parla
Naguère aux personnages
De ses interprétations de l’homme
En proie à ses désirs d’éternité.
Mais le silence s’imposait
Et il refermait le tiroir.
Comme ça pendant des jours,
Des semaines, des mois,
Des ans si c’est possible
D’étirer la page jusque là.
Le chien couchait au pied du lit.
Ils partageaient aussi le plafond
Tellement ils se ressemblaient,
Ces deux-là !
Des rêves, ils en avaient,
Mais pour ce que ça servait…
On fait mieux comme nuit.
Et le matin le chien sortait,
Pas loin, dans le jardin,
Et il faisait ses besoins.
Jéhan, triste et flasque
Comme la vie qui s’étiolait,
Ouvrait la fenêtre,
Le voisin étant mort
Depuis longtemps, des ans.
Il avait hérité la maison
Suite à un test de paternité.
Il possédait donc
Deux maisons mitoyennes.
Quelle femme refuserait ça !
Un chien et deux maisons.
Et un passé à couper
Au couteau des voyages.
Un enfant pour futur
Et de l’amour entre les draps
Et même au-dessus de l’évier.
Ce n’était pas un rêve,
Ni la suite d’un rêve.
C’était le désir.
Il ne lui restait plus que ça.
Le désir et son rien.
Marionnette des sens.
Rien de plus ordinaire
Que la vie d’un poète
Qui ne versifie plus.
Rien de plus ennuyeux
Que le retour aux sources
De l’inspiration.
On devient suicidaire
Et ça se lit
Au milieu de la figure.
« Babelin va se tuer ! »
Disait ceux qui passaient
Devant le portail clos.
« Jéhan ne va pas bien, »
Pleurnichaient ses amis,
En tout cas ceux
Qui se considéraient comme tels.
Il ne mangeait avec personne,
Buvait seul et désespéré,
Violait avec consentement
Et effleurait les peaux
Pour ne pas les trouer
Comme il en avait
Une folle envie.
Misère du riche héritier.
Angoisse du fou à lier.
Le chien observait tout ça
Sans aboyer, sans mordre,
Sans aucune intention
De changer le cours des choses.
Il habitait dans sa niche
Et dormait quelquefois dans le lit.
Il sodomisait encore avec plaisir,
Mais pas aussi souvent
Que les gens le contaient.
Derrière les rideaux
Ou les coudes sur la table
Des cafés de la ville,
Ils riaient sans vergogne
En présence des enfants.
Que penseriez-vous
Si je vous disais
Que j’étais un de ces enfants ?
Comment agiriez-vous
Si je vous avouais
Que mon goût pour la poésie
Tenait d’abord à cet anus ?
J’en rêvais, les amis !
Et je me masturbais
Sans femme pour changer
Ce fameux cours des choses
Qui emmenait Jéhan
Au pays des cannibales.
Un jour de très grand vent,
La pluie me fit ruisseler
Sur le trottoir de cette rue.
Voilà comment j’explique
Ma présence devant le portail.
J’agitais la clochette.
Le chien parut dans l’ombre,
L’œil inquiet car j’étais beau.
Il me conduisit, solennel,
Au pied de l’escalier.
En haut sur la terrasse
Jéhan lisait dans un livre
Eclairé par le soleil
De ce matin tranquille
De printemps ou d’hiver,
Je ne me souviens plus
De ce détail sans importance.
Les fleurs n’occupaient pas
Cet espace pourtant saisonnier.
Jéhan ne quitta pas son lourd fauteuil.
Le chien m’offrit un tabouret.
Je croisais mes gambettes nues.
C’était peut-être l’été,
Mais je ne me souviens pas
De ce détail en forme de fleur.
« Je pars en voyage demain,
Dit Jéhan à qui je ne demandais rien.
Je n’amène personne ni bagages.
Je pars tout nu à l’aventure.
Je m’en vais sans embarcation.
Pas de voile et pas de vent.
Je me donne aux circonstances.
Ils finiront bien par m’enfermer. »
Le chien soupira dans sa truffe.
Il croqua un biscuit avec moi.
Jéhan montrait ses veines.
« Le sang ne coule pas,
Dit-il en saisissant le couteau,
Mais je ne vous donnerai pas ce plaisir ! »
Curieux comme il parlait !
Je n’avais pas étudié ça
A l’école de la République.
Le chien non plus d’ailleurs
Qui acheva le biscuit sans moi.
« Demain sera toujours demain,
Continua Jéhan Babelin,
Alors qu’hier n’est déjà plus.
Je n’arrive pas à m’y faire !
Ça me rend fou des fois !
Mais je ne tuerai plus personne.
J’ai trop tué autour de moi.
Il n’en reste plus un seul,
A part ce chien qui m’aime
Comme un homme ou une femme,
Je ne sais plus comme je l’aime. »
Il referma le vieux bouquin
Dont il venait de lire les passages
Que je viens de citer
Avec une fidélité
De chien coupé de langue.
Dans la rue les gens passaient
Et jetaient des yeux moroses
Sur ce tableau pédagogique.
La cruche trônait
Au milieu de la table
Et une abeille en visitait
Le versoir cristallin.
« Où est la poésie, petit ami
Au cucul si trognon ?
Murmurait Jéhan en vidant
Les verres d’un trait rageur.
Pas de poésie sans chien
Et sans un enfant pour le dire.
Tu devrais savoir ça
Puisque tu es entré ici
Sans qu’on te le demande. »
Le chien confirma affablement
Qu’il n’avait rien demandé
Pour expliquer ma présence.
« Les chiens ne demandent jamais rien,
Confirma Jéhan en grattant
Une allumette contre ma joue.
— Sans femme, ajouta le chien
En tirant sur son cigare,
C’est encore plus difficile…
— Et pourtant, soupira Jéhan,
Maman est depuis longtemps ! »
Voilà comment je devins
L’enfant de Jéhan Babelin.
Ni plus ni moins
Et sans malice.
Pourtant le lendemain
Jéhan nous avait quittés.
Il nous laissait seuls
Comme souvent il avait abandonné
Le chien mais sans moi
Pour accompagner sa tristesse
De chien condamné au silence.
En l’absence de Jéhan
Qui était comme mon père,
Je me mis à parler, parler !
Je parlais tellement, tellement
Que le chien se mit à aboyer
Et Moïse apparut dans un songe
Que nous fîmes ensemble
Après le plaisir
Dans le lit de Jéhan
Qui ne lui servait plus
D’embarcation.
« Vous n’avez pas honte d’aboyer
Alors que c’est interdit
Par la Loi de Dieu ?
Ah ! si Jéhan était là !
Mais il est en voyage
A l’autre bout du monde !
On n’y peut rien,
Ni vous ni moi.
Personne, pas même Dieu !
Et pourtant j’ai tout essayé.
J’ai même aboyé avec lui,
Et sans la permission expresse
De ce dieu que nous adorons
On ne sait plus très bien pourquoi.
La peur, l’angoisse, les hantises…
Nous n’avons pas encore
Fait le tour de la question
Et sans doute ce temps
Ne viendra jamais, jamais ! »
Et ayant parlé de la sorte
Moïse disparut
Comme il était venu,
Ni plus ni moins,
Foi d’animal !
Nous aboyâmes toute la nuit.
Jamais le chien n’avait
Autant aboyé.
Et moi qui n’avais
Jamais aboyé
J’aboyais en chœur
Sans rien demander
A ce qui reste
Une fois que c’est fait.
Le matin arriva, soleil.
Personne ne porta plainte
Pour tapage nocturne.
Les gens n’écoutaient plus
Depuis longtemps maintenant.
Nous descendîmes dans le jardin.
Le chien dressa la table.
Il lissa la nappe
Du plat de sa patte.
Cracha sur les couverts
Pour en lustrer la patine.
Le café fumait bon.
Les oiseaux chantaient.
Les fleurs s’épanouissaient.
Le ciel bleuissait de nuages.
Et le chemin
Qui s’en allait
A l’horizon
Parlait de perspective
De lignes et de couleur.
Si Jéhan était revenu
Au moment où le chien
M’embrassa sur la bouche
Avec toute sa langue,
Il en aurait conçu
L’image même du bonheur
Et peut-être même aussi
Un peu de jalousie.
Une tourterelle laissa tomber
Le blanc excrément
De ses voyages en chambre.
Jéhan n’avait pas prévu
Une date de retour,
Du moins n’en avait-il
Pas parlé ni au chien
Ni à moi qui n’était
Qu’un enfant des circonstances.
Il pouvait réapparaître à tout moment.
Nous surprendre dans la joie.
Mettre fin à nos instances.
Qui sait ce qu’il pouvait
Atteindre comme fin
De partie s’il revenait
Comme le vent d’autan
Tourne à la tramontane.
Le chien s’en inquiéta.
Il n’aboyait qu’en sourdine
Et cette fois pas à cause
De l’inadmissible Moïse.
« Avec moi, me confia-t-il,
Tu ne t’ennuieras pas, crois-moi !
N’aboyons plus, mon enfant,
Même du bout des lèvres.
Laissons les guêpes achever
Nos repas matinaux, mon trésor !
Et montons au grenier.
— Au grenier ! Mais Tonton,
Il fait noir là-dedans !
Et c’est plein d’animaux !
— Certes, ma douce poésie,
Mais il n’y a pas de serpents.
Et puis il y a la malle…
— Tu veux parler de la malle… !
— Oui, comme dans don Quichotte.
— Mais Jéhan nous tuera !
— Il n’a jamais tué personne. »
J’étais bien aise de l’apprendre.
Aussi suivis-je le chien
De ma chienne de vie.
Nous atteignîmes le grenier.
La poussière emplit ma gorge.
Mes cheveux devinrent
Des toiles d’araignées.
Mille chauves-souris
Caressèrent mes joues.
Je ne voyais plus rien.
Mais j’entendais le chien
Qui ouvrait le chemin
En parlant aux animaux
Qu’il connaissait mieux que moi,
Cela va de soi.
Enfin il fit de la lumière.
C’était celle d’une ampoule.
Elle miroitait dans un abat-jour
Couleur de cerne et de lilas.
La malle était ouverte.
Le chien tenait le couvercle.
« Voici ce dont
Je te parlais
En titillant
Ton petit cul, »
Dit-il prenant
De l’autre patte
La masse informe
D’un manuscrit
Comme on le faisait
Dans ces vieux écrits
Où l’interruption
Dément la série
Trop bourgeoise au goût
Des libres penseurs.
Et voici ce que nous lûmes,
Signé Renaud Alixte :
***
Le poète est un homme nu
ou nue est la femme si c’est un poète
et ainsi je m’avance dans mon époque
nu si je suis un homme
O grandeur de la mesure
quand il faut la prendre !
Ce monde n’est cruel
que d’appartenir aux hommes
S’il appartenait aux poètes
hommes nus, femme nues,
nous y serions heureux
et même riches !
Mais Dieu ne le veut pas.
Ou il ne le peut pas.
Comment savoir ce qui se passe
à cette altitude ?
Même nos gouvernements
sont difficiles d’accès.
Le Chef aussi n’est pas facile
à rencontrer seul à seul,
sauf pour se faire engueuler
et tant pis pour les primes
de fin d’année !
Marions-nous !
Toi et moi sommes nus.
Homme ou femme,
qui que tu sois,
épouse-moi
sans autre cérémonie
que le contact de nos peaux !
Et écrivons !
Voilà le papier
qui sent bon le papier.
Et voilà la plume
avec sa bille et son capuchon.
Et voilà la fenêtre
pour regarder dehors…
… ce monde qui ne veut pas de nous,
de notre bonheur, de notre richesse,
ce monde qui devient immatériel
à l’intérieur du matériel…
comme il est orgueilleux !
et comme nous sommes simples !
Profitons de notre retraite !
Partons avec l’argent du voyage !
Et arrêtons-nous au bord de la plage !
O comme cette rime est belle !
Nous qui n’en voulions plus
de cette rime qui a tant dépoétisé
notre monde de simplicité
et de sentiments non moins faciles
à comprendre par tout le monde.
Mais le monde, CE monde
est-il encore le nôtre
si une rime nous rappelle
qu’il en faut de la peine
pour arriver à écrire ce qu’on pense !
Il pleut ? Il neige ?
Qu’à cela ne tienne !
Ô nouvelle rime !
Notre peau nue supportera
ces atteintes cruelles !
Et ils entendront nos poèmes,
car le vent est notre ami
et il sait les porter
comme nous portons nos bagages.
Voilà notre nouveau bonheur !
Franchissons la frontière
pour devenir international
et changeons aussi de religion
pour ne plus ressembler
à ceux qui nous ont chassés
du mérite national
et de l’honneur qui va avec.
Et s’il ne faut pas être nus
pour cause d’exhibition sexuelle,
alors revêtons le cilice !
Et souffrons ensemble
de n’être pas compris !
*
Un attentat ?
Un drame national ?
Vite !
Écrivons un poème !
Et comme il est interdit
d’en écrire un
pour soutenir ces pôvres
terroristes,
écrivons-en un
pour pleurer avec
les crocodiles.
Je suis ce que vous voudrez,
ô maîtres de mon destin,
pourvu que je sois publié !
Moi qui ne souffre pas
d’être juif,
ni pauvre,
ni exclu de la parole,
je m’élève
contre tout
ce qui fait des trous
dans le drapeau.
Ô passoire nationale,
que ta soupe
me nourrisse
et fasse de moi
un citoyen
au-dessus des autres
par différence
de traitement.
J’aime la police,
la répression,
les prisons,
les pacifications
et les monuments
qui pèsent sur la mémoire
au moment où le père
et la mère
n’ont plus leur mot à dire.
Intégrons tous ensemble !
et que le sang impur
se change en vin !
Pour le pain
on se le disputera
encore longtemps,
mais que voulez vous,
c’est notre nature…
*
Il était une fois un petit poète
qui avait la bouche en cœur
et un cul de poule.
Il avait bien des choses
que les autres n’ont pas.
Alors il voulut à tout prix
que cela se sût.
Il voulut même qu’on le publiât.
Mais on ne le publia pas
alors qu’il avait couché
avec la bibliothécaire
de sa petite ville.
Que s’était-il passé
qui l’empêchât d’être publié
alors qu’il avait tout fait
pour que ça n’arrivât pas aux autres ?
Il interrogea sa muse :
« Muse, ô Muse !
Qu’arrive-t-il à ma poésie ?
Personne ne veut la publier
et pourtant j’ai couché avec Angèle
comme c’est écrit dans la Constitution ?
— Petit poète municipal,
lui répondit la muse en chaleur,
il est vrai que tu as
la bouche en cœur
et un cul de poule,
mais ce qu’Angèle apprécie
plus que la bouche et le cul,
c’est le talent.
Or, tu n’en as pas.
— Ça alors ! s’écrie
le petit poète municipal
qui habitait pas loin
du château de Pallas.
Ce n’est pas écrit
dans la Constitution, ça !
— Et c’est pourtant
une question de constitution,
dit la muse qui s’amuse.
Je te conseille d’aller consulter
un rabibocheur de constitution.
J’en connais un de très bon.
Il habite à Vienzy.
Il s’appelle Le Grand Poète.
Il possède la science
dont tu as besoin.
Paye-le bien
et tu auras du talent. »
Qu’à cela ne tienne !
se dit le petit poète municipal.
Si ce Grand Poète
peut rabibocher ma constitution,
je serai publié
et alors j’emmerderai tout le monde.
Et voilà notre petit poète municipal
en route pour Vienzy.
Il sonne et Le Grand Poète ouvre.
« Bonjour monsieur,
dit le petit poète municipal,
je viens de la part de ma muse pour…
— Je vois ça, dit Le Grand Poète.
J’ai l’habitude.
Asseyez-vous là et attendez. »
Le petit poète municipal attend.
Il attend toujours.
Il se demande même
si Le Grand Poète
habite toujours là
et à la fin,
car il en faut une,
il revient chez lui
à côté du château de Pallas.
Comme on est en France,
Le Grand Poète est en train de baiser
avec la muse du petit poète municipal
qui s’insurge :
« Ah ! Merde alors !
Vous couchez avec ma muse
quand je ne suis pas là
pour écrire des poèmes
que personne ne veut publier !
Je comprends maintenant pourquoi ! »
Et le petit poète municipal
tue Le Grand Poète
qui d’ailleurs ne demande pas mieux
que de quitter ce monde
où il n’a plus rien à faire
que de coucher avec les muses
des autres
rien que pour les emmerder.
« Tu n’es pas bien malin !
dit la muse.
Tu as tué celui
qui rabibochait.
Qui rabibochera maintenant ?
— On ne rabibochera plus !
C’est fini de rabibocher !
Maintenant on me publie
ou je recommence ! »
lança le petit poète municipal.
Le Grand Poète eut tellement peur
qu’il ressuscita
et coucha avec Angèle
pour lui faire un enfant
digne de la Constitution.
Ce qui fut du goût de tout le monde.
Morale :
Ce n’est pas parce qu’on a
la bouche en cœur
et un cul de poule
qu’on est taillé
pour rabibocher
les bibliothécaires.
Pour ça,
demandez à ces dames,
il faut être bien constitué.
*
Vous allez rire
mais il était une fois
un professeur qui professait
faute de savoir faire autre chose
des dix doigts que la nature
lui avait donnés à sa naissance
Car le professeur Okon était né
Tout le monde naît
Tout le monde sait ça
mais tout le monde ne naît pas
professeur
Il y en a même qui naissent nez
ce qui est un bon début
Le professeur Okon alla
à l’école toute sa vie
mais il ne mourut pas à l’école
car il prit sa retraite
pour ne pas mourir bêtement
On parle de lui
maintenant qu’il est mort
car s’il était encore vivant
c’est lui qui parlerait de lui
Le professeur Okon écrivait
Mais attention il n’écrivait pas
comme tout le monde écrit
Il écrivait de la Poésie
de la poésie avec un grand P
et un petit e à la fin
Qu’est-ce que c’est la poésie
une fois qu’on a lu la Poésie
que le professeur Okon écrivit
Pourquoi écrivit-il de la Poésie
et pas autre chose on ne sait pas
Et on ne sait pas non plus
ce que c’est la Poésie
ni la poésie d’ailleurs
une fois qu’on a lu la Poésie
qu’écrivit on ne sait pas pourquoi
celui qui se faisait appeler Okon
faute d’avoir pu naître autrement
Quand il prit sa retraite
il écrivit encore plus de Poésie
Il en écrivit tellement
que plus personne ne se demanda
ce que la Poésie pouvait bien être
si ce n’était pas seulement de la poésie
Du coup, à l’âge de plus de soixante ans
le professeur Okon s’énerva
et envoya des lettres critiques
au recteur de la mosquée
qui avait lui aussi pris sa retraite
pour écrire encore plus de poésie
ou de Poésie on ne sait pas
Ils finirent par se rencontrer
D’abord ils se regardèrent
et quand ils virent qu’ils écrivaient la même chose
mais de manière si différente
qu’ils s’y trompaient eux-mêmes
ils se saluèrent sans cesser d’échanger
les livres qu’ils avaient publiés
et les manuscrits qu’ils se promettaient
de publier sans demander à personne
si cela faisait plaisir à quelqu’un
Ils allaient à la mosquée
et aussi dans le jardin du professeur Okon
qui en avait un ce qui tombait bien
car le recteur de la mosquée
avait besoin d’un jardin
Mais le professeur Okon
n’avait pas besoin d’une mosquée
ce qui embêtait le recteur
car il n’avait pas de jardin
pour faire la même chose
mais dans un autre sens
Ils en vinrent alors aux mains
et s’entretuèrent joyeusement
avant d’avoir pleinement goûté
aux plaisirs de la retraite
On les enterra chacun de leur côté
et on oublia qu’ils avaient écrit
pour éclairer la lanterne
de ceux qui voyagent dans le noir
Il ne fut alors plus jamais question
de Poésie ni de Mosquée
pas plus que de mosquée ni de poésie
Et d’autres se mirent à écrire
sans même savoir que s’ils écrivaient
c’était parce que c’est dans l’ordre des choses
et que cela n’a rien à voir
avec les professeurs ni les recteurs
mais avec quelque chose de plus profond
qui finira par se savoir
quand les poules auront des dents
*
Qu’il est doux,
qu’il est agréable
et combien c’est facile
de ne penser qu’à soi !
Voilà ce qui m’est venu à l’esprit
tandis que je profitais
d’un soleil prometteur
sous les arbres de mon jardin.
Je ne vous ai pas parlé de mon jardin.
Je l’ai acheté.
J’ai taillé ici et là,
planté comme j’ai pu
et j’ai même imaginé l’allée
que vous foulez de vos petits pieds
maintenant
que j’ai un jardin.
Vous ne veniez pas
quand je n’en avais point.
Il a fallu que j’en eusse un
pour que vous vinssiez.
Et que faisons-nous maintenant
que vous êtes venue ?
Nous nous baisons tendrement le bec
sous le regard de la voisine
qui justement hier
me parlait d’amour.
Et comment ça arrive…
Et comment on le fait…
Et comment il s’achève…
Et ce qu’on en souffre…
J’en suis resté à cette souffrance.
Je ne vous aime pas.
Je ne pense qu’à moi.
Et je suis certain
que vous ne pensez qu’à vous.
Mais nous unirons nos revenus.
Nous planifierons notre avenir.
Nous irons même en vacances
quand ce sera les vacances.
Comme il est doux, agréable et facile
de ne penser qu’à soi
dans ce pays doucement usé
sur le papier de verre de l’amour.
*
Cette année,
sous le dictat national socialo-droitiste,
je ne prends pas de vacances.
Je vais bosser tout le temps.
Je vais tout faire
pour ne rien faire.
En France,
on se suicide bien,
on déprime encore mieux
et l’avenir ne promet rien d’universel.
C’est beaucoup.
Tellement que je me couche.
Je me couche là,
comme un chien,
à deux pas de la niche
dont je possède la clé.
Un ancien ministre de la Culture
veut enculer l’actuel premier ministre.
Et l’actuel premier ministre
encule on se demande qui.
Des fantômes venus du passé
républicain.
Il est déconnecté,
ne l’ayant sans doute jamais été.
Été.
J’y pense.
À poil sur le sable.
J’ai connu ça.
Mais cette année,
je ne pars pas,
je reste.
Et je me demande
ce que je vais bien pouvoir faire
de tant de liberté.
Je parlerai
d’inégalités et de haines
en ménageant l’expression,
car si je suis libre de vacances,
je ne le suis pas d’opinion.
Il va falloir que je m’invente une liberté.
Et que je m’efforce d’y croire.
Mais qui me croira si je mens ?
Où trouver le ton de la sincérité
si je hais certains de mes frères en république ?
Je ne serais jamais poète,
dit le poète.
*
Ah ! l’amour a des faillites
que l’argent ne guérit pas.
J’en veux pour preuve
une récente affaire
qui me coûta presque la vie.
Promis à un bel avenir
par vocation familiale,
je succombai au doux regard
d’une créature tellement plus belle
que je ne suis intelligent.
Nous partîmes.
Fenêtres à grande vitesse
des paysages de France.
Nous mîmes à profit les tunnels
pour nous laisser aller
à exprimer tout ce que nous savions
de l’amour en fuite.
Car nous fuyions.
Comme il était question
de parcourir 10000 kilomètres
avant de revenir au foyer
qui nous était assigné,
nous tournâmes en rond,
nous zigzaguâmes,
nous croisâmes nos chemins de fer,
nous revînmes sur nos pas
tant de fois qu’à la fin
nous fatiguâmes.
Nous en étions à 5000
et des poussières.
Et je ne compte pas les tunnels
qui m’épuisèrent.
Je ne savais pas à quel point
un tunnel ressemble à un tunnel.
J’en conçus des rêves inavouables.
Bref, nous descendîmes du train.
Nous empruntâmes le quai obligatoire
et hélâmes un taxi qui nous mena
aux eaux.
« Mais que veux-tu faire dans un zoo ? »
me demanda-t-elle.
« Je n’ai pas dit zoo, j’ai dit eaux !
— Je t’assure que tu as dit zoo !
— Mais je sais tout de même ce que je dis !
— Pas toujours, mon ami ! Pas toujours. »
Nous arrivâmes aux eaux.
« Tu vois bien que ce n’est pas un zoo !
— En effet, ma mie.
Si c’en eût été un,
on t’aurait trouvé une cage. »
Et je la noyais dans les eaux,
car il y en avait plusieurs.
Je n’en demandais pas tant.
*
Fallait-il que je rencontrasse
un fou bâti comme un Hercule
sur le chemin du retour ?
D’où revenais-je ?
Mais d’où voulez-vous
que je revinsse ?
Je revenais donc
quand cet importun
m’interpela de sa voix haute.
Et savez-vous pourquoi ?
J’avais piétiné son pied droit.
Croyez-vous que je le fis exprès ?
Je revenais l’esprit troublé.
Par quoi mais peu importe !
Le nez en l’air j’ai piétiné
ce qui ne ressemblait pas
à un pied.
L’Hercule poussa un cri.
Et je lui demandai pourquoi
il se mêlait ainsi de mes affaires.
Sur le coup, il se calma.
Il sembla même oublier la douleur.
J’en profitai pour argumenter,
car j’avais l’esprit encore troublé,
revenant.
Puis il sembla souffrir de nouveau
et ne me laissa plus parler.
En venir aux mains
avec un pareil colosse
n’était pas une bonne idée.
Fuir dans ce jardin
aux allées enlacées
n’en était pas une meilleure.
J’étais condamné à m’expliquer.
Or, j’avais l’esprit troublé
car je revenais.
« Mais enfin, monsieur !
cria-t-il comme je l’écoutais.
D’où revenez-vous donc ? »
Si vous voulez le savoir,
demandez-le-lui.
*
Parler pour ne rien dire
me repose.
Sous la charmille
je vous aime.
Vous offrir une fleur
arrachée
coupée
condamnée
me met les nerfs à bout.
Prenons plutôt ce chemin.
Et tenons-nous par la main.
Sans chemin, pas de main.
Et sans main, je me sens
perdu au milieu de rien.
Il va faire nuit.
Il pleut.
Je vous reconnais.
C’était il y a longtemps.
Nous nous aimions.
Parlons plutôt.
Cela fera passer le temps.
La maison n’est pas loin.
La vôtre je ne sais pas.
Comme vos pieds sont boueux !
On ne les reconnaît plus.
Déchaussez donc ce masque
et revenez vous éblouir.
Parler c’est ne rien dire.
Il n’y a pas d’autre façon de s’aimer.
Les promeneurs bavards
ne s’éloignent pas.
On les retrouve toujours.
*
Si la poésie n’était pas facile
elle serait difficile.
Et si elle était difficile
je ne serais pas poète.
Il faut que j’existe à peine.
Vous me voyez à la fenêtre
poursuivant du regard
des papillons coureurs
d’autres courants d’air.
Et vous vous dites c’est facile.
Heureusement pour moi !
Une fois, mais seulement une fois,
j’ai eu du mal.
Comme c’était difficile !
Et vous n’étiez pas là.
Je n’existais plus
et les papillons étaient des chenilles.
Vous êtes cette écorce
qu’elles gravissent lentement
pour atteindre les feuilles.
Et puis la mort.
La chenille devient nymphe.
Je ne vous vois plus à la fenêtre.
Cela ne me fait ni mal ni bien.
Et j’écris ce que je veux,
pas ce que vous voulez.
Vivrons-nous bien vieux comme ça ?
Si les choses recommençaient,
mais elles n’aiment pas la poésie
comme je vous aime.
Et c’est facile heureusement.
Sinon j’écrirais autre chose.
Qui sait ce qu’on écrit
quand on n’écrit plus facilement ?
Un deux trois je suis un poète.
Quatre cinq six je vous aime encore.
Six sept huit qui vient après moi
quand le papillon a fini de pondre ?
*
Ah ! le nombre de fois qu’il était !
Et bien sûr je n’étais pas là.
On me l’a raconté.
Je suis en retard.
Mais ne m’attendez pas.
On verra bien.
Ah ! ça oui on verra !
Et je ne serais pas là.
Mais vous y serez.
On vous écoutera.
Vous serez bavarde.
Et on saura tout,
même ce que je n’ai pas été.
J’avoue que ça m’ennuie
d’être votre personnage de remplacement.
Ne m’appelez plus Illico !
Je déteste ce sobriquet.
Croyez-vous que je le mérite ?
Nous avons tellement vécu ensemble !
Et vous ne savez plus quoi dire
pour vous faire remarquer.
Illico par-ci ! Illico par-là !
Et ils vous écoutent.
Ils sont sous le charme.
Comme ce temps
qui a été le mien
est long quand vous en parlez !
Vous m’avez même donné un enfant.
Et vous l’avez appelé Poésie.
Avec qui la marierez-vous ?
Il y aura longtemps que je serais mort
quand ça arrivera.
Et bien ça arrive.
Puisque vous le dites.
Il était une fois Illico.
Il avait un enfant.
Et l’enfant s’est marié
au lieu d’être violé
par les uns et les autres.
Ça ne donne rien le mariage.
Regardez ce que nous sommes devenus.
Je suis mort et enterré
et vous racontez des histoires
à ceux qui aiment la poésie
et qui n’ont jamais violé personne.
*
Hier, me promenant,
je suis allé à la mairie
pour faire pipi.
Car les pissotières
de la mairie
sont sur mon chemin.
Et qui je rencontre ?
Mais Sal O’Par !
Secouant sa petite main,
il est radieux,
non pas grâce au plaisir
qu’il en tire
mais parce qu’il vient de recevoir
sa médaille.
Il ne l’a pas sur lui
mais si je veux la voir
il m’invite chez lui.
On entre chez lui.
La médaille est dans son écrin
et l’écrin est posé
sur la table de la salle à manger
qui sert de salon.
Pendant que Sal O’Par
prépare le pastis,
je me laisse envoûter
par les doux reflets
de la médaille que l’État,
et peut-être même la Nation,
accrochent sur le sein
de ce vieux salopard.
Même son pastis est sous dosé…
Dehors, le soleil brille
comme il n’a jamais brillé.
Je devrais être fier
de connaître un héros
du service rendu
mais je suis fier d’autre chose.
Je ne peux pas être fier
de tout ce qui m’arrive
et surtout de ce que je n’ai pas souhaité.
*
Ce n’était qu’une petite méchanceté.
Je n’ai jamais fait plus.
Comme on tue une mouche
sur la vitre, pas plus.
Voulez-vous que je nettoie
ce carreau que je n’ai pas brisé ?
On me regarde de travers.
On entend même les mouches voler.
J’aime tuer les mouches
sur les carreaux de l’existence.
Et je sors mon mouchoir
si ça vous fait pleurer.
*
La piétaille a besoin de s’élever.
Elle ne s’enfonce jamais par plaisir.
Quand on naît
au rez-de-chaussée,
l’escalier
prend toute la place.
Moi je suis né dans un grenier.
C’est le toit
qui prend toute la place.
Et tous les jours je pense
à la différence
entre l’escalier
et le toit.
On me prend pour un fou !
Je monte l’escalier
qui ne m’a jamais obsédé
et je le descends
pour aller dans la rue
que je connais comme ma poche.
Raison et moi
on a grandi ensemble,
lui au rez-de-chaussée
et moi au grenier.
On a partagé la même rue
et salué ceux des étages
sans jamais manquer
à cette politesse.
Mais Raison veut monter
alors qu’il ne peut pas.
C’est plus fort que lui,
il ne montera jamais.
Moi je descends
et je monte
et les gens,
tous les gens,
pensent que je suis fou
d’habiter dans un grenier
avec seulement un toit
au-dessus de moi-même.
Et pendant que Raison
rêve de monter dans les étages,
moi je pense à me promener
sur le toit.
C’est toute la différence
entre lui et moi.
Nous n’avons pas le même rêve.
Peut-être que Raison,
avec un peu de chance,
ou autre chose,
parviendra-t-il à monter.
Je le lui souhaite.
Mais me souhaite-t-il
d’arriver à monter sur le toit
qui est si près de moi ?
J’en doute.
Et je doute toute la journée.
Je passe beaucoup de temps à douter.
Car la question n’est pas
(vous vous en doutez)
de trouver le moyen
de monter sur le toit,
mais de savoir
ce qui j’y ferai.
Raison sait ce qu’il fera
au premier,
au deuxième
et qui sait au troisième,
mais moi,
pauvre fou,
qui me dira
ce qui se fait
là-haut,
si haut,
tellement haut que j’y suis presque !
*
Qu’est-ce qu’on a ri !
Mais qu’est-ce qu’on a ri !
On a tellement ri
qu’on s’est pissé dessus !
Il faut dire qu’on avait bu !
Mais qu’est-ce qu’on avait bu ?
De tout ce qui se trouvait dans les verres.
Et qu’est-ce qu’il y avait comme verres !
On s’était mis dans la tête de les boire.
Et qu’est-ce qu’on s’est mis ?
Je viens de vous le dire…
Ensuite on a vomi.
Qu’est-ce qu’on a vomi !
Mais qu’est-ce qu’on a vomi ?
Les tripes à la mode de Bayonne,
les choux à la crème,
les noyaux d’olives,
le gras de la viande qui était grasse.
Mais qu’est-ce qu’elle était grasse la viande !
Ne me demandez pas pourquoi.
Elle était grasse et donnait tellement soif
qu’on s’est mis dans la tête de boire
et comme il y avait beaucoup de verres
et que les verres étaient remplis,
on s’est mis dans la tête de les vider.
Et croyez-vous que cela calma notre soif ?
Pas du tout !
La viande était toujours aussi grasse !
Et ça nous a fait rire !
Mais ça nous a fait tellement rire
qu’on ne savait plus pourquoi
les verres étaient vides.
Alors on les a remplis.
Et comme on avait beaucoup bu,
ils se remplissaient mal.
Il y en avait partout
et avec le vomi,
ça faisait beaucoup.
Ça ne faisait pas rire tout le monde.
Il y en a que ça dégoûtait.
Mais qu’est-ce qu’ils étaient dégoûtés !
Ils étaient tellement dégoûtés
que ça nous faisait rire !
Ce n’est pas marrant de rire
de ceux qui sont dégoûtés
par quelque chose de dégoûtant,
mais que voulez-vous,
nous,
ça nous faisait rire.
À la fin,
parce qu’il y a une fin,
on est parti.
On avait bu !
Mais qu’est-ce qu’on avait bu
pour rire autant ?
On était tellement gris
qu’on n’arrivait même pas
à se poser la question.
Et il y en a qui se sont mis à pleurer.
On a continué de boire
mais on riait moins
et finalement
on n’a plus ri du tout
et on est allé se coucher.
Vous n’avez pas sommeil, vous ?
*
À l’époque, je pratiquais des sports.
Je fréquentais de gros cerveaux.
Qu’est-ce que ça réfléchissait !
Mais j’étais toujours le dernier.
Il m’est même arrivé
d’arriver le lendemain.
Je n’ai pas pu empêcher que ça arrive.
Mon cerveau ne réfléchissait pas assez
avant de lancer tout mon corps
à la poursuite de la performance.
J’avais une excuse : j’étais jeune.
Mais enfin, tout jeune que j’étais,
il y avait plus jeune que moi
et certains de ces jeunes
arrivaient les premiers.
Je me posais des questions.
Mais sans les poser aux autres.
On ne sait jamais ce qu’ils pensent.
Et j’avais beau me nourrir de viande rouge
et de foie desséché à usage sportif,
quand j’arrivais il faisait jour
mais j’avais traversé la nuit.
Alors je me suis dit
que mon cerveau
avait des défauts.
C’est dur à cet âge
de se dire de pareilles choses.
Mais il fallait bien que j’arrête
de me ridiculiser
aux yeux de mes contemporains.
Je me suis mis à écrire.
Du coup, je n’ai plus eu l’impérieux besoin
de boire le sang des animaux
que je n’avais pas tués.
J’ai tué des animaux
dont le sang ne laissait pas de traces.
Et bien je vais vous dire :
ça m’a plu !
J’avais le cerveau toujours aussi petit
mais comme je faisais un usage casanier
des deux jambes que j’ai sous moi,
j’ai appris à courir plus vite que mon ombre.
Et qui je rencontre tandis que je courais
et que mon ombre peinait derrière moi ?
L’homme que je voulais devenir !
Je le baise, je l’étreins, je le nomme
et voilà qu’il se met à en faire autant.
Comme il me ressemblait beaucoup,
j’imaginais que son cerveau
n’avait pas d’autre ambition
que de conseiller à son propriétaire
de ne rien faire qui eût heurté
ce qu’on peut appeler de l’orgueil
sans se tromper de beaucoup.
Nous arrivâmes en même temps.
Et c’était bon d’arriver.
Jamais je n’étais arrivé
dans d’aussi bonnes conditions.
Je l’invitais à ma table,
ce que je n’avais jamais osé faire
car je craignais un refus.
Et il refusa en effet.
Je ne sais pas ce qu’il mangeait,
ni où il le mangeait,
mais enfin !
ne se nourrissait-il pas
de la même nourriture que moi ?
J’étais en droit de ne pas le penser.
Je l’écrivis.
Et il disparut comme il était venu.
Mon ombre me dépassa alors.
Je courus derrière elle
mais elle me distança.
Elle disparut elle aussi
et je sortis
pour revoir mes vieux amis.
Ils couraient.
Ils se poursuivaient même !
Je m’assis dans les tribunes
et me mis à applaudir.
J’applaudissais tellement bien
qu’on s’est mis à m’imiter.
Alors j’ai ri
et tout le monde a ri.
J’ai pissé sur le gazon
et bientôt le stade
ne fut plus qu’un lac d’urine.
Alors je me suis mis à chier
et la merde des autres s’est lancée
à la conquête de je ne savais quelle Amérique !
Et comme mon cerveau était petit,
je me suis retrouvé seul
dans ma yole d’acajou,
sans voile, sans vent, sans bruit.
Mais c’est surtout ce silence
qui a fini par me détruire.
Je ne faisais plus rien.
Et je grandissais.
Mon cerveau ne grandissait pas.
Cet océan de merde grandissait.
Mon désespoir grandissait.
Tout grandissait
sauf mon cerveau.
Il devint si petit
par rapport à tout ce qui avait grandi
que je n’en voyais plus la couleur.
Et c’est cette couleur qui me manquait
et elle a fini par me détruire.
Voilà.
Je vous le dis comme je le pense.
C’est terrible la vie.
Elle me manque aussi.
Mais quand je ne serai plus là,
que deviendra mon cerveau ?
Je n’ai pas résolu ce mystère
et je me suis remis au sport
pour oublier.
*
Ne cueillez jamais une fleur
si personne n’en veut.
C’est le conseil que je vous donne.
Et je sais de quoi je parle.
J’avais toujours cueilli des fleurs
pour les donner à quelqu’un
qui en voulait.
Tout allait comme sur des roulettes.
Je cueillais,
je donnais,
on me disait quelque chose
pour m’encourager
et je recommençais.
J’ai fait ça pendant des années
et jamais je n’ai eu à me plaindre
ni des uns, ni des autres
et surtout pas des fleurs.
Mais la vie est un enfer.
Je le savais avant de me brûler
mais je ne me brûlais pas.
Il a fallu que je me brûle
pour mesurer l’importance
de ce que l’autre pense des fleurs.
Et c’est arrivé :
mon bouquet fut jeté sur le paillasson.
Pourquoi ? Je n’en sais rien.
Et d’ailleurs si je le savais,
je ne le dirais pas.
Vous n’êtes pas mon confident,
ou ma confidente,
qui sait ce que vous êtes ?
Personne sans doute
tellement je me sens seul.
Je me suis baissé
pour ramasser
le bouquet décomposé.
Je ne l’ai pas recomposé.
À quoi bon ?
Je l’ai serré contre moi
et je suis parti ailleurs.
Voilà comment je l’ai quitté.
Je suis arrivé ailleurs
et j’ai recommencé.
Je ne sais pas ce qui m’arrivera demain.
Personne ne sait ce genre de chose.
Mais je m’applique.
Je coupe les fleurs pour les offrir.
Et je ne suis plus naïf
au point de croire
qu’il ne m’arrivera jamais
de les ramasser sur le paillasson.
*
Nous ne sommes pas faits pour penser.
Nous avons le pouvoir de réfléchir,
ce n’est déjà pas si mal.
Je traverse les vitrines.
Je caresse des objets.
Je travaille à les posséder.
Et je lègue mon infortune.
Quoi de plus triste qu’un homme ?
Et quoi de plus semblable ?
Je vis dans mon appartement.
Je me nourris des autres.
« Bonjour monsieur Alixte
ou monsieur Renaud
ou qui que vous soyez !
Vous me devez de l’argent… »
Le bonhomme s’assoit.
Il a bonne mine.
Il examine mes meubles,
ouvre un livre,
s’étonne de retrouver sur le mur
une image qu’il a déjà vue
quelque part.
« Mais où ? »
Comme si je le savais !
Il faut que je réfléchisse.
J’ai des problèmes.
Et personne ne m’attend
dans la rue.
Vous connaissez quelqu’un
dans la rue, vous ?
J’ai 24 heures pour
y réfléchir. Et je
descends pour me
rendre compte
de la difficulté.
On me connaît.
Pas tout le monde.
Et tous ceux qui me connaissent
habitent quelque part.
Pas dans la rue.
Je cherche longtemps.
La nuit tombe.
Je suis dehors.
Je peux partir.
Mais avec qui ?
Part-on tout seul ?
Le bagage de ma pensée
ne pèse pas lourd.
Mon portefeuille non plus.
Suis-je arrivé ?
Ma porte s’est-elle refermée ?
Que pense-t-on de moi
maintenant ?
Je réfléchis.
Je n’arrête pas de réfléchir.
Mais rien qui vaille une pensée.
Je me demande pourquoi j’écris.
Pour me plaindre…
Trouver une solution…
Revenir chez moi…
Là où je vis encore
comme la tête du serpent
qu’on a coupée.
*
Vous ne devinerez pas
ce qui est arrivé à mon voisin !
Un coup de pioche dans un trésor.
Et j’étais là.
Jamais je n’avais vu tant d’éclat
en un seul instant !
Nous étions sidérés.
Et tandis que je m’approchais,
il reboucha le trou.
Mes mains saisirent le fer
du grillage rouillé.
Je me mordis la langue.
Il me parla des racines
qui envahissaient son jardin.
Elles venaient de chez moi.
Mes sapins l’empêchaient de dormir.
Il y avait encore de l’or
dans le coin de son œil droit.
Je fis venir une pelle mécanique
qui creusa une profonde tranchée
et coupa les racines de mes sapins
qui franchissaient la limite
imposée par le voisinage.
Mon voisin me félicita.
Il avait construit un monument
à l’endroit où j’avais vu l’or
le transformer en gardien des lieux.
La même pelle mécanique
amoncela cent lourdes pierres
que l’ouvrier cimenta
méticuleusement.
Ainsi l’or gisait
sous trois tonnes de pierres.
Je profitais de la tranchée
pour creuser une galerie.
Elle s’effondra sur moi
à la limite du voisinage.
Il avait tout prévu.
Mais qui profitera de cet or ?
Qui ? Quel personnage
venu de cet ailleurs
que j’imaginais fort lointain ?
J’installais une caméra.
Je visionnais sans arrêt.
Je ne travaillais plus.
À quoi bon travailler
si on possède un trésor ?
Mais j’étais loin de le posséder.
Presque aussi loin
que mon voisin
qui n’était pas revenu sur les lieux.
Cela signifiait-il
que le trésor
n’était plus enfoui
et que le monument
de pierres lourdes
était destiné
à me tromper ?
Quelle folie !
J’ai tout fait sauter.
À la dynamite.
Quel souffle !
Le monument a été emporté.
Les pierres ont volé.
Et l’or a fondu…
C’est con.
En devenant liquide,
il s’est introduit
dans un trou.
On ne l’a plus revu.
On a encore dynamité,
mais en vain.
Le trou était énorme.
Le bruit effrayait.
Il y avait de la terre
sur les toits
et des cailloux
sur les parasols.
« Arrêtez de vous disputer ! »
disaient les voisins.
Ils étaient désespérés.
Ils n’avaient jamais vu ça.
Ni surtout entendu.
Ça en faisait du bruit !
Braoum ! Deux fois par jour.
Et on n’avait pas envie
d’arrêter de creuser,
suivant la faille dans la terre,
reniflant la chaleur de l’or
qui fondait, fondait, fondait !
*
Je ne vous raconte pas d’histoires.
Si c’est vrai
ce n’est pas une histoire,
c’est la réalité.
Ouvrez votre fenêtre.
Qu’est-ce qui est dehors ?
Vous m’accorderez sans problème
que ce qui est dehors
c’est tout ce qui n’est pas dedans.
Et pourtant je me projette.
Une bonne partie de ce qui est dedans
sort.
Vous vous plaignez de ne pas la voir ?
C’est que vous avez besoin de ma fenêtre.
Vous ne verrez rien sans ma fenêtre
et même vous ne ferez rien,
ce qui est pire que de ne rien voir.
Nous en étions là.
Les uns chez les autres
et les autres en un ailleurs
qu’il fallait imaginer
si on souhaitait y aller.
Mais tout le monde
n’était pas convaincu.
Alors je sautai par la fenêtre.
On me vit sauter
et même m’écraser
dans le dur gazon
que je venais de tondre.
On me vit saigner.
On eu même l’impression
de m’avoir entendu craquer.
Le fait est que j’avais mal.
Mais pas un mal ordinaire
qui fait mal et qu’on calme
avec une cuillère de sirop.
Ça faisait tellement mal
que je me suis demandé
si je ne ferais pas mieux de crier.
Mais à qui poser la question ?
Et avec quoi ?
Ma bouche était vingt centimètres
en dessous du niveau
que tout le monde foulait
autour de moi.
Il y a des jours de grisaille
où je ne sais plus ce que je veux
ni ce que je fais.
Et il a fallu que je souffre beaucoup
en dehors de moi-même
pour qu’on me rende visite
et qu’on s’inquiète de mon avenir.
Mais peut-on tous les jours
sauter par la fenêtre
pour se retrouver dehors
avec les autres ?
*
Walter Mambot est un ami.
Je vous interdis de parler de lui devant moi.
Je sais trop bien
ce que vous avez envie d’en dire.
Et je ne le supporterais pas.
Je vous ficherais dehors
sans ménager la vitesse d’exécution.
Pour l’instant, nous prenons l’apéro
et il n’est pas question de Walter Mambot.
Vous avez de la chance.
Je suis dans un bon jour.
Le nom de Walter Mambot
ne m’est pas venu à la bouche.
Je sais trop bien ce que vous en feriez.
Je vous connais depuis si longtemps.
Vous souvenez-vous de Roger Gérot ?
Nous n’en avons jamais dit du bien.
Mais on est d’accord là-dessus.
Et bien Roger Gérot n’est plus de ce monde.
Et vous savez pourquoi ?
— … ?
— Il l’a quitté !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Je vois que ma petite plaisanterie
est tombée dans l’eau de votre mélancolie.
Que puis-je faire pour vous ?
Un deuxième vers vous grisera.
Il ne me fera pas de bien non plus.
Parlons plutôt de Pierre Piérot.
Un chic type.
Il fumait la pipe.
Et vous savez pourquoi il ne la fume plus ?
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Je vois que ma petite plaisanterie
a soulevé un coin de votre paupière gauche.
Ce qui me console un peu
de vous avoir invitée sans ce cher Gonzalo.
Mais comment aurais-je pu l’inviter ?
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Je ne sais pas ce qui m’arrive ce soir.
Je me sens presque aussi triste que vous.
*
On ne rit pas tous les jours.
On ne rit pas plus que ça.
Je me demande si je ris quand je ris.
Ce n’est pas le bon cœur qui me manque.
Et puis les gens ont quelquefois des têtes rigolotes.
Ça n’arrive pas tous les jours.
Et quand ça arrive, on rit.
On ne rit pas souvent.
Ça dépend des jours.
Rire peu coûter cher.
Je ne riais pas et pourtant
je me suis fait engueuler.
« Pourquoi riez-vous ?
Ça vous fait rire peut-être ?
Qu’est-ce que vous penseriez de moi si je riais ? »
Je n’en menais pas large.
J’avais ri, certes, mais de bon cœur.
La mort me fait rire.
Surtout quand le mort tire la langue.
Je ne sais pas pourquoi il la tirait.
Il doit y avoir une explication à cela.
Mais maintenant que je ne peux plus rire
je ne vais certes pas me renseigner
sur ce phénomène risible
mais pas pour tout le monde.
« Rit-on devant la douleur ?
Se moque-t-on de ce qui est arrivé
parce que c’est arrivé de cette façon ?
Vous feriez mieux de vous en aller.
On vous téléphonera. »
J’ai attendu devant le téléphone.
Ne me prenez pas pour un imbécile.
Je savais bien que personne ne m’appellerait.
Je ne suis pas fou non plus.
Mais je me trouvais amusant comme ça,
le nez sur le téléphone qui ne sonnait pas.
Il ne sonne jamais.
Et je ne suis pas le premier à en rire.
*
J’ai rêvé qu’on me tirait dessus.
C’est à cause de la télé.
En plus il faisait nuit
Et comme je n’ai pas payé ma facture
D’électricité,
Il faisait nuit noire.
J’étais seul
Et troué.
Heureusement que j’étais seul,
Sinon les morts me serviraient
De tapis de jeu,
De bac de sable.
De piscine cinq étoiles,
De rêve de paradis
Terrestre.
Le téléphone a sonné.
Il était trop tard.
« Bonjour monsieur,
C’est la police.
Si vous n’êtes pas mort,
Raccrochez le téléphone. »
*
« Mon voisin parle arabe
Avec les filles
Qui ne le parlent pas.
Je le sais.
Ce sont les miennes.
À ce train-là, monsieur,
Elles finiront par le parler.
Et que m’arrivera-t-il alors ?
Je ne vous demande pas
Ce qui leur arrivera.
Je vous parle de moi.
De ma peur d’être moi.
Je ne suis pas doué pour les langues. »
*
Une flaque de sang.
Et pas un nuage.
La nuit est transparente
Comme un verset du Coran.
Je m’en vais faire la fête
Pour avoir l’air d’être plus cultivé
Que les autres.
Et sur qui je tombe ?
*
« Ici tout est garanti par le gouvernement,
Nous dit le guide sous la Tour.
Vous pouvez nous faire confiance.
On est pas comme les Américains
Qui élisent n’importe qui.
Nous on sait ce qu’on fait.
Et puis on est tous des frères.
La preuve, maintenant on aime les pédés.
Vive l’égalité dans la balance !
Sinon ya plus d’liberté !
Donc vous pouvez monter.
Et même tout acheter,
Mais sans rien emporter.
Ce qui est à nous est à nous !
Emportez donc des souvenirs.
Des jolies tours façon cucul.
De la neige en boul’ de cristal.
Tout est garanti par le Président !
Il nous l’a dit et on le croit.
D’ailleurs on s’en va à la guerre
Sans y aller. Faut le faire, hein ?
Et ben on le fait.
Et en avion et en bateau.
On sait tuer s’il le faut.
On ne sait pas pourquoi il le faut,
Mais il le faut, un point c’est tout !
Maintenant descendez de la Tour.
N’oubliez pas le guide. Merci !
Et laissez-vous guider par la police.
Ce sont des gens très cultivés
Quand ils ne font pas le poireau.
N’oubliez pas nos petit’s femmes.
Et nos poulbots qui sont si beaux
Dans leurs superbes oripeaux.
Et pensez à nos fonctionnaires,
Si mal payés malgré l’turbin.
Ah ! vous êtes tell’ment aimables
Que je vous fais une p’tite conduite
Jusqu’au palais de l’Élysée.
C’est là qu’on vote et qu’on s’tripote.
On est de bonn’ constitution.
Suivez le guide et fermez-la !
Sinon on vous coupe internet ! »
*
Le petit Papa Noël
Était descendu sur la Terre
Pour apporter des joujoux socialistes
Aux patrons du Front national.
Vous imaginez comme c’était un grand jour !
Il était tellement grand
Qu’on n’en voyait plus la fin.
Alors on s’est tous enculé.
Et celui qui ne voulait pas enculer
Ni se faire enculer
Était traité comme on doit traiter
Les indésirables.
On était tellement d’enculés
Qu’on ne faisait plus la distinction
Entre un pédé
Et un homme normal.
On a le sens de l’égalité.
Le petit Papa Noël
Est venu en traineau.
Il traînait plein de cadeaux socialistes
En rassurant tout ce monde qui s’enculait :
« Ya plus de différence.
On est tous des frères.
Alors il normal
Que les socialistes fassent des cadeaux
Aux patrons du Front national.
Et ceci sans exiger que ce Front
Soit remplacé par un Cul.
Le parti socialiste n’exige rien,
Mais si jamais vous n’apportez pas la preuve
Que vous êtes un enculé
Qui sait enculer,
Alors vous serez envoyé en Syrie
Pour lutter à pied dans le désert
Et sans rien à boire
Si vous rouspétez
Pendant le voyage.
J’ai apporté le pinard
Pour vous le prouver ! »
Ainsi parla papa Noël.
Personnellement,
J’adore enculer ma femme,
Mais l’idée de me la faire mettre
N’arrive pas à entrer
Dans ce trou.
Je suis donc allé place de la République
Avant que les gens courageux ne la quittent
A cause d’un claquement de doigt
Qui ressemblera à un vrai coup de feu.
(Je sais : là, je suis obscur,
Mais l’état d’urgence
M’interdit d’en dire plus
Sous peine d’être enculé d’office
Par le doigt de Manuel Valls
Qui l’a trempé dans le vinaigre
Comme on a fait à son petit Jésus…)
Petit papa Noël était là.
Il m’attendait.
Il avait même un sucre d’orge
Et me l’a fait sucer.
C’est toujours comme ça que ça commence.
Après avoir longuement sucé
Le sucre d’orge de petit papa Noël,
Je suis monté sur un renne
Qui bandait comme un taureau
A la place du président de la république
Qui avait un autre rendez-vous.
« Quelle question veux-tu me poser, Renaud ? »
Me dit le petit papa Noël
En augmentant la taille du renne.
Comme je n’étais pas venu pour ça,
Je me suis mis à bégayer en silence.
Le petit papa Noël augmentait
La taille déjà énorme du renne.
Il fallait que je trouve une question
Compatible avec l’état d’urgence
Sinon je n’irais pas en traîneau
A la guerre.
« Tu ne sais pas quoi dire,
Dit enfin petit papa Noël.
Dans les grands moments,
Les Français ne posent pas de questions.
Ils viennent chercher leurs cadeaux sous le sapin,
Chacun le sien et Dieu pour tous.
Mais toi, petit garnement venu d’ailleurs,
Une question te brûle la langue
Et tu as peur de parler arabe.
Je te comprends.
Ce n’est pas le moment. »
Le renne était devenu tellement énorme
Qu’il a éclaté.
C’est comme ça qu’on m’a pris
Pour un terroriste.
*
La police ment
La police ment
Radio Paris est un roman
C’est en tout cas
Ce que chantait
Un Parisien
Dans le métro
Mais tout doucement
Mais tout doucement
Car ce n’est pas le moment
Quel spectacle en effet
Tous ces trous, ces gravats.
Tout ça pour trois malfrats
Qu’il suffisait d’arrêter
Comme n’importe quels voyous.
Car décidément
Car décidément
La polic’ aim’ les poubelles.
Forcément…
À force de fréquenter des Turcs…
Et d’insulter les Arméniens.
Dans les poubelles de Paris
Et de sa banlieue
On trouve :
Un téléphone,
Une ceinture explosive
Sans détonateur,
Et bientôt des fusils
Et des Irlandais de Vincennes.
Ce type qui chantait
Amusait tout le monde,
Mais attention aux délateurs.
C’est la liberté d’expression
Qui dit la vérité.
Et la polic’ ment.
Alors forcément
Elle a besoin de poubelles.
Soyons les poubelles
De la Nation.
Bien sages sur les trottoirs
En attendant que la police
Y trouve de quoi alimenter
Le discours politique
Et les caisses des marchands d’armes.
Car nous avons des marchands d’armes
Nous aussi.
Et plein de bons larbins
Pour remplir les poubelles
Que nous sommes
D’informations mensongères
Et de promesses de vengeance.
Hélas pour nous,
Le terrorisme c’est pour nous.
Nous les joyeux fêtards de la culture,
Mais aussi les pauvres sans billets
Offerts par le gouvernement.
Engageons-nous dans la police
Pour ne pas risquer notre peau
Et mériter de la patrie.
Entre les mensonges de la religion
Et les impostures parlementaires,
Pas facile d’avoir une idée
De ce qui se passe vraiment.
Le gouvernement
Le gouvernement
Nous aime passionnément.
On n’arrête pas de se le répéter.
Mais a-t-on vraiment un avenir
Dans la poubelle ?
C’est la question
Que se pose la philosophie
En ce moment.
Puisse-t-elle
Faire entendre sa voix,
Même morte, même plus là
Pour donner corps à nos principes.
La police ment.
Tout le monde ment.
Radio Paris est dans l’vent.
*
Les slips de flics,
C’est dur
Parce qu’ils sont rarement lavés.
Les slips de poètes,
C’est mou.
Ça se lave en machine
Ou à la main,
Ça dépend de l’inspiration
Et des compromis.
On trouve des slips
Dans toutes les bonnes rues
De la culture.
Je ne sais pas
Quels sont les plus recherchés.
Ceux que les flics égarent
Dans le feu de l’action.
Ou ceux que les poètes
Ne quittent pas
De peur d’être jugés.
Je ne les ramasse pas
Quand j’en trouve.
Je ne suis pas un amateur de slips.
Les slips de flics sont seuls.
On les reconnaît d’abord
A leur solitude
Sur le trottoir.
Les slips de poètes,
Il faut les arracher.
Ça se déchire facilement.
Il paraît que ça fait mal.
Il semble que le poète,
À force de se chier dessus
Dans les grandes circonstances,
Crée en quelque sorte
Un lien entre son cul
Et le slip.
Je ne sais pas si c’est ça,
La poésie,
Mais je n’ai pas vraiment envie
D’y mettre la main.
Que le poète garde son slip.
Et que le flic le perde.
C’est tout ce que je souhaite
A cette société de mythomanes.
*
Vous n’allez pas me croire,
Mais j’ai rencontré Mahomet.
Pas un Mahomet
Qui coupe le cou
Au mécréant
Et au mauvais payeur.
Un Mahomet
Qui sait lire et écrire
Sans se condamner
A être poète pour les uns
Et flic pour les autres.
On était bien ensemble,
Mahomet et moi.
Je lisais le Coran
Et il m’expliquait.
J’en avais de la chance !
Tous les musulmans
Ne peuvent pas en dire autant.
En plus, ce type
Ne me demandait pas
De grimper tout nu
Au sommet de la Tour Eiffel
Avec un drapeau tricolore
Planté dans le cul.
C’était beaucoup plus simple
Que ce patriotisme
Chrétien et blanc.
Au fond,
Il ressemblait à Jésus,
Mais sans Église
Pour chausser ses pieds nus.
On s’est baladé à Paris
Pour voir du pays.
On a vu les morts,
Les blessés en morceaux,
Les familles détruites à jamais.
« Si c’est ça la poésie,
Me dit-il en sourdine
Pour que les flics n’entendent pas,
J’avais raison.
Mais personne ne m’écoute. »
Ensuite on est allé voir les femmes.
Il les a trouvées drôlement changées.
Il y avait longtemps
Qu’il ne s’était pas amusé
A compter leurs poils.
Ça l’a rendu tout chose.
*
Je ne comprends pas la haine.
Je ne comprends pas l’amour.
Ou alors il faut que ce soit
Purement physique.
Seulement aux infos,
Ça se complique.
C’est là le défaut
De la politique.
Mon voisin est partisan
D’accrocher un drapeau
Aux couleurs de la Nation,
Tout orné des franges dorées
De l’État et du CAC 40.
On en a parlé ce matin.
On s’est disputé.
Ma maison n’est pas une ambassade.
Et mon voisin est trop vieux
Pour faire la guerre
A la place des jeunes.
Moi non plus
Je n’irai pas à la guerre.
Qu’ils envoient des avions.
Ça nous épargne des vies
Et de belles existences
Garanties par la Constitution.
Et puis ça rapporte gros
Au meilleur de la Nation,
Ceux qui ont assez de fric
Pour investir dans l’utile.
D’une pierre deux coups,
Cette guerre des autres.
En espérant ne pas être là
Quand les autres y sont…
C’est ce que dit mon voisin.
Je crois qu’on va finir
Par couper la poire en deux.
Et puis j’irai voter
Aux prochaines élections.
J’en ai marre d’être anarchiste !
*
Moi ça me fait bizarre
De ne pas connaître quelqu’un
Qui a souffert de cette guerre.
Je me sens seul du coup.
Et même je n’ose plus rien dire
De peur d’en dire trop aux flics
Et pas assez aux poètes.
En plus il pleut et il fait froid.
Le père Noël ne viendra pas.
Je suis si seul dans ma maison !
Paris est si loin de chez moi !
Mes amis sont tous vivants.
Pas un cousin sur la liste
Des morts pour rien
Qui servent à quelque chose.
En plus il pleut et il fait froid.
Le père Noël ne viendra pas.
On en voit plein à la télé,
Des gens qui souffrent de la guerre.
Des riches, des pauvres et des poètes,
Avec des flics sur les trottoirs
Et des élus dans les poubelles.
En plus il pleut et il fait froid.
Le père Noël ne viendra pas.
Est-ce bien la réalité, ce bordel ?
Suis-je né pour y croire sans le voir
De mes yeux et le toucher
Pour exercer mon esprit critique ?
En plus il pleut et il fait froid.
Le père Noël ne viendra pas.
C’est fou ce que la nuit tombe vite
Quand l’hiver approche
Et qu’on n’a plus envie de faire la fête !
*
Petit poète a peur de se faire taper sur les doigts ?
Et de perdre la bonne planque dans l’administration ?
De renoncer à tout espoir de reconnaissance ?
Et bien que Petit poète cesse d’écrire des vers.
Il en aura d’autres bien plus voraces
Quand il sera crevé de sa belle mort.
Les poètes meurent comme les généraux,
Dans leur lit avec un drap dessus et un autre dessous.
Il faut bien faire son lit quand on est poète,
Sinon on s’en prend une en plein la gueule
Et on ne s’en remet pas ! C’est mauvais
Pour l’idée qu’on a de soi et qu’on veut
Que les autres se mettent dans la tête !
Petit poète n’écrase pas que ses harpions.
Il a les fesses molles à force de caresses
Et le regard en coin à cause de la peur.
Petit poète ne sortira pas de chez lui.
Il écrira ce que personne ne lira.
Il le regrettera toute sa vie, Petit poète,
De n’avoir pas saisi la chance que la Nation
Lui offrait avec les avantages et les leçons
De l’Histoire en marche vers la fin de tout.
Petit poète est un vrai flic, il tirera
Dans le dos à la première occasion.
Mais pour l’heure, il fait voler les papillons
De l’inutile, de la prudence et du factice.
Petit poète deviendra grand
Quand les poules auront des dents,
Mais il sera toujours vivant
A l’heure de juger les morts.
*
Nous allions par les bois et par les champs,
Sautant par-dessus les clôtures,
Cueillant au passage les fruits du printemps
Et nous roulant dans l’herbe avec les fleurs.
Jamais nous n’avions été aussi joyeux.
La guerre était finie, l’ennemi était mort.
Notre culture reprenait le dessus.
J’ai acheté un robot pour écrire à ma place.
Et lui et moi traversions la campagne
Pour nous livrer à l’ivresse du printemps.
J’étais nu, il était métallique,
Informatique, politique, plastique.
Ma foi me voilà tout excité !
Exultai-je en me jetant sur lui.
Ton écran est antireflet,
Donc je ne suis pas gêné par le soleil.
La guerre est derrière nous, ami robot.
Tant pis pour ceux qui sont morts.
La guerre fait le bonheur des vivants
Quand on n’en meurt plus.
Nous étions de joyeux compagnons,
Mon robot acheté en ligne et moi.
Et j’étais vivant, sans une trace
De sang, d’os, de chair, de tripailles.
On aurait dit à me voir si joyeux
Que je ne l’avais pas faite, la guerre.
Et pourtant on ne pouvait pas dire le contraire.
J’avais même la facture du robot pour le prouver.
Alors nous sommes allés à la pêche,
A la chasse et au petit bonheur.
Le jour était sans fin mais la nuit approchait.
On s’est couché l’un contre l’autre
Sous les pommiers en fleurs,
Dans l’herbe vert pomme.
Le soleil ne voulait pas se coucher.
Il savait des choses sur moi
Depuis que la guerre m’avait emporté
Dans un pays que je ne connaissais pas,
Que je ne comprenais pas,
Mais que j’étais capable d’aimer
Si ses habitants me foutaient la paix.
La nuit s’impatientait,
Riant de toutes ses dents.
Et le soleil devenait rouge, puis noir,
Puis il est devenu lune blanche
Et je me suis endormi.
Le robot ne dormait pas.
Il veillait sur moi.
Mais il ne pouvait pas m’empêcher de rêver.
D’ailleurs je ne rêvais plus.
J’en avais follement envie,
Mais l’armée m’avait confisqué
Mes vieux rêves de paix et de bonheur.
Et j’avais du sang sur les mains.
On ne rêve plus dans ces conditions.
On ferme les yeux, on s’endort,
On ne voyage plus, on reste.
Le ciel est descendu sur moi,
Avec tous ses mystères sans solution.
La terre n’a pas bougé sous mon corps.
L’herbe me chatouillait les narines,
Mais je n’avais pas envie de rire.
Mon robot a éteint son écran
Puisque je ne m’en servais pas la nuit,
Du moins par nuit noire,
Car les nuits blanches me guettaient.
Je ne veux pas devenir fou
A cause du gouvernement
Qui est censé me rendre riche.
Je ne veux pas devenir riche
Si la mort m’a rendu fou.
Et voilà que j’attends le matin,
Couché dans la campagne si douce au printemps.
Il peut pleuvoir, je ne me plains pas.
Il peut arrêter de pleuvoir,
Je ne pleurerai pas à la place de la pluie.
Voilà ce que je suis devenu.
Non pas à cause de la guerre
Qui est ce qu’elle est,
Je ne juge pas,
Mais parce que nous l’avons gagnée
Pour pouvoir acheter de sympathiques robots,
Tellement vrais qu’on dirait des vrais.
C’est ce qu’on appelle le bonheur.
On n’en connaît pas d’autre.
Ce n’est pas faute d’avoir cherché.
Mais on ne cherche plus.
On a trouvé et point final.
Voilà à quel point nous en sommes,
J’en suis,
Vous êtes.
Demain matin on peindra des maisons
Sur l’envers de nos tapisseries nationales,
Et des jardins avec des enfants
Et des putes pour les grands.
À moins que le sommeil me tue.
Il me tuera un jour ou l’autre.
Je veux dire une nuit.
A moins que le prospectus dise vrai.
« Nous avons gagné et nous gagnerons toujours !
Nous sommes la lumière de ce monde.
L’ombre a tort et si elle recommence,
Nous aussi on refait tout depuis le début.
Citoyens, jouissez de votre robot.
Ne vous privez pas de ce bonheur ! »
C’est fou comme la publicité
Et les promesses parlementaires
Illuminent nos jours
Mieux que la poésie !
Mais ils n’ont rien pour la nuit.
Pas encore, mais ça viendra.
Tout vient à temps
A qui ne sait rien faire d’autre
Qu’attendre.
Je me demande quand même
Pourquoi j’ai deux trous rouges
A la place du cœur…
*
En ces temps de terreur islamiste
Que devient l’acte surréaliste par excellence ?
J’ai posé la question à notre maire.
« Il faut brûler André Breton !
Ou alors qu’il renie la poésie.
Donnons raison à Camus !
Ah ! notre Camus national !
Ne dit-on pas d’un nez
Qu’il est camus
S’il est bien aplati ?
Aplatissons la poésie !
Votons socialiste, gaulliste
Et même pétainiste !
Mais que le nez d’André Breton soit maudit !
Je poserai personnellement
La question au gouvernement !
Et je serai entendu.
Car je ne doute pas
Que l’aplatissement du nez
Sur la face de la République
Réduise tout signe de subversion
A un pet à la face de la poésie.
A-t-on vu poète qui se bouche le nez
Ouvrir en même temps la bouche ?
Que l’homme révolté soit aux cieux
Et qu’il y reste pour montrer l’exemple !
Vive le nez camus !
Vive le vent !
Et vive la France ! »
Qu’on se le dise…
*
Je suis blanc mais pas propre.
Je ne salue pas le drapeau.
Même en musique.
Les monuments aux morts
Me donnent des boutons.
Qu’est-ce que je fous ici ?
Pourtant je vous aime bien.
On parle la même langue.
On mange les mêmes choses.
Et quand on ouvre le dictionnaire de rimes,
On se rencontre au bout du vers.
Il était une fois un mauvais poète.
Je ne veux pas dire par là
Qu’il n’y avait qu’un seul mauvais poète.
Il y en avait des tas.
Mais celui-là me faisait chier.
Pensez-vous qu’il me vint à l’esprit
Que j’étais en train de vivre
Une nouvelle fable ?
Pas du tout les amis !
Je vivais comme d’habitude,
Ni plus ni moins.
Et j’ignorais même
Que ce type était un poète.
Ça ne se voyait pas sur son visage.
Il me dit :
« Il paraît que vous versifiez vous aussi ?
— Je ne l’ai dit à personne !
Je m’étonne
Qu’on vous en ait parlé !
Si quelqu’un m’a trahi,
Qu’il soit maudit à jamais !
— Excuses !
Mais tout le monde en parle.
Il ne fallait pas publier.
Maintenant tout le monde le sait.
Tenez, moi, par exemple…
Je ne publie rien.
Et donc personne ne sait
Que je suis un mauvais poète.
— Mais maintenant moi je le sais !
Vous vous êtes trahi !
C’est extraordinaire de se trahir
Alors qu’on est un mauvais poète.
Moi, qui suis meilleur que vous
Et même peut-être bon, je suis trahi par les autres !
C’est là toute la différence.
Monsieur veuillez redescendre de mon piédestal.
Et ne revenez jamais m’importuner.
Vous n’êtes bon qu’à vous trahir vous-même.
Car vous ne savez pas ce que c’est la trahison.
Moi je le sais.
Et je me tais pour qu’on ne le sache pas à ma place.
C’est très compliqué, vous savez, la poésie.
Beaucoup plus compliqué que de se trahir soi-même.
Il faut laisser les autres vous trahir
Et quand cela arrive
Il faut absolument trouver un mauvais poète
Pour lui apprendre cette leçon. »
Cet homme, car c’en était un,
Redescendit de mon piédestal
En emportant mes rimes en souvenir.
Il me laissa des noms.
Car lui savait qui me trahissait.
Et c’est avec ces noms
Que j’ai écrit mes romans.
Voilà comment on devient romancier.
Que cela vous serve de leçon à vous aussi !
*
L’autre jour
— un jour comme celui-ci —
Un juge me dit, m’assure, m’inculque
Que les serviteurs de l’État,
Ses frères en compromission
Républicaine,
Veulent maintenant se passer des juges
Et mettre sur pied
Une nouvelle société française
Fondée sur la compétence
Et l’efficacité policière.
Un État d’urgence.
Je le crois.
Mais pourquoi
Ne démissionne-t-il pas ?
Pourquoi continue-t-il
De servir l’État
Qui le paye ?
— Ah mais c’est parce que,
Me dit-il à la télé,
Parce que je défends
La veuve et son enfant,
Le poète et les morts,
Le chômeur, la terre et le ciel.
Etc.
Je défends
Tout ce qui ne va pas bien.
Mais je vous préviens,
Sans quitter ma place
Chèrement acquise,
Que les serviteurs de l’État
Complotent contre ceux
Qui ont besoin des juges
Pour ne pas devenir les victimes
Des policiers, des matons, des bourreaux
Qui gagnent aussi leurs vies
Mais sans défendre personne
A part leurs pairs,
Les politiques et les bandits.
— Mais enfin monsieur !
Démissionnez !
Allez vous battre aux côtés
De ceux qui se défendent
Hors des sentiers battus
De la justice et de son ministère !
Je vous trouve, monsieur,
Une bien mauvaise langue
Et une conscience en porte-à-faux.
— Vous ne comprenez rien,
Monsieur qui ne savez rien
Des procédures et des usages !
Moi je sais et je vous dis
Que l’État qui me paye
Et me récompense souvent
Est en train de devenir
Insupportable !
In-su-ppor-ta-ble !
— Dans ce cas renoncez
Aux avantages de votre fonction.
Ne prenez plus de vacances à mes frais.
Payez le taxi et le restaurant.
Payez les rames de papier,
Les CD, les stylos et les timbres.
On vous écoutera ensuite,
Monsieur le collaborateur…
Que n’avais-je pas dit !
Remettre sur le tapis
Une aussi vieille histoire.
A-t-on idée à notre époque
Qui réclame des preuves
De tout ce qu’on dit
Et même ne dit pas ?
Des preuves je n’en ai pas.
Vous en avez tellement nourri l’Histoire
Qu’il reste plus rien,
Pas même les os
Et les bouts de chair oubliés.
— Vous êtes tous pareils,
Dit le juge en me quittant
Cette fois définitivement.
Nous autres juges
Valons mieux que ces flics,
Ces politicards, ces bandits.
Mais nous avons des contraintes.
Et elles sont constitutionnelles.
Il faut les respecter.
On n’obtiendra rien
Si on ne les respecte pas.
D’ailleurs ce serait illégal.
Et ça,
Monsieur l’anarchiste de gauche,
Il n’en est pas question.
Je ne l’ai plus revu.
Il a peut-être changé de métier.
Que dis-je ?
Il en a changé certainement.
Nous n’avons plus de juges.
Nous n’avons que des policiers,
Des politiciens et des bandits.
Et nous
Nous ne sommes rien
Sans cette Constitution de malheur.
*
Vous n’allez pas me croire,
Mais j’ai rencontré
Le président de la République.
Ah je ne m’y attendais pas !
J’étais dans mon bouiboui
En train de me morfondre
Et voilà ce sacré pantin articulé
Qui entre sans frapper !
Je me redresse d’un coup,
Je commence à pleurer,
Je sors mon mouchoir…
Il entre encore un peu
Et allume une cigarette
Sans m’en offrir une.
Il a l’air content d’entrer chez moi.
Il prend la parole :
« Tu sais, Renaud. Je t’aime.
Mais celui que j’aime le plus
Est mon premier ministre.
Ah j’en aurais rêvé
Que j’y aurais pas cru !
Trouver un pareil… sans nom
N’est pas donné à tout le monde.
Il se bat, il bat, il grogne,
Pète, chie, mange sa merde…
Il fait tout ce que je veux
Et en plus il travaille pour lui.
C’est ce qu’on appelle servir la patrie.
C’est chouette, hein ? de trouver
Quelqu’un d’aussi serviable ?
Mais voilà que maintenant
Que je te connais,
Cher Renaud,
J’en veux plus de ce larbin à la con !
Si tu n’as rien à faire,
Deviens mon premier ministre.
— Ah ça par exemple,
Monsieur le Pré… le Président !
Si je m’attendais à trouver du boulot
Sans même avoir cherché !
Les promesses c’est bien,
Mais à force d’attendre,
Je ne m’attendais plus !
— Et bien serre-moi la main, ami !
Et laisse-moi te montrer le chemin
Du mérite national.
Ça te plaît-il d’être premier ministre ?
— Et l’autre… on en fait quoi… ?
— C’est le côté obscur de la manœuvre…
— Me dites pas que je dois le tuer !
C’est beaucoup plus grave de tuer un immigré
Que de ne pas le tuer !
Ah je sais pas si je vais accepter…
— Il est déjà mort, couillon !
Tu ne le tueras donc point.
Mais tu diras que c’est toi…
— Ah mais c’est que non je ne peux pas
M’accuser d’un crime commis
Par le chef de l’État en personne !
— Mais je n’ai tué personne, gros bêta !
— Mais alors…
— Et oui ! Il s’est suicidé.
Tu ne risques donc pas
Qu’on te croit sur parole
Quand tu avoueras
Ce crime contre la personne
Du premier ministre
De notre chère patrie.
— Oui mais alors…
Si on ne me croit pas,
On va me prendre pour un fou…
— C’est comme ça
Que ça a commencé
Pour ton prédécesseur… »
Je ne savais plus quoi dire.
Le président de la République
En savait plus que moi
Au sujet de la mort
Des premiers ministres
De notre chère patrie
De chômeurs et de profiteurs.
Je ne suis pas devenu premier ministre.
Je suis mort avant
D’un accident du travail au chômage.
La vie continue
Et je n’y suis pour rien.
Alors continuons, ô Patrie bien aimée !
*
Chaque fois que je sors,
C’est dans la rue.
Pas moyen de faire autrement.
Alors bien sûr je pourrais sortir
Par les trous de mes murs.
Mais je n’appelle pas ça sortir.
Au contraire,
Chaque fois que je prends un trou,
J’entre quelque part
D’où j’ai envie de sortir.
« Meurs ! me dit mon voisin.
Comme ça, tu sortiras
Sans avoir besoin de revenir
Pour vérifier que tu es sorti
Et pas autre chose. »
Je comprends ce que veut me dire
Ce voisin qui n’est pas le seul
A souhaiter ma mort.
Je peux d’ailleurs me tuer n’importe où,
Dedans ou dehors,
Dans la rue, dans un trou,
A la sortie du métro
Ou à l’entrée d’une prison
Ou d’une librairie.
Je m’en sortirai toujours
De cette manière,
Mais je ne suis pas un adepte
De l’interruption définitive
Du cycle des questions.
Ainsi, je reste dedans
Quand je ne sors pas.
Et quand je suis dehors,
Je suis destiné à rentrer.
Et ce sera comme ça
Tant que je vivrai.
Pour changer de méthode,
Inutile de changer de rue.
J’ai déjà déménagé… pour rien.
« Il faudrait, me dit ma voisine,
Que vous rencontriez quelqu’un.
Mais pas dans l’escalier
Que nous partageons,
Ni chez le boulanger
Qui cuit notre pain.
Peut-être qu’en sortant
Plus souvent
Ça finirait par vous arriver…
— Vous connaissez quelqu’un
À qui c’est arrivé ?
Demandé-je à cette voisine
Qui avait l’air d’un voisin.
— Non, me répondit-elle.
— Vous connaissez quelqu’un
Qui connaît quelqu’un
A qui c’est arrivé
De rencontrer quelqu’un
Afin de sortir autre part
Que dans la rue ou dans les trous ?
— Non, me répondit-elle.
— Vous connaissez quelqu’un… »
Et nous en avons parlé
Toute la soirée, la nuit
Et le jour suivant
Sans trouver ce que je cherchais.
Si je meurs maintenant
Je ne saurais pas pourquoi.
*
Un poète est venu habiter
Dans la maison voisine
De la mienne.
Il n’y a pas de quoi
Fouetter un chat.
Pourtant, depuis que le poète
Habite à côté de chez moi,
Mon chat a l’air fouetté.
Il ne saigne pas.
Ne porte pas de traces,
Mais il se plaint.
Et chaque fois qu’il se plaint
Il regarde du côté
De la maison voisine
Où le poète s’est mis à habiter.
Depuis, je regarde souvent
La même maison que mon chat
Quand il se plaint comme si
On l’avait fouetté
Et que c’était le poète
Qui tenait le fouet.
Je ne me fais pas des idées,
Mais un poète qui ne chante pas
Comme chantent si bien
Ceux qui font des chansons,
Ce n’est peut-être pas un poète.
D’ailleurs qui dit qu’il est poète ?
Vous l’avez deviné.
C’est mon chat.
Il mérite donc d’être fouetté.
Et depuis que le poète
Ne le fouette plus,
C’est moi qui tiens le fouet.
Que le poète se le dise
Avant d’aller trop loin
Dans le sens du voisinage !
*
L’autre jour,
comme ça,
l’air de rien (croyais-je)
je dis bonjour à un auteur,
il me répond qu’il va pleuvoir,
je regarde le ciel bleu,
le soleil, la lune, les étoiles…
pas un nuage.
J’ouvre mon parapluie,
par politesse,
et je fais de l’ombre
aux livres que l’auteur
expose dans le salon.
Il aime moins mon ombre
que mon parapluie.
Ça le rend même nerveux,
vindicatif, prêt à mordre.
Il aboie, miaule, rugit,
hennit, brait, siffle…
Et tant et tant
qu’il se met à pleuvoir.
Il m’arrache mon parapluie,
critique mon ignorance
en matière de ciel
et danse pour que le soleil
se remette à briller
dans ce que je dois désormais
considérer comme son ciel.
Et le soleil brille de nouveau.
« Vous avez là, me dit-il,
la preuve que je suis un auteur. »
C’était une belle présentation
du pouvoir que peut exercer
celui qui sait écrire
sur celui qui ne sait pas lire.
*
Alors je lui dis,
A l’auteur,
Que s’il passe par chez moi,
La table est mise.
« Euh… répond-il,
Je suis plutôt difficile,
A table comme au livre…
Mais bon je passerai
Et je vous laisserai quelque chose… »
Il vient les mains vides,
Mais les poches pleines
De pages arrachées
A ceux qui écrivent
Qu’il écrit.
Ce fut mon repas.
*
« Croyez-moi !
Je ne mens pas !
J’écris moi-même
Que j’écris,
Mais c’est avec le cœur
Et deux ou trois choses
Que je n’ai pas encore écrites. »
Et elle me frotta le nez
Avec son chapeau penché
Sur la dédicace
Que je n’avais pas demandée.
Je voulais juste savoir
A quoi servait la plume
Sur le chapeau.
*
L’auteur m’a demandé
De souffler dans son cul.
Il s’est gonflé.
Moi je suis comme tout le monde.
On a beau me souffler dans le cul,
Je ne me gonfle pas.
Mais ma foi s’il s’agit
De dégonfler ce qui est gonflé,
Je me gonfle.
Mais ça ne s’est pas passé comme ça.
En fait,
Si l’auteur s’est gonflé
Parce que je lui soufflais dans le cul,
Au moment de le dégonfler,
Tandis que je commençais à me gonfler,
Un oiseau a fait le travail à ma place.
Tout a explosé.
L’auteur, moi, le salon,
Les visiteurs sachant écrire,
Les pauvres venus pour lire…
On était plusieurs
A l’endroit même
Où l’auteur s’était senti seul.
On n’a pas retrouvé sa trace.
*
J’évite de fréquenter les auteurs.
Que voulez-vous…
La moindre attention à leur égard,
La moindre petite flatterie de rien du tout,
Une seule politesse dans la nuit de leur solitude…
Et ils vous montent dessus,
Vous ferraillent les côtelettes
A grands coups d’éperons,
Vous tirent sur la langue
Et s’accrochent à vos dépens.
Votre crinière en prend un coup.
Il faut les lire, je ne dis pas le contraire.
Mais évitons de leur soumettre nos gentillesses,
Notre patience et même notre compassion.
Passons notre chemin sans les voir,
Comme l’amoureux solitaire.
Ménageons notre crinière !
*
Oui,
Dis-je au philosophe,
Ça philosophe beaucoup
Depuis que ça va mal.
Chacun à son idée.
Il y en a même
Qui écrivent des poèmes.
Il faut bien que ça rime,
Sinon on a l’impression
D’avoir des idées
Et rien dessous.
Il ne faut pas en rester là.
D’ailleurs moi-même
J’ai des idées.
Ça ne rime pas encore,
Je l’avoue.
Ça se laisse écrire,
Ça oui !
Je n’en dors plus.
Et j’ai des crampes
Qui ne me réveillent plus.
Les crampes,
C’est fait pour réveiller.
Ça me donne des idées,
Ce manque de sens.
Des idées qui ne tarderont pas
A rimer
Si je m’y prends bien.
Je vais commencer
Par me réveiller
Et si le sommeil ne vient pas
J’irais voir le docteur
Ou le curé,
Ou les morts du cimetière.
Je les entends parler
La nuit.
Ils me parlent peut-être.
Ils expliquent mon insomnie
Peut-être mieux
Que mon envie de l’écrire.
*
À la campagne,
Je me sens bien.
J’ouvre ma fenêtre,
La nuit, le jour,
Qu’il vente,
Qu’il pleuve
Ou autre chose.
Et je me laisse aller
A penser,
A écrire
A rêver,
A t’aimer.
À la campagne,
Je suis chez moi.
J’ai oublié de travailler.
Je ne connaîtrai pas l’hiver.
Mais je t’aurais aimée
Avec les arbres,
Les fruits,
Les mensonges,
Les vérités,
Au début
Comme à la fin
De l’été.
*
Lit de lilas,
Las de Lily,
Lily là, là !
Là lit Lily.
Lily lilas
Et là au lit
Le lilas lu.
Si tu savais comme je t’aime !
*
Mon adolescence
est le seul moment authentique
de mon existence.
À la fin, j’aurais dû me suicider.
Je ne l’ai pas fait, ni tenté de le faire.
C’est que je n’étais pas désespéré ;
j’étais seulement en colère.
Je n’ai pas franchi ce pas,
comme le terroriste islamiste ;
j’ai eu tort.
*
« Frère Jacques, dormez-vous ?
Frère Jacques, dormez-vous ?
Sonne la patine
Du mensonge,
Du mensonge… »
Mon voisin est athée.
Je le suis moi aussi,
Mais ça ne se voit pas.
Je suis discret
Comme une luciole
En plein jour.
Mon voisin taille la haie.
Le soleil est haut.
J’ai sommeil,
Sommeil de l’après-midi.
Un curé est mort.
Mon voisin est content.
Il n’a jamais tué de curé.
Il n’a tué que des fellahs
Du temps que c’était un devoir
Avec option médaille,
Reconnaissance de la nation
Et gloire des petits-enfants…
Parce que les enfants, n’est-ce pas ?
« Vous ne le saviez pas ? »
Non, je ne le savais pas.
L’été, je profite du soleil.
Je n’écris plus, je ne parle plus,
Je redeviens bête.
La tête d’une marguerite
Saute sous le sécateur.
« Frère Jacques, dormez-vous ?
Frère Jacques, dormez-vous ?
Sonnent mes mimines,
Plus d’curé !
Dieu est mort ! »
Il voulait parler de celui qui,
Faute d’exister,
N’en finit pas de mourir.
*
« Alors frère Jacques arrive au Paradis.
Et bien sûr il tombe sur son assassin
Qui attend lui aussi
Que Pierre
Ou qui on voudra
Ouvre la porte du bonheur éternel.
— Mais je ne comprends pas ! s’étonne Jacques.
Vous êtes un assassin.
Et ce n’est pas que la République qui le dit.
Tout le monde le dit,
Sauf les assassins !
— Tu t’es trompé de paradis,
Hé patate ! »
*
« C’est quoi, ta couleur, mon fils ? »
Papa est dans la porte,
Ombre terrible, larbin nature.
Alors ce ne sera pas le rose,
Pour la raison que vous savez
Puisque vous me connaissez
De longue date.
Pas le rouge non plus,
Couleur des révolutions
Et du sang qui coule
De ce côté de la patrie.
Le jaune c’est pour les oiseaux
Et les femelles qui vont dessus
Comme les petits bateaux.
Le marron, couleur de merde,
Personne n’en veut, dit Papa.
Le noir est la couleur
De ceux qui ne croient pas
En l’humanité ni en son Dieu.
L’orange c’est pour les bonbons,
Même si c’est la couleur du soleil,
Du moins sur les cartes postales
De nos vacances en Enfer.
Le violet, trou du cul,
Même les morts n’en veulent pas.
Le vert est déjà pris.
À la fin, Papa montre le bleu.
J’en ai moi aussi sur la peau,
Mais je les cache.
J’ai de la pudeur
A la place de la couleur.
Je ne serai jamais flic.
*
Imitez Adolf Hitler.
Prenez un drapeau vide.
Remplissez-le de rouge :
C’est socialiste.
Mettez-y du blanc,
En rond, en carré,
Ou autrement :
Vive la Nation !
Mais le plus dur
Reste à faire :
Mettre quelque chose
Dans le blanc :
Un svastika, une rose,
Le bleu des Droits de l’homme,
Douze étoiles parfaites…
C’est le moment de choisir.
C’est le plus difficile.
Changer le rouge
Avec du blanc,
C’est encore humain.
Mais dès que le moment est venu
D’achever le drapeau,
C’est normal d’hésiter.
Tout le monde hésite.
Oui, je veux croire
Que chacun est capable
De se payer
Ce cher moment d’hésitation.
*
À Paris où j’habite
Pendant les vacances,
On va à la plage
Avec les flics, l’armée
Et les bons vœux
Du gouvernement.
Hier, après la sieste
Sous les fusils,
Mon ami Alfredo
M’a payé une bière
En terrasse,
Histoire de montrer
Qu’il n’a pas peur
Et que je me méfie
Tellement
Que j’ai peur de moi-même.
On ne s’est pas saoulé.
*
Remarquez bien que la poésie,
Je m’en fous.
Et c’est tant mieux pour elle.
Que les autres chantent à ma place,
Fleur au fusil
Et pas voilés.
Ah j’en ai vu
Des fiers de l’être !
Ils en avaient
De l’allure en trop !
Que les autres chantent à ma place,
J’y vois point d’inconvénient.
Je tiens trop à la vie.
Les histoires de curés,
De rabbins, de mollâs,
De boudas, de pasteurs,
Et le sang coule
Dans les rigoles
De nos trottoirs.
Que les autres chantent à ma place,
Morts ou vivants
Ou autre chose.
La poésie se passe de moi
Parce que c’est pas le moment
De s’émerveiller
Ou de désespérer.
Le moment serait mal choisi.
Que les autres chantent à ma place,
En fanfare ou en solo,
Et que la religion
Fasse de l’esprit
Ce qu’elle voudra.
Elle en a fait déjà beaucoup
Et on s’en fout.
On recommence
Comme si on n’était
Jamais venu.
J’en ai marre de recommencer.
Plusieurs fois que je l’ai fait,
Recommencer et rien changer.
Je me demande
De quoi ils sont fiers…
Ya pas de quoi
Mais ils reviennent
Gueuler sous le drapeau
Avec des croix
Plein la langue
Et des poètes
Pour faire beau
Si on regarde pas
Au détail.
Que les autres chantent à ma place.
C’est pas que j’ai fait mon temps…
Mais je fatigue.
J’ai plus les moyens
De me ressourcer.
Je me répète.
Je m’entends plus.
Je deviens moche.
J’ai mal au cul
A force de m’asseoir dessus.
Et vous ?
Ah j’en ai vu
Des fiers de l’être !
Ils en avaient
De l’allure en trop !
*
Mon voisin
A ramené un oursin.
L’oursin est mort,
Il pue.
Mon voisin me demande
Comment je fais
Pour « enlever »
L’odeur de la mort
Des animaux
Que j’empaille
Pour faire joli
Dans mon appartement.
Je lui dis
Par-dessus la haie
Qui nous sépare :
« Mange ton oursin, voisin !
Mange la mort de tes vacances.
Moi je ne pars pas,
J’empaille mes amis.
Voilà comment chez moi
Ça ne sent pas la mort. »
*
Maintenant la pluie
Mouille les carreaux.
Il y avait longtemps
Que je t’avais oubliée.
Tu reviens en gouttes
Derrière la transparence.
Le jardin est opaque.
Les arbres dégoulinent.
Je ne reviendrai pas
Demain ni un autre jour.
J’ai vendu la maison
Comme j’ai vendu ta mort.
Si tu m’avais donné
Autre chose qu’un enfant,
Je serais revenu
Avec un soleil d’Enfer.
*
Si le p’tit Jésus n’est pas né du con de sa mère,
C’est donc qu’il est sorti de son cul.
On voit mal en effet
Comment la bouche l’eût conçu.
Profitons-en pour mettre fin
A la probabilité des trous de nez,
Des cavités auriculaires
Et des blessures par clou.
La Vierge ne l’était point.
Mais par un défaut purement
Physiologique,
Le canal de l’existence
S’est trouvé communiquant
Avec celui de sa merde.
C’est d’ailleurs en chiant
Comme tout le monde,
Sans souffrance
Et même avec plaisir,
Qu’elle a mis un enfant au monde.
Ce qui ne s’explique pourtant pas
Aussi facilement,
C’est comment ce fils de cul
A mis le feu aux poudres
De l’imagination et de l’esprit.
Ceci restera pour moi
Un mystère de boule de gomme :
Je l’ai tellement mâchouillé
Que je n’en tire plus
Aucune bulle ni pape.
Je ne suis plus un enfant.
*
Un flic, vu de loin, ça rassure…
Mais dès qu’on opère un traveling avant
Son mauvais caractère crève l’écran.
Le traveling arrière s’impose alors.
Certes, s’il avance, contrecarrant
Vos espoirs de le remettre à la place
Qui lui convient le mieux
De votre point de vue,
Il faut avoir à sa disposition
Un zoom de la meilleure qualité.
Ah ! mes chers frères en poésie,
Il en faut de la technique
Et de la bonne,
Pour échapper à ce spectacle
De l’innocence garantie
Par le gouvernement !
Au montage, pour faire vrai
Et ne manquer aucun rendez-vous
Avec l’Art,
Doublez la voix du flic
Vous-même.
Le risque de contrarier
Le respect dû aux corps
Institués
S’en trouvera grandement diminué.
Et remerciez le ciel
De n’avoir pas placé
La voix de la Poésie
Dans ces bouches d’égout.
Les trottoirs de nos villes
Ont mieux à faire
Que d’être mal fréquentés.
*
« Il y a anarchiste et anarchiste :
Le type petit bougeoirs
Qui fait des vers avec des rimes
Pour ne pas passer à l’acte
Côtoie le petit con au chômage
Parce qu’il ne sait rien faire.
Ça fait deux,
En tout cas sur mes doigts.
Reste huit.
Il m’en manque deux.
Et on me demande de faire avec
Sinon je ne suis pas un véritable
Anarchiste.
Huit doigts
A cause de deux cons
Qui se la jouent en marge
De l’action.
Je crois que je vais prendre
Encore un peu de temps
Avant de m’y mettre moi aussi.
Rencontre du troisième type.
Le troisième homme.
Le sain d’esprit.
Ça promet ! »
Dit le petit homme.
Ensuite il retourna dans son livre
Et disparut.
*
Je ne vous souhaite pas d’en rêver !
Tout le monde était employé
Par le gouvernement,
Sauf moi !
Et je n’étais pas au chômage !
Je travaillais.
On me regardait travailler,
Car quand on est employé
Par le gouvernement
On a le temps de regarder
Par la fenêtre et par les trous.
D’ailleurs je n’avais plus le temps.
J’étais sur le point de mourir.
Encore un peu et je n’étais plus !
Et pourtant je dormais
Et mon existence était un rêve.
J’allais me réveiller,
Moi le seul homme libre.
Mais je ne me réveillais pas.
Le sommeil me retenait.
Je n’avais pas achevé ma tâche.
Et c’était une tâche
De la longueur exacte
De ce qui me restait à vivre.
Je criais à l’injustice.
On ne m’entendait pas.
Ils avaient beau me regarder,
Ils ne s’intéressaient pas
A ce que je disais.
Je ne disais rien, je criais.
Je n’avais plus le temps
D’expliquer les raisons de mon cri.
Comment ça s’est terminé ?
Ça ne s’est pas terminé.
Je suis réveillé maintenant
Et ça continue,
Malheur de malheur !
*
A l’église,
Les gorges étaient chaudes.
Alors je suis monté au ciel,
Tout seul, sans l’aide de la mort.
J’ai traversé des nuages,
Des orages,
Des parages
Déconseillés
Par les ambassades occidentales.
Ce fut un long voyage,
Tout seul,
Sans l’aide de la NASA.
J’étais nu
Comme un oiseau
Qui vient de naître.
Mais l’air s’est raréfié
Et je suis redescendu
Pour retrouver mon souffle.
Je ne m’y prends jamais autrement
Pour écrire le poème
Qui va suivre.
Et les gorges se réchauffent
En attendant d’être tranchées
Rituellement.
*
Un jour,
Vous irez en vacances
Et alors vous comprendrez
Ce que c’est
De travailler.
Un jour,
Qui n’est pas si lointain,
Vous prendrez la voiture,
Le train, l’avion,
Vous prendrez le chemin
Qui y mène tout droit.
Un jour,
Nous nous rencontrerons.
Nous nous aimerons peut-être.
Qui sait ce que nous sommes
L’un pour l’autre ?
*
Un curé en moins,
Ce n’est pas grand-chose
De perdu.
Mais des dizaines d’enfants
Broyés,
Pliés,
Coupés,
Hurlant,
C’est beaucoup.
Moi,
Je donnerais
Tous les curés du monde
A l’Islam immodéré
Pour épargner
La douleur,
La peur,
La mort
A un seul enfant.
D’ailleurs je crois
Que le pape
Est de mon avis.
Sauvons les enfants !
Donnons les curés !
Et pourquoi pas
Tout ce qui n’en a plus pour longtemps !
*
« Charlatans et jobards,
La vie est un panard.
On en prend plein la gueule
Jusqu’à c’qu’on soit plus seul. »
Ce type chantait sous le porche.
Un chien le côtoyait.
J’étais à la fenêtre,
Des fois qu’un attentat
Me chang’ de la télé.
Il me donnait le rythme,
Cet éternel rhapsode…
Et dans mon dos,
La télé vantait sans nuances
Les mérites de la nation.
J’étais seul moi aussi.
Seul et muet devant le spectacle
Donné non pas par des fous,
Mais par les larbins de l’épargne
Et du bonheur trouvé dans une bouteille.
Ce n’était pas l’envie
Qui me manquait
De fomenter l’assassinat
Pour ressembler à autre chose
Qu’un citoyen.
Je croyais connaître
Les secrets de la bombe
Et du couteau.
Je me voyais à l’assaut
Des serviteurs récompensés
A défaut de pouvoir
Viser plus haut.
Charlatans et jobards,
Je vous hais
Mais je ne vous tue point.
Et chaque jour j’imite
Parfaitement
Le citoyen presque
Exemplaire.
Voilà comment je crée
Mes personnages.
Et d’autres fois,
Ils ne tuent personne.
Ça dépend tellement de vous !
*
Petit poète deviendra grand.
Il n’écrivait pas.
Il disait.
Hier bavard.
Aujourd’hui écouté.
D’ailleurs sans la musique,
Il n’est plus rien.
Et sans lui la musique
N’a pas de sens.
Petit poète deviendra grand,
Avait prédit Papa
En agitant à la fenêtre
Le drapeau de la Nation.
Du sang dans les sillons
Et des enfants au premier rang.
Hier,
Il comptait les oiseaux
Dans les branches de l’arbre.
Aujourd’hui,
L’arbre compte sur lui.
On entend les feuilles
Dans le vent
Et les oiseaux
Battent de l’aile.
La poésie de Papa
N’a pas fermé l’œil
De la nuit
Et voilà le résultat :
Petit poète est devenu grand.
L’arbre ne pousse plus,
Les oiseaux écoutent
Et le vent sort
D’un instrument.
Grand-papa ne se retourne plus
Dans sa tombe.
Tout le monde est content…
Sauf moi.
*
Sur la plage,
Vous apparaissez
Masqués
Aux endroits
Sexuels.
Le reste,
Peau blanche
Et croix,
Nage,
Plonge,
Éclabousse.
Sur la même plage,
Un habit
Prend le soleil,
Prend l’eau,
Prend le pouvoir,
Dites-vous.
Dans l’habit,
Une femme
Est piégée.
On ne voit pas
Le piège
Qui vous encourage
A recommencer.
Ici,
Le bonheur
Est un style de vie.
Le corps est
Un jeu d’échec.
Mais là,
Le corps est un enjeu
Et l’échec n’est pas permis.
Faut-il que je choisisse ?
Moi qui n’ai pas choisi
D’être l’homme ou la femme ?
Ou ni l’un ni l’autre…
Ou les deux à la fois…
Ou tout le monde et chacun
Selon les caprices
De mon inspiration ?
*
Croisez croisés,
Vous ne rencontrez rien.
Le monde ne vous appartient pas.
Chassez croisés,
La proie renaît toujours
De ses cendres.
*
Chez moi,
Je suis seul.
Chez les autres,
J’aime la solitude.
Nulle part,
Je m’emmerde.
Je me le dis,
Mais je ne le dis pas.
Forcément, le ciel…
Mais je ne lève pas les yeux.
La nuit m’ensommeille.
Le jour m’occupe.
Je ne connais pas
De crépuscule.
Forcément, le temps…
J’y pense tout le temps.
Et quand je ne pense pas,
Il en profite
Pour compliquer mes réveils.
Imaginez-moi
Au saut du lit.
Nu et avide,
Pas même amoureux,
Allant chez les autres
Ou ailleurs
Pour ne pas rester
Chez moi.
Imaginez mon roman.
Je suis ce personnage
Et je ne suis pas vous
Comme vous n’êtes pas moi.
Forcément, l’autobiographie…
Ce que j’écris,
Le vent l’emporte.
Là-bas,
Un cimetière des éléphants
Conserve ma trace.
Mais souvent j’oublie
Que l’homme futur
Qui observe mes vestiges
N’est pas un exégète,
Mais un anthropologue.
Je ne signe pas, je suis…
Forcément.
*
Certes je n’obéis pas,
Mais je me laisse aller.
Le vent est doux,
La mer tranquille,
Les femmes vertes.
Encore un peu,
Monsieur le bourreau,
Et le temps n’existe plus.
Telle est mon intuition.
À force de temps,
Ce n’est plus le temps
Qui met fin au voyage.
J’obéis à la paresse,
A l’étude, au plaisir.
J’obéis au plus fort,
A l’exigence commune,
A la peur, à la douleur.
J’obéis à tout ce qui bouge.
Mes nuits sont terrifiantes,
Mais je dors comme un enfant.
Le soleil m’éclaire et me dit tout,
Et je me laisse aller à croire
Que je ne suis pas l’auteur
Du massacre et de la soumission.
Vous allez me trouver bien léger,
Vous qui pesez de tout votre poids
Sur mon existence de poète…
Mais…
Le vent est doux,
La mer tranquille,
Les femmes vertes.
*
L’un croit.
L’autre ne veut rien savoir.
Raminagrobis,
Au service
De la justice,
Préfère le provisoire,
L’état momentané,
Les vacances
Après le travail.
À travers les sapinettes,
J’observe mon avenir.
Je me tenais caché,
Car ces trois citoyens
Veulent tout savoir
De moi.
Je n’étais qu’un enfant.
Je ne croyais pas.
Mais je voulais vivre.
Pas question de servir
A quelque chose !
Mais que devient-on
Si on ne croit pas ?
Si on veut vivre ?
Et si on n’a pas l’esprit
A servir à quelque chose ?
On ne devient rien
Dans ces conditions.
Il va falloir négocier.
Un peu de conviction
(pas trop !),
Un chouya de doute
(raisonné)
Et cette sagesse
Qui n’est pas de l’amour.
Voilà comment on devient un homme.
Je pense, donc je suis.
Je flatte, donc je deviens.
Je mens, donc je possède.
Vous allez penser du mal de moi…
*
Un homme
(comme moi)
Allait sur le chemin
(moi aussi)
Nous nous croisons.
Il me salue.
Je le salue.
Pas un mot.
Plus loin
(lui aussi)
Je tombe sur un arbre
Qui porte des fruits.
Lui…
Est-il un voleur
(comme moi) ?
Peut-être.
On se ressemble tous.
Un arbre, des fruits,
Personne…
Dos à dos.
L’Humanité…
*
Il y a celui
Qu’on croise plusieurs fois.
Et celui
Qu’on ne croise qu’une fois.
C’est le futur,
Comme on dit
« Cest la vie ! »
*
Un vieillard
Aux cheveux blancs,
Âgé,
Poussait un bateau
Dans l’eau
Du bassin.
J’étais assis
Sur une chaise,
Moi-même entre les mains,
Car je suis un livre.
Je le refermai,
Écrasant le vieillard
Qui ne cria pas.
La chaise se plia.
Je ne criai pas non plus.
*
L’un veut être juste
Et disparaît
Sans laisser de traces.
L’autre prétend profiter
Du temps qui passe
Sans se soucier
De l’effet produit
Par ses jeux
Solitaires
Même à deux.
Mais entre l’un et l’autre,
Ma main ne trouve rien.
La question que je me pose alors
Est de savoir
Quel est le contraire
De ce geste d’enfant.
Qu’est-ce qu’on ne trouve pas ?
…même en cherchant bien…
*
« Tu seras ce que tu n’es pas ! »
Parole tombée,
En même temps que la voix,
De la bouche du père,
Ou de son cul,
Car l’homme chie beaucoup.
Hélas,
On ne tue jamais tout le monde.
Et la vie
Devient une réalité
Pour les autres aussi.
Je n’aime pas les fenêtres
De ma chambre.
Mais la merde
Paternelle
Est transparente.
Je vois bien
Ce que je verrai
Un jour ou l’autre.
Il n’y a rien à faire
D’autre.
*
Philosophe ou sophiste,
Salaud ou pédant,
Bon ou mauvais,
Noir ou blanc
Ou autre chose.
Chaque fois
Que je plante mon bâton
Entre l’un et l’autre,
Je me vois.
Je chie.
Je mange.
Je rêve.
J’exulte.
Heureusement
Que j’ai un bâton !
Mais où l’ai-je trouvé ?
Je suis né nu !
Ma mémoire
N’a pas le pouvoir
De retrouver
Cet instant
Peut-être magique.
Ou peut-être rien…
Après tout.
*
Tout le monde veut travailler,
Sauf moi.
Personne ne veut me nourrir,
Même mon amour.
Car j’aime.
Je n’y peux rien.
J’aime
Et je suis aimé.
Ce qui ne durera pas.
Je ne veux pas travailler.
Je ne veux pas me suicider.
Je ne veux rien savoir.
Je n’aime pas tout le monde.
On voit de ces choses !
Ensuite on ne les voit plus.
On est seul.
Affamé.
On ne s’en sort pas.
Des mains se tendent.
Des mains donnent.
Elles donnent du travail.
N’importe quel travail.
Si on pouvait choisir !
Mais on ne choisit pas.
Et on n’arrête pas le temps.
Il s’arrête tout seul.
Il n’a besoin de personne.
Il travaille.
Tout le monde travaille,
Sauf moi.
Je finirai dans un livre
Avec d’autres feuilles
D’automne.
*
Un vieillard méditait
Sur un banc.
Ou il mourait.
Allez savoir !
Il ne m’appartenait pas.
Je ne possède rien
Qui ressemble
De près ou de loin
A un vieillard.
Je possède peu,
D’ailleurs.
Je joue un peu.
Je travaille aussi.
Je donne, je prends,
Je regarde la télé.
Je me promène
Quand j’ai le temps.
Un vieillard meurt
Ou s’emmerde.
Allez savoir !
Moi je passe,
Comme le vent.
Je souffle sur les choses.
Les fruits mûrissent.
Les feuilles tombent.
Je compte mes pas.
Je m’assois
Si la place est libre.
J’attends moi aussi.
*
La France fait ses records
Toute seule.
La France se branle
Dans son petit coin.
Heureusement,
Je ne suis papa
Risien.
Couchée sur le paillasson
De l’Europe,
La France prend le temps
Comme il vient.
Heureusement,
Je ne suis papa
Risien.
Cons et moineaux
Font la fête
A la porte de l’Europe,
L’anus dans les poils durs
De la carpette nationale.
Heureusement,
Merci Papa !
Merci Maman !
Je ne suis papa
Risien.
En montant chez moi,
Au dernier étage,
j’ai chanté la Marseillaise.
Pauvres Marseillais !
Mais heureusement,
Je ne suis pas non plus
De Marseille.
Merci Papa !
Merci Maman !
Si j’étais philosophe,
Je ne douterais plus.
Mais je suis
Ce que je suis.
Ainsi fait.
Devant ma porte,
Le paillasson est conchié
Par les oiseaux de Paris.
Ya des trous dans le toit,
Mais je ne suis pas chez moi.
Je ne me plains pas.
Je frotte moi aussi.
Et ça vient.
On a au moins ça
En commun,
La France et moi.
*
Hier,
Dans ma rue,
Un type s’égosillait,
Drapé au drapeau
National.
On n’avait pas gagné,
Mais on n’avait pas perdu
Non plus.
Par-dessus ma haie,
Je l’ai salué,
Les doigts sur la tempe.
Comprit-il
L’ironie de mon geste ?
J’en doute.
Je l’ai retrouvé
Chez le boulanger.
Il croquait un croissant
Et le commentait
En bavant.
Pour lui montrer,
Une fois de plus,
Que je l’avais compris,
Je pressai une chocolatine
Qui chia doucement
Sur la pulpe
De mon index droit.
Cette fois,
Il s’interrogea.
J’exhibai le petit cucul
A deux doigts de son nez.
« Si ça sent la merde,
Lui dis-je,
Ce n’est pas de ma faute. »
La boulangère
Aux seins de marbre
Et de guimauve
S’est gratté la hanche
Sans rien dire.
En sortant
De la boulangerie,
J’ai fait coucou au curé
Qui aime bien
Quand je pisse
Contre le mur de l’église.
Il a aussi salué
Le porte-drapeau
Et tout le monde
Est rentré chez soi.
On ne perd pas
Tous les jours
Ce qu’on gagne
A ne pas jouer.
*
Mon voisin est mort
De mort naturelle.
C’est bien,
La mort naturelle.
Et c’est mal,
La mort qui manque
De naturel.
On en a parlé.
On a bien bu.
On est revenu.
On a attendu.
La mort nous guette.
Elle est voisine
Ou de passage.
On ne sait jamais.
On a beau boire,
Rien n’y fait.
On se ressemble.
Juste ou injuste,
On est en vie.
Comme disait mon voisin
Qui est mort
Comme je l’ai dit,
« Pour ne pas subir
Le sort des humains,
Ya pas d’autr’ solution
Que de pas être en vie.
Mais ça,
On sait pas comment faire !
Alors on fait des gosses ! »
On fait ce qu’on a été
Et on est ce qu’on ne fait pas.
*
Je voudrais vous y voir,
Mais vous n’y êtes pas !
Ah ! Quand je suis seul,
Je ne suis pas au lit !
Hier,
Entre ceci et cela,
A l’heure des plaisirs
Solitaires et joyeux,
Je croise dans le couloir
La femme de ma vie.
Elle revenait !
Moi pas.
Elle frotte ses pieds
Sur mon paillasson,
Ouvre ma porte,
Entre chez moi,
Ouvre le robinet,
Boit dans mon verre,
Dit :
« Ah ! ce qu’il fait chaud aujourd’hui ! »
Je dis :
« Il tombe du feu !
J’ai soif moi aussi.
— Fais le lit ! »
Et ça recommence.
Une vie d’enfer.
Quand il ne fait pas chaud,
On se caille.
Et quand l’été revient,
Il fait encore plus chaud.
Alors on boit,
On se baigne,
On rigole,
Et elle lave les draps.
À l’automne,
Elle repart d’où elle revient toujours.
Et les années passent.
Et hier,
La voilà qui se ramène
Dans une belle auto.
Elle n’est pas seule.
Elle n’entre pas.
Elle me fait signe.
Je réponds à ses questions.
Rien sur moi.
Tout sur elle.
Et elle repart au volant
De la belle auto.
« Trouve-toi une autre femme ! »
M’a-t-elle dit.
Ça devait arriver.
Je voudrais vous y voir,
Mais vous n’y êtes pas !
Ah ! Quand je suis seul,
Je ne suis pas au lit !
*
Un autre me disait
Que le malheur
S’assoit
Sur son paillasson
Chaque fois
Qu’une femme croise
Sa route.
Nous buvions.
Je me souviens.
La mort
A fini
Par voler
Le paillasson.
En face de chez moi.
Le même paillasson.
Les pieds d’une femme
De temps en temps.
On ne se croise pas.
Elle me tombe dessus.
Elle entre.
Elle ouvre la fenêtre :
« Ah ! C’est ça que tu vois
D’ici… »
Sinon la nuit se couche
Sur les toits.
Le matin,
Un poème me réveille,
Ecaille de rêve.
Ou bien c’est elle
Qui me brise le cœur.
Entre-temps,
Un autre arrive,
Ou revient.
On boit.
Nous ne serons jamais rien
Sans la poésie.
*
On me traite de paresseux
Parce qu’en effet
Je dors le jour
Au lieu de travailler.
Mais la nuit ?
La nuit,
Vous n’êtes pas là
Pour m’aimer.
Je travaille, la nuit.
Je travaille la nuit.
Et la nuit me travaille.
Au matin,
Le rêve s’interpose.
Vous comprenez ?
*
Le vent poussait des étoiles.
Tu ne voyais pas
Ce que je voyais.
Tes yeux scrutent
Le futur,
Connaissant mon passé.
Tu n’as pas de présent.
Tu es la nuit.
Peut-être la mienne.
Je ne t’ai pas rencontrée.
Tu es venue.
Tu es entrée.
Tu t’es assise.
Tu as bu dans mon verre.
Tu as ouvert ma fenêtre.
Tu as dit ce que tu as dit.
Et je me suis endormi
Pour ne plus rêver avec toi.
*
Soyons heureux.
Bonne santé et argent !
De belles vacances.
Un travail tranquille.
Des gens autour,
Sans effusion.
Laissons le passé
Faire son œuvre
D’Histoire.
Créons le futur
Immédiat.
Poème.
Il n’y a pas d’autre présent.
Et nous sommes deux
Pour le partager.
Chacun son rêve.
Chacun sa nuit.
Ce matin,
J’ai rêvé de toi.
J’ai eu tort,
Car tu n’as pas aimé
La fin.
*
Ce que je suis ?
Moi.
Ce que je possède ?
Rien.
Ce que je représente ?
Toi,
Peut-être…
*
Nous écrivons
Pour ne rien dire.
Et nous jacassons
Pour le dire.
Inutiles poètes.
Soi-disant orfèvres.
Pure apparence.
Il n’y a que les miroirs
Qui ne renvoient pas
Notre image.
Les autres
Réclament des timbres.
Le poème va et revient.
Dans l’eau,
L’épée se brise.
Sinon elle blesse.
Ou rature le ciel
S’il n’y a personne.
Personne, c’est mieux,
Au fond.
Personne,
Puis plus rien,
Pas même soi.
Disparition totale
De l’énergumène.
Il a parlé
Pour ne rien dire.
Il a écrit
Pour le chanter.
*
L’autre jour,
Je descends.
Et sur qui
Je tombe ?
Lui !
Ma haine.
Sans lui,
Ma rue
Aurait un charme
D’oiseau.
Il rayonne,
Le soleil.
*
« Tu n’aimeras jamais personne !
Tiens ! Puisque c’est ça,
Je te quitte ! Et en musique ! »
Enfin seul ! Mais non !
On frappe sur le bois
De ma porte d’entrée.
Je n’en reviens pas.
C’en est une autre !
La même, mais en vrai !
*
Bavardez, humanistes !
Bandez vos cordes à piano.
Le philosophe c’est Socrate.
V’là un curé qui lutte
Contre ses instincts
Naturels.
V’là le maire
Et ses ouailles
Qui vident les verres.
Et des raclures de poètes
Espèrent tourner le vers
Dans le sens
De la reconnaissance.
Bavardez, humanistes !
Bandez vos cordes à piano.
Le philosophe c’est Socrate.
Et pis voilà le président,
Et son premier valet,
Et les valets eux-mêmes,
Et pis des fonctionnaires
En veux-tu en voilà !
Ya pus qu’à faire la fête
Entre deux attentats
Lâches et bien horribles.
Dehors j’ai froid au nez
Et dedans je me chauffe.
Formez vos bataillons !
Bavardez, humanistes !
Bandez vos cordes à piano.
Le philosophe c’est Socrate.
Ah ! des fois je me tiens !
Si je sais c’est peut-être
Et si je suis pas sûr
C’est pas moi.
V’là des élus et des choisis !
Ça pullule dans les rues
Et dans les monuments aux morts.
On se croirait retourné
Chez Fifi le papa
Des fayots et des dingues.
Moi je me tiens chez moi,
Pas poète ni vieux,
Médaille en chocolat
De l’honneur dans le cul.
Bavardez, humanistes !
Bandez vos cordes à piano.
Le philosophe c’est Socrate.
Hier je rentre au bercail
Où Bobonne m’attend
Car le repas est prêt
Depuis de longues heures.
Elle est seule et sent bon.
Cinq minutes de sexe
Et puis la Marseillaise
Me rappelle au devoir.
Le nez à la fenêtre,
Je salue le drapeau,
Je montre ma médaille,
Je reconnais mes torts
Mais aussi mes excuses.
Bavardez, humanistes !
Bandez vos cordes à piano.
Le philosophe c’est Socrate.
Croissez dans le verre,
Bulles d’intelligence
Avec l’ennemi !
On connaît la recette.
Ni une di deux
Que je m’y mets !
Aussitôt c’est la fièvre
Qui monte dans le ciel.
Sur l’trottoir j’ai crevé
Mon abcès national.
J’en ai pas d’autre’
À vous offrir,
Passants des rues
et des feux rouges.
Ah ! pour crever
Je suis crevé !
Et je vous en veux pas.
Un jour ou l’autre
On n’est plus rien.
Dite’ à Bobonne
Que je l’aimais.
Bavardez, humanistes !
Bandez vos cordes à piano.
C’est Socrate qui le dit.
*
Et pis après ya plus rien.
On a tout eu et pis voilà.
Adieu Pierrette et pis son pot.
On a vécu mais sans les roses.
V’là l’histoire de ma vie :
Pierrette et pis ses roses.
Et après ya plus rien.
Avant non plus, c’est vrai…
Elle était fonctionnaire,
Moi ouvrier d’usine.
On a eu des enfants
Et même un anarchiste.
On a tout acheté,
Le silence y compris.
Pis quand c’était la guerre,
On a eu des pensées.
Des fleurs sur le balcon,
Des fruits sous le plafond
A la place du jambon
Et pis d’autres couleurs.
Mais rien n’est plus comme avant.
Autant dire qu’ya plus rien.
Ni temps qui passe,
Ni autre chose.
On croise plus personne.
Je vous dis qu’on est mort.
Mais si vous m’entendez,
Dites-lui que je l’aime.
Ah ! c’que c’est chouette la vie,
La vie et l’existence.
L’une ne va pas sans l’autre,
Mais je n’y pense plus.
Du côté de mon chien,
A part les os usés
Et les grilles d’égout,
Vous ne trouverez rien.
Comme ici, en Enfer,
Mais alors rien de rien !
J’sens que j’vais m’ennuyer.
Plus d’travail ! Plus d’loisir !
Et rien à boire.
*
Mon voisin n’est pas mort.
Il l’a vue de près,
La mort,
Mais il est revenu
Sans elle.
Forcément on en discute
Par-dessus la haie.
Il décrit le phénomène
En habitué
Du rapport circonstancié.
Je me doutais un peu,
Tout de même,
Que cette vision
Inspire le doute.
Mais mon voisin
Ne sait plus que penser.
La mort n’est pas le paradis.
Pas l’enfer non plus d’ailleurs.
(C’est mon voisin qui m’explique)
On voit que c’est la mort,
Mais ça ressemble à rien !
Je couche avec sa femme
Depuis des années.
Elle ne sera pas veuve.
C’est ça, l’expérience,
Sophistes de malheur !
*
« On est heureux ou on l’est pas.
Ya pas d’juste milieu.
Sinon faut croire
Qu’on est verni
D’une façon ou d’une autre ! »
Depuis qu’il a vu la mort
De près,
Mon voisin philosophe.
Il relit Platon.
Il piétine Aristote,
Les latins,
Les pères de l’Église,
Les humanistes,
Revient au doute
Anachronique.
Quelle histoire !
« On est quelqu’un ou pas grand-chose.
Mais à qui de le dire ?
Les salauds sont médaillés.
Les charlatans bien torchés.
Les morts renouvelés.
Les enfants reconstruits.
Non mais qu’est-ce qu’ils m’ont fait ? »
Il relit les journaux.
Un par un les journaux.
À droite, à gauche et au milieu.
Des journaux plein la tête.
Des photos, des discours.
Des promesses de sang
Et d’autres de loisir.
C’est par-dessus la haie
Qui nous sépare
Qu’on échange
Nos impressions
En attendant
De disparaître
Sans laisser de traces.
« Voilà comment, voilà comment
On devient poète et humaniste !
L’un ne va pas sans l’autre.
Et on perd la santé
Le jour où ça rime plus ! »
Il y a longtemps
Que ça ne rime plus.
Les lions sont couchés.
On ne les chasse plus.
On redit le bonheur,
La grandeur des uns
Et du mal des autres
Qui ne méritent pas mieux
De notre dignité.
« Écrivons pour répandre l’amour !
Il faut sauver le monde !
Nous sommes des Jésus.
Courons plus vite que la croix !
Et ne mélangeons pas
Les olives avec les pommes ! »
*
Mi-figue mi-raisin,
Les marchands vendent du bonheur
Coupé d’autres promesses
Moins naturelles.
Hier je me ravitaille
Comme tous les mardis
Au marché près l’église.
Mon voisin y rumine.
Il complote, il médit.
On l’écoute sans rire.
Je passe sans les voir.
Salade à un euro.
Je couche avec sa femme.
Je vais le regretter
Un jour que Dieu défait
Pour refaire le monde.
C’est là tout mon malheur.
Des jours pareils aux nuits.
Des nuits sans aventure.
Du plaisir dans le doute.
« Ciel ! Mon crétin de mari ! »
Il faut que je me calte !
Je survole la haie.
Matin en est témoin.
Mi-figue mi-raisin,
Je vends ce que je vends.
Pas d’ quoi alimenter
Le corps philosophique.
On se ressemble tous.
Pas meilleurs que les autres.
Effet de la mémoire
Perdue pour tout le monde.
Ah ! s’il était possible
De retrouver le philosophe !
Maudits poètes ! Salauds d’élus !
Chiens d’électeurs ! Pauvre de moi !
*
Mon Dieu (ou autre chose)
Qu’est-ce que ceci ?
Un caillou poli par le temps
Ou plutôt
Par ce qui le compose.
Le soleil était haut.
Sous les arbres je suais.
Et voilà qu’un galet,
Tout rempli de secondes,
M’arrête et me prend l’âme
Comme le ferait une fille
De mon désir.
Je m’assois au bord
D’une murette chaude.
Je suis seul en ce lieu.
L’herbe sent bon
La coupe fraîche.
La brise flatte ma nuque.
Je me sens poète
Jusqu’à la soif.
Mais le galet n’en est pas un.
C’est un morceau de ciment.
Pourtant, j’y vois encore
Deux yeux qui me contemplent,
Moi,
Création et créateur.
Ce morceau de moi-même,
De tous et de moi-même,
Par la rime et le rythme,
Fait de moi son auteur
Unique.
Je ne le jetterai plus
Dans l’eau de la rivière
Comme je le faisais
Lorsque je n’étais
Qu’un enfant.
À moi la Poésie !
*
« Je veux m’ach’ter
D’la Poésie !
D’la Poésie
Pas chère et même
Pas difficile
A s’faire dessus !
Je suis Poète !
J’aim’ les voitures !
Ah ! J’aime tout
Ce qui s’achète !
C’est vrai que j’en
Ai les moyens.
J’suis fonctionnaire
Jusqu’à la mort.
P’t’êt’ que si j’ai
L’Inspiration,
Marianne et pis
La République
Reconnaîtront
Finalement
Qu’ j’ai du talent
Et du bol !
Je suis Poète
En Poésie !
J’achète tout
Et je pay’ bien !
En plus j’ai pas peur
D’la télé
Ni des médaill’ en chocolat.
Je suis le futur
De la France !
Qu’est-c’ que je dis ?
Du monde entier
Que je suis votre lendemain.
Allez zenfants !
Jetez l’papier !
Plus c’est d’la merde
Et plus je m’sens
En état de boucher un coin
A ceux qui compliquent les choses
Au point qu’on n’y comprend plus rien.
Place au Poète !
Au vrai, à moi !
J’en ai des choses
Que si j’ les dis
Vous n’en croirez
Pas vos oreilles !
Viv’ la Musique
Qui s’ laisse entendre ! »
*
Mon voisin
Écrit de la Poésie.
Il a acheté le papier
Pour que ça ressemble déjà
A un livre.
« Vous qui êtes poète
(il le dit avec un petit pet)
Vous savez bien
De qui je parle.
Alors lisez !
C’est dans un livre.
Payez ce que
J’n’ai pas payé ! »
Ça l’fait marrer
D’être payé
A ne rien faire,
A tout avoir
Avec en prime
Non seulement
Des vacance’
Et des soins dentaires,
Mais avec en plus
De ces vers
Que si c’était
Par les trous d’nez
Qu’ça lui sortait,
La vérité
S’rait connue d’tous !
Mais c’est pas l’cas,
Mon bon monsieur
Qui me lisez
Avec l’œil gauche
Pendant que l’droit
Lorgne un emploi
D’gouvernement.
Ah ! je déprime,
Je me suicide.
J’existe plus !
J’suis déjà mort !
Pourquoi que je
Suis un poète
Parmi les poète’
Et les autres ?
Si je m’étais
Fait fonctionnaire
Je le saurais
Et j’en dirais
RIEN !
*
Caca d’oiseau
Quand il fait beau.
Pipi de chat
Quand ça va pas !
J’ai le chat et l’oiseau,
La cage et la litière.
J’ai de quoi ne pas vivre seul.
Je me regarde à la fenêtre.
Il fait soleil ou il fait beau.
Horace cligne de son œil.
Pline recueille dans un seau
Les larmes de Catulle en deuil.
J’ai les livres, vers et prose.
Et j’aime la lecture.
Je suis fait pour vivre
Chaque instant comme il vient.
Caca, pipi, soleil et pluie.
Chat, oiseau, livre, fenêtre, moi.
Je buvais seul dans mon seul verre.
Et vous avez tout oublié.
*
Je suis d’accord avec vous,
Fascistes de tous poils !
Je suis presque blanc
Et pas du tout catholique.
Donc, je ne suis pas français
Comme vous l’êtes
Et c’est tant pis pour vous.
Je suis ce que je suis.
Dieu n’en sait rien.
Et c’est tant mieux pour lui,
Parce qu’à force
De ne pas exister
Il n’a plus droit à la parole
Sur la terre des hommes.
Sur celle des fascistes,
A poil dur, à poil mou,
Dieu sait tout ce qu’il sait,
Blanc de peau, bras en croix.
Je ne suis pas français
Et je suis fier de ne pas l’être.
Mais c’est ici que je vis.
C’est ici que j’existe
Et que je me reproduis.
Par la queue et par le texte,
Je donne des enfants à la patrie.
Attention, c’est du sang !
N’en mettez pas partout,
O fasciste’ à quatre pattes,
Catholique’ encore vierges,
Sans couleur et sans raison
D’exister et de puer.
C’est ici que je respire
Et c’est mon air qui vous anime.
Goutez plutôt à ma cuisine.
Mais ne me tournez pas le dos.
Quand j’encule je déchire.
*
Les bourgeois volent haut,
Mais c’est pour échapper
A la justice des hommes.
Les autres ne volent pas,
Ou juste un petit peu
Pour ne pas mourir de faim,
De guerre, de honte, de dépit.
Ici-bas, point de rencontre
Entre le savoir et la sagesse.
Il te reste le geste
Et tu l’associes à la parole.
Tu mourras comme tout le monde,
La tête pleine des rêves
De bonheur et de vengeance.
Je te connais, va !
J’ai tellement appris…
De moi-même, surtout des autres.
Les carreaux de ma fenêtre
Essuient mes larmes d’enfant.
*
Nous sommes tout,
Soyons rien.
Mieux vaut un pessimiste
Qu’un optimiste déçu.
Le chagrin ne tue pas.
Le désespoir détruit.
Faut-il tuer le mal dans l’œuf ?
Détruire le gai partant ?
Qui lèvera la main
Sur ce joyeux mais court
Voyageur provisoire ?
Le Ténébreux ne tue personne.
Il observe de sa fenêtre
Les spectacles de la joie
Sur la ligne de départ.
L’horizon est bouché.
La route bordée de lampions
Et de tous les signes
De l’attente qui ne sait pas
Qu’il n’y a rien à attendre.
Il n’y a pas de poésie.
Il n’y a que des poètes.
Et personne pour les tuer
Avant la fin du spectacle.
Le Ténébreux y pense,
Mais les jours se ressemblent.
Même que dans son cas,
Ils ressemblent à la nuit.
*
Mon voisin
A trouvé un trésor
Dans son jardin.
Pas un cri.
Pas un bruit.
En un saut,
Il était chez lui,
Serrant contre son sein
L’or rutilant et beau.
Je n’ai jamais
trouvé de trésor.
Ce n’est pas faute
D’avoir cherché.
Dans mon jardin
Et ailleurs.
Voilà comment
Je justifie
Mes voyages.
Le temps
Marche devant moi.
Pas un signe
De bonheur.
Il ne pousse rien.
Je le suis.
Sous mes pas,
Point de trésor.
Des idées
En veux-tu en voilà !
Je n’en manque pas.
Elles valent mieux
Que mes secondes,
Mais est-ce là
Le trésor que je cherche ?
Je n’ai plus l’âge
d’y penser, hélas.
*
Vous n’allez pas me croire,
Mais cet or n’en était pas.
Je suis rentré chez moi.
Heureusement qu’il n’y a pas
De métro dans ma ville.
À Paris, j’ai croisé d’autres gens,
Mais ici, chez moi, je reviens seul.
À part une fenêtre et un lit
Qui sert de table et de chien,
Je ne possède rien d’aussi doré
Que l’or que j’avais cru trouver,
Ce jour-là, loin de Paris
Et des gens qu’il faut croiser
Pour ne pas les connaître.
Mon voisin est plus riche que moi.
Il n’a jamais pris le métro.
Il ne connaît pas Paris, la Tour,
La Présidence, les hélicoptères
Ni la valse à quatre temps.
On se regarde en chien de faïence
A travers le carreau qui limite
Nos existences à la question
De savoir qui est riche et qui
Ne l’est pas, ne le sera jamais.
Mais nous avons un bien commun :
Cette haie qui scinde la terre
Sous nos pieds pas pressés
D’arriver le premier chez Persil.
À son doigt l’or scintille.
Mes pieds sont douloureux.
Je m’en vais trop souvent
A Paris pour voyager moi aussi
En métropolitain sans bijoux.
*
Au diable la science !
Je peux mourir jeune.
Au diable la morale
Et vive le printemps !
Ya pas à dire
Il faut agir !
Et tant pis
Si c’est pas beau !
Beau comme un dieu
Ou une déesse si le sexe
(et non pas le mariage)
S’associe aux croyances
Et à la mort soucieuse
De bien faire et de faire
Pour que nous existions
Ensemble et à jamais.
J’y pensais
Quand mon voisin
(que vous connaissez
Bien
Maintenant que vous me connaissez
Mieux)
M’a montré l’or
Que sa terre enfanta
Un jour de fin d’été.
Creusez vous aussi,
Me dit-il sans ironie.
Moi je creuse encore,
Redit-il en jouant
Avec les reflets d’or
Dans mon œil
Façon allumette
Qu’on craque
Dans le noir
Des rues
Et des chambres obscures.
Je ne creuse pas.
Je marche dessus, peut-être.
Je marche partout
Où l’or peut se trouver,
S’inventer comme disent
Les chasseurs
Du voisinage.
Avant, j’avais une dent
En or.
Je l’ai vendue
Pour m’acheter
Une part de silence.
Point de science
Ni de leçons.
Les limites de mon jardin
Sont les vôtres
Et vous ne le savez pas.
*
C’est beau,
Je ne le nie pas.
Mais ça ne me rend pas
Heureux.
Je n’y peux rien.
Vous non plus.
Ce qui ne nous empêche pas
D’être voisins.
Si on compare nos jardins,
Ils se ressemblent,
Même si le vôtre
Est plus et mieux
Cultivé.
On y trouve même
De l’or,
Dites-vous.
Et vous me montrez l’or
Refondu.
Je rentre chez moi
Avec ce reflet
Au fond de l’œil.
C’est aussi beau
Que n’importe quoi.
Je le reconnais volontiers !
Mais je n’y vois pas
Une trace de bonheur.
Même mon propre reflet
Ne m’inspire rien
Qui y ressemble
De près ou de loin.
Quittons-nous
Sur cette approche
De l’attente
Qui n’attend rien.
*
On a tué mon voisin.
On l’a tué dans l’œuf.
Il n’y croit pas lui-même.
Pourtant il est tué.
Et depuis si longtemps
Qu’il faut croire
Qu’il n’est plus que la momie
De ce qu’il a été
Avant de se mettre à rêver
Comme les autres.
Mais à quoi bon en parler ?
Là, à l’ombre et à l’abri,
Buvons plutôt ce qui se boit
D’un commun accord.
Les insectes de tous poils
S’accrochent aux trapèzes
De nos pensées fugaces.
Une fleur d’hortensia
Se froisse comme du papier.
Le buisson de lierre s’agite.
On y vit son existence
Comme tout le monde.
Personne ne m’a tué.
Je n’ai pas eu cette chance.
*
La femme de mon voisin
Est une femme
Comme les autres.
Elle est mariée
Selon les principes
De la République
Et les valeurs
De l’Église.
Que fait-elle
De ses morts ?
À vrai dire
Je n’en sais rien.
Nous n’en parlons pas.
On se contente,
Elle et moi,
De tromper le temps
Et tout ce qui peut
Se tromper.
Nous n’avons pas
De projet
Autre que le lendemain
Et la nouveauté
Encore possible
A l’angle du plaisir.
Chaque jour,
Je passe du temps
A effacer nos traces.
Temps qu’elle gagne
Sur moi
Et sur ce qu’elle change.
Ma voisine change aussi
Les vers de ma poésie
En mouches qui m’asticotent.
*
Jésus Christ s’est branlé jusqu’à l’âge de 33 ans.
Passé cet âge, il s’est crucifié entre les jambes de sa mère.
Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas !
Ce qu’on s’emmerde !
Et pour des riens,
Mon bon monsieur !
Mahomet s’est branlé jusqu’à la mort.
A la fin, y avait plus personne pour en rire.
Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas !
Ce qu’on s’emmerde !
Et pour des riens,
Mon bon monsieur !
Bouddha n’avait pas de quoi se branler.
Il a fait autre chose.
Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas !
Ce qu’on s’emmerde !
Et pour des riens,
Mon bon monsieur !
Et puis des Marx, des Duce et des Guides !
Tous des branleurs en vase clos !
Voilà le résultat !
Ah ! C’qu’on n’vit pas !
Ce qu’on s’emmerde !
Et pour des riens,
Mon bon monsieur !
Et puis ya moi que je caresse.
Dans l’sens du poil parce que je m’aime.
Sans résultat !
*
Une haie de jasmin au printemps
Et en fleur,
C’est tout ce qui nous sépare.
Je saute, tu sautes,
Et le printemps se finit.
L’été n’aime pas les fleurs.
On se nourrit de feuilles.
Des fois je me demande
Si je t’aime vraiment.
*
Expansion, contraction.
Je ressemble de près
A l’univers, à l’infini.
— Mais si j’en suis l’image,
La métaphore, le reflet,
Je n’ai rien à voir avec les autres.
Je ne veux pas leur ressembler.
— Mais est-ce possible
D’imposer ma volonté
A cette nuée qui ne sait pas
Que j’existe ?
Il y a toi, peut-être.
— Mais 1 plus 1
Ne fera jamais un.
Je suis fait
Pour le plaisir solitaire.
*
On est allé en vacances
Au pays des vacances
Et des retours moroses.
On n’en revient jamais.
Fallait pas y aller.
*
Qui qu’je vois
Si c’est pas Yorick
En personne ?
Il y a une femme
Dans sa poche.
Elle connaîtra la pluie
Et les jardins anglais.
Elle aura des enfants
Et un mari charmant.
Un’ place au Paradis,
Un avenir sans nom.
Du coup Yorick et moi,
On se sépare au bord
De la route en lacets.
Moi aussi je connais
Un pays plein de femmes,
De promesses, de désirs.
Mais ça fait loin d’chez moi.
Et puis je suis pas sûr
Que Bobonn’ soit d’accord
Pour que je chang’ sa vie !
*
Faites des vers.
Mais c’est pas eux
Qui vous feront.
On a ça dans la peau.
On peut pas naître sans.
Bon,
Ya du meilleur
Et du pire
Dans les réseaux.
On n’se reconnaît plus.
On sait plus qui est qui.
La Poésie
C’est l’aventure
Au pied du lit.
*
Mon voisin aime les boutons.
Les boutons de sa femme,
Ceux de son pantalon,
Boutons de la cuisine
Et de l’ordinateur.
Mais celui qui pousse
Dans son dos
Menace son existence.
Il l’aime aussi,
Même si la question
De savoir
Si Dieu existe
Se pose maintenant
Sans lui.
*
Tous les pets se ressemblent.
Ils supportent la comparaison.
L’existence est remplie
De choses qui se ressemblent,
A commencer par les gouttes d’eau,
Comme tout le monde le sait.
Inutile de chercher
A ne pas faire
Comme les autres.
On a le souci du détail,
Mais pas à ce point.
*
Compte les vers, compte les pieds !
Et compte là-dessus.
N’est pas poète qui veut.
Mais tout le monde veut,
Ce qui complique l’existence
Du lecteur qui passe par là.
Compte les sous, compte les prix !
Et compte sur toi-même.
N’est pas riche qui peut.
Le lecteur qui passe par là
En sait plus que toi-même
Sur ce sujet délicat.
Compte les morts, compte les dieux !
Et compte sur la chance.
N’est pas vivant qui vit.
En passant par là le lecteur
Se demande pourquoi il lit.
Personnage qui se fait rare.
*
Nous n’avons pas d’enfants.
Nous nous reproduisons,
Mais tout s’achève avec nous.
J’aimerais être cette eau
Qui coule dans le lit
De ton ruisseau.
Sur le coussin tes cheveux
Se laissent emporter par le vent
Qui nourrit le rivage.
Voici tes mains,
Ce qu’elles contiennent.
Nous n’avons jamais été plus seuls.
Nous ne rêvons pas non plus.
Les fleurs ne sont pas des fleurs.
Promenons-nous dans les bois.
*
Qui lit ! Qui lit !
Ça me chatouille !
Les doigts du monde
Entre mes côtes
Trouvent de quoi
Me faire rire.
Qui lit ! Qui lit !
Je reviendrai
Avec des livres.
Rire me fait
Du bien et même
Bien d’autres choses.
Qui lit ! Qui lit !
Je fais des vers
Et je les vends
A qui sait lire
Comme les doigts
De l’existence.
Qui lit ! Qui lit !
Mais rien ne dure
Aussi longtemps
Qu’ l’ désespoir.
Chatouillez-moi
Ô doigts des reins !
*
J’ai beau faire,
Ni pédé, ni fayot,
Pas même gigolo,
Je suis complice
De Papa.
Chacun dans son lopin
Et Papa dans le ciel.
Chaque fois qu’un fana,
Un mordu, un déçu
Se met fin ou met fin,
Alors là j’ai conscience
D’être fils à Papa.
Dieu, État, Religion,
Papa sème la terreur
Comme je chie quand je pense
A le refaire dans mon slip.
Ya des limites, oui, mais où ?
A part chez Papa et Maman.
Papa l’État, Maman la France.
Ya plus d’soleil
Là où j’habite
Et pourtant je suis seul.
N’y voyez pas contradiction.
Les mots ne seront jamais rien
Tant que je n’aurai pas agi.
Tuer soi-même ou son prochain,
Sans raison et sans guerre…
Faut s’lever tôt pour y croire.
Mais nous sommes ainsi faits :
Coincés entre deux limites
Qui se rejoignent
Dans l’infini :
La mort et cette autre putain,
La société : je me demande
Si c’est pas moi que j’vais tuer.
*
Ah ! c’que j’aimerai
Être anarchiste.
Un vrai de vrai
Avec des dents
Et puis des bombes.
Mais j’suis fayot
Dans le service,
Triste complice
Dans la fonction.
J’ai des vacances
Et du galon.
J’ai un’ famille
Et des enfants.
J’ai la maison
Et la bagnole.
J’ai tout c’qui faut
Pour être heureux.
Mais c’était pas heureux que j’voulais être.
C’était poète comme mon vieux.
Il est trop tard et c’est tant mieux
Parce que je suis pas tout seul.
Vive l’anarchie en bouteille !
*
Mon voisin est mort tout seul.
Je change de voisin.
Peut-être de jardin,
Car le mien est en friches.
C’est le cœur qui a lâché.
Il n’y était pas.
On a beau être mauvais,
Ça ne dure pas.
Et puis ça fatigue.
La preuve il en est mort.
Ses mimosas tournent de l’œil.
Ses figues se donnent aux oiseaux.
J’irai à l’enterrement
Avec un bouquet de fleurs des champs.
Ma voisine s’en va,
Mais pas au même endroit.
Elle a encore envie de vivre.
Mais c’est sans moi qu’elle vivra.
Ah ! ce que j’vais me sentir seul !
*
Ce n’est pas que je peux
Me passer des autres,
Mais si je peux, je les évite.
Mon jardin est une exception
Que je montre en exemple.
Je mesure mes impressions
Et j’en fais des poèmes.
Au diable doute et conviction !
Je ne suis pas philosophe.
Je suis poète à mes heures.
Je vous salue de mon portail,
Vous qui passez dans ma rue.
Je connais même des histoires
Pour meubler la conversation.
Ce n’est pas que vous soyez cons,
Mais je ne le suis pas.
Vous ne saurez jamais exactement
Ce qui se passe dans mes murs.
Et si je ne deviens pas célèbre,
Vous ne chercherez pas plus loin.
Je me passe de vous,
De vos enfants, de vos maisons.
Et la nature me le rend bien.
Allez au diable et à Vauvert !
Et passez dans ma rue
Si ça vous chante.
Je vous salue en personnage.
*
C’est pas demain
Que je suis mort.
C’était hier.
Vous m’aimiez pourtant.
Mais l’aujourd’hui a un sens
Que vous ne connaissez pas,
O amoureuse de moi.
*
Rien n’est plus comme avant,
Dites-vous alors
Que je n’entends plus rien.
Je suis devenu sourd.
Je n’aime plus la langue.
Plus les couleurs,
Plus la musique.
J’aime l’infini.
Je suis devenu fou
En devenant sourd.
Et pourtant vous me parlez.
Vous parlez du lendemain.
De la recherche du bonheur
Et même du temps perdu,
Forcément retrouvé
A la fin.
Sinon à quoi bon ?
Mais tout a changé
Autour de vous.
Même moi j’ai changé
A vos yeux.
Dans ces conditions,
Vous êtes bien la seule
A ressembler encore
A ce que vous étiez.
*
Cet enfant est à nous ?
La preuve s’il vous plaît !
Certes nous parlons la même langue.
Mais un enfant, allons voyons !
Certes nous avons couché ensemble.
Mais pas dans le même lit.
Je ne suis pas celui que vous croyez
Être vôtre et tout ouïe !
*
Les gens criaient.
Les gens saignaient.
Ils couraient
Ou gisaient.
Mais je n’ai rien entendu.
J’étais là et pourtant
Je ne suis pas témoin.
Le plaisir, peut-être.
La distance
Qui me sépare d’eux.
De leurs disputes,
De leurs combats.
De leurs enfants.
De leurs chansons.
J’ai de l’humour.
Ah ! je n’en manque pas !
Mais déconner au point
De verser une larme
Sur leur cadavre,
Leurs blessures…
Ce n’est pas un poème.
Alors je m’en passe.
Et je referme ma fenêtre.
Le spectacle est terminé.
D’ailleurs vous recommencerez.
Mais je ne serais plus là
Pour observer votre douleur
Et apprécier vos cris
A l’aulne de la vengeance.
On ne joue plus !
Je suis de retour chez moi !
Ah ! Foi de poète,
Ce n’est pas trop tôt !
Je commençais
A me manquer !
*
Mon voisin n’est pas mort.
Ma voisine ne partira pas
Après l’enterrement.
Le chien s’est couché
Sur le paillasson gris.
Et l’ambulance est repartie.
On est rentré,
Le chien et moi.
Il ne se passera rien
Tant que mon voisin
Ne sera pas mort.
Il faut qu’elle parte !
*
C’est ma voisine qui est morte.
Il ne l’a pas tuée.
Elle n’est pas morte assassinée.
On sera deux maintenant.
Et on n’aura
Rien d’autre à faire.
Si une femme
Doit exister,
C’est peut-être chez moi
Qu’elle habitera.
On aura inversé
Le cours du temps
Et des bonnes manières.
Et je l’assassinerai peut-être.
Qui sait ce qui peut se passer
Entre voisins…
*
C’est la fête chez mon voisin.
Réunion de domestiques.
La monarchie républicaine
Trinque sur le dos des autres.
Comme je suis visible
A travers la haie,
Car c’est l’été
Et la sécheresse s’active
Du matin au soir
Et dans mes rêves,
On m’invite à partager
La bonne humeur
Qui est de rigueur
En ces temps de vénalités
En tous genres.
Je franchis la limite,
Langue dehors
Car je suis poète
Si l’heure le veut.
Et nous en arrivons au fait :
Est-ce que je participe
A l’effort national
En écrivant des poèmes
Que personne n’a lus,
Sauf mon voisin
Qui en sait quelque chose ?
Il s’interpose, couperosé.
Il répond à ma place.
Il en connaît un rayon
Sur ce que je suis,
Ce que je possède
Et ce que je pourrais,
Avec un peu de chance
Et de bonne volonté,
Paraître aux yeux de tous.
Tous, c’est nous ou c’est eux
Selon le point de vue
Qui affecte mes transitions
Quand je sors de chez moi.
Je reviens saoul, heureux
De n’avoir pas été compris.
J’aime ma solitude
Et je lui fais des enfants.
Je suis un bon père de famille.
Ne me lisez pas,
Passez votre chemin
Et si jamais vous m’invitez
A partager votre sort
De fayots, de mouchards,
Invitez aussi mon voisin.
Il a tout compris, je crois…
*
Bien sûr que je m’émerveille
Devant le spectacle
D’une fleur
Ou d’un fruit !
Vous me verriez même,
Si vous m’aimiez
Comme je vous aime,
A genoux devant
L’églantier
Ou le figuier.
Dans le soleil
Ou sous la pluie.
Par temps de neige,
D’orage,
De vent.
Et je trouve les mots.
Je les invente.
Je n’imite personne.
Je ne suis même pas
Le reflet de moi-même.
Mais si vous m’aimiez
Un peu,
Je saurais vous ressembler.
Et vous et moi,
Nus et joyeux,
Nous mettrions genoux en terre
Pour saluer notre commune nature.
*
Poètes… poètes…
C’est vite dit !
Certes vous rimez.
Ou si la paresse
Vous a gagnés,
Vous vous adonnez
Aux facilités
Du vers-librisme.
Si je suis poète,
Vous ne l’êtes pas.
Et si vous l’êtes,
Je ne suis plus rien.
Vous comprenez maintenant
Que c’est votre mort
Que je demande
A mes poèmes…
*
Même la guerre,
Atroce et dense,
N’a rien changé
Aux habitudes.
Nous nous donnons
Et nous prions
Pour que l’argent
Demeure seul
Décisionnaire.
Comment renaître,
O vain poète,
De ce bas-fond ?
La langue est morte
Et nous avec.
Divin spectacle
Qui recommence
Chaque fois que
Cet enfant naît.
*
Mon voisin, que vous connaissez,
A attendu d’avoir cent ans
Avant de se rendre compte
Que son seul fils était poète.
Mais le père a vécu
Plus longtemps que le fils.
Ainsi s’est perdue cette poésie.
Comme je suis poète moi aussi
Et que mon père est mort avant moi,
Je n’ai pas rencontré le fils de mon voisin.
Je n’ai pas même su qu’il existait
En même temps que moi.
Vous allez trouver cette histoire
Sans intérêt pour la science
De notre temps et de nos mœurs.
Je vous accorde que moi-même
N’y trouve pas de quoi conter.
Et je ne chante pas non plus.
Je ne sais pas ce que je fais.
Mon voisin est mort à l’âge
De cent un ans et des poussières.
Je suis encore vivant et poète
Quand l’heure sonne au campanile.
Je veux vivre aussi longtemps
Que l’homme sur la terre
Sera doué de la parole.
Je ne veux pas mourir
En fils indigne de son père.
Cette histoire au fond n’a pas de sens.
Je la rumine depuis des décennies.
Je m’en nourris, je l’alimente.
Mais rien n’avance et je m’enfonce
Dans la terreur, la nuit, le noir.
*
« La peau d’un homme
Vaut la peau de l’ours.
Et que l’homme impeccable
Meure pour la patrie !
Reste que je suis né
Dans un monde de cloportes.
Pas facile l’existence
Dans ces conditions définitives.
Le fer a tout écrit
Dans ma pauvre chair d’enfant.
Je me lis tous les jours.
Et j’additionne les retours.
Je n’en vis pas trop mal.
Je conserve juste assez de conscience
Pour ne pas perdre le nord.
Sinon « je m’arsouille de vers »
Dit le poète en sa jeunesse.
Vers-vin, vers-femme,
Vers-sommeil, vers-dieu,
Vers-ok, vers domestique
Au plafond d’église,
De mosquée, d’autres temples.
En plus je suis fidèle.
On peut compter sur moi,
A moins que l’ennemi
(il y a toujours un ennemi)
Me vende avant de m’avoir tué. »
*
Ensuite le poète en peau d’ours
M’abandonne à mes recherches de creuseur
De tunnels, d’autres trous, de pensées.
J’aime bien retrouver ma solitude
Après de pareilles rencontres
Avec le nerf social, superstition
Du droit et soumissions aveugles.
Un spectacle est un spectacle,
Comme l’art c’est l’art et l’amour rien.
Je ne suis que l’occupant de ma fenêtre.
Je suis constant dans mes pratiques.
A vrai dire je n’ai pas changé.
Mon enfance est mon seul âge.
Vous ne m’oublierez car je n’existe pas.
*
En poésie comme ailleurs d’ailleurs
La couleur de la peau ne change rien.
Mais si vous faites la différence
Par exemple entre un ours et une couille,
Vous avez alors l’occasion de mesurer
La peau que le poète a revêtue
Comme Hercule au temps de la lyre.
La peau du poète c’est son existence
Ou non de poète ou d’imposteur.
La peau n’a rien à voir avec la couleur.
Surtout s’il s’agit de reconnaître le poète.
La peau se caresse avant toute chose,
Dans le sens du poil ou pour faire mal.
Si le poète ne se réveille pas, il dort
D’un autre sommeil que l’anesthésie.
Peau-drapeau, peau-tapis, paillassons
Et cadavres, voyagez si vous voulez
Faire des trous comme tout le monde.
Mais si la poésie vous tend les bras,
Muez comme le serpent dans les branches
De l’arbre sans pommes, sans femme
Et sans vérité donnée d’avance
Par les faux-culs, les grimaciers, les demi-dieux.
*
Quel sens donner
A ce qui n’en a
Peut-être pas ?
Et pourquoi le donner ?
Est-ce ainsi
Qu’on écrit
De la poésie ?
On invente
Des idées
Alors que ma nature
Me pousse
A créer des médiums.
Personnage qui entrez,
N’ouvrez pas la porte !
Merci !
*
Vous en parlez savamment
Quand vous aurez tué quelqu’un.
Et pas en rêve s’il vous plaît !
Tuez quelqu’un de vrai, de vivant.
Pas un mort de votre imagination.
Il n’y a que la vérité qui compte.
Tuez-moi si le cœur vous en dit.
Une fois mort, on me lira peut-être…
***
« En fait, me dit le chien,
Renaud Alixte c’est moi.
Nano est un sobriquet.
— Un sot briquet… ?
Je ne comprends pas…
— Il n’y a rien à comprendre.
Ça a toujours été comme ça.
On m’appelle Nano
A cause de ma taille.
Eh ! Nano ! Viens ici.
Ou fous le camp, c’est selon.
Je suis un chien de poète.
Je n’ai jamais été autre chose.
Je ne suis doué que pour ça.
— Mais Papa… ? enfin… Jéhan ?
— Je l’encule deux fois par jour.
Je suis aussi fait pour ça.
Je n’y peux rien.
J’ai pas choisi.
Je suis un chien.
Papa aussi.
— Papa un chien !
Ah ! Je m’étonne !
Et moi alors
Qu’est-ce que je suis ?
— Un petit con, »
Grogne le chien
En me mordant.
Aussitôt, comme promis,
Moïse refait surface et le voilà
Brandissant la table des Lois.
« Que tu aboies,
C’est déjà trop,
Mais mordre non !
C’est un marmot ! »
Moi, le fils de personne !
Un marmot
En maillot ?
Les oreilles battues
Comme nuit au soleil
Par cette poésie-aboiement ?
« Faudra t’y faire, dit Moïse
En rongeant le frein de son prépuce.
Jéhan et son chien
Ça n’a jamais fait deux.
Un non plus par ailleurs.
Ah ! tu ne sais pas tout ! »
Et il disparaît de nouveau.
« Il est fait pour ça, dit le chien.
Mords-moi si tu veux
Te réveiller de mon sommeil. »
Ça devenait compliqué,
L’amour à trois.
Mais on était deux pour le moment.
C’était plus simple en attendant
Le retour de Jéhan.
Le retour d’où ?
Je savais pas.
Le chien non plus.
Qui le savait ?
Moïse donc
Réapparut.
« Il est à Los Angeles,
Dit-il en agitant
Le fac-similé
Du billet.
— Ah ! Pourquoi tant de mystère ?
Me plaignis-je en grimaçant.
— Ya pas d’ mystère !
C’est même clair !
Il reviendra tôt ou tard.
C’est long ce genre de changement ! »
Je m’étonnai de grimacer :
« Il va changer ?
De peau, de quoi ?
— De sexe, idiot ! »
Moi un marmot
Dans un maillot
En plus idiot !
« Il en rêve depuis si longtemps… ! »
Aboya le chien de poète
Qui était aussi un poète à ses heures.
N’ayant plus rien à ajouter,
Moïse disparut sans laisser de traces.
Le chien prit son air résigné :
« Tu auras une maman
Et moi une femme,
Dit-il sans rire.
— Ça en fait, des changements ! »
Mais le chien restait chien
Et moi j’avais encore le temps
De devenir un homme ou une femme.
« Elle s’appellera Jéhanne,
Dit la voix de Moïse
Qui sortait de la tombe.
— Jéhanne de France, c’est joli,
Fis-je en me dandinant,
Plus joli que Jéhan Babelin !
— Oui mais ça ne veut plus rien dire ! »
S’écria le chien sans aboyer.
Il avait l’air malheureux, ce chien.
Il aimait les femmes,
Mais pas à ce point !
Et moi je demeurais toujours
L’orphelin de la famille.
Rien n’avait vraiment changé,
Il fallait le reconnaître.
Même Moïse le reconnaissait.
Sa voix sortait de la tombe.
Elle conseillait de ne pas se laisser prendre
Aux pièges de la logique appliquée
Aux changements de sexe et de pays.
Le chien fit basculer le lourd couvercle
Sur le trou noir de la tombe.
Un bruit épouvantable
Secoua la maison.
« Nous sommes …hou !
Hurlait la voix profonde
De Moïse aux enfers.
Le marbre dur se fissurait.
C’est un beau marbre rose de Macael,
Vieux souvenirs d’un lointain voyage.
Des racines remontaient des profondeurs.
Le chien recula dans la cuisine.
Il y avait longtemps
Qu’il ne suivait plus personne.
Et je ne savais rien
De la domesticité.
« Une femme à la maison,
Disait-il en se mordant la langue,
Ça peut servir à quelque chose,
Comme l’art des Tarahumaras.
D’ailleurs que suis-je moi-même ?
Chien de sa chienne ou chienne en rut ?
Personne jamais ne le saura.
Pas même toi, petit enfant
Qui n’a de sexe que ton cul.
En attendant le retour d’Ulysse,
Prenons le temps de nous connaître.
— Je ne te dirais pas mon nom ! »
Je n’avais jamais dit ça à un chien.
J’ignorais tout des conséquences
D’un pareil propos sur ma nature.
« Le fils de personne n’a pas de nom,
Reconnut calmement le chien.
Aussi ne te nommerai-je pas.
Voyons ce que ta langue
Connaît de mon plaisir. »
L’œil dans la tombe nous regardait,
Mais le silence était total.
Enfin le jet monta au ciel
Car nous étions dans le jardin.
L’arbre reçut salive et sperme
Sur sa seule feuille blanche,
Désespérément blanche.
Et une goutte retomba
Dans la tombe d’en bas.
« Quelle stérilité ! grogna le chien
Sans toutefois se laisser aller
A aboyer comme son inspiration
Le conseillait à sa mémoire.
Innommable, dit le chien revenu
De son angoisse et de sa mort,
Mettons que ton père ne soit personne
Et que par conséquent
Il n’est pas improbable
De penser que tu es le fils de ta mère.
Alors qui suis-je si je suis un chien ? »
Moïse frappa l’intérieur de la tombe
Et sa langue prit le chemin d’une fissure
A la place de son œil inadmissible.
« Ne compliquez pas les choses, les amis,
Conseilla-t-il d’une voix prudente.
On ne peut pas vous laisser seuls.
Il ou elle le savait et pourtant !
Voilà le chien et l’enfant face à face.
Face de cul ! Face de langue !
Je n’en peux plus de vous écouter !
Il le savait ! Elle le savait !
Et il ou elle est allé(e) à Los Angeles !
Je crains le pire, foi d’animal ! »
Le chien savait ce que je ne savais pas,
Voilà ce que voulait me dire Moïse.
Mais la tombe était profonde
Et épais étaient ses murs de marbre.
Le chien chiait dans les fissures
Et bientôt la voix de Moïse
Se transforma en ruisseau
Dans l’épais cresson du sens.
Cette fois j’étais seul face au chien.
Il était juché sur la croix de la tombe,
L’inri entre les fesses
Et les bras croisés
Sur sa poitrine velue.
Il dit :
« Si je suis chienne, j’enfanterai.
Mais si tu es femme, ô enfant,
Tu porteras toutes mes naissances ! »
Il leva alors son verre et but.
Je reçus une goutte et l’avalai,
Ce qui me fit tourner la tête.
Je posai mon petit cucul
Sur la racine morte et émergente
D’un arbre tombé mort dans la broussaille.
Le chien inspira profondément.
Il décroisa ses bras et les leva.
Il touchait le ciel de ses ongles.
Et de ces griffures exsangues
Sortit le pus de sa blessure.
Le premier mot ne venait pas.
Il montra ses crocs blancs
Puis l’or de son palais.
Le trou de sa gorge flambait
Comme roulette au casino.
« Renaud Alixte que je fus,
Aboya-t-il sans retenue,
Est mort en moi.
Je n’ai plus rien à dire.
Désolé(e), petit(e) ! »
Et il se laissa glisser
Sur le marbre pentu
Que les feuilles encore
Humidifiait de sa semence.
Il déboucha une bouteille
Et but à même le goulot.
« J’étais poète et je suis chien,
Ânonna-t-il dans son verre.
Tu as entendu de quoi
Je fus capable en mon temps,
Du temps que j’étais homme
Ou femme je ne sais plus
Ce que j’étais quand je l’étais,
Poète enfant et vieux à la fois.
Je ne peux plus rien te promettre.
Va-t-en si tu ne veux pas attendre.
Ou reste si tu prétends savoir. »
Je poussai le portail en pleurant.
Je n’étais peut-être pas un enfant.
La rue grouillait d’hommes et de femmes.
Les métiers s’ajoutaient aux métiers.
Je traversais de muettes géométries.
Pas d’horizon, aucun espoir de fuite.
Curieuses couleurs des visages.
Les mains me touchaient au passage.
Jamais je n’avais voyagé aussi loin.
Et on me prenait pour un témoin,
Sycophante du vers-librisme.
Le chien ne me suivait pas.
J’avançais parce qu’on me poussait.
Le foirail foisonnait d’inventions.
Je n’avais pas assez bu cependant
Et je me voyais me voir comme elle.
Exactement au même endroit de ma saveur.
Des bouffonneries m’arrachèrent à la réalité.
Je montais sur la scène avec les autres,
L’esprit non pas aux abois comme d’habitude,
Mais ravi par d’autres preneurs d’otages.
Ô ravisseurs d’enfants sommaires,
De qui êtes-vous les pères
Si vos femmes ne sont pas des filles ?
Elles arpentaient le long des murs,
Lâchant les mots de circonstances,
La clope au bec et le sein haut.
Pas de fenêtres dans cette rue.
Pas de porte non plus.
On n’entre pas. On ne sort pas.
La chaussée était mouillée
Et l’éclairage fantastique.
Je croisais d’autres chiens errants,
Se croyant chiens, ne croyant pas.
Ah ! fumer déjà à cet âge !
Et la fumée montait au ciel
Des trottoirs ruisselant d’extases.
Pas un ami pour en pleurer !
Je frottais mon dos aux murs.
Verges tendues comme à l’église,
Langues pendues pour mieux se vendre.
Les mots me tombaient dessus,
Pluie intermittente des orages
Sans ciel ni perspective circulaire.
J’appelai Laforgue à mon secours.
Il ne vint pas à ma rencontre.
Ils agonisaient tous dans les bouches,
Couverts de feuilles mortes
Et de bulles de graisse et de savon.
Je les appelai un à un,
Puis deux par deux, par trois, tous !
Ils se pressaient au portillon,
Mais la mort les cueillait au passage.
Passage des Tristes
Au pas d’oiseaux,
Se suivant sans se reconnaître.
Au bout de la rue, étincelante,
La vitrine d’un boulanger
Avait l’air d’une nature morte.
Une fille en culotte mordillait
La chair chocolatée d’un pain,
Montrant sa cuisse et sa chicote,
L’œil aux aguets sous les anneaux
De sa blonde frange.
« Ah ! ben alors ! Mon tout-petit !
Ma chair en vadrouille et nature !
Si je pensais à toi, clafoutis !
V’là un’ chose dont tu peux être sûr.
Pour le reste je dis pas non,
Ni oui non plus, même peut-être.
Approche un peu dans la lumière.
Et vise-moi ce sein mammaire ! »
J’en ai rougi jusques au pied
Que je n’avais pas
Couvert de chaussettes.
Et déjà elle me barbouillait
Au chocolat et au candy.
J’en tirais une langue folle !
Je ne savais plus ce que je disais.
Et je ne m’écoutais pas.
Ça sortait comme de l’anus.
Tellement que j’en ai eu honte,
D’encrasser ainsi ses chastes oreilles.
Aux lobes pendaient des chatons
En or véritable et miaulant.
Le nez percé gouttait aussi,
Car l’air de la rue était vif,
Un peu comme si
On était en hiver
Et que de croquer gratos
Le pain du boulanger
Vous réchauffait le cœur,
Les tripes et la prostate.
J’ai croqué de toutes mes dents.
Le téton était dedans.
Pas de lait mais le plaisir
Qui ne se fait pas attendre
Aussi longtemps qu’il peut durer
Si on y met d’autres ouvrages.
Ah ! j’étais comme au Paradis,
Avec Lezama et bien d’autres,
Ravigotés jusques en haut
Et la culotte en bandoulière.
« T’excite pas, dit Calypso.
Je suis ta mère si t’en as pas.
Et si t’en as une en service,
Oublie-la et rends-moi marteau ! »
Sur la place
Les tréteaux
Enjambaient
Leur public.
« Ah ! c’est mieux, ô bien mieux,
Qu’à Los Angeles, s’écria-t-elle.
Ça fait du bien de se revoir.
J’arrive juste par le train.
Tu veux finir mon casse-croûte ?
Maintenant que j’ai changé,
Faut que je veille à ma ligne ! »
Elle se tortillait par le bas,
Un peu poilue mais standard.
Son genou me tordait la joue
Et ses doigts fins m’ouvraient la bouche.
« Mange et tais-toi, ma création !
Ce soir je rentre à la maison.
C’est le chien qui va être content ! »
Du coup je me suis mis à aboyer.
J’étais le chien de Cervantès.
Elle me montra à ses copains.
Elle en avait des tas
Et ils formaient le tapis de ses pas.
Ah ! Quel succès, les amis !
Et comme ça au milieu de tous.
La fête tambourinait sur les crânes
Et les ventres se ballonnaient dessous.
Ça en faisait des comédiens, des actes !
Tellement que je me souviens plus.
On est arrivé à la maison.
Le portail était ouvert.
Le bruit nous avait précédés.
Le chien montra sa truffe noire
Dans un interstice de lumière,
Juste au moment où le feu d’artifice
Répandit ses métaux sous les nuages.
« Ça te fait toujours le même effet,
Dit-elle avec l’accent américain.
(Ils avaient changé ça aussi)
Ya pas comme un pétard
Pour te tournebouler, chienchien !
Vise un peu c’ que t’amène !
Et du vrai, pas du botulique !
Avec la raie au milieu,
Genre étudiant en Droit,
Et gratis à l’entrée.
Mais on va pas faire ça
Devant tout ce beau monde ! »
Ni devant moi d’ailleurs !
Je me mis à aboyer
Pour éparpiller la foule
Et Moïse en babouches
Brandit son saint bâton.
« Y en a-t-il pour tous les goûts ? »
Demanda-t-il en me poursuivant.
Ah ! Je vous raconte pas ! Quelle nuit !
Le lendemain
On s’est tous vu
Dans le jardin
Tous en tutu.
Moïse avala son café
Et fila vers l’horizon
Sans payer son dû
Comme d’habitude.
Le chien était crevé.
La langue lui sortait.
Et je lui relisais
Les cartes postales
De Los Angeles.
Il aimait ça, relire, le chien.
J’aimais moins, mais je l’aimais.
J’aimais aussi Jéhan Babelin
Qui ne s’appelait plus Jéhan
Ni Babelin, ni homme.
Il se s’appelait pas
Jéhanne non plus.
Et il était fier
D’être né(e)
En Amérique,
A Los Angeles,
Californie.
Il avait deux trous maintenant.
Un pour le plaisir
Et un autre pour l’œil
Et aussi pour l’esprit.
« Mais alors, dit le chien,
Comment c’est que tu te nommes
Maintenant que t’es plus homme
Ni tout à fait femme ?
— Je suis ce que je suis,
Rétorqua-t-elle en riant.
Il n’y a pas d’autres moyens
De me montrer du doigt.
Tout ce qui n’est point homme
Est femme, voilà ce que je dis.
Et je ne le dis pas toute seule.
C’est la voix de la Terre
Qui parle en moi, en nous !
— Tu deviens militante ! »
Grogna le chien comme si
Il commençait à regretter
D’avoir financé le voyage.
Moi, petite chose inachevée,
Encore à même de changer,
Je voulais savoir son nom.
« Abois toujours ! dit-elle.
Mon petit bout rimé !
Ce que tu veux savoir,
Pourquoi ne le saurais-tu pas ?
Je n’ai pas changé pour rien.
Est-ce qu’on a fait tant de bazar
Lorsque d’employé municipal
Je suis devenu en voyage
Le chien de ma chienne ?
— J’étais plutôt chien… dit le chien.
— Maintenant que le chien
Est devenu une femme américaine,
Continua-t-elle toujours rieuse,
On ameute la foule et on jase !
Du temps que je jouais la femme,
Battant des fesses comme au tambour,
Et que ta flûte m’enchantait,
Je n’étais que Jéhan Babelin,
L’employé municipal devenu
Le poète de l’envers de soi.
— C’était clair et lisible,
Souligna le chien sans passion.
— Eh bien demeurons intelligibles !
Et ne me demandez pas pourquoi
Je me nomme moi-même LUCE ! »
Nous reculâmes le chien et moi.
Jéhan avait-il dit LUCE ?
La poétesse bien française
Qui jamais ne contesta
Les origines de sa chair.
Ses poèmes sont connus
Sur les deux rives opposées
De notre rivière municipale.
On en cite les saillies
A tout bout de champ.
Quel esprit aux entournures
Du vers et de la rime !
Pas une journée
Sans cette humeur
Qui vagabonde en nous
Pour nourrir notre sommeil.
Nous nous sommes saoulés
Entre les verres de l’amitié.
Nous avons battu la campagne,
Hommes, femmes et enfants.
Les rues ne désemplissent pas
Au marché de cette poésie.
À genoux nous avons prié
Pour que Dieu se remette
A exister pour de vrai,
Même que le curé
A fini par avouer
Qu’il n’avait pas d’autres vocations.
Y a-t-il deux LUCE
En ce monde pourtant
Pas fait pour se rompre ?
Le chien grattait la terre
Pour se coucher dedans.
Son poil en frémissait.
Et moi de mon côté,
Qui n’étais qu’un enfant
Voué à la pédophilie,
Je cherchais dans les mots
Je ne savais pas quoi,
Doute ou admiration.
Et Jéhan cependant,
Qui n’en était plus un,
Riait de toutes ses dents.
Et ses jambes montraient
Qu’il était femme et LUCE.
Comment ne pas… la croire ?
« Pour preuve j’en veux
Ce manuscrit authentifié, »
Dit-elle en séparant ses seins.
Elle en sortit une ramette
A la couverture jaunie
Comme les amours de Tristan.
C’était son écriture !
L’écriture de LUCE !
La télé en témoignait.
Le doute n’était plus possible.
Quid de la conviction ?
La foule encore médusée
Malgré la promesse
De saisons futures
Se pressa contre le portail.
On entendait sa rumeur
Sans toutefois saisir
Le moindre de ses maux.
Jéhan monta sur la table,
Gambettes nues jusqu’à la taille.
Le clitoris se dressa
Comme sur le ventre de Priape.
Il allait parler ! LUCE !
***
le voyage commence avec moi
Conard le Barbant fait une rime
comme un pet après le repas de noces
j’emporte la soie de tes yeux
je n’oublie pas les mots
tiens
une autre rime
la poésie sent la merde
« même sans rime lulu même sans
ces conneries d’un temps de merde »
petite pluie avant de te quitter
la gare n’est pas loin
des putes dialoguent
un dernier regard de toi dans la vitrine
« et mes rimes merde mes rimes mes rimes mes rimes »
au buffet il lance une olive en l’air
« non je ne connais pas la poésie des pays lointain et toi »
les rimes s’embrassent mais pas nous
les rimes de ces vieux cons dépassés
par l’avenir de la poésie
Géladoze ne rimait pas mais ça rimait au fond
il est venu me saluer « tes pays lointains »
je ne veux plus chanter
les chansons ne riment à rien
les rimailleurs ne savent plus foutre le bordel
je me casse chéri je vais loin et en plus
je t’emmerde
*
une guitare électrique sans électricité
« Faut imaginer cocotte t’imagine pas assez »
alors j’imagine que je suis dans une gare
et qu’une locomotive crache sa fumée
le quai attend sous les gens
et les gens sont pressés d’en finir
un enfant passe sous les roues
« dire que t’as failli être écrasée par un train »
dit papa fumant la cigarette du dernier repas
avant de passer le dernier au guichet de la mort
une guitare électrique sans électricité
et ces doigts qui cherchent la trouvaille
voix chantonnant mes propres paroles
tu peux pas savoir à quel point j’en avais marre
« T’en connaîtras des gares avec des trains et sans train
moi c’que j’préfère c’est les sans train
avec un quai pour moi tout seul »
il répète le guitariste sans l’électricité
qu’on a oublié de brancher le mois dernier
répète ce que j’ai écrit avec des rimes
parce que la musique en est encore là
à se faire avoir par la rengaine
et nous on a fait ça pendant des années
et on ne s’est même pas aimé
*
je ne sais pas pourquoi le café
des buffets
est toujours le meilleur
pourquoi je le saurais
je te dis que je pars
et je pars
et pas seulement parce que j’en ai marre
« explique explique explique
parce qu’on comprend pas
on est plusieurs à pas comprendre
et toi t’es seule à pas expliquer
alors explique explique explique
des fois qu’on se mette enfin
à comprendre »
c’est fou ce café
des buffets
il me fait l’effet
d’être le meilleur
« comme si tu revenais déjà poulette
ou même que t’étais pas partie
et qu’on était pas là à attendre
nous aussi on en a marre
de voir le quai sans le regarder »
mon prochain café
y aura un Turc dedans
avec une bite en acier
et de bonnes intentions
*
« quand on sait pas où on va et qu’on y va
c’est qu’on est déjà revenu »
des fois tu dis pas que des conneries
mais c’est pas la bonne heure
pour le dire
un train vient d’emporter mille fantômes
mais dans l’autre direction
un train comme les autres
avec des roues et un petit sifflet
et des arbres qui savent tout des voyages
je ne reviendrais pas
mon idée du voyage c’est la mort
pas la découverte
« mais tu sais pas ou tu vas »
papa non plus savait pas
où il allait quand il y est allé
et il est jamais revenu
« ah si t’avais eu une maman »
ici les trains qui partent
entrent dans un tunnel
d’un côté comme de l’autre
« je sens que ça va pas te plaire »
après le tunnel je prends le bateau
— il faut que je connaisse l’eau
avant de t’écrire des cartes postales
*
Bing Love est un type qui a déjà voyagé
il a fait un enfant à chaque voyage
il y en a de toutes les couleurs
il y en a même dont il ne comprend pas la langue
il a écrit un bouquin sur les femmes du Voyage
ça en fait des pieds et des mains
« si elle danse pas je joue pas » dit-il
ah ce qu’il a aimé m’instruire le Bing Love
encore un peu et je me donnais en échange
mais comme je dis à celui que je quitte
quand je suis en apprentissage c’est moi qui joue
Bing Love était dans la bagnole pour m’accompagner
« pas plus loin que la gare mignonne et puis tout ça »
il a mis un pied à terre comme un marin
et on a admiré le cuir de sa bottine
il était sur le pont et il continuait de me saluer
« ah t’auras pas été son dernier voyage sœurette
il sera mort quand tu reviendras »
je ne reviendrais pas que je te dis marrant
je me fiche de quoi il va mourir
et pas un enfant pour le pleurer
un peu comme toi avec ta guitare
*
vas-y chante-moi que je vais déchanter
plus vite que je me suis mise à t’aimer
ah ya pas comme les voyages les amis
pour remettre à l’endroit ce qui n’avait
que l’envers pour se faire remarquer
tu étais de ceux-là ami à la guitare
je parle de toi comme si tu n’existais plus
il paraît qu’on creuse d’abord le trou
sans même savoir avec quoi on va le reboucher
« fais pas de l’esprit avec moi gamine
des trous j’en ai connu que tu peux pas savoir
si tu t’imagines que tu vas me manquer
tu imagines un trou où je mets rien dedans »
j’imagine ce trou comme si je l’avais fait
c’est peut-être par là que je suis passée
pour me mettre sur le chemin des voyages
*
Hardy Hard Dydy avait un doigt de trop
mais je ne sais plus dans quelle main
il s’en servait pour jouer aux dés
pour le reste il ne s’en servait pas
un jour le doigt s’est coincé dans un mandrin
tellement coincé que le mandrin l’a arraché
Hardy Hard Dydy en a été quitte pour pleurer
parce que l’assurance n’assurait pas les doigts en trop
« mais enfin merde un doigt c’est rien les mecs
y en aurait deux je dis pas je comprendrais très bien
mais un doigt qui me servait même pas à travailler
ça doit valoir le prix d’un voyage au bout du Monde »
« ils remboursent pas les doigts s’ils servent pas
à travailler dans leurs usines
je pars en vacances pars avec moi choupette
avec dix doigts je t’amènerai au bout du Monde »
Hardy Hard Dydy n’est plus là pour le dire
sinon tu penses je l’aurais mis dans mes bagages
un mec qui a souffert au travail pour de vrai
ça doit valoir plus cher que pas de mec du tout
*
« alors comme ça maintenant tu fais de la poésie
j’en ai fait moi aussi mais ça m’a passé
un jour il pleut et le lendemain il fait soleil
jamais de jours gris dans la vie à papa »
mais c’est quoi la poésie pour toi papa
la pluie ou le soleil parce que les jours gris
j’en ai plein que je ne sais plus quoi en faire
« je fais de la poésie parce que ça rapporte rien »
me disait un pauvre type qui mangeait dans ma main
en attendant de se faire manger par ses propres mains
« tu fais de la poésie parce que tu sais pas ce que c’est »
si tu savais ce que c’est tu ne demanderais pas
qu’on t’écoute parler juste pour comprendre un peu
que ce qui t’arrive n’arrive pas aux autres
aussi facilement que ça t’est arrivé
*
non mais c’est qui ces mecs qui se mettent en travers
de ta route pour t’obliger à écouter leurs songs
et encore sans la guitare ça ressemble plutôt
à des lamentations entendues à l’église
un jour qu’on y enterrait le meilleur de nous-mêmes
en voilà un qui se fait appeler Gélachoze
si on ne le croit pas « ya qu’à d’mander à voir »
en voilà un qui n’est pas jaloux de son prochain
mais il ne faut pas lui demander pourquoi
le type que je viens de jeter avec l’eau du bébé
avait une plaie qui cicatrisait avec le soleil
mais qui se remettait à saigner les jours de pluie
« les jours gris je travaille pas du cerveau »
chaque fois que je me regarde chanter leurs songs
un enfant me tombe entre les jambes
tout nu et tout joufflu et même que ça l’amuse
de me voir lui aussi dans le miroir de la réalité
*
voilà où on finit quand on n’a pas commencé
ah le conseil n’est pas tout cuit et même salé
j’avais à peine ouvert la porte du grenier
que le froid de l’hiver m’a fait un enfant
vous savez un de ces enfants mort-nés
qu’on trouve dans les poubelles des hôpitaux
je suis donc en droit de vous demander
si par hasard vous n’auriez pas un billet
pour l’enfer parce que c’est là que je vais
moi et mon môme on va se refaire une santé
de préférence dans un hôtel
parce que les hôpitaux on en a marre
le billet ou l’argent pour en acheter deux
vous pouvez venir avec nous si ça vous chante
on avait l’intention de faire un petit tour
du côté où les gens s’amusent en payant
ah ce qu’ils peuvent payer et pas pour les autres
vous remercierez bien les gens qui vous ont donné
la foi et la charité et aussi l’argent merci merci
mon enfant n’est pas encore doué pour la parole
mais vous pouvez me croire il est déjà poète
*
Tonton Tata avait ses deux sœurs à la maison
l’une était douée pour la cuisine
alors il dit à son amoureuse
« si tu sais pas faire la cuisine c’est pas grave
j’ai une sœur qui s’y connaît pour un
alors pour deux tu penses bien si elle sait »
l’autre sœur savait chanter quand elle avait bien bu
« t’auras qu’à lui donner à boire
quand tu seras tellement triste
que seule une chanson
te redonnera goût à la vie »
Tata Tonton n’avait pas dit non
mais elle avait pas dit oui non plus
au cas où elle avait amené
un poulet désossé et une bouteille de gin
elle fut très bien reçue par les deux sœurs
seulement voilà pas plus tard que le soir
elle était morte et bien morte de la mort
et pas d’autre chose
Tonton Tata l’enterra à ses frais
et ses deux sœurs participèrent de bon cœur
l’une en préparant un repas digne d’un enterrement
et l’autre en l’arrosant de toutes les larmes
de son corps
Si Tata Tonton n’avait pas aimé Tonton Tata
rien de tout cela ne serait arrivé
*
la vie ne commence pas par un voyage
King en savait quelque chose
il était né avec un billet de train dans la main
« ah se dit-il à peine arrivé sur le quai
si la vie commence par un voyage
je dois pas être le seul à prendre le train »
il s’engagea aussitôt sur la voie
sans se douter que c’était la mauvaise
celle qu’on appelle voie de garage
parce qu’on y finit ce qu’on n’a pas commencé
il faisait noir là-dedans et il eut peur
peur de quoi il ne savait rien de la peur
parce qu’il n’avait aucune expérience du passé
et comme il faisait noir il ne voyait rien
il sentait qu’il n’était pas seul
mais personne ne prenait la parole
comme si ce n’était pas le bon endroit
pour dire ce qu’on pensait
il garda le silence plus de quatre-vingts ans
et le silence lui demanda alors des comptes
« t’es con ou quoi mec qui n’a jamais rien dit
j’attends que tu me brises depuis quatre-vingts ans
ah pendant quatre-vingts ans j’ai attendu
que tu me violes comme une vulgaire putain
et regardes ce que tu as fait de moi :
une rien du tout »
King cessa de respirer
il était mort mais il entendait encore un peu
le silence continuait de se plaindre
parlant dans l’obscurité
comme si elle était faite pour ça
et qu’elle le disait maintenant seulement
*
« allez Chochotte arrête de chanter
le train va bientôt arriver
et on sera bientôt plus là
pour t’accompagner »
ah ce qu’on a la tête pleine
juste avant de pencher
du côté des voyages
je voyais tous ces gens
ceux qui tournent en rond
qui prennent le train
mais pas pour voyager
juste pour aller où on va
où tout le monde va
sans se tenir la main
parce qu’avec les mains
on ne sait jamais
si ce sont des mains
ou ce qu’il y a dedans
voilà voilà j’arrête de penser
je mets le pied dedans
si ça vous fait marrer
des pieds j’en ai
en veux-tu en voilà
des nus et des habillés
à la mode de chez nous
petits chanteurs des rues
accompagnés ou pas
et voilà Conard le Barbant
qui me propose de mettre en vers
ce qui ressemble déjà à une chanson
encore un verre et je ne pars plus
*
j’en connais un qui ne boit pas
on dit qu’il va se mettre à voyager
et il dit qu’il ne reviendra pas
si on ne l’oblige pas
j’en connais un autre qui boit
il ne voyagera jamais
il dit que c’est trop loin
et qu’on ne sait jamais
il y a toujours quelque chose
qu’on ne sait pas
qu’on boive ou qu’on ne boive pas
l’un ne sait rien de ses maîtres
et l’autre craint de ne pas savoir
et il n’y a pas de juste milieu
*
Palapène avait un chat
et elle n’aimait pas le chat
il tua le chat
pour ne pas la tuer
enfin il la tua
et on le jugea pour ça
il ne se défendit pas
on le jeta en prison
et il ne tua plus personne
*
« mettez-vous à l’aise
prenez une chaise
et asseyez-vous là
près de la fenêtre
on entend les oiseaux
et même les voitures
moi c’est ce que j’entends
tous les jours que Dieu fait
et s’il ne les fait pas
j’ai le droit de rêver
vous aussi vous aurez le droit de rêver
on a le droit de rêver
si Dieu n’y est pour rien
même si on a assassiné quelqu’un
et même si ce quelqu’un le méritait
mettez-vous à votre aise
tout nu ou en habit du dimanche
fini la liberté
vous et moi
on n’est peut-être pas faits pour ça
après tout »
*
j’en ai connu un qui aimait le travail
il aimait voir les autres travailler
et du coup il ne faisait rien
j’ai même vécu avec lui
je travaillais tous les jours
je ne pouvais plus m’arrêter
il me regardait et pleurait
« tu ne ressembles à rien »
me disait-il en frottant ses yeux
comme s’il ne croyait pas
à ce qu’il voyait
« mais qu’est-ce que tu travailles bien »
un premier enfant est mort
sans qu’on sache de quoi
ni pourquoi
un deuxième s’est mis à travailler
à peine né
et il travaille encore
le troisième était en route
« si tu travailles bien
ce sera le premier »
*
« la poésie est partout ma vieille
tiens regarde dessous qu’est-ce que c’est
c’est un poème un vrai pas un faux
vois comme il se laisse écrire
ah si j’avais ton talent
ma vieille ô ma vieille »
seulement voilà tu l’as pas
et j’ai beau regarder dessous
je vois pas le poème
moi c’est dessus que je le trouve
et dessus tu n’y es pas
« tu me fais mal ma vieille
de me parler comme si
j’étais pas le père de ton enfant
ah tu sais pas ce que j’ai mal
ma vieille ô ma vieille »
le mal c’est pareil mon vieux
c’est pas dedans qu’on le trouve
c’est dehors et dessus
et c’est pour ça que ça fait mal
mais t’es trop tarte pour comprendre
ce qu’un enfant comprendrait
s’il n’était pas le tien
« des enfants je t’en ferais plus
j’en ai marre d’avoir mal
où ça ne te fait rien
et plein la tête des poèmes
où j’ai l’air de rien
ma vieille ô ma vieille
tu les feras sans moi
tes enfants de papier »
un enfant de papier
brûlait dans le cendrier
j’étais seule une fois de plus
et je n’attendais personne pour Noël
*
partir comme sur un fil
tendu entre deux gratte-ciel
avec au loin la mer
et ce fleuve qui pénètre
boue jaune de la ville
je peux partir n’importe où
ce pont tendu entre deux rives
au-dessus de ta tête la photo
d’une contrée peut-être lointaine
ou bien c’est la porte à côté
ta tête frisée presque blonde
au ras d’un paysage de montagnes
avec deux promeneurs casqués
qui mesurent la perspective du regard
je pars le long d’une clôture
où pendent des feuillages rouges
le mur d’une église semble chaud
et des paysannes invitent au voyage
ici on ne travaille pas sans toi
ô voyageuse des murs renvoyés
par les miroirs des autres murs
*
tu peux gratter un accord
fredonner le dernier refrain connu
fermer tes yeux qui voient encore
grimace de paupières closes
tu n’es pas venu pour me quitter
tu ne viens jamais pour perdre
pourtant je t’ai attendu
et j’ai même chanté pour toi
pour l’enfant tu lui diras
que je n’ai jamais existé
veille à ne rien laisser
derrière moi
deux accords pour la mélancolie
un silence pour en souffrir
tes yeux voient ce que je vois
mais pas comme je le vois
tu lui diras que les enfants
sont les enfants d’autres enfants
qu’on ne peut pas les faire autrement
et que rien n’arrive si ça n’arrive pas
trois accords pour la colère
et un sourire sans me regarder
ne voyant que tes yeux
dans les reflets de mes mains
qui jouent qui jouent jouent tout le temps
*
maintenant que j’écris
car ce temps est venu
il vient toujours à temps
et je n’attends plus rien
maintenant je voyage
après tant de voyages
je reviens et je suis
enfin arrivée
tu ne liras jamais
ces lignes entrelacées
il faudra que tu joues
comme ton père jouait
j’ai le temps devant moi
le passé me précède
dis-lui que j’ai aimé
et que j’aimerais encore
la poésie commence à la fin
tu le sais depuis toujours
voilà pourquoi tu es partie
et voilà comment tu reviens
*
Radeg ne faisait rien
et il s’en portait bien
ne rien faire c’est tout faire
et laisser aux autres le soin
de refaire ce qui mérite de l’être
un jour il crevait la dalle
et pour la rime ça faisait mal
mais c’était le trottoir
qui faisait le plus mal
et pas seulement à cause
de la saleté et des traces
de malheur
il se dit que plus jamais
il ne se tiendra debout
par exemple pour regarder
les choses des vitrines
ou celles qui vont bien aux autres
sur leur peau vont bien
à ces autres qui ne te voient pas
comme tu te vois
par exemple pensa-t-il
il se peut que je me relève
et alors j’en profite
pour voir ce que je n’ai jamais
voulu regarder comme par exemple
l’intérieur des autres
qui n’est pas aussi sale
que ce que j’en ai toujours pensé
mais je rêve pensa-t-il
je ne me relèverai jamais
il n’y aura plus d’exemples
plus rien à regarder
que cette saleté des pieds
ces crachats vert olive
et la poussière des fleurs
qui se penchent sur moi
comme si j’allais mourir
avant de me mettre à souffrir
et en effet Radeg mourut là
sur le trottoir dégueulasse
avec des fleurs dessus
et des crachats dessous
il n’est pas mort longtemps
on est venu le prendre
et on n’a pas nettoyé les traces
parce que ce n’étaient pas les siennes
*
la poésie va et vient comme les mouches
elle était à fleur de cette bouche
elle l’abandonne
et se mêle de cette conversation
pour la quitter aussitôt
qu’un reflet s’accroche
à l’aile d’une voiture
la poésie est comme mon cul
ici une chaise à la terrasse
du café que tu prends avec moi
là le banc où tu me caresses
rien sur la cuvette des waters
on n’y va jamais ensemble
la poésie ne se chante pas
il n’y a pas une note de musique
dans ces allers-retours
entre le bien des plaisirs
et le mal des échecs
il faudra que tu y penses
avant que je ne sois trop loin
pour fêter avec toi le bien et le mal
que nous n’avons pas encore faits
*
une valise est vite faite
si on n’emporte pas avec soi
ce qui nous a toujours manqué
voilà comment je l’ai faite
et pourquoi tu l’as trouvée
à la place de ton chapeau
se jeter sur un lit
pour crier que quelque chose
ne va pas dans ma tête
est inutile et sans force
tenter de briser
le miroir où hier encore
nous tentions de vivre ensemble
est inutile et sans force
te tuer me tuer
tuer tout le monde sauf un
mais on n’est pas dans un film
tu peux garder la clé
si ça te fait plaisir
non je n’en ai pas d’autre
tu sais très bien
que nous n’en avons jamais eu qu’une
mais les valises qu’on emporte
avec soi pour aller loin
ne sont que le prétexte
d’autres voyages
que tu n’imagines même pas
*
tu ferais bien d’arrêter de te poser des questions
sur ce qu’est et n’est pas la poésie et ses poèmes
on n’est pas là pour écouter ce style de chanson
si tu as une idée neuve on est là pour chanter
et si ça sent la vieille armoire referme ses portes
et parlons d’autre chose
j’en ai ma claque de ces discours sur la rime
et de ces dissertations à propos du rythme
et jusqu’à ces romans de l’histoire personnelle
qui ne valent même pas la peine d’être mis en scène
sur le théâtre du bide
dis-moi que j’ai raison et on va se coucher
dans le même lit entre les murs de notre prison
on n’est quand même pas obligés de réfléchir
avant de dire des bêtises
payer rubis sur l’ongle je sais ça ne te dit rien
ces rubis et ces ongles qui ne payent pas de mine
surtout quand on les regarde de travers
et qu’ils se demandent s’ils ne vont pas appeler les flics
et nous faire embarquer
moi je rêve d’un autre voyage que celui d’à côté
la prison ce n’est pas loin et il en faut du temps
pour en revenir
on va arrêter d’assassiner les gens pour leur piquer
ce que nous n’avons pas malgré un sacré talent
de poètes pris dans les filets de la réalité
en chair et en os
si tu ne veux pas venir avec moi commence
par t’en aller le plus loin possible des prisons
et n’oublie pas de me laisser cette part de pognon
qui me revient
« ah je te laisse aussi le gosse puisqu’il te ressemble
et que je ne ressemble plus à rien »
*
« bon sang c’est pas difficile
la poésie c’est quand
la forme et le fond
ça devient quelque chose
qui n’est plus ni forme ni fond
tu sais bien comme dans… »
et de citer ses poètes préférés
comme par hasard pas les miens
ou alors par hasard
je ne sais pas pourquoi je t’écoute encore
encore une nuit à rêver avec toi
des nuits comme ça on s’en passe
si on a envie de dormir
si c’est poète que tu veux être
fais ta valise avec rien dedans
et prends le premier train
on se retrouvera bien un jour
moi j’ai toujours rêvé de cet ailleurs
pas de poésie sans un ailleurs
introuvable ailleurs qu’ailleurs
je pourrais y attendre toute la vie
même sans savoir ce que j’attends
à part l’étonnement et le regret
de ne pas être Dieu pour en savoir davantage
là-bas j’ai peut-être une maison
avec rien dedans
comme ma valise
avec juste de quoi écrire
et une poire pour la soif
mais pour l’instant je t’écoute
il fait nuit et les chats sont noirs
un mec joue du pipeau derrière une fenêtre
il cherche la même chose que nous
mais il n’y a personne pour l’écouter
ah ce n’est pas un mince avantage
*
Rizeck aime les femmes
et les hommes aiment Rizeck
hier je le croise dans la rue
il me dit qu’il m’aime
je le crois comme si je l’aimais
« dis-moi ce que tu aimes le plus
et je te l’apporte sur un plateau »
le plateau c’est en trop
des plateaux j’en ai déjà
j’en ai plein la cuisine
que je sais plus quoi en faire
des plateaux des uns et des autres
distingue-toi Rizeck
« veux-tu voyager
je sais comment »
oui mais alors
avec un plateau
partir avec toi
ça me donne envie
de faire le ménage
distingue-toi Rizeck
tu crois qu’il se distingue
que non il ressemble
à ses frères humains
avec ou sans plateau
il a l’air tarte
*
« j’ai revu ce mec qui me disait rien
tellement il était bavard… »
l’humour de Blandinette est un yoyo
le même yoyo lui sert de preuve
quand c’est l’amour qui la chatouille
et bien vous n’allez pas me croire
mais Blandy elle a tué un homme
un vrai de vrai avec des os et un cerveau
un comme on n’en voit qu’à la foire
quand on voulait acheter une bête
quand il s’habillait
on ne voyait que son costard
et quand il était avec elle
on n’entendait que ses hennissements
ah elle avait fière allure Blandy
avec un mec pareil avec un poète
que même il jouait de la guitare
et que c’est avec ça qu’elle l’a tué
drôle de musique quand on ne sait pas le solfège
lui a dit le juge pour rigoler
il lui avait piqué son yoyo
sans savoir ce qui lui arriverait un jour
à force de s’en servir contre les autres
*
« je veux bien partir avec toi lulu
mais qui me dit que tu me foutras
pas à l’eau à la première occasion
ah c’est pas les occasions qui manquent
sur les paquebots transatlantiques »
Rigolin n’a pas compris ma proposition
je lui ai juste demandé de m’accompagner
jusqu’à la gare qui n’est pas si loin
j’ai eu un mal fou à le détromper
du coup il n’a pas fini son café
pas même sali sa petite cuillère
ni croqué à part le morceau de sucre
il me regarde comme si je lui avais fait quelque chose
« or lui dis-je je t’ai rien demandé
sinon de m’accompagner à la gare
parce qu’avec ma petite culotte
j’attire pas que les mouches »
des paroles qui auraient dû le gonfler
mais du côté de la tête pas ailleurs
seulement dans sa tête ya rien à gonfler
alors il ne comprend toujours pas
pourquoi je ne lui ai pas acheté un billet
« de toute façon je veux pas crever
avec les poissons qui sont dans l’eau
j’en ai un d’accroché au mur de mon salon
j’y causerai pendant que tu seras loin
et je finirai par en crever comme lui »
pas moyen de le décoincer
je suis partie sans
*
moi tu vois la poésie
ça me fait des gratouilles
partout où j’en ai envie
sans me montrer à poil
le genre c’est là que j’aime
ne m’inspire pas des vers
si j’ai œuvré dans l’ombre
je ne fais pas la lumière
ah je ne peux pas partir
sans t’en dire quelque chose
on ne quitte rien sans confession
même si on n’a rien à se reprocher
des choses j’en ai à dire
que si tu en savais la moitié
il me resterait l’éternité
pour t’apprendre le reste
c’est ça la poésie des mots
des mots pour ne rien dire
et d’autres pour laisser entendre
ce que tu fais à merveille
je fais la moitié du chemin
en te quittant pour toujours
et je ne rencontre personne
avant la fin du voyage
il n’y a pas de poésie sans attente
mais j’en ai une autre moins patiente
au cas où je ne te retrouve pas
quand je n’aurais plus rien à dire
*
Clodac Cladoc le Triste était au bout du rouleau
il en avait l’âge et les maladies qui vont avec
en plus il sortait de prison avec un bracelet
et il venait de griller un feu rouge sang
un flic bleu comme la mer quand elle est d’huile
lui demanda une explication claire sinon il sévissait
il en avait les moyens ça Clodac Cladoc le Triste le savait
il avait déjà battu un flic avec une arme par destination
il n’avait pas envie de recommencer parce que celui-ci
le prévenait qu’il ne renouvellerait pas l’offre
Clodac Cladoc se confondit en tristes excuses
et le flic lui indiqua l’adresse d’un bon opticien
pas cher et en plus la nana qui t’essaye les verres
a une poitrine que tu peux pas confondre avec autre chose
mais avant d’aller acheter les lunettes ils burent un coup
et c’est après avoir bu ce coup et même d’autres
que l’un a battu l’autre avec une arme par destination
mais comme ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau
si on peut évoquer ce principe sans faire rire les juges
l’avantage va incontestablement au flic
même si la plupart des flics sont des salauds
« voilà dit le juge personne ne vous a forcé
à ajouter cette remarque qui va vous coûter
plus cher que la bouteille que vous avez cassée
sur la tête de cet agent de la force publique
qui vous ressemble certes mais de l’extérieur
parce que dedans vous êtes complètement différents »
du coup Clodac Cladoc le Triste s’est suicidé
avant d’arriver à la prison où il n’avait pas envie
de recommencer ce qu’il avait fini depuis longtemps
la morale de cette triste histoire est
qu’il ne faut pas faire à autrui ce qu’il vous a déjà fait
sans que vous ne lui ayez rien demandé
*
Clique claque cloque
quand vous aurez fini de voyager
Revenez !
Je voyais la mer
mais
le train s’arrête
et
je me sens mal !
Voyager ? Vous n’y pensez pas !
— Mais je suis en voyage !
— Clique claque cloque
J’y suis pour rien
Revenez !
Revenez une autre fois
mais cette fois
en état
de voyager
— Mais je voyage, monsieur !
— Non madame
vous ne voyagez pas
Vous n’êtes pas en état de voyager
— Le bateau ! Là ! Qui m’attend !
— Il ne vous attendra pas
A-t-on vu un bateau attendre
celle qui n’est plus en état
de voyager ?
Alors attendez
attendez neuf mois
moins deux ça fait…
— Clique claque cloque ?
*
quatre heures du mat je dégueule
parce que j’ai envie de sortir
— drôle de raison !
je sors la nuit la lumière la pluie
rien n’a changé depuis que je ne suis plus là
pour remettre la pendule à l’heure
— drôle de saison !
sur le trottoir personne pour me reconnaître
tout le monde ne dort pas dehors
— drôles de façons !
heureusement que j’ai mon couteau
parce que quelqu’un que je ne connais pas
et que je voudrais ignorer
veut me prendre sans amour
— drôle de con !
je grogne pour ne pas expliquer
les raisons de mon refus de prendre le plaisir
sans lui demander pourquoi
— drôle de chanson !
et le voilà qui se barre en poussant un cri
mais au lieu de courir il s’envole
comme un oiseau battant de l’aile
— drôle de garçon !
*
à travers la lucarne ferraillée
Grogobile m’invente son histoire :
« luce ! luce ! jamais ne pique un microonde !
j’ai ouvert le mien à l’heure pile !
et qu’est-ce que je vois ?
quelqu’un ! quelqu’un dans le microonde !
la trouille ! je referme ! Clac !
pas le temps de savoir qui c’est !
et lui pas le temps de sortir
pour me faire ce que tu sais
qu’ils me font chaque fois que je pique ! »
il est tout excité Grogobile
par son aventure ménagère
« et il est pas sorti ? je demande
à tout hasard car Grogobile
ne répond jamais aux questions.
— luce ! il avait pas la clé !
tu le sais bien qu’on a pas la clé
quand on est à l’intérieur des choses !
et moi j’étais à l’extérieur
mais sans la clé sinon je sors ! »
On a cherché le microonde partout.
On l’a pas trouvé.
Il a rien piqué, Grogobile.
C’est dans sa tête.
*
« Papa Noël c’est la porte à côté ! »
Je glisse sur le tapis.
La porte est ouverte.
Je gratte, attends, entre.
Le mec est en train de se caresser
devant un match de foot.
« Je viens pour l’annonce… »
Il fait signe qu’il s’en fout.
Une main m’emporte
et me dépose ailleurs.
« Vous savez comment on fait ?
— Je l’ai déjà fait…
— On paye après.
— Je demande à voir…
Des fois, c’est pas possible…
— Par ici, je vous montre. »
Papa Noël !
Tout de rouge vêtu.
Il bave dans sa barbe.
« Pas de coups surtout !
Il en devient fou.
Balancez-lui le seau
s’il exagère. »
Le seau est posé
sur la paille bien tressée
d’une chaise.
C’est bien de l’eau.
10 litres sur la gueule
« s’il fait le con ! »
Et nous voilà seuls.
Papa Noël et moi.
Il me sourit.
Il a de gros yeux bleus.
Des mains énormes.
Il est assis sur un coussin
et joue avec une auto.
« Comment tu fais pour faire le con ? »
je demande pour tâter le terrain.
Il ouvre la bouche et rit,
mais sans bruit,
secouant la langue
hors de la bouche.
« Je sais pas !
finit-il par dire.
Ça me vient et je fais
ce que tu dis.
— Elle est comment, l’eau ?
— Bonne.
— Alors tu t’en fous !
— Complètement ! »
À dix heures je le couche.
Et je reviens
à mes occupations.
C’est con, Noël !
*
« Seul, on est un homme.
Ensemble, des humanistes.
Heureusement que Dieu
n’existe pas pour tout le monde ! »
Alors on met la télé.
Le catéchisme des ministères
nous apprend
que le monde est à nous
à condition de ne pas le partager
avec n’importe qui.
XinXin, ça le rend fou
cette leçon de citoyenneté.
Résultat : pour insulter les flics,
il se sert de l’Islam.
Maintenant il insulte
la compagnie
avec des arguments
tirés des étoiles.
Ça le rend compliqué,
beaucoup plus obscur
que quand il est arrivé
avec une recommandation de la Justice
de ne pas le prendre au sérieux.
On l’écoute pendant la pub.
*
« On enferme les fous et les méchants !
On enferme ceux qui le font exprès
et ceux qui n’y sont pour rien.
Pas de Justice pour les autres ! »
— Ben merde ! fit Rocco.
J’y avais pas pensé ! —
et il se roula une clope
en essayant
de penser à autre chose,
par exemple à ce mec
avec deux paires de bras
que Buk a rencontré dans un bar.
Ou alors un cadavre d’Hemingway,
qui se retourne tout seul
pour regarder le ciel encore fumant.
Ou Danny foutant le feu à sa baraque,
lui ou un autre.
Et ce type qui marchait sur des œufs
en allant au tribunal
pour s’en prendre une de chaque côté
et rien dans le cul
alors que ça lui aurait fait un bien fou.
Il avait un tas de personnages dans la tête, Rocco.
Même que j’y étais.
Mais si je savais bien pourquoi,
pas moyen de savoir comment.
Ça me faisait tellement chier
que je suis sortie fringuée en mec.
Et j’en ai trompé plus d’un !
*
« Je fais de la poésie
chaque fois que je sens
que c’en est… »
Nous bavassions une fois de plus.
J’arrive à deux heures pile.
Et j’entends ça.
Alors je me mets en rogne.
Et on me traite d’aristocrate.
Mais la critique ne dure pas
et on se remet au boulot.
N’empêche que réduire la poésie
à un petit instant de bravoure
sur le terrain de la tranche de vie,
moi,
ça me tente pas.
Autant arracher la tapisserie
pour s’amuser avec les punaises.
J’avais envie de leur dire
que la poésie
c’est ailleurs qu’on la trouve.
Pour la trouver,
il faut partir.
Et pas à deux pas d’ici.
En plus,
Il faut ouvrir le chemin.
Des heures que je passe
à y penser
chaque jour
que je gâche
à faire le contraire.
Destin de simple citoyenne.
Ils sont où les compliqués ?
Je drague,
mais j’en trouve pas.
Ou alors je me trompe de sexe…
Si le troisième sexe c’est Dieu,
je suis pas faite pour concevoir.
*
C’est bien beau d’être désespéré
mais on fait quoi quand on est ensemble ?
Je dis pas ça parce que tu dors
mais on a des factures à payer
Dormir la fenêtre ouverte d’accord
mais qui la ferme une fois que t’es plus là ?
Distiques du mais
même quand je dors pas
Ce matin t’auras des croissants
même si je t’aime plus
Ah ! Ce qu’elle est chouette la boulangère
même s’il faut changer de sexe
Distiques du même ceci
et même cela
J’en ai marre de cette existence
à la mais même !
*
Qu’est-ce qu’elle veut la République ?
Qu’on couche ensemble
selon le Code
Voilà ce que j’ai appris à l’école
J’aurais mieux fait de pas y aller
et d’envoyer mes vieux en taule
Qu’est-ce qu’ils ont ces employés
de la migration des neurones
vers les pieds qui se tournent
(Ah j’y peux vraiment rien !)
vers l’azur et sa côte ?
Qui c’est tous ces gens
qui font tourner la machine
à donner du travail ?
Et qui sont mes amis, ô Phillis !
En grattant le trottoir
on en trouve encore des fiables,
mais la rigole est souterraine
et j’ai peur du noir.
*
Marrant, celui qui me montre
comment on fait
pour être bien vue
sans passer pour une pute
Je l’épouserais bien
rien que pour faire du mal
à une femme qui a réussi
C’est pas qu’il soit moche.
Il a encore des tifs sur le crâne
et quand il se gratte les couilles
on entend rien
Si je sais faire des choses ?
Et des utiles aux gens
et surtout à moi-même ?
Des tas, que je sais en faire !
Mais me demandez pas de les refaire.
Je vous montre et après
on passe à autre chose
Vous voulez pas que je vous montre
comment on tue les mouches
sans insulter Dieu la Fiente ?
*
Bon, j’ai pas toujours été à l’heure.
J’ai même rêvé de mourir
sous les arbres de la forêt
par un léger temps de pluie
Je m’excuse d’être en retard
au rendez-vous du sauve-qui-peut
C’est drôle…
Il pleut toujours.
Et ça ne vous change pas.
Vous sentez le croissant
et le papier hygiénique.
Moi aussi je reviens des chiottes.
L’air des arbres de la rue
descendait du vasistas.
Je me sentais comme chez moi.
J’ai même rêvé
que je prenais des vacances.
Vous énervez pas !
Je vous explique le retard.
J’avais même pas faim.
Et j’avais mal nulle part.
Qu’est-ce qu’on peut traîner
quand on a rendez-vous
avec l’improbable !
*
Qu’est-ce qu’on croise comme vieux cons
dans les rues de ma ville !
J’en ai vu un qui rouspétait
après un chien qui aboyait.
« Eh ! Vieux con plein de retraite !
On dirait que tu lui plais pas.
J’vais ouvrir le portail,
histoire de te faire bouffer
par plus chien que toi. »
Ça lui a pas plu…
Comme ça il votera FN
et moi je voterai pas.
Qu’est-ce qu’on croise
quand on se rencontre
entre mon portail et la rue !
Et on parle toujours des mêmes choses.
On change pas le chien.
Et la République
préfère les petits soldats
qui posent pas de questions
et foutent la paix aux chnoques
pour qu’ils continuent de rêver
à mettre de l’ordre
sur ce qui bouge plus
depuis qu’on est mort.
*
« C’que c’est une fille
quand ça n’a pas l’âge
de s’pisser à la culotte
pour emmerder les jeunes !
J’en ai pris deux en stop
un jour de Foire à Pomponot.
Et j’ai pissé pour me faire sentir
telle que je suis
depuis que j’en peux plus
et que tout le monde s’en fout.
Elles se pinçaient le nez
en riant langues dehors.
J’ai mis les phares
pour mieux voir les platanes.
Des années que je les vois
et pas un m’a changée
en bouquet suspendu
à un clou de la Croix. »
J’étais cette gosse en larmes
tellement ça la faisait rire.
et elle,
c’était moi plus tard,
quand j’aurais plus rien à dire
à propos de fleurs.
*
La différence, petit con, c’est que jadis un mec comme toi pensait même pas à écrire pour se flatter les couilles et bander en public.
La voilà, TA différence.
Alors pourquoi tu engueules les poètes quand ils font leur marché entre eux ?
Pourquoi que tu te conduis comme un cochon ?
Tu crois que c’est agréable de t’entendre grouiner pendant que je feuillète ?
Ya des gens qui me regardent en se demandant si j’écris moi aussi.
Et tu sais quoi, connard ? Ça me flatte. Même que si j’en avais une je te la mettrais où tu mérites d’être bouché.
T’en as pas marre de te conduire comme Valls ? ¡Sin educación !
Qu’est-ce que tu crois qu’on est ? Un couple heureux ? Non mais t’as regardé ma moumoute ? Ça fait combien que tu t’es pas servi du peigne ? Et moi qui rêvais d’avoir des gosses ! Voilà que j’écris des poèmes.
Jadis, j’aurais rien écrit. J’aurais même pas su écrire. Et j’aurais pas eu l’idée d’écrire. J’aurais fait autre chose. Et j’aurais pas vécu assez pour rêver de la retraite.
Tu sais quoi, salaud ? J’aime mon époque. Et je suis pas jalouse des autres pays où qu’on réussit mieux que nous, même qu’on y est meilleur poète.
Je suis bien ici.
Je m’emmerde mais je suis bien. Et je t’emmerde. Tu m’emmerdes aussi. Et si c’était pas comme ça, j’écrirais rien. Et je viendrais pas sur le marché pour voir ce que les autres écrivent. Tu t’imagines ma solitude si t’étais pas aussi con que ceux qui écrivent rien ?
Au fond, je te dois mon bonheur.
On a nos petits paniers en osier. Paniers de poètes.
On a même le carnet avec des chèques dedans.
Même que c’est toi qui signe, mon chou. Et que ça te fait faire la grimace. Parce que c’est cher la poésie. Vise-moi un peu le papier !
T’imagines autrement la Poésie, toi le cochon de service ?
La poésie a besoin de papier, comme le cul, sauf que c’est pas de la merde qu’on met dans les égouts de la société.
Et on en met des tas, de nos torchons. C’est qu’on aime avoir le cul bien torché, nous, les poètes.
Tant pis pour les égouts si les rats savent pas lire !
Alors Kikou et moi on a fait le marché. On a rien vendu mais on s’est mis en relation avec des gens qui connaissent du monde. On leur a même offert des sucettes.
Ah ! tu les aurais vus en train de tirer la langue ! Ça en bavait même ! Je cite pas de noms pour vexer personne. Ça se vexe vite les poètes. Et ça mord. Mais ça fait pas crier.
Moi j’interrogeais les gens :
— Ça vous fait pas crier la douleur du suicidé ?
— C’est pas qu’on a pas envie de gueuler nous aussi mais on s’est pas encore posé la question.
Voilà ce que me disaient les gens qui écrivaient pas encore. C’est pourtant pas l’envie qui leur manquait. Mais y zétaient pas encore titularisés.
On est revenu à la maison avec de nouvelles idées. Ils en ont des tas au printemps. Ça leur grouille entre les pattes. Et ils en pincent. Alors Kikou et moi on s’est dit comme ça qu’y a pas de mal à emprunter, comme disait La Fontaine.
Mais Kikou y veut plus écrire. Il s’est remis à étudier. Il veut avancer. Il en a marre de faire le clown façon classe moyenne. Et me voilà seule. Moi qu’ai pas envie, mais alors pas du tout, d’avancer.
Je ferais quoi plus loin ? La même chose connard. Et tu sais pourquoi ? Toi et moi on est pas pareil. Si jamais on fait un gosse, il nous comprendra pas et nous pourrira l’existence avec des trucs que la Poésie, à côté, ça sent trop l’époque où on aurait même pas pensé à écrire.
Et en plus faudrait piger ! Ah ! merde !
*
Et la langue française par ci !
Et la langue française par là !
Et que la langue française c’est pas de la merde !
Et que c’est pas comme les autres langues
qu’on parle encore juste parce qu’on est obligé !
Et qu’y a des pays où qu’on t’oblige à parler russe
sinon tu peux plus parler librement !
Et qu’on en a de la chance de parler français
sinon on serait pas tout à fait humain !
Et que les profs c’est des cadors
qui parlent français parce que sinon ils seraient pas profs !
Et que quand ça me gratte entre les jambes
c’est parce qu’il faut que j’ouvre le dictionnaire !
Et que du coup on se sent jeune et prêt
à recommencer de nettoyer les trottoirs de la Nation
où qu’on est jamais mieux que si on s’entend !
Et que si les gosses parlaient autre chose
on se sentirait cocus comme des étrangers !
Et patati ! Et patata ! Plein le colon !
Que quand j’y vais je parle plus
tellement je bavarde du cul !
Et puis de parler patois
ça me donne des airs de révolutionnaire.
Voilà comment j’explique la petite crotte
que j’ai laissée sur votre paillasson national.
Elle sent mauvais comme toutes les crottes
mais vous êtes pas obligé de puer de la gueule
chaque fois qu’il est question que je parle plus
comme on a toujours parlé
avant d’en savoir plus sur vos intentions.
Et patati ! Et patata ! Plein le colon !
Que quand j’y vais je parle plus
tellement je bavarde du cul !
*
Oh la la ! Le mot juste et même plus !
Y a qu’une manière de dire les choses.
Si y en a deux c’est que ces deux-là sont mauvaises.
Faut vous mettre au boulot et fissa
pour trouver la troisième qu’est la bonne,
la seule qui mérite d’être française
des arpions au baron.
On était là avec Kikou à se demander
si on avait été à l’école de la République
ou si c’est la République qui avait séché.
On avait droit qu’à une réponse
et à tous les coups
Kikou en avait au moins deux.
Il me faisait des signes
quand le maton avait le dos tourné.
Mais c’était pas des signes en français
alors j’y ai parlé tout haut
comme quoi j’avais envie de pisser
même si c’était interdit.
Le maton m’a regardée d’un œil trouble
comme quand on met pas trop de flotte dans le pastis.
« Fallait le faire avant !
dit-il en se grattant.
Après on ne peut plus
ou alors c’est foutu ! »
On parle en vers à Pôle Emploi !
Ça m’a coupée au bon endroit
et j’ai fait tout ce qu’on m’a dit.
Plus question de faire pipi
si justement c’est interdit.
Voilà comment j’ai réussi
là où Kikou a pas compris.
Ah c’que c’est bon d’être française
quand on est pas vraiment à l’aise
au moment de faire des fraises.
*
Fais grincer tes dents, mon amour !
T’aimes pas l’odeur de ma cuisine, je sais.
Mais c’est la cuisine que je sais faire.
J’ai rien d’autre à te donner à bouffer
pour que tu continues d’exister.
Dire que c’est moi qui te nourris !
J’ai le tablier qui le prouve.
T’en as déjà vu des plus tachés ?
Celui de ta mère, peut-être, et encore…
À l’époque, t’aimais encore personne.
Tandis que moi, tu m’aimes.
Et que si j’étais aussi belle que tes poésies,
j’aurais une chance de te quitter.
*
J’en ai connu un qu’aimait pas les chaussettes.
Or, moi, je sors jamais sans quand je me couche.
Même que des fois j’en mets deux paires
tellement ça sent pas bon quand on s’imagine.
Ah ce qu’ils peuvent imaginer au lieu de rêver !
Ça écrit même quand ça peut pas dormir.
Si j’avais plusse de chaussettes, je le ferais savoir
mais je préfère laisser au rêve la décision.
L’autre jour je m’en couche un de pas tordu.
C’était ce que je pouvais imaginer avant
de me mettre au travail de ses petits nerfs.
Un mec tout en surface, façon BD avec des hauts
et des bas en veux-tu en voilà — et SCRAOUTCH !
Il a une chaussette sur la queue et des lunettes
qui grossissent tellement ses deux couilles
que je le prends pour un autre et que je crie au viol !
*
Vous allez pas me croire, les filles,
mais j’ai trouvé mon bonheur !
Pas de quoi convaincre tout le monde,
mais si vous y mettez du vôtre,
on va bien rigoler !
C’est pas un mec, pas une maison,
pas un enfant à la sauvette,
ni le bouchon qu’on fait sauter
pour faire comme tout le monde.
C’est juste un bon moment.
Ça vous impressionne peut-être pas,
d’autant qu’il se reproduira pas,
mais j’suis capable de m’en souvenir
même sous les coups du sort.
Allez-y ! Essayez ! Cognez
pour voir si je perds la mémoire !
Je vous dis que ça s’efface pas.
Même morte, je clignerai de l’œil
pour vous dire à quel point ça me rend
heureuse d’avoir vécu au moins ça.
Et si on vous demande qui j’étais,
dites que j’y étais plus
quand ça vous est arrivé.
*
Gragnoute a faim.
Je lui donne à manger.
Il a soif.
Je cours à la fontaine.
Il veut m’aimer.
Je me couche.
La nuit tombe.
Toujours pas de Gragnoute,
alors que j’attends
depuis des heures.
Comment voulez-vous
que je rêve
si j’ai faim moi aussi ?
*
Ils ont tout changé à la maison.
Je veux dire que je suis chez moi
mais je suis pas responsable
de la nouvelle déco.
Ça allait et venait les dimanches.
Je reconnaissais plus personne.
Je suis meilleure en semaine.
Et un jour ils m’ont trouvée trop grosse.
Je faisais du bruit même en fumant.
Ils ont changé la selle de mon vélo.
Les gens veulent que vous changiez.
Y en a pas un qui veut rien changer.
Ils passent leur temps à réfléchir
et se ramènent avec des changements
que vous auriez pas imaginés toute seule.
Mais ce qu’ils pouvaient pas changer,
à part eux-mêmes,
c’était ce que je voyais
quand je regardais à la fenêtre.
Rien n’a jamais changé ici.
On fait plus la guerre depuis longtemps.
*
« On en fait plus des comme ça ! »
Et bang, que je t’y mets
sans penser que ça laisse des traces.
J’arrive pas à me voir en individu.
Chaque fois que je me scrute
je me multiplie.
Qu’est-ce que je voudrais
de plus que ce qu’on me donne ?
« Distingue-toi ou tu disparais ! »
Qu’est-ce que je pourrais inventer
sans trop les effaroucher ?
J’arrête pas d’y penser.
Ça me turlupine jusqu’à l’os,
que ça me donne envie
d’y faire des trous
pour que ça fasse des flûtes
et que ça les amuse
de souffler dedans
pour entendre comment je fais
quand c’est pas moi qui souffle.
*
« Un jour vous connaîtrez l’erreur
et on vous demandera de payer.
Voilà comment la porte se ferme
sur le nez qu’on a pas eu.
Il était dix heures et la nuit
était tombée sur nos affaires.
L’erreur c’est de savoir
que c’est une erreur et pas autre chose.
Je dis pas que ça me tentait.
Mais l’idée d’en savoir plus
est entrée dans mon cerveau
comme le ver dans la pomme.
L’oiseau qui me trouait
s’est mis à chanter
et ensuite on s’est séparé.
On avait plus rien à se dire
et, réflexion faite,
on s’était jamais rien dit.
Seulement voilà les chants d’oiseau
quand c’est pas dans le cul ça rechante.
Et je vous prie de croire qu’en pleine nuit,
alors que j’ai autre chose à rêver,
ça me donne pas que des frissons.
Mais j’ai pas encore commis
l’erreur de tuer un enfant.
Paraît que c’est cher à payer,
surtout si papa veut pas ! »
Que le monde est mal fait !
pensai-je en écoutant cette salope.
Je dois avoir un cul à la place du con.
*
Au bois irons-nous, conard ?
Je ne fais que passer.
Maman bassine et Papa travaille.
À l’école on m’explique
Que je suis faite pour exister.
Et la télé me promet
De pas m’en vouloir
Si je comprends de travers
Ce qui est à l’endroit.
Au bois irons-nous, conard ?
Je ne fais que passer.
Plus tard je me fais prendre
A corriger des fautes.
« Je t’explique, dit le flic.
Les vitrines sont transparentes,
Mais c’est juste pour voir.
Si tu passes derrière,
N’oublie les œuvres de la République. »
Au bois irons-nous, conard ?
Je ne fais que passer.
Ah bon ? Il faut vieillir
Sans devenir con ?
J’étais pas au courant
Avant de m’faire pincer !
Ah c’qu’on est pas bien
Quand on revient
Et que ça recommence
Avec les mêmes !
Au bois irons-nous, conard ?
Je ne fais que passer.
On se souvient toujours
De notre premier macchab.
Moi c’était sur l’trottoir
En rev’nant de l’école.
Ça saignait sans chlinguer.
C’était tout écrasé.
Si j’avais su que c’était lui
J’aurais rien dit à maman.
Au bois irons-nous, conard ?
Je ne fais que passer.
T’y aurais dit, toi ? Conard !
*
Les vrais poètes te parlent et tu n’entends rien.
Des poétaillons de toutes sortes occupent le terrain.
C’est comme si le monde basculait du mauvais côté de l’existence.
Sur cette pente dangereuse, je glisse, je viens vers toi,
Lecteur médiocre, auteur peut-être, que dis-je ? Sans doute !
Nous n’aurons plus le vent pour nous inspirer.
Petits poètes paresseux, vous n’écrivez pas, vous prenez la place.
Le vrai poète ne recherche pas ce genre d’endroit.
Il sait exactement où se retrouver seul pour être lui-même.
Il vous laisse les mairies, les bibliothèques, et même la rue.
Il ne vous rencontrera pas sur le marché, petits poètes de panier.
Hier, il est sorti de vos existences de domestiques en vacances.
Petits poètes sans comète, vous sentez la savonnette et le pet.
Mais vous êtes si nombreux, aimés des dieux élus et des voleurs,
Que la balance penche et que je glisse vers vous, c’est inévitable.
Il faudrait vous haïr, mais voilà : la poésie est sans morale.
Elle vous tuerait plutôt. Oui, Adolf Hitler s’est trompé :
Les Juifs sont utiles comme les Noirs et les Arabes,
Et toutes les races que la Terre porte pour les cultiver
Éternellement. Hitler aurait dû écouter Mohammed :
Il faut couper la langue aux poètes. Mais comme ce grand homme
N’était pas si grand que ça, il n’a pas entendu que Dieu,
Ou le ciel, ou le vent, ou je ne sais quelle puissance surhumaine,
Commandait de limiter cette mutilation aux petits poètes,
Aux merdes qui font pencher la balance du mauvais côté
De la Vie. Je vais me noyer dans un WC ! Ô merde !
Petits poètes ! N’oubliez pas le papier !
*
« Oh la la ! Les méchants veulent fermer la porte
De la maison de la poésie de saint Pantin en Zibeline !
Et ça gueule dedans ! Ça veut faire un procès !
Que les méchants ont des idées libérales
Et que c’est mieux de défendre la langue française !
Et tant pis pour ceux qui s’en foutent
D’écrire comme ils ont appris à parler !
Et que le socialisme et le nationalisme
Ont toujours fait bon ménage !
Et qu’on a plein de preuves pour le prouver !
Qu’on est des poètes et pas les autres !
Et que ceux qui sont pas contents
Arrêtent de fermer la maison de la poésie
Que c’est la seule qui mérite d’être entendue
Et publiée et même médaillée et chouchoutée !
Non mais qui c’est ces nouveaux venus
Qui ferment les portes qu’on était les seuls
A avoir le droit de les ouvrir et même
De les fermer sur le nez des faux poètes ?
Ils savent même pas favoriser les copains !
S’ils pensent écrire de beaux poèmes
Sans enculer et se faire enculer par Roland
Et par Jacques et par ceux que c’est des vrais poètes,
Et ben c’est des faux et nous on va gueuler
Du fond de nos niches de jacobins retraités !»
Moi je m’en fous, j’écris pas de poésie.
Je me laisse écrire et ça me fait un bien fou.
En plus je dors dehors et j’emmerde les bourgeois
Et leurs peigne-culs qui écrivent des poèmes
Comme les cardinaux font des concours de pet
Pour pas être obligés de penser vraiment aux autres.
On va te leur en mettre plein la gueule
A ces librhéros de la rente habilitée !
Et pas des vers ! Rien que des bouffées de merde !
Parce qu’on sait pas péter comme les cardinaux
Et qu’on n’a pas besoin de maison pour exister !
*
Je me demande quand même
Si c’est une bonne idée de faire un gosse
Juste pour voir si ça marche…
Le problème avec les gosses,
C’est qu’on peut pas les tuer
Sans avoir à payer le prix fort.
On peut les faire souffrir.
C’est moins cher si ça plaît pas
Aux citoyens de la nation.
Des fois on paye rien,
A condition de pas violer,
De pas cogner, de bien nourrir.
Je sais pas si je pourrais
Me venger de cette façon
Si jamais ça arrivait
Que ce gosse me fasse chier
Comme son père me fatigue.
*
Mon père m’avait prévenue !
« Avec un cul pareil,
Que c’est pas un faux cul,
T’iras nulle part ma fille ! »
Et voilà où je suis allée.
À l’école de la République.
Avec des croyants de gauche
Et des anarchistes de droite.
Et il a fallu ô Papa
Que j’en épouse un de planqué !
On va en vacances l’été.
On fait l’amour en société.
On dit oui ou non quand on vote.
Et on accepte de crever
Parce qu’hélas on n’en sait rien !
Voilà comment ma propre fille
Prends exemple sur son grand-père !
Hier on était à l’école,
Entre un prof bien déboussolé
Et un parent du même côté.
« On ne peut pas montrer ses cuisses
Quand on a du poil au pubisse !
Vous devriez la corriger
Avant qu’on en touche deux mots
Aux gardiens de la Société ! »
Bon d’accord elle a déjà fait
A quatorze ans un ou deux gosses
Sans demander la permission
A Maman qui n’en voulait pas.
J’ai pas les sous pour lui payer
Un rasoir à poils de pubis.
Les peignes c’est beaucoup moins cher.
Alors je peigne et je repeigne !
Je fais ce que je peux lui faire.
Ou alors j’ai pas tout compris.
*
Le type qui boit au volant risque gros.
Bien fait pour sa gueule
S’il se fait pincer !
Mais le type qui boit en classe
Est un malade qui se soigne.
Monter dans une bagnole
En état de la conduire de travers,
C’est pécher.
Mais monter sur un gosse
En état de lui faire mal au cul,
Ça mérite pas une médaille,
Mais ça se soigne !
On en avait un comme ça qui se calmait au Ricard.
Il a fini à la retraite !
Tu parles d’une poubelle !
Avec villa, vacances et tout.
Mais à soixante dix ans passés,
Il a écrasé un gosse sur le trottoir,
En reculant, c’est évident.
Maintenant c’est le plus riche
Des malchanceux de la prison.
Il sort demain grâce à Kouchner.
Ça donne envie de se suicider.
Mais avant je vais me saouler.
On sait jamais des fois l’alcool
Ça tranquillise le suicidaire…
*
Sans Histoire on est des riens.
On n’arrive même pas à se ressembler.
Prenez Zakaka le QQ, le mec d’à côté.
Prenez-le en exemple à pas suivre.
Il est fier d’avoir un galon à sa manche.
Et il la fait depuis longtemps.
Retraite à cinquante-cinq berges.
Si ça vous parle pas,
C’est que vous avez jamais été arrêté
En état de sobriété
Sur la route du terrorisme.
Zakaka le QQ a tout raté,
Sauf le métro pour y aller.
Et en plus il a de la chance.
On n’est pas occupé.
*
Le plus dur après un attentat,
C’est de recoller les morceaux,
Surtout si on mélange les Juifs
Avec les autres.
Ah ça c’est difficile à avaler.
On sait plus s’il faut en parler
Ou la fermer et laisser pisser
Même si ça doit se mélanger encore
Pour donner raison au racisme.
Ya rien à faire on est raciste.
On n’arrive pas à raisonner.
C’est plus facile quand ya pas d’Juifs.
*
C’est pas pareil de tirer
Dans la tête d’un enfant
Comma ça froidement
Ou de jeter une bombe dessus
En espérant l’avoir raté.
C’est pas pareil mais c’est pareil.
*
Je savais même pas qu’on était en république
Et qu’en plus on avait la démocratie.
J’aurais pas dû lire Rousseau.
C’est sa faute. Pan !
Je savais pas non plus que j’étais raciste
Et que si l’occasion m’était donnée
Je ferais tout ce qu’on me dirait.
J’aurais pas dû lire Voltaire.
C’est sa faute. Pan !
Je savais pas qui j’étais.
Et en plus j’avais rien.
Qu’est-ce que les autres pensent de moi ?
Ah ! J’aurais pas dû lire Schopenhauer.
C’est ma faute. Pan !
*
Je sais pas vous, mais moi ça me fait un peu chier
De profiter que les capitalistes sont en guerre
Contre tout ce qui ne va pas dans leur sens.
Je me demande même si c’est pas mon sens.
Bon d’accord j’ai pas droit au lolo qui nourrit
Les houellebecq les beigbeder et les nothomb.
Mais j’ai ma tétine sécurisée à la rustine vigipirate
Et ma foi Internet me donne la parole que j’abuse.
Je me demande ce que je ferais sans papier Q,
Sans brosse à dents et sans essence dans le tube.
Pas grand-chose si j’en juge par l’état de ma culotte.
Allez tenez je vous offre ce sonnet sans rimes
Des fois que ça vous dirait d’en trouver cinq
Et de renouer avec l’ordre des temps anciens.
*
Les vieux ne veulent plus mourir.
Drogués et enchantés, ils envahissent
Les jardins d’enfant avec leurs leçons
De comment avoir une bonne retraite.
Moi qui m’échine entre mon potager
Et mes obligations dont certaines
Sont même professionnelles (que oui)
Je les vois de moins en moins chauves.
Un des ces jours ils y prendront plaisir
A être vieux et debout par miracle
Pharmaceutique et spirituel.
Il faudra alors mettre son cul à l’abri.
Les vieux ne savent plus où est le plaisir
Mais ils n’ont pas oublié que ça existe.
*
Le p’tit Crispin qui jouait à côté
Et ben dis donc il est mort au Mali.
Que je savais même que ça existait,
le Mali.
Le p’tit salopiaud qui piquait mes cerises,
il en a pris une en plein dans la tronche.
C’est les parents qui sont fiers de leur fils.
Il est moromali.
Les anciens combattants aussi sont très fiers.
Ils sont pas moromalis.
J’espère que moi non plus
je serai pas moromali
parce que je suis juive
et que ça plaît pas à tout le monde…
*
C’est plus facile de remplir le cœur que l’esprit.
Alors ne nous gênons pas.
Tous en chœur ! Et qu’ça saute !
Mieux vaut être con et honnête
que bien foutu du citron
et méchant comme dans les films.
Peut-être mais je suis pas conne.
Et j’avoue que mon intelligence
me rend méchante dans les moments
où on m’empêche d’être moi-même.
Je serais jamais vraiment amoureuse.
*
Il y a ceux qui disent non tout de suite
Et ceux qui finissent par ne plus vouloir
Et qui s’en foutent maintenant de mal finir.
Je ne connais personne d’autre, les amis.
Et pourtant je me connais comme si je m’étais faite.
J’ai pas vraiment dit oui à la première claque.
Ce n’était qu’une claque sans rien dedans.
Et puis j’ai senti que ça faisait plus mal que mal.
Vous auriez fait quoi à ma place, les amis ?
J’avais jamais dit oui ni non ni merde !
J’étais juste un peu seule et pas finie.
Ah merde ! Encore un sonnet sans rimes.
Je vais m’en prendre une si je continue
A pas répondre aux questions de genre.
*
Ah si faut être un salaud fini
Pour aller habiter au Panthéon,
Comprenez que j’hésite…
Si faut trahir les plus naïfs
Et faire plaisir à ceux qui savent,
Comprenez que j’hésite…
Les trucs en toc genre national
Avec des plumes et des rubans,
Je dis pas non,
Mais permettez que j’hésite encore…
J’ai lu la liste des grands Français,
Sans hésiter à m’renseigner,
Et j’me suis dit qu’pour hésiter
J’suis pas la dernièr’ des futées.
*
Non mais t’imagines la république qu’on est ?
On te demande de choisir
Entre Charles Pasqua et Ben Laden !
Moi qui aime tant qu’on me respecte !
Et l’autre pingouin qui parle de valeurs !
Il est allé les chercher dans un manuel… scolaire
Exprès fabriqué pour amuser les enfants
Et qu’y se fassent pas chier à en savoir plus.
Moi qui aim’ tant qu’on me respecte
Je regard’ bien avant d’ voter
Des fois qu’ dessous se cache un boche
Ou un pap’ que Dieu a choisi
Pour rendre aux rich’ c’que j’ai volé !
*
« Si j’étais président de tous les Français,
Je s’rais catho, un point c’est tout !
L’idée de Dieu a beau sentir la merde,
Quand on est président des Français,
On collabore avec l’Allemagne.
Et gare aux Espagnols qui se sentent Arabes
Et aux Anglais qui rêvent d’Amérique !
Les médailles françaises sont des croix !
Il faut les porter sur le chemin de l’Histoire. »
Je me demande ce qu’on serait
Si Jésus avait existé
Ou s’il n’avait pas été juif…
*
Ah c’qu’on était bien loin de tout !
Et de tout le monde par-dessus le marché !
Pas un gosse pour nous chier dans les bottes
Ni un vieux pour nous épouvanter !
Jabin et moi on est comm’ des oiseaux
Dès qu’on s’échappe avec la mer pas loin
Et rien dessus pour avoir l’air plus jeune,
Surtout d’esprit à cause du soleil.
On s’est payé un séjour en Enfer,
Avec du sable et des petits poissons
Que si Jabin il avait mis un slip
On en aurait ram’né un à Paris.
*
Qui c’est qu’a demandé à vivre ?
On s’rait moins seul si on avait voulu,
Tu parles !
Seulement voilà, on était pas venu
Pour assister à la va comme j’te pousse.
On verra bien si c’est l’intelligence
Ou le manque à gagner du bon temps.
C’est l’un ou l’autre
Et des fois c’est les deux,
Tu parles !
Ah si j’avais été là pour leur dire !
Mais l’vieux trouvait qu’ça lui faisait du bien
Et la vioque attendait qu’ça passe
En espérant que faute d’intelligence
Je finirai par me marier mieux qu’elle.
Tu parles si j’me souviens !
On était déjà trois sans compter les autres.
Même que j’l’avais moi aussi dans l’sang !
Pass’moi l’sel que je m’en mette dessus
Sinon Papa va me trouver bien fade…
Après ce que je viens de dire…
*
Moi, tu sais, jouer à la baballe…
Ça secoue miches et roberts
Sans parler de la muse.
Je connais aussi le truc du coquillage.
Je saurais pas te l’expliquer
Aussi bien que la muse.
En attendant que je comprenne
Va bouffer un beignet aux abricots
Et te trempe pas tout d’suite après.
Ce soir y z’ont prévu de la saucisse
Avec c’qui faut pour l’arroser.
C’est pas comme ça qu’on améliore l’érection.
Quand je pense à tous ces jeunes
Qui crèvent d’envie
Et avec les moyens !
*
On est pas payé pour se noyer !
Et pourtant on se noie
Avant d’avoir tout dit.
Ça m’fait chier mais j’m’y fais.
*
On a bouffé des trucs avec des pattes.
Ça marchait plus mais yen avait des poils !
Ensuite on a baisé sous les étoiles,
Pas jusqu’au bout mais en aristocrates.
Il était beau comme un petit navire.
La mer faisait des vague’ avec son eau
Et le ciel des nuages tout en haut.
L’ambiance je ne saurais vous traduire.
A poil dans le sable et les algues vertes,
On a échangé nos milles frisous.
La prochain’ fois on ira voir le zoo
Parce que le poil ça nous déconcerte.
*
Jeanne allait sur Pégase
« Vive la République ! »
À Paris c’est l’extase.
En province ça bique !
C’qui manqu’ c’est l’écriture
Avec des rim’ au bout.
L’colon à l’aventure
Ne fait plus ça debout.
Couchée sur sa monture
Jeanne tient son embout.
C’qui sort c’est la musique
Qui fait marcher les foules.
À force on perd la boule
Et l’amour et la trique.
Les enfants d’la patrie
Naissent mais sans génie.
Jeanne enfante du cul
Entre trône et écu.
Tout ça n’est pas très gai
Mais on est comme on naît.
Jeanne et la raie publique
Font dans l’anachronique.
Ah mais qu’est-c’ qu’on y peut
Pisqu’on est bienheureux
D’avoir un trou de balle
Où que normalement
On a un encéphale
Et de l’enseignement.
*
Quan j’ sera gran je sera socialiste
Et je vot´ra à droit’ pour ètre sur la liste.
J’ora un bon boulo avec du pèze en dur
Et l’banquier dira d’moi
Que je suis quèkun d’sûr.
Et j’vot’ra pour le Roi
Et pour le p’tit Jézu !
Non mais qui c’est qui dit
En démocratie ?
Et j’en f’ra des enfans
Avec un cerveau d’dans.
À droite à goche et au milieu
Comme quil a fait Dieu
Avec sa grande bite
A torcher les pucelles.
Moi je sais ou jabite
Et j’ai le sens femelle !
Mais il me faudré un bo militère
Avec du plomb si possib’dans la tête.
Ça court pas les rues de la capitale.
C’est moi qui cours, ça devient infernal !
Et quan j’me voi dedans une vitrine
J’me dis que tant qu’à fair’ lever les pines
Faut s’lever to, même avant le cléron.
On est comm’ ça ! C’est l’amour ou les ronds !
On est comm’ ça en république.
Ça fait des lun’ qu’on conné la zizique !
*
À l’école on fait des bulles
Pour pouvoir les crever
Quand on n’en fait plus.
*
Je rêv’ de m’faire violer
Par les forces spéciales !
Je sais faut pas rêver,
Mais je veux avoir mal.
Mal à l’enfanc’ française
En vadrouill’ chez les autres.
L’enfant qui n’est pas nôtre,
Ça me met mal à l’aise.
Comm’ Jeann’ je servirai
D’exemple à la jeunesse.
Mieux que de faire abbesse,
Mon cul je donnerai.
Ainsi le p’tit Jésus
Pourra enfin bander.
La République en sus
Se fera un devoir
De m’fonctionnariser.
Normal, j’ai le pouvoir !
*
Tu t’es pris pour Voltaire
Face au chevalier de Rohan
Mais Jean-Claude Marin
Même « en détention non provisoire »
N’a pas de lustre sous la table.
Autre chose, oui, sans doute,
Mais pas de lustre.
Ses pieds, ses genoux,
Le bord de la chaise
Où reposent ses couilles.
Mais ces objets du délit
N’en font pas un personnage.
Remets-le dans son berceau,
Avec son hochet, ses erreurs,
Et son sens de l’orientation.
Enfin, signe au bas du tableau.
*
« Mon cher lecteur veut connaître cet âne,
Qui vint alors offrir sa croupe à Jeanne… »
*
Forcément, le piston,
C’est pas dans le nez
Qu’on se le met.
Surtout si on a
Le cul d’être bien né.
Le reste, c’est pour les autres.
Et on en voit de toutes les couleurs.
Les trésors de la Nation —
Médailles, prix, postes et nœuds,
Ça transite par les ministres
Via les sponsors de bonne famille
Et les mécènes des syndicats.
Le reste, c’est pour les autres.
Et on en voit de toutes les couleurs.
Moi je vois rouge
Avec ou sans verre.
« Faudrait être con pour pas en profiter ! »
Me dit Gnagnak sans humour noir.
— Mais si ya rien à profiter
On est con quand même.
Honnête ou crapule
On change pas facilement
Quand on en voit de toutes les couleurs.
Dire qu’il suffit d’être premier ministre
Pour pouvoir tenir des propos racistes
Et ne pas en payer le prix !
La couleur, ça n’compte plus !
On joue impair et manque.
Et à la même table en plus.
Vive la France et les couillons !
Le reste c’est pour les autres.
*
Je mange à tous les râteliers
A Vichy, Sétif ou Alger
*
Labrel veut infantiliser mon enfant.
Il déploie le drapeau et l’explique.
Il invite à la guerre contre le terrorisme.
« En récompense, on fera du théâtre, »
Promet-il en répandant son odeur d’anis.
A la maison, mon enfant s’entraine
A ne pas mourir pour des prunes.
Il va faire une guerre à l’américaine
Avec des moyens purement français.
Ça va pas être beau à voir !
Dimanche on est allé au bord de l’eau.
Elle était salée mais on a payé.
Pour le même prix, on attendu
Que le soleil se couche et que la nuit
Nous oblige à allumer les phares.
« Le terrorisme, c’est là-bas,
A dit mon enfant en montrant l’horizon.
Et si on fait pas gaffe, ce sera ici ! »
Voilà comment il me fout la trouille,
Cet enfant qui n’est déjà plus le mien.
*
Ça saignait dans les vitrines.
Un flic encore à jeun voulait voyager.
« Mais alors loin ! » grognait-il
En secouant son indice retraite.
Nous, on était plus simple.
Beaucoup moins bien payé
A rien foutre, mais plus simple.
On pensait au lendemain d’un attentat.
Remarquez bien qu’on faisait que passer.
Les agences de voyage, c’est beau
Comme les discours présidentiels,
Mais n’est pas flic feignant et poivrot
Qui veut voyager aussi loin que lui.
On a expliqué au gosse que le sang,
Celui qu’on verse sans faire exprès,
C’est le même que celui qu’on fait exprès,
Sauf qu’on a pas la garantie de l’emploi.
Il a passé la soirée à nous demander
Pourquoi qu’on avait pas fait fonctionnaire
Alors qu’ils embauchent que des cons
Et des faux culs et même des étrangers.
*
On demande pas mieux de travailler
Et de baiser comme des bêtes
Pour multiplier et même croître.
Mais la patrie, c’est trop abstrait.
Bon, le drapeau est pas compliqué.
Avec deux feutres tu t’en sors.
Et on commence par le rouge
Ce qui se finit dans le bleu.
Nous on est pas pour l’abstraction.
Une fois qu’on a bien dessiné
Et respecté l’ordre historique,
On a un drapeau avec du blanc au milieu.
C’est peut-être ça qui fait abstrait.
On a envie de s’y torcher le cul.
Oh ! juste pour déconner en attendant dimanche.
Pour le sang, n’en parlez pas trop aux enfants.
Ils finiront par avoir des idées concrètes
Et nous on passera pour des cons.
La patrie, c’est vraiment trop abstrait.
On la sent pas, on reste froid.
Du coup on a envie de travailler plus
Et baiser moins car les enfants,
A force de les multiplier par plaisir,
Ça revient cher en explications.
*
Je me demande si je vais pas me voiler.
J’arriverai sur la scène complètement à poil.
Et je recollerai tous les poils à leur place
Avant de me couvrir des pieds à la tête.
Ensuite je sortirai dans la rue des flics
Et de tous les faux culs qui servent à quelque chose.
Je veux savoir ce que ça fait d’être insultée par la Loi.
*
Bizarre que nos politicards
Finissent tous fonctionnaires
Comme au temps des rois.
Je me demande qui est le roi,
Qui est la reine,
Et si j’ai une chance moi aussi.
Entre chiens, salauds et fils de pute,
Mon bulletin d’élection
Ne me parle plus.
Je me demande qui est sur le trône,
Avec qui il baise
Et quel est cet enfant
Qui nous fera chier
Comme ses parents
Quand on sera grand.
*
Et si j’allais danser
Avec les papillons
Et les fraises des bois
Au lieu d’aller voter ?
Moi je trouve qu’on est bien
En France.
Je ne veux plus sortir de chez moi
Pour aller voter.
Et pour ne pas être seul
Je deviendrai schizo,
A Frênes ou en Enfer
Si c’est ça qui fait deux.
Et si j’allais chanter
Avec les grillons dans l’herbe
Qui va si bien à mon teint
Et à mes petites ordures ?
On est bien dans ce pays !
Suffit de pas en parler
Si des fois on est mal luné
Les jours de contentieux.
J’irai danser et chanter
Autant qu’il me plaira
Et je ne verrai plus personne
Dans les arbres de mon jardin.
*
Avec une médaille dans le cul
Et le renfort de la sécu,
Ils ont pas l’air de s’ennuyer,
Nos putains de retraités.
J’en ai un dans mon jardin.
Avant, il était en céramique blanche.
Maintenant, grâce à l’État,
Il a pris les couleurs de la vie.
C’est comme au cinéma français.
Ça tranche de vie à deux ou trois.
Il est pas seul, mon retraité.
Il m’a moi et mes miens.
Je le peinturlur’ bien moi aussi
Avec les sous du gouvernement.
Je veux bien êt’ républicain,
Mais faut pas m’prendr’ pour un crétin.
J’en veux bien deux si c’est possible.
C’est qu’il faut pas que ça s’ennuie.
Sinon ça redevient malade
Et ça s’absente rien qu’pour des riens.
Vous m’en mettrez deux ou trois autres.
Ça f’ra la paire et même deux.
Pendant ce temps ma femme et moi
On ira au bord de la mer…
On ira au bord de la mer
Pour voir les poissons et les moules.
Ça nous chang’ra des retraités
Et même aussi de not’ jardin.
*
La terre est à tout le monde.
Laissez-les voyager.
Quelques-uns ne s’arrêteront pas
Et ce seront les plus inoubliables.
*
Que ceux qui sont partis la fleur au fusil
Crèvent !
Et qu’ils foutent la paix aux autres
Si jamais ils reviennent !
Est-il juste de saluer un drapeau ?
Est-il normal de se dresser fier
Devant un monument aux morts ?
Est-il humain de souhaiter
la mort de son ennemi ?
Et je ne crache pas que sur vos tombes.
Je crache d’abord sur vos œuvres.
Que ma salive vous pourrisse l’existence !
Je n’irai pas à l’école de la république.
Je ne défendrai pas la veuve et l’orphelin.
Je ne me coucherai pas
Aux pieds de vos statues.
La vraie vie est ailleurs, dit-il.
Mais je me demande bien où !
Je crache aussi sur les poètes
Qui me racontent des salades.
*
C’est facile d’être anarchiste
Quand on est payé par l’État.
Facile d’écrire des chansons
Et de prétendre qu’il s’agit
De poèmes…
Les milliardaires et les petits bourgeois
Sont faits pour vivre ensemble.
Qu’est-ce que je fous
Si je ne fous rien,
Papa… ?
J’en connais un
Qui a fait le tour du monde
Rien qu’avec son salaire
Et celui de sa femme,
Salaire…
Voici les plages d’or fin
Où jamais je n’irai me dorer
La pilule…
J’irai plutôt tremper l’acier
De ma triste volonté
Dans les idées les plus folles,
Folie…
Notre père qui êtes aussi,
Soyez-y
Et n’oubliez pas vos petits bourgeois,
Vos profs, vos flics, vos boutiquiers,
La France…
N’oubliez pas mes petits souliers
De terroriste heureux de l’être
Faute d’avoir le pied marrant
En société…
*
C’est que je ne comprends pas
Ma haine…
Je ne comprends pas pourquoi
Il est nécessaire de vous haïr.
Le monde appartient à tout le monde
Sauf à moi…
Je ne sais pas posséder
Et pourtant je travaille
Et j’aime tellement
Que je me reproduis.
Cet enfant est le mien.
Vous finirez par le haïr
Comme je vous hais.
*
Martenot n’a rien à voir avec les ondes
Du même nom.
D’ailleurs il ne joue pas
Et refuse d’être joué.
C’est mon voisin le plus futé.
Il se suicide tous les jours
Et Dieu ne fait rien
Pour que ça change.
Et ça se passe sous ma fenêtre
Comme si c’était moi,
Sa voisine de palier,
Qu’il hait à la place des autres.
Vierge Marie, grosse pute,
Prête-moi le fruit de tes entrailles
Pour que j’en mette dans le ragoût
De ce salaud qui me pourrit la vie.
Si Dieu le veut
— mais il ne voudra pas —
On aura toi et moi
La même peine à accomplir
Au nom de la Loi et des hommes.
*
Putain de Jésus en sucre !
Le voilà qui revient
A la mode.
J’en ai trouvé un
Dans ma chaussette.
Ça m’apprendra à aimer Dieu
Comme le père Noël.
*
Bougez vous ! au lieu de pleurer
Dans les plis de votre drapeau
Qui est aussi le mien
Mais j’ai pas fait exprès
De tomber du nid.
Vous ne m’entendrez pas
Chanter la Marseillaise.
Je ferai LA LA LA
Sans filer à l’anglaise.
Les assassins tirent sur les habitants
Des quartiers chics de Paris.
Les flics tirent dans les rues
Pourries de Saint-Denis.
Chacun sa peau de balle.
Après tout la musique
De Berlioz et sa clique
C’est pas si mal que ça
Surtout si LA LA LA !
On vit bien mais les autres ?
La liberté est cannibale.
On sait ça depuis toujours.
On ne mange pas de l’homme
Sans s’empoisonner l’existence.
LA LA LA ! et du sang
Pour sauver ce qui reste
Des racin’s et des ans.
Pour ça on a la veste !
Le monde s’améliore.
Le fascisme est l’idéal des pauvres.
Faut être riche
Pour rêver de démocratie
Sous la houlett’ des parlements.
Allons enfants c’est pas fini !
Encore un effort et la Terre
Ressemblera à vos Paris
Avec des flics et des poètes.
La prochain’ fois je salue pas !
Et si c’était pas le bon drapeau ?
Essayez de chier dedans
Avant de vous faire une idée
De ce qui nous attend.
Tuons et abreuvons !
Vive l’oxymoron,
La charrue et les cons !
Bravons, décervelons !
Mais il faut se résigner.
Les pauvres sont les soldats des riches.
Et les riches ne vont pas à la guerre.
Ils la font.
Je ne tuerai pas le taureau !
Je ne tuerai rien de vivant !
Je veux bien sacrifier les morts
Sur l’hôtel de nos monuments !
Mais ne m’en demandez pas plus.
J’ai pas la force, pas le pognon.
Démerdez-vous si ça vous plaît
Et si ça vous plaît pas
Changez d’trottoir.
Je suis l’éboueur.
*
Moi j’aime bien la musique de la Marseillaise.
Surtout pour beurrer mes tartines le matin.
Mais heureusement que je connais pas les paroles !
Sinon qu’est-ce que je me ferais dénoncer
Pour incitation à la violence !
Le drapeau tricolore, que voulez-vous,
C’est pour moi le drapeau du Front national.
Et puis c’est trop voyant pour ma façade,
Un vieux mur qui a besoin de fraternité.
Tout ça à cause de l’inégalité
Provoquée par la pratique du copinage.
Bon, le deuil, la douleur, je dis pas non,
Mais à condition que ce soit pas un « hommage » !
Je m’associe à la douleur des familles, des amis.
Mais pour ce qui est d’apprécier les décorations,
J’ai mon idée qui n’est pas celle du Président.
Qui qu’a dit que j’ai pas droit ?
Ya aussi la guerre que je veux pas faire.
Je m’en fous que c’est pas moi qui pilote !
Avec le prix d’un missile ou même d’une pétarade,
Je monte une asso et je deviens présidente !
Faudrait voir à pas se foutre de ma gueule,
Mesdames, messieurs les parlementeurs !
Et puis j’croirais à la parole d’un flic
Quand elle sera soumise à l’intelligence d’un juge.
Et encore… ya juge et juge dans ce pays
Où la liberté est soumise aux intérêts de l’État
Et de ses actionnaires, sacré bordel de Dieu !
Et que tu sois Jésus, Mahomet ou Yahvé !
Sur ce, les amis, je vous salue bien bas.
J’ai des chats à fouetter et ça leur déplaît pas.
*
Manquerait plus qu’ils nous assassinent aussi
Dans les banlieues et en marge de la société !
Alors là que oui que la jeunesse foutrait le camp !
Parce que c’est la mienne ! Et que j’y tiens
Comme d’autres tiennent à leurs concerts
Et aux joujoux de la politique culturelle !
Non mais !
*
Histoire de la femme en poésie
(elle se penche)
Qu’est-ce qu’ils font ?
Ils améliorent la doctrine fasciste.
La poésie devient chanson.
La terre porte un drapeau.
L’ordre assure le pouvoir.
Voilà ce qu’ils font.
Et moi, qu’est-ce que je fais ?
Qu’est-ce que je peux faire ?
Voter comme aboient les chiens ?
Travailler, repeupler, combattre ?
La seule chose que je sais faire,
C’est travailler — et encore
Je travaille à ma manière.
Je sais baiser aussi, mais l’enfant
Je ne l’ai pas fait exprès.
La prochaine fois, je ferai gaffe.
Et si vous pensez m’utiliser
Dans un combat contre l’ennemi
De la patrie, épargnez-moi
Le meurtre de mon prochain.
Sinon, je ne fais rien de mal.
Je vis pour exister encore un peu.
J’aime la nature, les hommes
Et tout ce qui respire ici-bas.
Je ne sais pas pour vous mais moi
Ça m’occupe toute la journée.
Et la nuit je cauchemarde
A cause de votre télévision
Et de vos ministres fils de pute.
Ces viols de ma chair
Et de ma conscience nuisent
A mon sommeil de bonne femme.
Je réveille mon enfant
Et il crie lui aussi.
Il crie parce que je lui fais peur.
Mais comment lui expliquer
Que c’est votre peur
Qui nous empêche de dormir ?
(on entend la mer)
Je ne me sens pas seule pourtant.
Oh ce n’est pas l’enfant.
C’est tout le monde et la mer
Que nous avons atteinte
Pour en jouir avant de mourir.
Nous n’y reviendrons pas.
Une dernière fois la mer.
(elle pleure longtemps)
Le premier barreau était trop haut.
J’ai simplement levé la tête
Pour mesurer la différence.
On n’a pas tous la même chance.
Il faut hériter ou gagner.
Qu’est-ce qu’on devient
Quand on n’est pas héritier
Ni conquérant, ni veinard ?
Ni… fâcheux si je puis dire.
(elle sent la brise sur son visage)
Après le voyage à la montagne,
On nous a proposé la mer
Et des vagues à la place de la neige.
L’eau, toujours l’eau pour commencer
Et finir en beauté.
Maman me le disait en chantant.
Papa le disait aussi en fumant.
Je n’ai pas compris à quel point
On ne fait jamais ce qu’on veut.
(elle ramasse un coquillage)
Voici la première nuit de l’été.
La première au bord de la mer.
L’enfant dort à poings fermés.
Je n’ai pas encore crié.
Il faudra que je dorme.
Mais je me tiens éveillée
Pour ne pas céder au rêve.
On ne sait jamais ce qu’il réserve
Au lendemain et aux autres.
Je serai là en maillot de bain,
La peau dorée par le soleil,
Humant l’écume comme une bête
Qui ne voit pas plus loin
Que le bout de son nez.
C’est là toute mon attente.
Je n’ai jamais su attendre autrement.
Mais cette nuit je ne rêverai pas.
J’atteindrai cette roche
Au milieu de la mer, battue
Par les vagues noires et blanches,
Sans oiseaux pour crier,
Sans l’enfant pour jouer.
J’irai nager dans cette obscurité.
(elle réprime un frisson)
Je tente l’impossible.
C’est dans ma nouvelle nature.
Je l’ai compris à la montagne.
Le vent s’en prenait à mon visage.
Mon regard se troublait.
Je ne savais plus si c’était la nuit
Ou si le jour venait de commencer,
Mais j’étais seule au bord du vide
Et j’ai compris que l’existence
Consiste à ne pas exister avec vous.
Existe-t-il un autre monde ?
(elle jette le coquillage dans la mer)
Coquille vide de la poésie.
S’il s’agit de faire la guerre
A ceux qui ne comprennent pas
Que je ne suis rien dans ce monde,
Alors que mon enfant meure
Sur le champ, et vite, sans souffrance,
Cette nuit, et tant pis pour le rêve !
(elle laisse s’envoler son écharpe)
Nous n’avons jamais été que deux.
On nous a offert de tristes vacances
Dans le cadre d’un programme destiné
A nous rendre heureux malgré nous.
Voilà ce qui peut passer par la tête
D’un ministre qui fait de vieux os
A l’abri des besoins les plus simples.
Cette nuit j’irai toute nue vers cette roche.
J’ai toujours été fascinée par la pierre.
Celle-ci traverse l’eau verticalement.
J’irai gravir ses flancs moussus.
Mais l’eau ne me laissera pas tranquille.
(elle s’agenouille, sa robe se mouille.
on entend mieux le bruit des vagues
qui finissent dans ses pieds)
Mais pourquoi tuer l’enfant ?
Me direz-vous, ô mes juges.
Pourquoi ne pas le laisser vivre
Et croître avec les autres
De son espèce, pourquoi, Luce ?
Vous pensez que je ne saurai pas
Répondre à cette question idiote.
Mais j’ai toujours su qu’il était l’enfant
De mon désespoir et de ma hâte.
Je crois d’ailleurs qu’il est mort
Le jour où j’ai commencé à l’aimer.
Il n’y a pas de poésie plus sincère
Que ce cri demandant à rêver
Pour ne plus se sentir seul
Parmi les cadavres futurs.
(elle ôte sa robe, la voilà nue)
Maintenant que vous savez tout,
Je plonge pour ne plus revenir.
Je m’arrêterai sur cette roche
Pour prendre la mesure de ma folie.
Me voilà vidée de toute honte
Et de toute haine, de tout amour.
Je n’ai jamais conçu l’amour
Autrement — haine et honte
D’avoir franchi le cap de la jeunesse
Dans l’espoir de retrouver la trace
Laissée par les idéaux — folie !
(elle entre dans l’eau jusqu’à la taille)
Quelle peur fait de moi une femme ?
Ai-je bien tué mon enfant
Ou l’ai-je seulement rêvé ?
Il ne faut pas se retourner !
La roche est mon seul spectacle
Maintenant, là bas, environnée
De blanches vagues à l’écume noire.
J’ai encore rêvé de reculer,
Car il m’a semblé que je me trompais.
Mais l’eau me communique sa magie.
Dans quelle matière entrons-nous
Si elle n’est pas liquide à l’instar
De l’eau qui nous encercle ?
Si j’ai tué mon enfant je l’ai noyé.
Pourtant j’ai rêvé de l’étouffer là,
Contre mon sein, tout près du cœur.
Il n’y a rien comme le cœur
Pour adoucir la douleur.
Rien comme ce battement
Qui marque le temps mieux
Que l’horloge de nos savants.
(maintenant
l’eau arrive sous son menton.
elle ne nage pas encore)
Une fois j’ai traversé la rivière
De mon enfance, à gué la rivière
De l’enfant que je n’ai pas su rester.
De l’autre côté, on riait et le pommier
Était secoué par de solides garçons.
J’en avais la chatte tout excitée.
Je m’en souviens comme si c’était hier.
Personne ne m’avait tuée ni songé
A le faire — pourtant la guerre
Sillonnait nos champs, tuait nos bêtes.
Ma chatte réclamait sa part de bonheur
Et pourtant, je n’étais qu’une enfant.
Je m’en souviens comme si je mentais
A propos de ce que je vis en ce moment.
Ma chatte mouillée et toutes ces queues
Qui frémissaient à la pensée d’une victoire
Sur le destin — pauvres que nous étions !
(elle commence à nager.
elle se plaint)
L’eau est froide tout à coup !
On ne sait jamais avec ces courants.
Les uns vous réchauffent comme l’amour,
Les autres vous glacent comme la mort.
La voilà bien la mer dont je rêvais !
Et je n’étais déjà plus une enfant.
La chatte moins attentive à l’effort
Nécessaire de la part du baiseur.
Voilà à quoi je pense tout en nageant !
Je ne sens plus ma chatte ni mes seins.
L’eau est noire, muette comme le mensonge,
Enorme, douce à la fois, menaçante.
Elle est tout ce que je tente de fuir
Dans l’attente de rencontrer la roche.
Du coup le ciel a disparu, la nuit
Ne l’éclaire plus, le clapotis me prive
De toute perspective, signe avant-coureur
De la noyade ou je me trompe.
Je ne sais même plus où je suis,
Où est la roche, si je m’éloigne,
Si je suis emportée, si c’est le vent
Ou la seule force de l’eau, de la mer.
Gardons-nous de ne pas mourir
Avant d’avoir joui des effets de la roche
Sur notre esprit en proie à l’angoisse.
Le coquillage y est vivant, le crustacé
Y dort, êtres de l’ombre et des surfaces
Qui affleurent le ciel et ses signaux.
Je sens que je vais devenir obscure.
Telle est l’excuse de la poésie
Aux paresseux qui cherchent des accords
Pour accompagner leur ignorance
Du phénomène — voyez comme je nage
Sans effort maintenant que je suis morte !
(elle flotte sur le dos)
Il n’y a rien comme la solitude
Et la nuit pour vous emporter
A l’horizon le plus proche de vous-même.
Mes seins hors de l’eau ont froid.
L’eau clapote entre mes cuisses
Et je me souviens que je suis chatte
Aussi bien qu’esprit en phase
Avec le monde et ses habitants — poésie
De la tentation, mon amie, et non pas
De l’intention comme tu le croyais
Tout à l’heure en te jetant à l’eau.
J’ai besoin d’une bite pour en rire.
Mais le ciel s’obscurcit, il va pleuvoir.
La brise se rafraîchit, l’eau s’agite,
Monte, me couvre, me retourne,
M’aplatit contre la roche, je glisse.
Mes mains ne peuvent rien saisir.
(elle pousse un cri affreux)
Ce n’est pas moi, ça ! Poésie !
Je ne me ressemble plus, Moi !
J’ai l’air d’un chiffon dans le lavoir.
L’eau forme des bulles blanches.
Le sel, je ne l’avais pas senti jusque-là.
Il me donnera soif, terriblement soif.
Il faut que je trouve une aspérité.
Mais ce ne peut être qu’une rencontre.
La poésie me l’a enseigné ! Mais voyons,
Je ne suis pas en train d’écrire !
J’ai décidé de mourir parce que ma vie
N’entre plus dans mon existence
Comme la queue dans la chatte.
O que ma langue est ordinaire !
Est-ce ainsi chaque fois qu’on meurt ?
La langue ne se fait plus belle.
Elle revient à sa nature de lien
Entre les inventeurs de sa croissance.
Mais comment parler de ce désir
D’être tronchée par une belle bite ?
Est-ce que Racine nous en dit un mot
Plus haut que l’autre ? — poésie,
Je ne veux pas mourir sans le dire.
(elle se débat,
arrache des algues
forme l’écume)
Puis-je me laisser emporter
Par je ne sais quelle force liquide,
Peut-être la trace d’une baleine
Ou le vent qui descend sur moi
Pour m’empêcher de parler aux morts ?
(elle se calme lentement,
retrouve sa respiration.
une de ses mains accroche
une aspérité rocheuse)
Sauvée ! Pour l’instant, car
Je n’ai pas renoncé à mourir.
Comme Pétrone je mesure
Cette distance sans retour possible.
Mais le temps ne s’arrête jamais.
Alors pourquoi grimper sur ce rocher,
Ce vulgaire rocher qui a toujours été là
Et qui survivra à ce que j’appelle poésie ?
Je hisse mon corps blessé, sanglant.
Je me plie aux contraintes que la forme
Du rocher impose à mes membres.
Puis ma tête se repose et réfléchit.
Je suis étendue, la chatte en l’air,
Face à la nuit et à la pluie.
Pourquoi ne pas ramener sur le rivage
Cette effusion de sensations, de pensées ?
Pourquoi ne pas redonner vie
A l’enfant que j’ai laissé aux soins
Du croquemort et de la justice ?
(elle s’assoit,
instable sur la roche)
Je n’avais pas été si loin dans la montagne.
Peut-être à cause du froid qui me paralysait.
Ce n’est plus le même froid, celui
De la mer et de la poésie qui m’emporte.
Ici, pas de douleur à l’intérieur,
Pas de douleur prenant racine au fond de moi.
C’est une douleur de surface, un frisson
De sang et de sueur, une contraction
Nécessaire à l’équilibre sans quoi
Je tombe à l’eau et cette fois je me noie.
J’attendrai la pointe du jour, qu’elle s’enfonce
Dans ce qui me reste de jugeote.
On me verra peut-être depuis le rivage.
A moins que je ne sois poisson.
Qui s’étonne de voir le poisson dans l’eau
A une heure aussi matinale ? Personne.
Mais la femme nue et sanglante sur un rocher ?
Qui ne vient pas à son secours pour la baiser ?
Mon enfant n’est peut-être pas mort.
Je n’ai pas serré son cou assez longtemps.
Je ne me souviens pas d’avoir attendu
Qu’il cesse de respirer, sa langue sur mon téton
Et ses petits pieds sur mon ventre, battant.
(elle tente de se mettre debout)
Il faut que j’y retourne.
Je dois l’achever si ce n’est déjà fait.
On ne me surprendra pas à cette heure.
Je vois le rivage d’ici — à moins
Que ce soit l’horizon — attention
A revenir ! L’horizon est trompeur
Quand on ne l’a jamais atteint.
Je vais trop vite en besogne.
Je finirai par me le reprocher
Et toute cette histoire fondra
Comme le sel dans l’eau.
(elle plonge,
s’embrouille au fond de l’eau
ne remonte pas)
Mais je ne suis pas un cristal soluble.
Je marche à l’envers ou c’est du sable
Que ma tête rencontre dans le noir
Et la tranquille agitation des profondeurs ?
Ma bouche s’est fermée et ne veut plus s’ouvrir.
Mes narines ne font pas autre chose.
Je ne veux pas mourir comme ça,
Par accident. Je ne veux pas mourir
Si mon enfant est encore en vie.
Il faut que je trouve cette force.
Revenir au rivage, me raisonner,
Saisir le cou de l’enfant, le serrer
Cette fois avec toute la conviction
Que ma propre mort m’inspire.
Mais je suis sous l’eau avec les poissons.
Je serai morte quand je me mettrai
A flotter comme un matelas, moi !
Qui n’ai vécu que pour le dire.
(elle ouvre enfin la bouche)
Aucune douleur… je ne rêve pas.
L’enfant est vivant ou il est mort.
Je ne le saurai jamais, je n’en parlerai
A personne et je l’oublierai
Par la force des choses — les choses
Qui ont peuplé mon existence de guignarde.
Pas de souffrance… on dirait
Que mon corps s’apprête à flotter.
J’aurais bientôt la tête hors de l’eau,
Mais pour ce qui est de respirer, tintin !
On m’oubliera, même l’enfant
S’il n’est pas mort, mais il mourra.
Ce sera ma seule idée de la Justice :
Tout le monde meurt, personne ne survit
Assez longtemps pour épater la science.
Après la connaissance, le néant.
Et rien après le néant parce que le néant
C’est l’après — et non pas le futur.
(un dernier spasme la secoue)
Cette fois je crois bien que c’est fini.
Le soleil revient sous la pluie.
Comme ces gouttes me rassemblent !
Je ne suis plus moi, je n’ai jamais eu d’enfant,
Ma chatte n’a jamais existé, ni l’homme,
Ni même la poésie. Je suis ce que je ne suis pas.
…………………………………………………………………….
A l’hôtel, on sort discrètement le corps de l’enfant et on l’enfourne dans une ambulance. Et sur le rivage, on utilise des jumelles pour examiner la surface de l’eau. Il ne se passe jamais rien d’autre. Et pourtant, tout recommence. Il n’y a pas d’origine et pas de fin. Il n’y a qu’un théâtre et des comédiens. Et personne dans la salle.
LUCE
Un jour avant de se jeter à l’eau…
de ce poème.
*
Que se passe-t-il ?
On n’entend plus les poètes.
Est-ce qu’ils sont morts ?
N’ont-ils plus de voix ?
Les fils sont-ils coupés ?
La poésie est-elle condamnée
Au chant de guerre ?
Je demande à la philosophie
De m’expliquer le phénomène
Et non pas de se taire
Pour éviter les balles
Et les jugements
En correctionnelle.
Poètes qui chantiez la paix !
La guerre déclarée
Vous a-t-elle privés de langue ?
Il est vrai que la conviction
Est l’apanage des superstitieux.
Que dis-je ? Des profiteurs
Quand le temps est au beau
Et des précautionneux
Quand la subvention
Et la reconnaissance
Tiennent à un bombardier
En mission assassine.
Poètes vous chanterez la mort.
Vous la couvrirez d’un drapeau
Aussi moche qu’immature.
Et vous paraîtrez à la fenêtre
De vos tombeaux en forme de hochet.
Le prophète a raison.
Vous êtes des menteurs.
Des décorateurs, des adulateurs,
Des délateurs, lâches, vendus.
Vos rimes sont des rimes
Comme un sou est un sou.
*
Ne volez pas ma bicyclette !
Sans elle plus de tour de France.
Et sans la Franc’, plus de poète
Pour abreuver sillons et panses.
Ce deux roues c’est toute ma vie.
Je pédale pour fair’ des rimes.
Sans rimes ya plus d’ poésie !
Sans elle je suis anonyme.
Le cul sur la selle en vadrouille,
J’ai l’ambition municipale.
Je suis le roi de la pédale.
Voilà comment je me débrouille.
Je veux des livres en papier !
Et un guidon avec des freins.
Faut se lever tôt le matin
Pour rimer même avec les pieds.
Ne touchez pas à mon vélo !
Me piquez pas la dynamo !
Je vous éclairerai d’en haut
Avec des quatrains comme il faut.
J’ai hérité de cett’ bécane !
Je l’ai pas volée en votant
Pour les dieux du gouvernement.
Je veux mon vélo pas votre âne !
La poésie des intellos
C’est du crottin sur le pavé.
Moi je sais faire du vélo.
On peut êt’ con mais pas rêver.
Ne crevez pas mes pneumatiques !
Jamais je fais de politique.
Je me soumets à la critique
Sans sombrer dans l’anecdotique.
Me reprochez pas mes patins.
Quand ça glisse je collabore.
Je suis le roi du coup de frein
Et l’ami des feux tricolores.
Encore un petit tour de France
Sur mon vélo municipal !
Et d’atelier en renaissance
Je vous apprends le principal.
Ne l’niez pas, je suis utile !
Je me médaille avant qu’il soit
Trop tard pour devenir le roi
D’une glorieuse automobile.
Vous verrez comme quatre pneus,
Autrement dit deux bicyclettes,
Ça rend les gens un peu moins bêtes
Et les voleurs plus malheureux.
Allons zenfants de la patrie
Le jour est enfin arrivé !
On va par deux pouvoir s’aimer
Sans tomber dans la psychiatrie !
Et j’dis pas ça pour les cyclistes
Qui n’ont qu’un’ roue dessous les fesses.
Je parle au peuple et à ses messes.
Voter c’est con mais on résiste.
Sur ce je vous quitte en chanson
Sinon je redeviens obscur.
Si le poème est trop abscons
Ben ma foi adieu les chaussures !
*
Api beursedé Manu !
Api beursedé tou you.
Api beursedé mon ami.
Api beursedé et des poussières.
Je suis venu te dire
Que je suis patriote.
Comm’ j’ai pas les chocottes
J’te propose mon martyre.
Je me mettrai un’ bombe
A la place des méninges.
Tu repass’ras mon linge
Avant d’m’ mett’ dans la tombe.
Api beursedé Manu !
Api beursedé tou you.
Api beursedé mon ami.
Api beursedé et des poussières.
Pour la creuser tu pioches
Dans l’programme’ des promesses.
Sinon gare à tes fesses !
Dieu est un mauvais mioche.
Un’ fois que j’s’rai dedans
N’oublie pas pour ta gloire
Mon devoir de mémoire
Et mes pot’s claquedents.
Api beursedé Manu !
Api beursedé tou you.
Api beursedé mon ami.
Api beursedé et des poussières.
Si l’or de mes ratiches
Peut servir la nation,
Arrache sans pourliche
Jusque dedans le fion.
Ah de la class’ j’ai pas
La moyenne qu’il faut,
Mais vu d’ici en bas
Mêm’ le vrai a l’air faux.
Api beursedé Manu !
Api beursedé tou you.
Api beursedé mon ami.
Api beursedé et des poussières.
*
Ah je me sens libre comme l’air !
Et pas peu fière de l’être.
Même que je me crois croâ croâ
L’égale des saints de la Nation.
Mais être la sœur de Manuel Valls,
De Sarkozy et de Johnny Halliday…
Ah si c’est la Loi vous m’en demandez trop !
Je préfère me condamner tout de suite
Au bannissement du banc social
Plutôt que de partager quelque chose
D’aussi précieux que ma personne
Avec ces tumeurs républicaines
Montées comme des girouettes
Sur les clochers de nos églises
Pour me donner du mal au crâne.
Que je sois libre ça vous regarde pas.
Et que je sois égale ou pas,
C’est l’affaire de ma curiosité.
Mais fricoter avec les donneurs
De leçons et de spectacles,
Ah ça non je suis pas charlie !
Plutôt avaler un David Bowie.
Mais juste parce que je comprends pas
Ce que ce pitre de la hanche et de l’œil
Prétend communiquer à mes neurones.
Et je parle pas du monticule Renaud
Qui veut s’énerver avec la foule
Encore un peu avant de s’y remettre.
Vive la liberté et l’égalité !
Après tout j’en fais ce que je veux.
Mais la fraternité avec des singes,
Ça me fait remonter trop loin
Et je sais plus comment on faisait
Quand c’était juste singer qu’il fallait
Pour se servir des autres et même des cons.
J’ai oublié ce temps-là, turlututu !
Je suis toute neuve et ça brille pas.
La liberté nous rend marteaux
Et l’égalité nous enferme entre quatre murs.
Ça suffit bien pour continuer
De vivre en essayant de se faire aimer
Par ceux qu’on a vraiment croisés
Sans être obligé de loucher
Sur l’identitié et le droit d’exister.
Je ne suis la sœur de personne.
Chacun pour soi et Dieu pour tous,
M’a-t-on enseigné à l’école.
J’ai retenu la leçon et ce sera la seule.
Ça me rend libre de penser à autre chose.
C’est comme ça que je me sens égale
Et même quelquefois supérieure.
Citoyenne je veux ! Mais pas sœur !
Que la liberté soit avec vous
Et l’égalité avec votre esprit.
Je ne suis la sœur de personne.
*
Grikiki revenait de la guerre
Contre des inconnus nés ailleurs.
Il ramenait une blessure,
De la peur et aussi de la haine.
De quoi vous plaignez-vous ?
Dit le citoyen qui n’était pas allé,
Qui n’était même allé nulle part
Pour rester chez lui avec les siens.
De quoi ? Mais de ne plus être
Moi-même ni le fils de mon père !
S’écria Grikiki en montrant
Sa blessure, la peur et aussi la haine.
Ce n’est rien, dit le citoyen, qu’un peu
De chair, de feu et aussi de haine.
N’en ai-je pas moi aussi à revendre
De ces produits venus des Colonies ?
Vous feriez bien de vous remettre
Au travail comme les autres, ceux
Qui ont été et ceux qui ne sont plus.
C’est comme ça qu’on devient président.
Vous ne voulez pas devenir vous aussi
Président de la République ?
Ne me dites pas le contraire !
Tout le monde rêve ensemble.
On ne rêve plus tout seul dans son lit.
Ça ne se fait plus, dans l’urgence.
Laissez faire ceux qui savent pourquoi
Les uns ont tort et les autres raison.
Ne pensez plus à vos blessures,
Ni à la peur qui n’existe pas ici.
Même Renaud ne craint de crever
D’une balle en plein dans les tripes.
Faites comme lui, mentez-vous
A vous-même et devant les autres.
Faites comme si la haine n’en était pas.
Et servez-vous-en, nom de Dieu !
Garde à vous ! Au trot ! Et en avant !
Ce n’est pas fini ! Ça commence !
Pour qui vous prenez-vous, mauvais
Sujet, enfant ingrat, fils de personne ?
La patrie va vous montrer comment
On l’aime quand on s’est battu pour elle.
Nous on sait déjà se faire enculer.
On est resté ici pour ça, monsieur
Le vétéran, oiseau de malheur, SDF !
Ce n’est pas vous qui allez nous apprendre !
Couchez-vous là où on vous dit.
Un fonctionnaire va vous prendre
En charge. Et gare à la rébellion !
On sait aussi les mater, ceux qui ont
Déjà servi ! Tenez-vous-le pour dit !
Et c’est signé : Le Président, ses ministres
Et le Parlement au complet. Dehors !
*
Il n’y a pas de pays qui tienne.
La preuve je ne marche pas
Sur cette terre d’électeurs.
Je choisis de rêver que je rêve.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
Tout s’écroule autour de moi,
Les rêves d’enfants, les vacances,
Et les promenades avec toi.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
On a trop besoin de chefs.
Et à la fin il faut se battre
Alors qu’on était venu pour autre chose.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
Le seul bonheur est une défaite.
Une guerre sans solution de fin.
Et des morts dans la maison voisine.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
Les serviteurs sont des salauds
Sinon ils ne serviraient pas.
Beaux salauds, faux anarchistes.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
J’étudierai la poésie, la seule.
Mais sans la rime des vendus
Qui chant’ au lieu d’écrire vrai.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
Je ne suis de nulle part, je migre.
Je fuis, je ne rêve plus, je pars !
Je peux aussi crever d’attendre.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
Les hommes sont des animaux
Qui se nourrissent d’eux-mêmes.
Il n’y a rien de patriotique là-dedans.
Il n’y a pas de pays qui tienne.
La femme ferait mieux d’arrêter
De servir la patrie et de la nourrir.
Les hommes sont des chiens aux abois.
*
Vous ne connaissez pas Mystère…
Pourtant Mystère est dans la rue.
Vous ne pouvez pas ne pas
Marcher sur sa tronche en rondelles.
Quand je pens’ que je l’ai épousé.
Devant le Maire et le Curé.
Quand je pens’ que je suis sa tartine.
Cul beurré du soir au matin.
Heureus’ment qu’y bande plus !
Manqu’rait plus qu’on lui fasse un gosse
A la Patrie qu’est en danger !
Ça en f’rait deux mais l’aut’ est mort.
Alors comm’ça Richepin,
Tes gueux vont à la guerre ?
C’est PC qui m’a dit.
J’en reviens pas non plus.
Mais Mystère il ira pas.
Il ira pas sans moi se fair’ tuer.
On est les frangins de personne.
On n’a pas trinqué mais on trinque.
Pourvu que je crève avant lui !
Ah je m’vois pas le brancarder
Jusqu’à la morgu’, même en auto.
Quand je s’rai morte, ô Français libres,
Consommateurs égalitaires,
Dit’ à Mystère qu’il en est pas.
J’ai toujours su ce qu’il était
Et qu’il sera après ma mort.
Les bit’ que ça bande ou qu’ça casse
C’est dans l’drapeau que ça s’essuie.
Et comm’ j’en ai un dans le con
Ben ma foi on est patriote.
Mystère et moi c’est du tout cuit.
Pas la peine de bosser la nuit.
Rich’pin nous envoie à la guerre
Et on revient le cul verni.
*
Un jour j’irai en Palestine
Pour voir des Juifs et des Arabes.
Je me prendrai pour Jean Genêt
Avec un chapeau sur la tête
Et une plume dans le cul.
Un jour j’irai dans la savane
Pour flirter avec des sauvages.
J’aurais la tête de Camus,
Avec dans la poche un visa
De la part de tous les Français.
Un jour enfin je voyag’rai
Au bout du monde avec mon cul.
Je le mettrai où ça me chante,
Mais sans chapeau et sans visa.
Je ne serais jamais poète.
*
Non je savais pas…
Je suis pas née pour savoir.
J’ai choisi de jouer
A la baballe avec le temps.
Non je le vois pas passer…
Je ferme et j’ouvre ma fenêtre.
Il y a si longtemps
Que je suis pas sortie…
Non je veux pas…
Je veux rien si c’est bien
Et je veux penser si c’est mal.
J’écris pour ne pas écrire.
Non ce n’est pas dur…
Les oiseaux ont des ailes
Et les poules des dents.
Je suis faite pour ça.
Non je ne suis pas seule…
Je souffle sur les pages
Pour donner à la poussière
Une raison d’exister.
*
Qui n’a pas rêvé
De tout recommencer ?
Quel abruti n’a pas pensé
A laisser tomber le jour
Et la nuit et tout ce qui pèse ?
N’est-ce pas la meilleure
Façon de tuer l’ennemi ?
Alors c’est oui ou c’est non ?
Demande le livre ouvert
Sur le malheur et la bataille.
Il faut être un sale gosse
Pour accepter de commencer.
Mais qui n’a pas peur de l’autre ?
Qui possède le secret
D’un autre monde ?
Une injection vite fait.
Un film bien fait.
Un vote mal fait.
Le lit, la machine, la bite.
Et à l’âge d’être soi-même
On devient soldat, pute,
Fonctionnaire, curé, rabbin,
Député, pauvre con d’ouvrier.
Comment lui en parler
Sans passer pour un cas ?
J’en ai déjà trop fait.
Bien, mal, vite et même sans.
Qui n’a pas rêvé
De tout recommencer ?
Ne rien payer, voler, tuer.
Ne pas aller, ne pas rester.
Et tu voudrais que je t’écrive
Une lettre d’amour, pour voir…
Mais voir quoi, pauvre con !
Tu ne sais pas qui est l’enfant.
*
Livres des bibliothèques,
Labyrinthes des bonnes familles,
Chronologies, mythologies, épopées…
J’en ai vu de toutes les couleurs
Depuis qu’Aristote m’encule.
Quelle est ma ville ?
De quel pays ma langue ?
Histoires, lectures, écrits.
J’en ai vu de toutes les couleurs
Depuis qu’Aristote m’encule.
Je ne suis pas un personnage.
Je ne sais pas jouer avec la peau.
Quels sont ces lieux imaginaires ?
J’en ai vu de toutes les couleurs
Depuis qu’Aristote m’encule.
Comme la bourgeoisie s’amuse
Dans les universités, les parlements !
Et le peuple applaudit aux vitrines
Sur les trottoirs de l’avancement,
Du progrès, du futur en somme.
J’en ai vu de toutes les couleurs
Depuis qu’Aristote m’encule.
Et pourtant je ne suis pas née.
Personne ne m’a encore inventée.
Pas même toi, ô mon amour.
*
Je me demande sérieusement
Si je ne vais pas aller à la guerre.
Mais comme je ne sais pas
piloter un avion,
Je n’y vais pas.
C’est la seule raison,
Sinon j’irais.
La fleur au fusil
Ou à autre chose
Si c’est avec autre chose
Qu’on fait la guerre
Quand il y en a une.
Je saurais la reconnaître
Sans compter les cadavres.
Pas besoin de télé
Pour apprécier la mort
A sa juste valeur.
Ah j’ai vraiment envie d’y aller !
Tant pis pour l’avion.
Je ne le prendrai pas à Paris.
J’irai dans le désert
Avec la fleur dans la tête
Si c’est là que ça pousse
Les fleurs des tombes,
Des charniers de l’Histoire.
Vous ne me laissez pas
Le choix, ô mes compatriotes.
Tant pis pour vous, j’y vais !
Tout seul il le faut bien.
Avec un couteau dans la poche
Si c’est là qu’il faut les tuer
Ceux que je n’connais pas,
Ceux que j’aime déjà
Et qui poussent tous seuls
Ou sans explication.
Si jamais je reviens,
Je vous raconterai.
Ah c’que je suis pressé
D’revenir à Paris
Pour vous raconter ça !
*
« On n’est pas tout le temps égaux,
Malgré ce qui nous constitue.
Ça m’ferait chier d’être l’égal
De Gratougnac qu’est un ripou !
Je veux bien être l’égal
De ceux qui m’égalent
Ou que j’égale en m’efforçant.
Mais pas d’Gratougnac le flicard !
Ah merde et puis je m’en veux pas
De pas aimer les argousins.
Y sont trop cons et tous pourris.
C’est du terreau pour les tyrans !
Tsoin ! Tsoin ! »
Gratougnac juste passait là
Quand il entendit ce discours.
(C’est nous qu’on chantait en buvant)
Mais comme il avait oublié
De boire un coup avant d’y aller,
Il s’en est pris à un pov’chien
Qui venait just’ d’être au chômage.
« Ça fait du bien de s’défouler
Pour la Justice et le Travail ! »
Entonna-t-il une fois mort
Ou presque le clébard sans taf.
On n’est pas sorti du bistrot.
On sort plus, on attend qu’ça passe.
On critique, on se laisse aller.
On sait bien qu’c’est toujours les mêmes
Qui couch’ dehors et prenn’ les coups.
Nous on est payé pour rien faire
Et on fait tout pour que ça paye.
Ah c’que c’est bon d’être fonctionnaire
Mais pas roussin ni militaire.
On est les purs de la fonction.
Par ci par là un p’tit refrain
Et Gratougnac qu’est un vrai con
Entend chanter un SDF.
C’est nous la voix et les oreilles
De la Justice jacobine.
Et ça marche sur des roulettes.
C’est équilibré comme un pneu.
C’est un vélo qu’on fait pas mieux.
Flics et rond-d’cuir au traquenard !
À bas le chômag’ des chômeurs !
Sus aux poubelles de la rue !
On a le sens et le spectacle.
Tout est faux mais ça a l’air vrai
Viv’ l’éternité de la France !
Merci les flics ! Merci Daesh !
Tsoin ! Tsoin !
*
Quand j’suis pas content d’la gauche,
Je vote à droite !
Et si la droit’ m’satisfait pas,
Je tourne à gauche !
C’est pas ma faute,
Je suis Français !
Tenez pas plus tard qu’hier,
Je fais bobo à ma mimine
En tondant ce maudit gazon
En me disant que pour un’fois
C’est pas moi qu’on me coup’ les poils.
Renaud chantait à la télé
Et Manu relisait Mein Kampf
Aux écoliers pour expliquer
La différence et le projet.
Ah je me suis mis à rêver !
Et profitant de ce sommeil
La tondeuse a rasé les pompes
De Bobonn’ du chien et d’l’oiseau
Qui fait cuicui quand j’ai bien bu !
Ça m’a valu des tas d’reproches.
Pisque c’est ça tout c’que vous dites
J’m’en vais voter pour le FN
Et m’faire enculer par Le Pen !
Quand j’suis pas content d’la gauche,
Je vote à droite !
Et si la droite m’satisfait pas,
Je tourne à gauche !
C’est pas ma faute,
Je suis Français !
Avant-hier j’avais trop bouffé.
J’en laiss’ jamais à m’sieur l’curé.
Mais maintenant que j’suis un grand
Il me questionn’ plus à propos
De comment que j’fais pour y faire
Et pis tout seul et avec lui.
Mais y avait encor’ du dessert
Et d’quoi arroser le pastis.
Dedans j’ai trempé mes cerises
Que ça m’a foutu l’feu au cul !
Bobonne en a pris plein la tronche,
L’chien savait plus où j’habitais
Et l’p’tit oiseau qui fait cuicui
S’est noyé en poussant des cris.
Ah tout le mond’ m’en a voulu !
J’me suis fait engueuler sur tout !
J’avais plus tort que l’vieux curé.
Aussi ni une ni deux ni trois
J’m’en suis allé voter à gauche
Pour ceux qui pens’ à notre place.
Ça m’f’ra des vacanc’ et du temps
Pour penser à plein d’autres choses !
Quand j’suis pas content d’la gauche,
Je vote à droite !
Et si la droite m’satisfait pas,
Je tourne à gauche !
C’est pas ma faute,
Je suis Français !
Demain j’ai rendez-vous à l’heure.
Faut pas arriver en retard !
On va m’coller dessus les yeux
Des verr’à voir mieux à travers.
Et si j’suis sag’ pour ma dent creuse
J’aurais de quoi y mett’ les doigts
Sans risquer d’me fair’ mal au cul.
Mais je sais pas si j’vais payer…
J’en ai plus trop de quoi casquer…
Je bosse et j’ai de quoi bosser.
Je me plains pas de la bagnole
Ni des avantages sociaux.
Mais pour les yeux et les ratiches
J’ai comm’ qui dirait la main creuse.
Ça me fait mal rien qu’d’y penser.
Faut choisir, me dit ma conscience :
De belles dents avec de l’or
Et des yeux pour ne rien rater…
Ou des douleurs et rien pour voir
Ce qui me fait toujours bander…
Je m’demandais comm’ça en douce
Si des fois on peut pas voter
Sans que ça se voie trop dehors…
Et qu’on ait l’air qui faut des fois
Qu’on nous chang’ le gouvernement.
Bobonne le chien et l’oiseau mort
Vont morfler d’ici à demain
Si je trouv’ pas une réponse.
Sacré bordel de droite et d’gauche !
Quand j’suis pas content d’la gauche,
Je vote à droite !
Et si la droite m’satisfait pas,
Je tourne à gauche !
C’est pas ma faute,
Ya pas d’milieu !
*
Les fill’ devenez magistrates !
C’est bien payé et on rigole,
D’autant qu’on peut s’absenter tous les jours !
C’est un métier qu’on a pas besoin
D’étudier les mathématiques.
Même’ qu’on nous trait’ de femm’ de Lettres !
Tu parl’ de lettr’ qu’on sait pas lire.
Laissez-les s’ pendre par le cou !
Ça en fait un d’moins à juger.
*
Moi quand je bande
Ça se voit pas.
Ah qu’Dieu est con
De l’avoir fait
Pour que ça s’voit
Chez toi !
*
Ah c’qu’on est bien
Dans la cinquième république !
C’est pas la France ni l’Hexagone,
Mais on s’y sent comme chez soi !
« Les Français, haut les veaux !
Aiment la république ?
Eh ben en voilà une
Et gaulliste avec ça !
Vive moi ! (Je me comprends)
Comme dit mon chaouch de service,
Sac à malice’, coquin de sort !:
— La république, tant que vous voulez !
Mais la démocratie, c’est pas donné.
Elle s’arrête où commence
L’intérêt de l’État.
Or, l’État c’est moi ! »
Ah c’qu’on est bien,
Mon p’tit Manu !
Jamais puni, jamais bien fait !
Des fois je crois que c’est un rêve.
« Depuis Louis XI, mon bon Franchu,
C’est de là-haut que vient le temps.
J’suis pas très doué en Histoire,
Mais en calcul j’ai mes dix doigts.
Plus de six siècles nous contemplent.
Ça m’étonn’rait qu’Napoléon
Soit mis au banc des accusés
Avec Adolf et les curés.
À mon avis, ça va durer
Plus que ne vivent les roses !
Vive les chiott’ et l’Président ! »
Ah c’qu’on est bien
Dans la cinquième république !
C’est pas la France ni l’Hexagone,
Mais on s’y sent comme chez soi !
***
Voilà comment on redevient enfant.
Le chien n’aboie plus.
Il devient homme.
L’homme est devenu femme.
Je joue à la baballe
Dans le jardin
Qui m’a vu naître.
Les oiseaux secouent leurs plumes.
L’arbre prend le vent
Sur la mer de gazon.
La clôture à angle droit
Perle tous les matins
Et sa la pluie déchante.
On a de bons voisins,
Des jardiniers en fleurs
Et en légumes pour la soupe.
Un jour je rêve de devenir poète,
Un autre et je n’écris plus rien
Ni pour les yeux
De celle qui m’enchante,
Ni sur le fil
De l’actualité.
Je suis ce que je suis
Quand je ne suis plus
Ce que je devrais être.
Et pourtant j’ai été.
Homme, femme et enfant,
Les voyages m’ont connu
Plus observateur qu’un nuage
Passant comme un promeneur
Dans les bleus et les jaunes
Du ciel tapisserie.
Je m’angoisse dans la joie
Et j’épie des moments.
Je rutile comme un sou neuf
Dans le mouchoir des jeunes filles en fleurs.
Je m’enivre pour un rien.
J’arrache des pétales
Aux insectes masturbateurs.
Ruisseaux des larmes approximatives.
L’hiver comme l’été,
Des voix se font entendre
Dans les murs des mes passions.
J’écoute leurs refrains.
Je mange leur pain.
Je bois à la source même
De l’inspiration en forme
De robe d’été, transparences.
Je sais ce que c’est, la poésie.
Un jour, je ne le saurais plus.
Il faut vivre avec cette sentence
Prononcée une bonne fois pour toutes
Sur l’autel des saveurs.
Le chien me suivait.
Elle allait devant,
Cueillant les fleurs des talus
Et arrachant aux arbres
Des plumes encrassées.
D’autres enfants se balançaient
Comme des pendus
Aux charpentes nues des ruines.
Ça sentait la mort à plein nez.
Et la télé rapportait des lointains
Impossibles à nommer
Sans adhérer aux théories
Des uns et des autres.
Un jour tu deviendras
Ce que j’ai été avant toi.
Pleure maintenant avant
D’en rire avec les autres.
Sables d’or des rivages,
Gras sillons des campagnes,
Sommets des parachutistes,
Chemin des croisées aux statues,
Grottes trouant les verticalités,
Rature infinie de l’horizon.
Je n’allais nulle part avec eux.
Mon corps rapetissait en sourdine,
Os étirés jusqu’à la douleur.
Je vénérais mes mains d’argent
Sur la guitare pourtant muette.
L’Alhambra gémissait dans l’ongle.
Pas de peur, pas de fuites éperdues.
Rien que la lenteur des choses
Qui ne veulent pas dire leur nom.
Un monde réduit au silence d’or.
Pas même de curiosité
Pour ce qui est ou n’est pas.
Aucune recherche sous terre,
Pas de puits s’obscurcissant.
Rien que le ralentissement
Des parallèles et des courbures.
Des chocs sans conséquences,
Un chœur passant dans la rue
Aux trompettes du bonheur.
Des robes voletant aux crochets
Des murs mourant d’animaux.
Des titans revenaient visiter
Leur ancienne propriété.
Portails gémissant des retours,
Chronologie aux personnages
Blessés par le cours de l’Histoire.
La fille aimait d’amour
Le père aventurier.
Croissance des taureaux
Entre les fleuves parallèles.
Je ne saisissais pas le sens
D’une pareille aventure
Au pays des métamorphoses.
Qui a cueilli cette fleur
Au lieu de l’arracher ?
Ainsi les voix se multiplièrent.
Je ne reconnaissais plus la mienne
Si tant est que je parlasse
Comme il convient à l’âge ingrat.
Non, je ne parlais pas aux autres.
Je cherchais la répercussion
Dans l’angle des murs bavards.
Quel instrument mieux que la grille
Peut imiter tant de fracas ?
Le chien grognait encore.
Il n’allait pas plus loin que le portail,
Mais sa langue franchissait les distances.
Quelquefois on venait de loin
Pour l’entendre gratter ses cordes.
Il n’ouvrait pas le portail.
Il parlait dans la grille moussue.
Des tiges fleuries se frottaient
A ses joues rugueuses comme des limes.
On ne l’écoutait pas longtemps.
Il finissait toujours par vomir
Et les gens filaient sur le trottoir
Pour échapper à ses critiques.
Papa-chien ne redoutait rien,
Mais il buvait à même le goulot.
Et à la fenêtre là-haut
Maman-hermaphrodite reprenait
Un à un les refrains.
Je fus géant
Et je suis luz.
La peau du tambourin se tend
Sous l’effet de la turgescence.
Je fus Jéhan
Et je suis LUCE.
Ah quel mystère les amis !
Quelle énigme sans solution
Pour un enfant qui ne sait pas
A quel point il est compliqué
De devenir et de rester !
Un chien à la rigueur !
Mais cet être transformé
Par l’art du chirurgien !
Que suis-je moi-même
Si je n’ai pas tout compris ?
Je n’ai jamais voulu être un chien.
Je n’en ai même pas caressé.
Je n’ai jamais approché un chien
Sans me méfier de sa douceur.
Le mien fumait la pipe
En se laissant fasciner
Par les feux de la cheminée.
Les feuilles se recroquevillaient
Au son des écorces rougissantes.
La poésie des chiens
Est à l’image de l’Enfer.
On vous attend sur le rivage.
Qui est ce conducteur sans visage ?
Vous ne le saurez jamais.
Relisez les poésies de Renaud,
Plus haut ! Plus haut !
Elles vous rediront ce que le feu
N’a pas donné à ses précurseurs.
Je les aimais comme le pain,
Comme le lait de ses galets.
Mais le chien n’a pas donné l’enfant
A cette femme qui n’en est pas une.
Je ne suis pas l’enfant
De Jéhan Babelin,
LUCE ou pas LUCE.
Nous prîmes le train à Paris.
Il s’envolait sur les toits.
Il ne redescendait pas.
Les quais étaient déserts.
Un cheminot sifflait
En agitant ses signaux.
Jésus multiplia les ponts
Et servit le vin à ses hôtes.
Je ne vous ai pas parlé de Jésus.
Jésus le Sucre de mon existence,
Mauvais poète, homme de peu.
Il aimait les femmes en hommes
Et les enfants en petits monstres.
Il habitait à la droite d’un seigneur.
Dans cette maison de banlieue,
Personne ne croyait en Dieu.
Jésus haïssait Dieu comme lui-même,
Mais en amour, c’était un dieu.
Il aima Jéhan Babelin
Et creusa sa statue
Dans la pierre d’angle
D’une ancienne fabrique
De moteurs à explosion.
La statue portait comme un calice
Le bocal contenant,
Dans son jus de formol,
La verge coupée de Jéhan
Et ses olives rabougries
Qui pendaient hors de leur sac
Comme deux têtes de lutins.
A l’automne le chien
Vint lui aussi se recueillir
Devant la relique désormais
Aussi sacrée que Saint Glinglin
Et Saint Frusquin réunis.
Mais d’enfant, pas un un !
Rien que mézigue à la fournée.
Et ce n’était pas faute
De prendre le plaisir
Par les deux bouts
De sa lorgnette.
Nous avions pris le train
A Paris pour les toits
Et le charme de ses statues.
Et Jésus qui n’était ni chien
Ni paradoxe de la queue,
Jésus le Sucre m’enculait,
Il entrait dans mon petit cul,
Mon autre sexe
D’enfant gâté
Par la bizarrerie de l’existence.
Et l’enfant que j’étais
Se remplissait de cette poésie-foutoir.
Elle entrait mais ne sortait pas.
Et mon corps en concevait
Un gonflement mathématique.
J’atteignis les limites
De l’incohérence faite enfant.
Je ne ressemblais plus à rien.
« Si tu continue comme ça,
Me dit Jéhan dit LUCE,
Tu n’arriveras à rien de bon.
Tu mettras des pieds de gros
Dans ta nouvelle vie d’adulte.
Crois-moi, fiston, j’ai l’expérience
Du gigantisme et de la lumière. »
Je le (la) croyais sur parole.
A force d’avoir moi-même
De l’expérience et de l’angoisse,
J’étais mi-chien et moitié fou.
C’est comme ça que je grandissais.
Je perdais déjà mes cheveux.
En plus de gros
Je serais chauve !
Le cul ouvert
Comme une boîte.
Et de la poésie plein l’intérieur,
De la poésie à odeur de foutre,
De la vraie poésie de Jésus,
Celui-là ou un autre !
Alors Jésus me dit, très grave :
« Fils de personne, je t’aime
Comme le fils que je n’ai pas eu.
Jéhan n’a pas d’ovaires
Et le chien ne sait plus
Où donner de la tête à la messe.
Je te veux pour héritier.
Tu connais ma poésie,
Autant dire mieux que moi.
Montons plus haut toi et moi
Que sur les toits.
Tuons-nous d’un commun accord.
Ya pas de dieu après le temps,
Mais on dit que sur le moment
Ça procure un sacré plaisir.
Ah ! je ne veux pas rater ça ! »
Et le voilà qui m’empoigne !
Il emporte ma culotte
Dans un premier mouvement
Et revient bandé comme un arc
Comme s’il avait
Rencontré Dieu !
J’ai la langue dehors,
Le cri presque sorti
Et le ventre en vadrouille.
Il me prend par la main,
M’emmène au bout du monde,
Là où personne ne va tout seul.
« C’est pour ça qu’on est deux,
Glousse-t-il en tirant
Sur les pans de ma chemise.
Surtout pas un mot !
Il ne faut pas
Que ça se sache.
Toi et moi c’est gagné ! »
À deux qu’on a pris la mer !
Sur les toits de Paris
Et à fleur des nuages !
Ça sentait le sel et l’iode.
J’entendais les coquillages
Aux oreilles pointues.
L’écume des matelas
Ruisselait dans nos draps.
J’en avais le bonheur
A deux doigts de clamser.
« Si c’est ça la limite,
Roucoulai-je dans une gouttière,
Ah ! je veux bien recommencer,
Mais cette fois sans les mots ! »
Et c’était reparti
Pour des tours et des tours !
Du plaisir en bouteille,
En seringue et en pipe !
Et en plus j’avais pas l’âge !
Alors vous pensez bien
Qu’à ce rythme infernal
On a fini dans le ruisseau
Entre l’égout et les poubelles.
Ah ! j’en étais convaincu
Que j’étais pas le fils
De Jéhan Babelin
Et de son chien
Babylonien !
Seul’ment, voyez, la pauvreté,
A force, à force c’est payer,
Payer trop cher pour ce que c’est.
À la fin j’étais fatigué,
J’avais le doute en croix sur moi.
Jésus lui était presque mort,
Ne mangeait plus, se laissait faire
Et même parlait aux oiseaux.
Que c’en était triste à vomir.
Le chien m’avait suivi.
Il renifla mes ordures
Et jeta un œil amer
Dans la poubelle où délirait
Jésus plus si sucré que ça.
À la maison maman pleurait.
Ah ! je voyais ça d’ici :
« Et que je n’étais jadis
Qu’un employé municipal.
Et que je suis devenue
Autre chose à force de
Travailler dans le voyage.
Tellement que j’ai rencontré un chien
Et après tu connais la suite. »
Moi, j’avais vu la mort de près.
Et en plus j’avais fait exprès.
« Ah ! si on avait su, fiston,
Autrement on t’aurait élevé.
On n’en serait déjà pas là
Avec du temps pour réfléchir
Comme le commun des mortels. »
Le chien moralisait sur le trottoir.
Je buvais l’eau du caniveau
En reluquant la chair nue de la nuit.
« Ya pas comm’ la poésie
Pour rien cacher de la complexité
Que c’est de vivre avant d’ mourir ! »
Disait le chien qui en souffrait.
Jésus était peut-être mort,
Mort sans moi et tout seul
Au moment d’en savoir plus
Sur le plaisir en fin de vie.
Je suis monté sur le chien
Et on est rentré à la maison
Où papa m’a passé un savon.
Je ne serai jamais poète !
Fallait que je me le mette
Dans la tête.
Jamais poète ! Jamais poète !
Et avec ça bête !
Mais bête à couper au couteau !
J’en ai retrouvé le sommeil.
J’ai rêvé de Jésus, des putes,
De la rue et de ses vitrines,
De la lumière déjetée,
D’autres débris au bas des murs,
Du train arrêté et du quai.
Et au matin,
Dans le jardin
A deux mains j’ai
Fait un enfant
A la luzerne.
Ça fait chanter les oiseaux.
Même le soleil
Paraît plus gai.
Papa-chien écrivait
Dans le reflet de sa fenêtre.
Maman-géant relisait son ouvrage.
Je n’écrivais pas.
Je n’y pensais pas.
Une fille passa.
Je la suivis,
Mais pas pour la violer,
Simplement pour la regarder
S’éloigner lentement
Comme dans un film.
Ça fait un bien fou
De n’être ni heureux
Ni dans la merde.
Ah ! j’aimerai toujours
Ces bons vieux retours !
À midi,
Une éclipse
Répandit son ombre
Et j’entendis la mer.
Je suis le fils de Jéhan Babelin
Et de son chien,
Fils de Jésus aussi en touche.
J’ai mon mot à dire
Et je vais en rester là :
***
Au matin on me voit les pieds dans la rosée
cueillant le verbe sur les feuilles
et le conjuguant au présent
pour donner la chanson à la poésie
Si tes yeux ne m’avaient pas inspiré
si tes seins de marbre ne m’avaient pas nourri
si je n’étais pas né de ton ventre souple
que trouverais-je sur les feuilles
sinon la poussière des hommes
qui ne savent pas que la vie est poésie
avant de disparaître dans cet humus
J’ai fouillé toute ma vie dans cette nourriture
au pied des arbres qui lui font de l’ombre
et j’ai toujours trouvé de quoi me nourrir
car les racines sont le meilleur de nous-mêmes
et nous devons tout à la terre qui nous porte
avant de nous emporter
dans sa puissance tellurique
Je chante le printemps d’une poésie
que tout le monde reconnaît
que ce soit dans la rue ou dans les théâtres
chacun y va de son inspiration
pour reconnaître que c’est ainsi qu’on chante la vie
et non pas en ne sortant jamais de la nuit
pour finalement mourir avec ses rêves
de je ne sais quelle gloire moderne
Au matin je suis le premier dehors
s’il pleut je suis heureux de me mouiller
et si la gelée brûle mes feuilles
je les réchauffe en peu de mots
car ici c’est le printemps qui s’impose
et la poésie est reconnue au premier regard
*
Touchez au vers tant que vous voudrez
la poésie est si forte qu’il résistera
aux assauts les moins subtils
Mais ne touchez pas à la langue française
Chantez dans la rue pour le passant
ou pour la passante que votre cœur étreint
Mais au soleil ou sous la pluie de grâce
ne chantez pas sans la langue française
Rêvez la nuit et le jour si vous ne dormez pas
la place du bonheur est dans la poésie
seul ou en compagnie elle est le bien commun
Mais n’ouvrez pas la porte à l’étranger
Chacun est roi dans son pays
il n’y a pas de rois sans pays
et si vous avez le cœur bien placé
Ne touchez pas à la langue du vôtre
Nous traduirons ce que la poésie amène
comme le vent transporte des oiseaux
Mais s’il emporte nos propres chansons
Ne touchez pas à la langue française
Il n’y a pas de trésors sans religion
Il n’y a pas de poèmes sans poésie
Et sans la langue française nous ne sommes rien
que l’intraduisible défaite du traitre à sa passion
*
Le printemps connaît l’amour
mieux que le cœur lui-même
C’est que l’été n’est pas loin
Nous nous retrouverons sur la plage
Traverser ces trois mois de douce pluie
ne coutera rien au cœur qui attend
J’aurais cette patience comme l’hiver
a duré plus que de raison
Seul dans la nuit avec mes seuls rêves
de toi et de ce que je sais de toi
je prendrai les chemins les plus longs
pour ne pas te perdre
Il n’y a rien comme l’amour pour donner
au poète toutes les raisons de revenir
sur cette plage où tu n’as songé
qu’à me rendre ce que j’avais trouvé en toi
Comme la mer était docile en ce temps-là
et comme il n’y avait plus que toi pour aimer
et comme je savais que tu reviendrais en été
car l’été est ton nom ô ma liberté d’aimer
Que dure ce printemps une éternité
je n’en serai pas moins le passager tranquille
même si après l’été les feuilles tombent
pour qu’on les foule d’un pied pressé
*
Rose exquise qui ne pique pas les mains
j’ose approcher ma joue de tes lèvres
et recevoir le baiser de ta couleur
pour enflammer mon cœur printanier
Comme il est agréable ce jardin où nu
je retrouve la saveur du premier instant
Comme les choses n’ont pas changé
depuis que le monde nous appartient
Buvons de cette eau pour nous griser
Ces fruits sont aussi notre nourriture
Par ce bain et ce festin de rois
je te nomme ma reine et je suis ton enfant
C’est ici que je suis né
entre les pommiers et la vigne
ici que mon enfance a commencé
à aimer ce que tu es devenue
*
Aujourd’hui il pleut doucement
si doucement que je me sens seul
Il n’y a plus d’oiseaux dans les arbres
et le vent tourne en rond
À la fenêtre les fleurs penchent leurs têtes
comme si elles regrettaient d’être venues
Dans ces jardinières qui ont l’air de cercueils
elles pâlissent sans un mot pour pleurer
Jamais je ne me sens aussi mélancolique
qu’en ces jours de petite pluie
Une lettre de toi me laverait
de cette poussière de pluie
*
Ma tête est pleine de souvenirs
et mes poches d’oubli
Comme je suis seul sans toi
et comme tu dois penser à moi
Je te sais languissante
comme tes lettres le disent
Je t’imagine implacable
avec ceux qui disent le contraire
Entre nous cette tête et ces poches
les lettres qui voyagent comme les oiseaux
parce que la Poste existe
et que l’air n’a plus de secret pour l’Homme
D’ailleurs je vais t’écrire un email
C’est décidé — je me connecte
Que les oiseaux de la Poste se le disent
La campagne va changer de visage
Telle est la Modernité que je chante
Elle est claire comme l’eau que je bois
et sereine comme la fontaine chromée
où je me vois te voir
quand je me penche sur l’évier
*
Ah ! ces enfants qui veulent savoir
et qui oublient ce que je sais
quand ils s’égaillent dans la cour
où nous attendons l’heure
Je les vois se chamailler
pour des riens qui sont tout
Souvenons-nous de cette enfance
elle nous a aussi appartenu
Dans la rue les passants
semblent guetter nos échecs
Même les oiseaux sont jaloux
de nous entendre chanter mieux qu’eux
Ce soir je rentrerai dans ma maison
et je penserai à toi pour que tu existes
comme seules savent exister
celles qui comprennent la poésie
Dans la cour les tilleuls fleurissent
et dans cette ombre je me repais
Buvons ensemble ô mes enfants
à la source de toutes les saisons
*
Vive le son du canon
quand il aveugle nos ennemis
Pourquoi regarder en face
ces yeux qui nous jalousent
Nous sommes la patrie
des droits de l’homme
et s’il faut un canon
nous aurons un canon
Mais la poésie nous inspire
peut-être mieux que le sang
Tu es le témoin de ma vigueur
ô printemps qui vient à point
Nos frontières se gonflent
comme des muscles à l’effort
Canon et poésie font front
chaque fois qu’il le faut
Notre Justice est notre savoir
Qui pourra longtemps résister
à notre langue mille fois primée
par le temps qui ne se trompe jamais
*
Je suis la tolérance faite chair
par le sang de notre fils
Voilà ce que dit le printemps
quand j’interroge sa vigueur
Que dirais-tu toi l’étrangère
si je te parlais une autre langue
que la tienne
Ma porte est ouverte sur le Monde
Je ne connais pas le riche
et je reconnais le pauvre
Prenez ce que ma table vous donne
Rêvez dans le lit où je dors
Nous ne serons plus seuls
si nous nous aimons
Voilà ce que dit le printemps
chaque année renouvelant
la parole faite chair
Et sur le seuil de ma maison
j’attends
que tu parles ma langue
pour que je te comprenne
*
Le cahier du vent
C’est ici que tu t’abandonnas à la passion
entre cet arbre mort pour rien
et cette rivière qui ne va nulle part
Les fleurs cueillent les oiseaux
avant même qu’ils ne battent de l’aile
Le ciel revient chaque jour
sans rien changer au sens
que prend la couleur des prés
Sur le sentier tu abandonnes aussi
tes vieilles chaussures poussiéreuses
On dirait que tu es né pour ça
La maison n’est jamais loin
Son toit brille de mille feux
et sa fumée ne veut rien dire
Qui m’attend à l’intérieur
si ce n’est moi-même en chausson
revenant du jardin avec des légumes
pendus à la ceinture
comme les perdrix du chasseur
Mais quand j’arrive sur le perron
un cahier d’écolier s’effeuille
au gré du vent
que les petits doigts agiles
ne comprennent pas
comme je le comprends
maintenant que tu n’es plus là
pour attendre avec moi
*
Qui ment le mieux au petit garçon que j’ai été
et que je ne suis plus
Qui parle encore avec des mots choisis
dans le dictionnaire de rimes
Qui n’attend plus que je revienne
pour allumer le feu
Qui est cette femme qui ne veut pas de moi
et qui m’aime
Car tu es comme ma langue ô Marie-Pierre
Tu m’aimes comme jamais langue n’aima un homme
mais tu ne sais rien de la poésie
Car qui peut dire que la langue sait mieux que moi
ce que la poésie change dans le cœur d’un homme
qui se donne sans espoir de retour
*
Je puise dans cette profondeur
avec le seau des grandes espérances
mais il y a longtemps que je sais
que sans la France je ne suis rien
Je ramène des pépites d’attente
qui attirent le regard de mes voisins
mais lequel dictera la Loi
qui sans la France n’est plus loi
Renaissant chaque fois de ce saut
dans l’inconnu des puits sans fond
je chante un lendemain de chansons
qui sans la France ne chantent pas
Ô mon pays beau comme l’eau
que la fontaine en fuite nous promet
que serais-je si tu ne m’armais pas
des pointes de ta langue
et de l’estoc de tes traditions
*
Belle terre des sacrifices de la guerre
tu me portes encore et je veux naître
Comme le passé est lourd de sens
et comme l’attente n’est pas facile
Je possède bien une maison
et mes meubles sont hérités
de la tradition qui fait les grands hommes
et la fortune de l’Histoire
Je connais tous les chemins
et les fenêtres s‘ouvrent à mon passage
J’ai même le cœur dépossédé
depuis que je suis amoureux
Mais ô ma belle terre de naissance
suis-je né si je ne te possède pas
comme tu sais tout de la langue
qui manque au poète que je suis
Me faudra-t-il mourir seul
pour que tu reconnaisses ma voix
Faudra-t-il qu’un seul de mes poèmes
te revienne en mémoire
Terre du sang qui a coulé justement
Ne me laisse pas sur le bord du chemin
couché sous un arbre dépouillé
que je n’ai pas reconnu
*
Un rayon de soleil éclaire
ton visage dans l’ombre
de la fontaine où tu bois
le vin de la patrie en deuil
Je te vois boire et je sais
que ce n’est pas de soif
mais de cet amour qui tue
quand il est vainqueur
La pierre porte les noms
de ceux qui se lèvent encore
Un bouquet les honore
de son parfum d’enfant
Qui sommes-nous mes paysans
si nous ne sommes rien
Qui aimerons-nous si rien
ne vient alimenter la source
Nous te voyons boire sans soif
à la fontaine de jouvence
La terre porte tes pas
à l’horizon de notre mort
*
Ô pères qui habitez dans nos tombeaux
que le son du clairon vous réveille
et que pour un instant on vous écoute
nous qui avons perdu le sens de la mort
Que ces tombes se couvrent d’oiseaux
et que leurs becs nous disent la parole
qui fut la vôtre au moment de mourir
sous le feu de l’injustice et du devoir
Accomplissez nos rêves aujourd’hui même
Ne partez pas sans ouvrir vos bouches
et que votre langue qui est aussi la nôtre
retrouve les accents de la sincérité
Vous ne serez pas morts pour rien
et nous ne vivrons pas inutilement
Nos enfants retiendront le temps
avec le sel de nos paroles jointes
comme des mains en prière
Regardez puisque vous le pouvez
nos visages d’un sang nouveau
et dites-nous comment le verser
pour que nos femmes y conçoivent
le meilleur de nos enfants
*
Ce soir la Lune ne dort pas
et je ne peux m’empêcher de rêver
Qui es-tu Lune aux grands yeux
qui m’apporte la tranquillité
et l’inspiration chère au poète
J’ai laissé la fenêtre ouverte
pour que tu entres dans la chambre
Tu hésites dans les feuillages
et les feuilles scintillent de ton argent
Moi aussi j’attends mais je rêve
Qui es-tu toi que je n’attends pas
*
Dansons puisque c’est la fête
Aimons-nous du même amour
Ne ménageons pas cette nuit
le talent de nos musiciens
Allumons des feux pour la joie
Nous avons apporté le bois
et la flamme ne nous manque pas
Jouez Musiciens sans instruments
La nuit n’a pas d’autre issue
Nous la retenons dans nos filets
Et nos bouches se rencontrent
comme les papillons des lampions
Ah comme vos jupes ensorcellent
et comme la pluie peut venir
Nous ne nous mouillerons pas
dans le feu de notre joie
Revenons toutes les nuits
dans les sabbats de la poésie
Le Diable n’est plus un diable
et nous connaissons la chanson
*
Qu’est-ce que la poésie mon amour
si ce n’est ce que la langue nous inspire
quand la terre revient à la mémoire
et qu’un enfant y joue avec nous
La poésie connaît le monde mieux que nous
Il y a longtemps qu’elle le chante
Les mots ne se trouvent pas dans la parole
mais dans ce qu’elle remet sur le tapis
Je ne sais pas si je suis clair
La poésie est limpide pourtant
Elle vient comme le jour
et se couche avec la nuit
Je reviens tous les jours
au moins une heure dans ma patrie
pour retrouver mes jeux d’enfants
et d’une comptine faire un poème
Car je suis resté un enfant des bois
La louve me nourrit encore
des viandes arrachées aux proies
quand je ne savais rien de la langue
*
Nous commençons par jouer à la balle
puis nous jouons à autre chose
comme si nous ne jouions plus
Le temps a la mauvaise habitude
de tuer les jouets
Nous étions fascinés par les insectes
et maintenant ils nous dérangent
et nous les écrasons sur le carreau de la fenêtre
Le temps a la mauvaise habitude
de tuer les jouets
Jadis nous complotions à trois ou quatre
mais nous ne sommes plus que deux
et même qu’un si nous n’avons pas de chance
Le temps a la mauvaise habitude
de tuer les jouets
Je me souviens que tu pleurais
chaque fois qu’il pleuvait
Maintenant tu fermes le rideau et tu dors
Le temps a la mauvaise habitude
de tuer les jouets
Ce n’est pas nous qui trichons
C’est le temps qui ne revient pas
ou s’il revient
ce n’est pas pour nous amuser
Le temps a la mauvaise habitude
de tuer les jouets
*
Je voudrais tellement que tu sois heureuse
Le printemps ne dit pas autre chose
Entre la pluie et le soleil
nous avons le temps d’en parler
et tu t’éloignes avec les outils
de nos jardins
Le printemps peut-il n’être pas le printemps
Cette parole que tu me prends
t’appartient depuis si longtemps
que je ne sais plus si j’en suis l’enfant
Le printemps ne connaît pas l’hiver
mais il sait déjà tout de l’été
Cueillons ensemble ces fruits verts
Ils mûriront à la fenêtre
Au passant inconnu
tu les donneras sans mon consentement
J’ai connu des printemps sans pluie
mais j’y étais peut-être né
Revenons de nos jardins
non sans partager le poids
de nos récoltes
Ou n’était-ce plus le printemps
et déjà l’automne
Frappe à la porte de notre maison
comme le font les passants
qui demandent le chemin
et reçoivent de tes mains
le fruit de mes printemps
*
Cette terre est plus que notre chair
Elle est la chair de notre chair
Un chant impur sort de ses entrailles
si la poésie n’est pas au rendez-vous
Or qu’est-ce que la poésie sans la terre
sinon ces racines en forme d’os
qui ne veulent pas devenir poussière
Depuis l’enfance jusqu’à la mort
et de la mort au souvenir
Du souvenir à l’œuvre même
et de l’œuvre à l’éternité
nous sommes poètes ou spectateurs
et nous demeurons ce que nous sommes
Je crois que la poésie m’a choisi
Je ne peux que le croire
car où est la certitude
si nous n’avons pas le pouvoir
de nous projeter dans le futur
Mais si je ne me trompe pas
alors que mon chant se multiplie
Qu’il soit le chant de mon cœur
aussi bien que celui de tous
Nous nous retrouvons en famille
chaque fois que la langue parle à notre place
*
Je revois le passé
comme si je l’avais vécu
Des milliers d’histoires
forment l’Histoire
Des millions de poèmes
n’en forment plus qu’un
Une seule eau coule
dans nos veines
à la place du sang versé
Les fontaines de cette terre
jaillissent sans commerce
Dans le pas des oiseaux
nous reconnaissons nos mains
La toile d’araignée se pose
comme une explication
sur les énigmes du temps
et de l’espace
Entre le tambour qui bat
comme un cœur à prendre
et la tête qui s’ouvre
dans le feu de l’action
le monde entre dans notre monde
et la terre de France renaît encore
*
Personne ne meurt plus à la lanterne
mais le feu ne s’est pas éteint
Mon cœur connaît cette énergie
et je m’y abreuve comme si le sang
n’avait pas d’autre sens
Les beautés de la langue
sont celles que la Poésie
prend à la terre
S’il faut détruire ce qui détruit
que les mots nous inspirent seuls
la renaissance de notre chair
Car s’il est doux de mourir
pour une juste cause
jamais âme qui vive
ne connaît la douceur
de la mort donnée
en retour de l’injustice
Le front dans la motte de terre
que mes mains viennent de creuser
je sème la fraternité
sans faire couler le sang
Seules les cendres en témoignent
*
Quoi de plus doux à l’esprit que ces fleurs simples
que je viens de cueillir sur le bord du chemin
Le printemps me les donne et je te les dois
car le temps est venu de te dire que je t’aime
Remplis le vase de la bonne eau du robinet
Ce verre transparent est un hommage à la limpidité
Ô comme le bouquet rassemble bien mes intentions
et comme tes mains valent mieux qu’elles
Sur le rebord de la fenêtre le soleil demande
sa part de fleur parce que tes mains
sont les mains qui savent tout du printemps
Travaillez chères pluies de doigts fins
Reformez ma langue au sentiment réciproque
Cette pluie me réveille à la place du soleil
et il fait encore nuit quand je reviens de loin
*
Comme l’enfant est beau
et comme tu resplendis
dans ce rayon de soleil
qui a l’air d’une étoile
Ta chanson me berce un peu aussi
On dirait que je suis né
pour ce moment de la journée
où tu n’existes que pour lui
Soleil ne cache pas mon ombre
sous les effets de tes feuillages
Dans le jardin où je m’aventure
La musique de sa voix est un oiseau
qui ressemble à tes feuilles
Plus loin je croque un fruit
grappes vermeilles qui promettent
d’autres moments de pure folie
avec les mots d’un refrain
vieux comme le monde
Comme l’enfant est beau
dans ce silence que tu brises
comme un verre après boire
dans le feu de ma Poésie
Tes yeux que je ne vois pas
éclairent le berceau
et donne la Lune
au reflet exact
de mon imagination
*
Je veux écrire ce que la mémoire retient
de tant d’Histoire et de si peu d’Homme
Que ma plume ne prenne pas son envol
sans la langue qui inspire les morts justes
À genoux dans cette bruyère de douleur
le front saignant de blessures infligées
à ceux que je n’ai pas connus vivants
je ne me lamente pas en vain car
un enfant m’écoute et prends note
de ce que la Poésie lui inspire déjà
lui qui est tout ce que sa mère veut
mais qui ne devient pas sans moi
Il s’essaie lui aussi au chant
Sa voix retentit sous le ciel de lit
Une larme en estompe les cris
mais le cœur y est sans partage
Tu me regardes pour me le redire
Et je sais que je te ressemble
L’œuvre commune est route
sur les chemins de la résistance
et sous le soleil de l’éternité
Non ne décroise pas tes genoux
Que ta main ne cesse de caresser
La langue est à cet endroit précis
L’unisson est maintenant acquis
*
Il n’y a pas de toit
pour qui sait dormir dehors
et d’une herbe se sustenter
aussi bien que de ne boire
que l’eau qui vient à mourir
dans l’ornière des chemins
Il n’y a pas de lit
plus poétique que l’herbe des prés
ou le gazon verdissant des rivages
où se perd ce qui reste des voyages
Non il n’y a pas d’amour plus grand
que cette liberté durement acquise
à force de croiser le fer
avec les mots de la tribu
Les feuilles mortes de l’automne
s’assemblent en linceul
sur les racines de mon arbre
celui que j’ai choisi de couper
pour alimenter ta cheminée
car si je dors et si je vis dehors
je n’en suis pas moins homme
et du travail je connais le secret
même si la Poésie ne sait pas encore
jusqu’où je peux aller avec elle
Voici le bois de ma volée
Je n’entre pas dans la maison
ou plutôt je n’y rentre plus
car c’est dehors que je me sens le mieux
*
Je suis tombé de haut
le jour où je suis monté
là-haut
La douleur des chutes est formidable
Le craquement des os n’a rien d’une chanson
Poème en route pour l’exil
tu es l’échelle que je porte
comme un autre a porté sa croix
Les mots sont les murs de mon chemin
Les branches des pommiers
par-dessus les murs m’appellent
et je réponds en écrivant ce poème
Sur le chemin les pommes tombent
comme je vais tomber
elles sont ma nourriture
comme moi-même je nourrirai
celui ou celle qui m’aidera à me relever
pour m’emporter dans son monde sans échelle
Derrière la fenêtre tôt ou tard je reverrai
le chemin des pommiers de mon enfance
Le temps me fera cette grâce
chaque fois que mon cœur manquera de cœur
*
Vaillants couturiers de nos blessures
tirez sur le fil
resserrez bien les bords
et ne lésinez pas sur la force du nœud
Ouverts comme nous sommes
à cause d’une guerre
nous n’avons plus que la parole
pour remercier d’être encore de ce monde
Je suis ouvert de la gorge au bas-ventre
Le fer a plongé en moi comme dans le feu
et le Poème en est trempé comme l’acier
L’herbe ou les draps peu m’importe
puisque je suis vivant autant que mort
et que ma voix s’est enfin forgée
dans la réalité qui est ma seule offrande
Cousez sans ménager le fil
ô couturiers de mes lendemains
On ne meurt pas d’avoir écrit un poème
On dit même qu’on y gagne quelquefois l’éternité
*
Rien n’est plus triste que cette obscurité
qui est le noir de la misère
Je choisis la clarté comme seule lumière
blanc tissu du poème
et seule joie d’avoir été
Je n’entends plus vos hypothèses
Je me rends sourd pour être clair
N’entrez plus dans ma maison
si ce n’est pour partager le pain
car nous n’avons plus que cela en commun
le pain que le travail nous donne
Passez votre chemin
à moins que la nuit vous inspire
elle qui ne connaît du rêve
que ce qu’il ignore de nous
L’interrupteur de ma lumière
est toujours éclairé
Voyez cette lueur vert pâle
C’est lui c’est mon signe
que vous pouvez entrer
si vous avez compris
*
Il n’y a pas de poésie sans poésie
C’est tout ce que je sais
et vous n’y pouvez rien
Vos armes agissent dans la nuit
On ne voit pas vos morts
signes de victoire
et promesses de futur
Seules vos armes s’entendent
et le cri de vos victimes
pauvres lecteurs qui ne demandaient pas
à mourir en pleine jeunesse
Ce sang qui passe sous ma porte
sera votre seule présence chez moi
J’y trempe ma plume pour vous dire
que ma fenêtre n’est pas faite pour les charlatans
qui privent de lumière
ceux qu’ils destinent à la mort atroce
réservées aux crédules et aux idiots
Voici mon bouclier magique
ce n’est qu’une métaphore
et elle vaut ce qu’elle vaut
mais ne vaudrait-elle rien
que jamais je ne vous ouvrirai la porte
ni à vous ni à vos victimes
perdues de toute façon
parce qu’elles m’ont d’abord tourné le dos
*
Je suis le vent qui vient de la mer
porteur d’autres raisons de s’aimer
Mouillé d’écume et de sel baigné
je ne viens jamais les mains vides
et si je reviens parce que je suis déjà venu
c’est toujours à l’heure de rêver
ou de se souvenir de ce qui n’est plus
Vent de la mer aime la raison
Je suis comme le Poème
qui ne rime plus
Il ne manque rien à ma beauté
pas même la ponctuation
que l’air signe
mais tu ne sais plus si je mens
ou si je rime malgré tout
Toutes les fenêtres portent ma trace
Ce goût de sable venu d’ailleurs
d’un ailleurs qui t’appartient
si tu me crois enfin
Je suis aussi la mer
mais c’est une autre histoire
l’histoire de toute une vie
*
Notre drapeau est plus que tricolore
ô républicains inattentifs
car le blanc est la somme
de toutes les couleurs
Et s’il est l’absence
de toute couleur
alors notre drapeau
a la couleur de l’acier
qu’on trempe dans le sang
si le bleue st la couleur de l’acier
au lieu d’être celle du ciel
qui appartient à tout le monde
J’y songeais en entendant le clairon
nous redire que la terre sans la mort
n’est plus celle des hommes
Un chant est alors monté
au-dessus de ces têtes
qui ne pensaient plus
pour penser
mais pour se souvenir
Les ors de la pierre
ne savent rien de la couleur
pas plus que le noir de nos âmes
ne sait pas plus que le blanc
s’il est négation de la couleur
ou toutes les couleurs d’un seul regard
*
Le printemps te revoit
et tu ne le remarques toujours pas
On dirait que tu ne sais pas
que le temps passe
Cet hiver je t’ai parlé de la mort
mais tu ne m’as pas écouté
Tu préfères la musique des Dieux
et ses arias incompréhensibles
Quand l’été viendra
je te répèterai les mots
qui ne te disent rien
et tu nageras sans moi
dans les eaux tièdes
de l’oubli et de la certitude
Puis l’automne rouillera nos fers
et nous cesserons de nous battre
pour laisser enfin la place
à l’enfant qui est venu
pour ne pas nous laisser seuls
Cet hiver je te dirai un mot
de cette mort qui vient
rimer avec mes vers sans rimes
Je ne sais pas si l’année s’achève
avec les fêtes qui la commencent
mais je renouvellerai ma Poésie
sans en changer une seule parole
*
Fruits de l’inconstance
les insectes visitent
votre facilité
ô belle après-midi
sous la tonnelle
chargée d’un soleil
harassant
les insectes tournent
et retournent dans ma tête
sans que je puisse rien
contre cette fièvre
si je suis la dupe
faites briller vos ailes
au cirage de la lumière
du jour
et si je suis l’oracle
frottez vos pattes
sur le tapis de la nuit
qui commence
*
La poésie des bergères manque de berger
aujourd’hui
Bergère dans la voix
ou fileuse de mauvais coton
l’une et l’autre se trouvent seules
assise sur une veille souche
toujours aussi belle
et prometteuse mais
seules comme des mortes
De ma fenêtre je les vois
et bien que je sois poète
je ne sors pas pour éprouver
le fil de ma poésie
au cuir de leurs oreilles
exercées depuis longtemps
Ce n’est pas que je fuie l’amour
Au contraire je le poursuis
Mais ces bergères sans moutons
sont aussi sans pitié
dès qu’il s’agit d’elles
et de leur influence
sur l’inspiration des poètes
Pourquoi ne pas préférer
l’ouvrière qui descend
de sa petite auto
et qui d’un air complice
m’invite à prendre un pot
À moins que la bourgeoise
qui fait ses courses
ait aussi bien compris
que je veux être moderne
et que je ne suis pas un mouton
*
Ah ce qu’on s’ennuie avec les poètes
qui ne savent pas ce qu’ils disent
et qui le disent parce qu’ils n’ont
rien d’autre à dire
Notre belle langue se passe d’eux
et c’est heureux
parce que la frontière est mince
entre la grossièreté
et la vulgarité
Le contraire n’est pas plus poétique
Les finesses et les préciosités
n’emportent pas la langue
au septième ciel
c’est le moins qu’on puisse dire
Et entre ces extrêmes
il n’y a rien à glaner
Ce n’est pas que j’ai essayé
mais il ne faut être grand clerc
pour le deviner
C’est ailleurs que la Poésie
exerce le génie de la Langue
Un ailleurs qu’on ne montre pas du doigt
sauf quand le doigt coupe le dictionnaire
à l’endroit où il prend tout son sens
Ce n’est pas difficile la Poésie
Ni à lire ni à écrire
mais encore faut-il mettre le doigt
sur ce qui a quelque importance
*
Être pris pour un autre
au bout d’un fusil
ou au cœur d’une conversation
ah ce n’est pas la même chose
Monsieur oh non Monsieur
Je n’ai jamais su
ce qui était arrivé
au Monsieur
qui me traitait ainsi
de Monsieur
Je ne sais toujours pas
si c’est le fusil
ou la médisance
de ses semblables
qui l’ont jeté
dans un pareil embarras
Je ne l’ai pas revu
mais je me revois
au moment où il allait
me dire ce qu’il en était
du fusil
ou de la conversation
Et c’est le moment
qu’a choisi sa femme
pour parler d’autre chose
*
Quelle différence
entre la femme
et l’enfant
Je me posais
cette question
sans y répondre
quand on me dit
que j’étais un enfant
ma sœur subit
le même sort
un an plus tard
car elle était
ma cadette
d’un an
On lui dit alors
tu es une femme
ce qui fait
la différence
Elle la femme
et moi l’enfant
âgé d’un an de plus
nous ne posâmes
jamais
la question
qui nous brûlait
les lèvres
Quelle différence
entre la femme
que je suis
et l’enfant
que tu n’es plus
*
Pour écrire un poème
n’écrivez pas un poème
Faites autre chose
Pensez à autre chose
Regardez le ciel
pour penser à autre chose
Ou signez une lettre
pour faire autre chose
Car le poème
est cette autre chose
Ni ciel ni lettre
c’est pourtant là
que s’écrit le poème
*
Je ne suis jamais devenu
J’ai toujours été
en tous cas depuis que je suis
Et je ne mourrai pas
car si je devais mourir
je n’existerai pas
Dès qu’une chose
la moindre chose
prend de l’importance
nous nous mettons
à exister
et alors
la mort est la mort
et rien de plus
Par exemple
je ne suis pas le seul
à avoir fait exister
le ciel
et ce n’est donc pas
de cette manière
que je ne suis pas mort
Cette chose
qui me fait exister
est en toi
Alors je te prie
de ne pas mourir
et de me laisser le temps
de tout dire d’elle
pendant que je t’ai
sous la main
*
Nous ne sommes rien
si nous sommes tout
Pas plus que ce fruit
qui est tout l’arbre
n’est ce qui manque à l’arbre
pour tout expliquer
L’enfant que tu me donnes
n’a pas plus de sens
mais quelle joie de savoir
qu’il est de moi
et que je suis en lui
comme je suis entré en toi
Que demander à la Poésie
sinon que nous soyons
l’un pour l’autre l’enfant
et pour lui le mystère
de sa future alliance
Ce matin j’ai écrit
ces mots pendant
que tu dormais encore
Ce soir je les relis
comme si la nuit
n’allait pas encore
se remplir de tes rêves
et me vider de moi-même
*
Nous la terre et eux la langue
il n’y a pas d’autres moyens
de devenir leur poète
Car que signifierait un poète
qui ne fût pas le leur
Et que serait la terre
s’ils manquaient de poètes
comme il arrive avec l’eau
ou les idées
à certaines époques
Il n’y a pas de poètes en Enfer
Ceux qui en reviennent en témoignent
Leurs blessures ou leur mort
témoignent que l’Enfer
n’inspire pas les vrais poètes
Ils sont la langue de la Poésie
Ils connaissent l’Enfer
et les faux poètes
Reconnaissons-les pour maîtres
et donnons-leur le silence
car ils ne savent pas ce que c’est
Nous la terre et eux la langue
sur le même chemin et dans le même temps
ce qu’ils chantent nous l’avons écrit pour eux
*
L’eau apaise la soif
La chair apaise la chair
La mort apaise la douleur
Qu’apaise donc la Poésie
Il faut commencer par l’enfant
le contraire de la mort
Il ne voulait que chanter
pour être différent des autres
sans cesser de leur plaire
L’innocence n’a pas d’autre place
dans ce monde mal fait pour elle
Il faut continuer avec ce que l’enfant devient
mort ou vivant
C’est savoir beaucoup
que de savoir
qu’on est vivant
et que la mort n’est qu’un acte
Comment cette existence
pourrait-elle apaiser l’existence
Ne penses-tu pas alors à la Poésie
Certes la mort apaise vraiment la douleur
mais la Poésie n’est-elle pas cette même douleur
mais sans la mort
Je ne sais pas ce que c’est de mourir
mais je sais ce que peut la Poésie
Elle apaise la mort
Elle seule peut apaiser la mort
et ce n’est pas rien
*
Doux pétales que le vent caresse
d’où tenez-vous le tremblement
de vos couleurs
Le peintre peint les couleurs
Le poète parle aux pétales
et le vent lui répond
précis comme une couleur
Dans le ciel vous traversez
l’infinité de la couleur
du blanc au noir vous existez
et le vent me le dit
Ces mots doivent enchanter
Je ne connais pas de chanson
qui ne s’y ressource pas
Ces mots que l’enfant cherchait
sans en trouver le sens
ces mots revenaient pour le hanter
et il croyait au vent
Fabuleux pétales d’insectes
ou tranquilles ailes de la fleur
dans vos draps couleur chair
et couleur de nos printemps
j’ai filé comme le vent
au fil de vos histoires
*
Soudain l’orage crève le ciel
ouvre les torrents du printemps
brise les tabous de la lumière
ne reconnaît plus les siens
et le monde semble s’écrouler
sur le toit de ma maison
Un volet grince dans ses fers
la cheminée respire comme un homme
une tuile fend une autre tuile
et le monde semble parler
à la place de l’homme
Cet homme court sous la pluie
tenant son chapeau à deux mains
son parapluie ne lui sert plus
qu’à fendre l’air électrique
Si vite et si imprévisible l’orage pèse
de tout son poids sur les épaules
de cet homme qui se bat pour arriver
avant la foudre qui aime la mort
J’ouvre la porte sans la lâcher
Derrière moi la cuisine s’anime
L’homme arrive et entre chez moi
et son chapeau est emporté tant pis
Tant pis pour le chapeau me dit-il en souriant
Les chapeaux ne peuvent rien contre la foudre
Et tandis qu’il disait cela en souriant
la foudre a embrasé le meilleur de mes cerisiers
J’en ai pleuré toute la nuit
L’homme dormait lui
Il ne pleurait pas
Rien n’avait d’importance pour lui
que son sommeil
et ce qu’il y cachait
*
Monde de technologie et de misère
de trottoirs éclairés et de campagnes grises
Monde de fous et de savants
Monde sur terre et loin d’ici
Comment ne pas craindre le pire
S’il s’agit seulement de mourir mourons
Mais s’il s’agit de disparaître
alors la question de ce gouffre se pose
Je peux parler de moi toute la nuit
et de toi toute la sainte journée
Même les autres méritent ce silence
Mais le monde où va-t-il
Dans quel abîme trouvera-t-il sa fin
et que restera-t-il de cette fin
Mes chemins en travers des champs
pas plus que mes trottoirs aux vitrines
colporteuses des dessous du désir
ne m’inspire la moindre idée à ce sujet
C’est qu’à cet endroit de nulle part
il n’y a plus de Poésie qui tienne
*
Pourtant la Poésie est à fleur des lèvres
On l’entend alors qu’elle n’existe pas encore
Tout le monde sait le faire
Entendre ce qui ne dit rien pour l’instant
Attendre Entendre la différence est infime
et c’est ce que nous faisons
quand nous ne faisons rien
Et quand nous faisons quelque chose
quelque chose d’autre
nous perdons la Poésie
pour gagner du temps
C’est aussi simple
Rien à voir avec ces complications inutiles
que les nouveaux trouvères imposent
à nos spectacles quotidiens
parce qu’ils se trompent de poésie
Attendre d’entendre
ou
entendre à force d’attendre
je ne vois vraiment pas
ce qu’on peut attendre de plus
ni ce qu’on peut entendre d’autre par Poésie
*
Tu ne sais plus ce que tu dis
Tu as perdu le silence
dans les bruits de ta ville
Un éclat de lumière
sur la vitre d’une boutique
vaut-il une touche de soleil
sur l’écorce d’un arbre
Et que dirais-tu de la Lune
ou plus loin de Saturne
Sur le trottoir
tu ne connais personne
et personne ne sait
que tu existes
Mais que sais-tu toi-même
de ce reflet sans yeux
Les trottoirs ne sont pas des chemins
On s’en sert pour aller et revenir
On ne s’y arrête que pour demander
Chez toi les chemins se croisent
Chaque reflet est un reflet
et non pas un effet d’optique
Mais que dirais-tu de la Lune
ou plus loin de Saturne
*
Nous ne savons pas ce que nous savons
Spécialistes de la réalité
nous ne sommes rien l’un sans l’autre
Mais qui es-tu toi qui me lis
Quelle est cette voix qui m’appelle
Qui suis-je moi qui écris
Quelle est cette voix qui m’inspire
Mais nous nous rencontrons ailleurs
et souvent il est trop tard
Est-il arrivé une seule fois
que l’heure soit l’heure
Autant que je me souvienne
j’étais seul et je le savais
La Poésie n’est-elle pas cet espoir
J’imagine que je n’attends pas pour rien
que si je vis assez longtemps
je finirai par te rencontrer
et savoir enfin ce que je sais
*
Voici la couleur que je te donne
ce ne sera qu’une idée
Je n’ai rien à te donner en ce moment
Une couleur m’a semblé utile
Tu en feras ce que bon te semble
On fait toujours quelque chose avec une couleur
Ce ne sont pas les couleurs qui manquent
mais en avoir une à soi ce doit être utile
Ou alors tu n’en feras rien
Tu la poseras n’importe où
et elle en prendra la couleur
*
Souvent
dans ces siècles qui nous ont construits
le poète a chanté avec les oiseaux
du matin
et les mots sont devenus oiseaux des arbres
ou oiseaux de passage
et même on a connu des oiseaux en cage
C’est la nature qui revient
elle nous colle à la peau
à la campagne ou sur la plage
nous sommes des oiseaux mécaniques
mais l’air nous frotte les ailes
et nous nous envolons avec lui
Dans les vagues tu n’as pas l’air d’un poisson
et je ne suis pas le coquillage couché sur le sable
Au soir nous promenons nos regards
de visage en visage vu de profil
passants qui nous ressemblent
des petites filles jouent au petit garçon
et des petits garçons se prennent pour des filles
Puis la nuit installe ses noirs
et nous nous revoyons dans le lit
ailes blessées au contact des réalités de ce monde
le bec un peu salivant des mots
mots depuis toujours chantés
en cage ou dans les airs
ou ici sur la branche de l’arbre Humanité
dont nous ne sommes pas les fruits hélas
*
Comme le poème est rebelle
à toute idée de poème
J’en ai tracé une ligne ce matin
d’un bout à l’autre de toi-même
et le vent a ouvert la fenêtre
Tu sembles apprécier ce mouvement de rideau
mais ce n’est pas de la poésie
Laisse dis-tu entrer la mer
par cette ouverture
L’air est saisissant de sel
et d’écailles
Non ce n’est pas un poème
C’est une lettre que je t’écris
pour que tu saches
pour que tu n’oublies pas que je sais
On aimerait que les embruns
montent plus haut que les mouettes
mais hélas le ciel n’est pas conçu
pour les gouttes de mer
Et c’est la pluie qui revient
mouillant le rideau
celui dont je t’ai dit
qu’il manque de poésie
et que les mots que tu lui donnes
ne sont pas les gouttes de pluie
qui harassent les mouettes
*
Ô lointaine patrie de mes mots
inaccessible terre de ma langue
sang que je n’ai pas versé
mais que je reconnais
je ne sais plus si je chante
ou si tout ceci n’est que langage
Je ne suis pas seul dans la nuit
Mes pas ne sont pas les miens
Le mur que nous touchons
hôtel de nos angoisses
porte les traces d’un long combat
contre les forces de l’ignominie
Qui est cet être qui m’accompagne
et me parle comme si je l’aimais
Sa peau est douce et ses mains tranquilles
Ô impossible patrie du poème
le sang versé n’est pas versé
la mort n’a pas voulu de cette offrande
La nuit est mon jour
et le jour est mon rêve
Je ne possède rien d’autre dans ce paradis
du jour rêvé
ou du rêve qu’un jour
je ne sais plus
je ne sais plus
Je n’ai que mes yeux pour toucher l’horizon
*
Vieilles carcasses pourrissant
entre le sable et les rochers
Sommes-nous bien ici
Tu arraches des coquillages à ce bois
Je te suis
Une cavité aime nos conversations
Ne nous privons pas d’exister
Cartes postales de l’horizon
Plus loin nage une beauté nue
et c’est ta bouche qui me le dit
Nous n’irons pas plus loin que le quai
Nous monterons lentement l’escalier
et nous entrerons dans ce restaurant
où tu plais au garçon
c’est le moins qu’on puisse dire
*
La poésie habite chez moi
Elle est la terre que je connais
comme je sais que tu existes
Renaissons ensemble
si j’existe moi aussi
Tes mots entreront chez moi
comme des voisins
depuis longtemps appréciés
pour leur complicité
en matière de vision
Peu importe si je ne te comprends pas
Je sais ce que je sais
Sans toi je perdrais mon indépendance
Alors à qui le refrain
à qui le couplet
Qui commencera ce partage
de la poésie
Je voudrais être celui-là
mais tu es arrivée la première
et je te dois d’être le second
*
Voici l’été chapeau de paille
et bouts de tissu sur la peau
Voici le soleil et ses fans
et la mer qui pousse les oiseaux
dans nos serviettes
Fillette pressée d’en finir
avec les jeux
un seau de plastique fend l’air
et se répand sous le parasol
Comme tu sais lui parler
et comme tes doigts savent caresser
ces cheveux que le sel emmêle
Voici l’été pelle et râteau
Ces traces parallèles dans le sable
sont le signe que tout est fini
avant même d’avoir commencé
Voici l’été bouée poussée par le vent
tandis qu’un nageur fou la poursuit
et que tu lui conseilles la prudence
Fillette ravie par le vent
qui jette à l’eau
son beau chapeau
de paille
à la baille
Un deuxième nageur
disparaît sous les flots
*
Nous ne volons pas comme les oiseaux
Ce serait trop facile
Nous sommes des voleurs
C’est plus difficile
Le ciel n’appartient pas à l’oiseau
Son voyage est à refaire
et il ne s’en lasse pas
Le voleur ne possèdera jamais le ciel
Ce n’est pas ce qu’il veut
Posséder oui
mais pas le ciel
Voleur ou oiseau
avons-nous le choix
nous qui avons été enfants
nous qui avons aimé avant d’être aimés
nous qui nous reconnaissons
dans le miroir des autres
Ciel et quoi d’autre
si c’est dans un miroir
Nous finissons par briser ce reflet
Qui en souffre
sinon le reflet
*
Va chercher petit chien bête et inutile
cours après la balle
qui appartient à cette petite fille
qui deviendra grande
Ne mouille pas tes pattes
et ne ramène pas du sable
à la maison
mes tapis ne sont pas faits pour les chiens
Et ne joue plus
avec cette petite fille
qui est plus grande que tu dis
Elle aussi mouille ses pieds
Je n’aime pas l’eau de vos jeux
petites créatures de mon imagination
L’eau ne lave rien
Elle a trop vécu
Et où donc a-t-elle vécu
sinon partout
cet ailleurs à imaginer
sans mettre les pieds dans l’eau
Va chercher le petit chien fou
cours après ce jouet imprévisible
Tu as encore le temps
d’en penser quelque chose
*
Le poète dit et ne dit pas
C’est comme ça qu’on l’aime
ou qu’on ne l’aime pas
As-tu supporté sa dernière trouvaille
Le voici qui te sert
négligeant le contenu
mais c’est sur un plateau
alors tu te gondoles
et ta peau s’expose au soleil
Ne sais-tu pas qu’il sait
Ses boissons coulent entre tes seins
Est-ce ainsi qu’on donne du sens
à ce qui n’en a peut-être pas
Et tu t’étires
blancs des mains et des pieds
aux extrêmes de ta position sociale
Qu’a-t-il dit à la fin
Il m’a trouvée pas mal
mais les mots lui manquaient
alors il a cessé
de butiner mon lait
et a jeté son dévolu
sur un garçon de son âge
Le poète dit et ne dit pas
C’est comme ça qu’on l’aime
ou qu’on ne l’aime pas
*
Été de feu de paille
chaque jour tu t’ennuies un peu plus
Tout cela finira mal
comme si le printemps
n’avait jamais existé
Été de conclusions
un verre dans la main
et le rêve en pointillé
comme la couture
le long du bras
L’été je m’ennuie
si le temps passe
comme avant
et s’il menace de passer
après tout le reste
Ô balcon de mes attentes
Dans la piscine des corps se frottent
Comme ce bleu m’ennuie
et comme le rose de tes dents
est signe d’attente
Été de silences noirs
Un néon brise des verres
à l’oblique d’un comptoir
Il n’y a pas de substance sans sommeil
ni d’esprit sans retour à la réalité
*
Je ne suis pas chez moi ici
Je n’y ai pas mes commodités
Ce papier m’appartient
Cette encre aussi
mais ces murs
ce soleil vertical
ces boissons de poisson
ces robes entrouvertes
la musique qui ne pense qu’à la danse
le vertige cher payé
cette mer qui ne bouge pas
non je ne suis pas ici chez moi
et je ne vais pas tarder à m’ennuyer
Ce n’est pas une menace
Je ne t’écris pas pour ça
J’écris parce que je m’ennuie
Parce que je ne sais pas où aller
pour t’oublier une bonne fois pour toutes
J’écris avec mon encre
sur mon papier à moi
mais je n’écris rien qui vaille
face à ce monde qui me fuit
ces passants qui n’existent qu’une seconde
la seconde d’inattention
que je leur consacre
parce que je m’ennuie
de toi de tout ce qui n’est pas toi
Ennui de pluie
de gouttes de ton sang
de chair tétanisée
à l’approche de l’été
de cet été que tu n’aimes pas
parce que je m’y ennuie sans toi
*
Le soleil ne m’inspire pas comme la pluie
Aux embruns salés de la tempête
je préfère l’acidité des gouttes du printemps
et ce vent ce vent qui m’apporte de tes nouvelles
C’est par quarante degrés à l’ombre que je te revois
subissant les assauts de l’averse sous les arbres
parce que ton petit parapluie n’est bien qu’en ville
et qu’il vient de perdre sa petite tenue rose bonbon
Cette séquence me donne de quoi écrire
Pourquoi m’en plaindrais-je dis-je à la serveuse
qui se sert de son popotin comme d’un feu rouge
et qui règle la circulation sans un mot de trop
Ce soir le soleil est tombé comme un verre
Je l’ai entendu se briser sur la nappe verte
mais dans le noir je ne l’ai pas retrouvé
et la serveuse a accepté de coucher avec moi
*
L’amour inattendu ne se fait pas attendre
Les habits volent dans l’air saturé d’insectes
Nous sommes nus sans nous voir
mais de près l’effet est saisissant
Qui est cette femme qui s’en va
Où va-t-elle si elle ne revient plus
Je ne me suis pas même posé
la question de l’âge
La nuit continuera sans toi
belle inconnue sans âge déterminé
Au moins suis-je certain
que tu étais une femme
ce que tu n’es peut-être plus
si tu as changé de visage
à la demande d’un autre désir
Ainsi l’été se passe
et se passant il revient
toujours à la même place
*
Croissant de lune à l’orientale
Blanc d’argent sur fond de nuit
On dirait que tu pleures
mais c’est ton maquillage
qui goutte sous l’effet
d’un bonheur de passage
Ta main est chaude dans la mienne
Je n’aime pas la sueur des filles
mais la guitare a aussi son charme
Moi qui n’aime que les tambours en amour
Dans les draps tu ne prends pas une ride
Tes cheveux font la poussière
Tu sais jouer à tous les jeux
On voit que tu as de l’expérience
Non je n’allumerai pas même pour t’embêter
La seule lumière est une lueur
qui se reflète dans tes yeux
et je sais que c’est le carreau brisé
Le vent en est la cause
Ce matin il s’est levé avant moi
et comme je comptais les carreaux
il en a cassé un pour te faire plaisir
*
Nous avons regardé le chat qui se léchait
en haut du mur d’où sortent les fumées
de la cuisine et toutes autres sortes
de fumées que nous aimons aussi regarder
Le chat dans la fumée nous regarde aussi
Tu le trouves beau parce qu’il est beau
En voilà une explication dans ton style
de fillette prise au piège de sa raison
Il miaule aussi de temps en temps
et fait des enfants aux chattes
ce qui lui impose aussi de jouer
et de donner des leçons de choses
Toutes choses que je passe à l’as
parce que c’est l’été
et que je n’ai pas rêvé de toi
comme tu n’en rêves pas non plus
Reprenons la position du début
au moment où le peintre saisissait
ta petite grimace d’amour
celle que tu réserves à tes chats
*
À quel moment oublie-t-on
Quel est ce moment inaperçu
imprévisible
qui met fin au souvenir
celui qui persistait
mais qui avait perdu son charme
Car c’est exactement ce que tu as perdu
ton charme
celui qui tenait non pas à ta beauté
mais à ton élégance
l’élégance de l’âge
doigts fins de l’expérience
Ne plus se souvenir de toi est un rêve
La nuit porte conseil dit-on
En tous cas elle n’est pas repartie
sans cette trace de toi
petits pas sur les tapis de ma conscience
À midi je te mange des yeux
Tes mains sont posées tes genoux
Les doigts tambourinent
en attente
Nous attendons d’être servis
et tu as déjà fait savoir
que tu as perdu patience
ce qui double l’impatience
tu devrais le savoir
Derrière la grille un visage me sourit
Je perdrais aussi du temps avec lui
La promesse est dans mon regard
On ne peut pas la rater
*
Je suis déjà passé par là
Je ne t’en dis rien
Tu n’aimes pas mes souvenirs
Même l’enfant t’agace
Qu’avons-nous trouvé ensemble
à part le coquillage du salon
gros coquillage pour l’oreille
Les nouveaux sont invités
à entendre patiemment
ce que tu sais de la mer
Ces pas ressemblent à d’autres
Le long du parapet les mêmes pas
Pieds nus qui reviennent du sable
et se frottent sur les miens
Cet enfant qui n’est pas le mien
me ressemble
sans doute parce que c’est un enfant
et que c’est le tien
Je l’ai trouvé sans toi
comme tu as trouvé le coquillage
et je m’en sers des fois
pour abreuver les nouveaux invités
des détails de ma vie amoureuse
ceux qui te font défaut
Oui je suis déjà passé par là
Je pourrais t’en parler
Nous nous arrêterions un instant
pour en retrouver ensemble
la trace et ce qu’elle inspire
*
Les petits poissons ne sont pas rouges
Les petites mains ne sont pas des mains
Je croque des pommes d’amour
et je m’invente un passé de rêve
On ne boit pas l’eau des flaques
surtout que celle-ci est salée
Avec le sucre caramélisé
l’amour est une sacrée galère
Les petits poissons ça se nourrit
Ça ne vit pas d’amour et d’eau fraîche
Pour l’amour je comprends
mais l’eau fraîche reste fraîche
Le bocal est comme un verre en verre
Si tu le casses il est cassé cassé
On ne t’en achètera pas un autre
et tant pis pour les petits poissons
*
Jour de pluie
non
c’est le robinet de la piscine
qui arrose les gens
et ma fenêtre
J’ai juste le temps
de la fermer
le rideau est mouillé
mais tu ne t’es pas réveillée
J’ai tellement peur
de te réveiller
Briser tes rêves
n’est pas mon style
La pluie continue
de frapper le carreau
par intermittences
et par intermittences aussi
les enfants jouent
avec le tuyau
Tu ne parleras pas
de ton rêve
et pourtant
tu l’auras vécu jusqu’au bout
*
Et si la Poésie n’était pas de la poésie
Si c’était autre chose de moins poétique
ou de carrément pas poétique du tout
Tu dirais quoi si c’était ça et pas autre chose
Tu ne dirais rien parce que tu ne parles jamais
de ce qui ne peut pas se dire autrement
Je te connais comme si je t’avais fait
Et te voilà un jour de plus
assis dans l’ombre loin du soleil
les yeux ouverts mais sans regarder
les mains agitées par la fièvre
Tu ne te poses pas les bonnes questions
On te l’a déjà dit tu n’es pas sur le bon chemin
Même les poissons savent ce que c’est un poisson
mais toi tu te contentes de ne pas regarder
pour voir si ça peut exister sans les yeux
*
— Ici les statues sont comme les gens
Je ne les connais pas
Celle du port par exemple
en face du café
où l’on sert des tartines
de pain chargées de confiture
Tu sais qui c’est
— Non je ne sais pas
et les tartines de confiture
sont excellentes et j’en reprendrais
bien une autre ou même deux
— Moi ça m’embête de ne pas savoir
mais bien sûr toi t’en fous
pourvu que tu aies ton café
et tes tartines de confiture
qui font envie aux petites filles
— Des petites filles je n’en vois pas
Des petits garçons non plus
mais quand j’étais petit
j’en voyais tous les jours
et ça ne me faisait rien
— Quand tu étais petit
tu te damnais pour les tartines de confiture
pas pour les petites filles
ni pour les petits garçons
— Tu te trompes d’enfer ma chérie
C’est chaque fois pareil
Je t’amène au Paradis à grands frais
et tu trouves plus cher pour me compliquer la vie
*
Changer de sujet ne change rien
Nous revenons aux premiers temps
et les détails ont beau changer d’apparence
ce qui arrive devait arriver et c’est tout
Ainsi cette retrouvaille tout à l’heure
Nous étions sous le parasol
Tu grillais joyeusement en surface
et j’observais les effets de la mort
sur tes plis et les replis de ta peau
Je ne reconnaissais plus tes cris
quand tu t’es mise à crier
qu’il était temps que je me réveille
parce que le passé revenait nous visiter
Nous avons tous poussé des cris
Des cris de reconnaissance joyeux et clairs
avec une petite touche d’obscurité ici ou là
parce qu’il ne faut pas se cacher toute la vérité
Nous avons bien ri d’être encore capables
de nous souvenirs de toutes ces choses
avec autant de précisions
et immanquablement
il a fallu que tu parles de la poésie
que j’écris
et de celle que tu voudrais que j’écrivisse
Changer de sujet ne change rien
Ce n’est pas que nous tournons en rond
mais c’est comme si le cercle était rompu
et sa circonférence étalée au grand jour
pour former la ligne droite
de notre existence d’amoureux
fatigués l’un de l’autre
L’avantage de cette métaphore
(la circonférence étalée)
c’est qu’avec elle on voit bien
comment ça commence
et où ça finit
Je te remercie de m’y avoir fait penser
*
Que de poésie quand il n’y a plus de poésie
Ce n’est pas le silence ni ce qu’on entend alors
La Poésie revient à ce qu’elle va être
et cette attente est le meilleur de la Poésie
Ce n’est pas le néant ni même la mort
On n’entend pas parler de Dieu quand
la Poésie vient de s’absenter le temps
de revenir pour changer un détail
De poème en poème un détail a changé
et je ne te demande que de t’en apercevoir
Ce n’est pas trop demander que de demander
ce qu’on ne demande à personne d’autre
*
Comment chanter le charme d’un coquillage
dont tu viens de manger l’habitant
Je ne te fais peut-être pas rire
mais c’est ce que je pense de toi
Le vin me rend facile comme ta bouche
Ma langue y trouve de quoi
reprendre la conversation
où nous l’avons laissée
quand il n’a plus été question de moi
et de mes petites intrusions
dans le domaine de la satisfaction
Il était déjà mort dis-tu
Comment imaginer le contraire
Tes dents broient la vie comme un fruit
Fruit mort arraché à un arbre
dont je suis peut-être la terre
Je dis peut-être
parce que je ne suis plus sûr de rien
Ce coquillage vide me fait penser
que je n’habite plus chez toi
et que tu viens de sortir sans moi
*
C’est le bonheur des autres qui t’appartient
Je ne le dis pas assez et tu reviens
Moi aussi je reviens de loin
mais je n’en parle pas
Je te laisse vivre
Je n’attends pas de mourir
Je ne cherche rien
dans le bonheur des autres
Je rencontre et je reviens
Tu ne sauras jamais rien
de ce qui m’est arrivé
tandis que je sais tout
de ce qui ne t’est pas arrivé
Nous sommes faits l’un pour l’autre
*
Joie de l’été
à part le corps
et encore le corps
non je ne vois pas
ce que vous voulez dire
oui oui je suis heureux
de vous avoir rencontrée
surtout avec ce soleil
qui vous donne un air
un air un air de soleil
non je ne pense pas à la lune
à la lune ce soir
la lune lune
avec sa lumière d’argent
l’argent qui manque au soleil
s’il est d’or comme vous dites
poétiquement
oui j’aime ce paysage
ses hommes au travail
ses femmes en chemise
et les enfants qui jouent
à ne pas jouer
ici c’est l’hiver qu’on joue
Quelle joie oui
vous et le soleil
le paysage et vos mains
ce soir la lune non
pas la lune déjà
il faut prendre le temps
sinon il n’y a plus le temps
et Dieu sait ce qui peut se passer
si on vient à en manquer
*
Poème de jour
contre un poème de nuit
Je troque le silence
pour un peu de bruit
Avez-vous pensé
à l’eau de mon bain
Le vin de la nuit
j’y pense j’y pense
Pas de jour sans nuit
et pas de nuit sans toi
Pas de soleil sans lune
et pas de moi sans toi
J’y ai pensé
et j’y pense encore
comment ne pas pensé
ce qui a été dit
Je l’ai dit le jour
et redit la nuit
on voit que
tu m’as écouté
On voit toutes ces choses
au matin
quand tu étires
ta colonne de marbre
*
Je ne sais rien sans souvenir
Les feuilles de l’été exigent
un effort particulier pour être
enlevées à l’arbre ensoleillé
Les fruits ruissèlent sur toi
Nous aimons cette fête
et nous ne nous privons jamais
d’en sortir plus vivants encore
Sans souvenir je ne sais rien
Je ne mesure pas l’importance
de l’été dans tes cheveux
poignée de bruits qui courent
Nous finirons par ne plus savoir
Les fruits de l’été sans soleil
n’expliqueront rien de toi
pas même cet instant de poésie
La place manque pour revivre
*
Non ce n’est pas ma petite fille
C’est ma petite amoureuse
Hier elle m’a offert un ballon
un ballon plein de couleurs
avec un trou dedans
trou caché par sa main
elle ne le lâchait pas
Aujourd’hui elle m’apporte des fruits
et mange le premier
parce que celui-là
elle l’aime trop pour le donner
avant de le manger
Demain nous irons au bois
Nous mangerons sur l’herbe toi et moi
pendant qu’elle cueillera les fleurs
qui lui plaisent le plus
et que ma conversation te renseignera
sur mes préférences sexuelles
*
La voilà qui revient
les bras chargés des bonbons collants
que je vais devoir peler de leur papier
sinon elle fera un caprice
et on me prendra pour son amoureux
Ces jeux parallèles m’ennuient
Tu ne peux pas savoir à quel point
je m’ennuie de toi
et comme j’ai envie de l’ennuyer
elle
Les doigts couverts de mouches
je n’amuse personne
On me trouve même dégoûtant
de les sucer ainsi devant une enfant
qui on le voit bien
a besoin de leçons
Je suce ses doigts aussi
C’est encore plus dégoûtant
et les mouches s’énervent
avec un bruit de porte qui grince
dans le silence des commentaires
Je l’ennuierais bien cependant
mais c’est trop demander à son imagination
*
Les gens de l’été sont comme des boutons
mais on ne peut pas les gratter
Il faut dire que je ne suis pas chez moi
Je n’ai rien sous la main
pour calmer cette démangeaison
pas même toi qui attend aussi
mais loin des gens de l’été
que je boutonne en t’attendant
Ma chemise est propre comme le vin
Mes poches sont vides comme mon verre
et dans ma tête tout s’est éteint
parce que le lustre est tombé
La police a été gentille avec moi
Ils ne m’ont pas jeté de l’eau à la figure
ni demandé ce que je faisais là
seul dans la nuit d’un pot de fleurs
J’ai donné mon adresse et ma clé
et je ne sais par quel miracle
j’ai rêvé dans mon lit toute la nuit
Mais les miracles sont des miracles
ou alors je n’y ai pas assez cru
car tu n’es pas sortie de mon rêve
J’en ai même fait plusieurs pour voir
mais tu n’as rien voulu savoir
Les gens ont recommencé à me gratter
et cette fois je n’ai pas hésité
Je me suis gratté jusqu’au sang
*
Moi aussi j’ai jeté une fleur sur le mort
Le mort n’était plus là
mais on m’a assuré qu’il était mort là
et que je pouvais y jeter ma fleur
Je n’ai pas demandé de quoi il était mort
J’aurais demandé pourquoi
et on m’aurait regardé de travers
parce que de mémoire d’homme
on ne meurt pas pourquoi
on meurt comment
Mieux ne pas savoir pourquoi
Comment c’est plus facile à comprendre
Je n’ai pas regretté ma fleur
Elle s’est perdue parmi les autres
On ne reconnaît plus les fleurs
quand elles redeviennent fleurs
*
Si c’est ça la Poésie
je suis poète
et tant pis si ce n’est pas ça
— Mais enfin monsieur
si ce n’est pas ça
vous n’êtes pas poète
monsieur
Ah pardon
c’est plus poète qu’il faut dire
parce que le temps que j’y ai cru
je l’étais monsieur
Et je dirai que moins je l’ai été
et plus je me sens poète
Je ne suis pas amateur de paradoxe
de ces paradoxes qui font la poésie
mais pour le coup ah monsieur
plus poète que moi il n’y avait pas
Et même si ça remonte à loin
tellement loin que je ne m’en souviens plus
accordez-moi d’être encore
ce que j’ai eu l’honneur d’avoir été
*
Savez-vous pourquoi vous riez
et pourquoi j’en ris moi aussi
Quelqu’un vous a-t-il expliqué
ce phénomène naturel
Une pluie de chapeaux s’abattit sur moi
— Mais enfin monsieur vous traversiez
Vous n’avez pas vu le panneau
— Non je pensais à autre chose
En vérité je pensais à d’autres filles
en voyant celles qui viennent
de me couvrir de chapeaux
— Mais ce n’était pas le but du jeu
Vous arrivez sans avoir vu le panneau
et il faudrait croire à vos chansons
— C’est à cause du rire monsieur
Savez-vous pourquoi elles rient
sans savoir pourquoi elles rient
Ô ce bouquet de rieuses sans joie
mon regard les cueillait une par une
mais mon bouquet demeurait sans parfum
*
Dans les oubliettes du savoir
et des règles de la reconnaissance
je finirai par m’oublier
oublier même que j’ai connu le bonheur
Dit comme ça ce n’est pas clair
et pourtant je sens que je finirai
par être victime du savoir
La Poésie ne renseigne pas
Elle n’affine pas la taille non plus
On l’aime ou on ne l’aime pas
mais elle ne sert à rien
surtout en Médecine
qui est la science de la vie
à la conquête de la mort
et de la jeunesse qui est sa consœur
Je ne connais pas le travail commun
que la mort et la jeunesse
ont entrepris avec le commencement des temps
et de cette ignorance je me suis longtemps nourri
ce qui est faute de poète
et péché impardonnable de savoir
et de la reconnaissance qui l’accompagne
toujours en grandes pompes
Dire que j’ai connu le bonheur
et que je ne peux que le dire
ce qui n’a aucune valeur scientifique
et aucun prix aux yeux du monde
*
L’été brûle comme un feu de joie
Voici le bois que je t’apporte
ô dieu du vent et de la cendre
Ces quelques membres nourriront
l’heure qui vient en attendant
d’autres aventures de l’oubli
Fleuve de sens que cette mer
dont j’emprunte les voies
Membre arraché à force d’eau
je me laisse emporter pour oublier
que j’ai rêvé comme les autres
J’ai rêvé comme toi passante
Nous étions sur le même fil
Funambules d’un bonheur facile
nous ne nous sommes pas reconnus
Voici le bois bon à brûler
Ce qu’il en restera est déjà mort
Ici on ne brûle pas pour brûler
On alimente le feu de la joie
et sa fumée est une façon de parler
pour ne rien dire
pour ne rien dire
*
Exercice du matinal en forme de nuit
Sur la page blanche je n’écris rien
Je ne me souviens pas de l’écorce
mais l’arbre s’est enraciné dans ma vie
Pensums des jours qui se croisent
à la verticale de l’horizon
pas une feuille ne m’est donnée
de cet arbre né de la nuit
Cette fois le soleil qui tombe
m’inspire une clameur de mots
mais sans le rêve je ne suis rien
et la nuit revient en force me hanter
Voici la nuit et ses surfaces
Tu n’en connais pas d’autres
Le sommeil te surprend toujours
quand tu n’y penses plus
Enfin le rêve se donne à vivre
Il entre à pleines mains et ressort
par la faute des mains saisies
elles-mêmes par d’autres sens
Formes de nuit je m’y exerce
C’est compliqué mais j’y crois
Si je suis venu pour rien
que ce rien ne soit rien de plus
*
Brûle encore ô soleil d’été
Ton disque fend la mer
de l’horizon à moi
et je me sens trahi
Après la route pas de route
Voilà ce que j’ai mis dans ton ventre
À la fenêtre le soleil
rougit les feuillages
et creuse des ombres
Nous n’irons pas plus loin
Le temps est circulaire
et nous sommes sa girouette
milieu de nulle part
et centre de tout
ce qui se fait
et se défait
Nous ne reviendrons pas non plus
Ce qui est fait est fait
Je ne veux même pas te voir sourire
comme si je me mettais à exister
*
Je ne me souviens pas d’être venu
dans cet endroit où tu te tais
inexplicablement
Une femme à la fenêtre me salue
comme si elle me reconnaissait
Une autre semble m’attendre
dans l’ombre d’un porche
Les façades ne ressemblent à rien
de connu
Les rues sont peuplées
de fleurs
mais je ne les ai pas cueillies
Qu’es-tu venu chercher ici
Je ne demande pas la Lune
J’ouvre des portes
parce qu’elles sont fermées
Tu n’entres nulle part
malgré les sourires
qui t’invitent à sourire
Je ne tuerai personne aujourd’hui
J’ai trop tué hier
Je tue tous les jours
depuis que je te connais
*
Je montre
tu montres
nous montrons
nous n’arrêtons pas de montrer
toi et moi
Ne pourrait-on pas enfin cacher
une fois cacher
ce qui est déjà caché
mais le cacher cette fois
parce qu’on veut le cacher
Nous sortons pour sortir
Tu t’habilles pour t’habiller
et quand tu es nue
c’est pour te montrer
Ce n’est pas une manière de s’aimer
D’ailleurs je ne te rêve plus
telle que tu es
Dans mes rêves tu caches tout
et je ne cherche rien
Le couple idéal
Ce soir par exemple nous sortons
Pourquoi ne pas sortir en se cachant
Je suis sûr que personne ne nous reconnaîtra
Personne ne saura que c’est toi
que je cache le mieux
*
Je sais ce que vous allez dire
Je l’ai écrit avant vous
Mes naïvetés blessent quelquefois la Poésie
et me voici l’aile en charpie
à cause de cette volée de plombs
Mais je ne suis pas un oiseau
quand je suis
et mes blessures ne saignent pas
ou du moins pas encore
Je suis simplement assis
à ma table de travail
et je consulte le dictionnaire
parce qu’un sens m’échappe
oui oui comme l’oiseau
mais sans fusil ni chasseur
C’est l’été et je suis chez moi
Un autre voyage s’est terminé
Il s’est terminé sans moi
comme tous les voyages
que je ne fais pas seul
Un arbre plein de soleil
inonde mes ombres
Plus loin un mur gris
reste gris
et je le peins en gris
Seule la trace du soleil
me pose un problème
Je ne sais pas peindre le soleil
ou alors seulement avec du violet
qui est la couleur des yeux
que je viens d’abandonner
à leurs voyages circulaires
Si j’ai blessé la Poésie
alors qu’elle n’était pas la Poésie
je veux bien être oiseau
même avec du plomb dans l’aile
*
Premier matin chez soi après les voyages
Le café a le goût du café
et les draps conservent mon odeur
On ne sait jamais
Je ne serais peut-être plus là demain
pour l’écrire
D’ailleurs qu’écrirai-je demain
si je ne suis pas le poète
que j’ai été un jour
Je me souviens du jour
comme si c’était hier
Je ne suis jamais seul
quand je suis poète
Premier fruit aussi
Le sucre de ma terre
Le jus de ma langue
Ma terre de France
Je n’ai jamais été plus loin
malgré les voyages
et en dépit des rencontres
Train à l’heure pour une fois
Je m’embarque avec elle
J’entends les voix d’une autre langue
mais ce n’est qu’une chanson
Je ne reviendrai pas pour la chanter
Premières secousses du Midi
Aplat de chaleur jaune citron
et vert d’une saignée à blanc
il n’y a rien comme le retour
pour aimer à la folie
Le chat n’a pas quitté la maison
Il me regarde comme si je n’étais pas parti
Il ne pose aucune question
Le chien est mort et enterré
Mais ça je le savais déjà
*
La poésie est une mort provisoire
L’idée ne m’enchante pas
mais ce matin c’est mon idée
et je la suis comme si je savais
qu’à la fin c’est elle qui meurt
Je n’en suis pas si sûr
Je me trompe si souvent
à propos de la Poésie
Ce qu’elle est
et ce qu’elle n’est pas
Ce qu’elle donne
et ce qu’elle reprend
Petite mort d’un instant
puis le mort se réveille
de son sommeil de plomb
ni chaud ni froid
encore mort mais entier
pas décomposé du tout
sans odeur maléfique
juste un peu froissé
il a manqué d’eau
et la peau a séché
comme une flaque
elle a séché laissant
la poussière faire
ce qu’elle veut
de ses dix doigts
Puis enfin ce qui devait arriver arrive
La Poésie meurt de sa belle mort
et je reviens d’où je suis
par le même chemin
reconnaissant les choses
qui sont toujours à leur place
comme si la Poésie
n’avait pas d’effet sur elles
C’est d’ailleurs ce qui m’inquiète
qu’elle n’ait d’effet que sur moi
même su ça ne dure pas
Il faudra que je me repose la question
si je réussis à mourir encore
ce que la Poésie ne me garantit pas
*
Il n’y a rien à voir
même si j’y suis
J’ai bu votre vin
mais il piquait
J’ai lu vos vers
aussi vos vers
ils manquaient
de piquant
Des vers sans piquant
c’est la Poésie
qui rate son premier
rendez-vous d’amour
On n’est pas amoureux
quand on veut
de qui on veut
et si on veut
S’il n’y a rien à voir
on ne vient pas voir
On leur fiche la paix
aux morts
d’habitude
*
L’été n’a pas de commencement
Pourquoi aurait-il une fin
Entre printemps et automne
il remplace le soleil
dans les cœurs
et il faudrait s’en porter mieux
Fête du printemps en plein été
c’est moi qui vous le dis
et je m’y connais en fête
Le soleil n’a plus de secret pour moi
jaune et vert il se laisse faire
parce qu’il n’a rien d’autre à faire
En parlant de l’été
le soleil se fait sa place
dans la conversation
Je ne joue pas des coudes avec le soleil
Il entre chez moi si ça lui chante
et il en sort s’il fait nuit
Il y a une manière de le dire
pour éviter de s’y brûler
mais je ne m’en souviens plus
C’était il y a longtemps
et je ne savais rien de la pluie
*
Quel bonheur cette pluie du matin
Nous n’en avions même pas rêvé
et elle arrive comme un rêve
en habit de fée solitaire et mariée
Quelles noces que cette averse
qui ne dure pas assez de temps
pour ameuter l’esprit ensommeillé
comme le matelas qui le porte tout nu
Vite nous ouvrons la fenêtre
Les gouttes ricochent sur les carreaux
Les pétales font un bruit de papier
Sous les feuilles des antennes s’agitent
Mais vient sur le chemin de la maison
À qui ce parapluie que le vent reconnaît
et qu’il secoue sans lui faire de mal
tout le mal qu’il sait faire
quand on n’est pas du bon côté
Tes genoux lancent leurs éclats d’or
Je ne savais pas que quelquefois la nuit
recommence alors que le soleil
n’a pas encore montré ce qu’il sait faire
*
Ma campagne n’a pas changé
On y tranche le pain avec un couteau
Dans les verres le vin rutile avec le soleil
et tes bras baladent mes yeux à l’affût
de tous les changements
que tu as dans l’idée
Si le chien n’est pas mort dis-moi
alors qui est mort qui a changé de place
Le vert tombe du ciel en tranches
Sur le rebord de la fenêtre il tombe
suivant le chemin de l’eau violette
de tes yeux
À travers le carreau sale depuis toujours
tu profites de la lumière pour changer
le détail significatif de mon attente
Est-ce bien le moment de changer
ce qui n’a jamais changé en mieux
Je le demande à tes yeux violets
comme les feuilles de la misère
Je ne sais pas si le jour est bien choisi
pour changer la poussière de place
*
Je ne sais pas s’il s’agit
de respirer le même air
ou de compter
sur la même seconde
Le silence peut en parler aussi
lui qui ne dit jamais rien
parce que tu n’es pas là
pour m’écouter respirer
S’agit-il de multiplier
par deux
chacune des instances
de ce temps et de ce lieu
Il n’y a que le silence
pour trouver les mots
qui conviennent sans erreur
à la seconde que je partage
Peut-être attendre
que la parole me revienne
et que d’un mot trouvé
le poème renaisse enfin
Le silence pourtant
a ses avantages
dès que deux êtres
renoncent en même temps
à la solitude
*
Le printemps est bien loin
quand s’achève l’été
Quel chant me revenait
aux premières pluies d’or
Je ne me souviens plus
d’avoir chanté avec toi
Et pourtant j’ai chanté
Le voisinage dit que j’ai
même hurlé ma joie de poète
saignant le sang des fleurs
par la plaie ouverte du cœur
On le dit et tu dois croire
ce qu’on dit à propos du poète
Les images demeurent
comme les pierres
de nos cimetières
traces à marche forcée
de l’existence renouvelée
par la magie du cycle
Que serions-nous sans les saisons
Comment mesurerions-nous
ce qui n’appartient qu’à nous
si le printemps ne recommençait pas
à empoisonner nos rêves
de fleurs et de jet de sang
Mais le printemps est bien loin
quand l’été se finit
et que tu reprends ta place
pour en changer le sens
parce que tu reviens de vacances
*
Comme une main qui se resserre
pour étouffer ce qui prend vie
au contact de l’existence
le Poème assassine ses personnages
Pourtant ils ont parlé de leurs belles voix
Soutenant toutes les thèses
ils n’ont pas manqué
de charmer l’esprit
Pourtant on les voyait
presque derrière la porte
fermée du récit de leur passage
de la vie à la mort
Le Poème assassin revient
comme le mauvais vent
secouer la poussière du temps
et faire les tapis de la conscience
Pourtant nous étions à l’heure
Nous n’avions tué personne
et même certains d’entre nous
avaient convolé en justes noces
comme on dit ici-bas
en parlant de noces
et de cette impression de voler
qu’on a
après s’être connu
Mais le Poème assassinait
sans pitié sans confession possible
il assassinait tout ce qui était vivant
et n’avait d’autre solution
que de mourir en sachant très bien pourquoi
parce qu’il n’y a pas de la place pour tout le monde
et parce que si le monde n’était pas monde
il faudrait l’inventer avec la mort comme principe
et la vie pour finir d’en parler
*
Quand vient l’automne
et il vient toujours
ce n’est pas un retour
c’est un rendez-vous
Quand vient l’automne
et que l’été persiste
aux fenêtres s’écoulant
comme l’eau d’une fontaine
que des mains viennent de troubler
beau visage penché
d’une fin de voyage
Quand vient l’automne
premières feuilles renouvelant
l’annonce du printemps
Quand vient l’automne
l’oubli fait signe à la mémoire
comme le vent dérange une tuile
ou l’eau qui revient
verte par le fond
épuiser les ressources de son œuvre
à la surface d’un galet
que je n’ai jamais touché
et qui n’a pas changé de place
Ici mes pas d’enfant
ont achevé le travail de l’héritage
et mes mains d’homme ont perdu
l’idée première de son sens
*
Blanc des jambes
Ivoire de la baignoire
Un couteau de violet
rature la fenêtre
Seins au plâtre gris
Du ventre à la cuisse
un couteau de jaune chrome
fend la fente entrouverte
Pieds croisés sous la lumière
qui tombe verte des carreaux
une chevelure de noir
descendait le long de l’émail
Que sont les mains
au bris du gris
doigts d’argile au couteau
trahissant un fil de nacre bleue
Ce sont tes yeux
cette apparence de coquillage
spirale d’un sommet
où le couteau enfonce son fer
*
Retrouvée au rehaut
jaune paille et consort
les lèvres baignées à l’or
d’une serviette aux plis
recomposés par l’habitude
Après les voyages
l’eau du bain facilite
les plans de fuite
de tes paysages
Ici les mains en croix
d’un bleu noir écrivent
des complémentaires
La porte demeure miroir
et en miroir se repeint
oblique maintenant
que l’eau répand ses feux
Le plaisir est un rendez-vous
avec le cœur étonnant
*
L’automne glisse sur toi
comme la rivière dans son lit
sur ces fonds jamais vus
mais que la main connaît
Dans les trous d’ombre
une enfance résiste encore
corps plongé après le saut
en étoile éparpillé au fond
L’eau verte doigt chargé
d’un ocre mouillé de bleu
et le corps retrouve sa position
à l’endroit de la surface
Une enfance ici accroche
des impressions de bleu ivoire
minces filets tournoyants
sur le dos des poissons gris
Le rêve n’y commence pas
ses fuites ni ses tentatives
de donner un sens à l’oubli
Le sommeil n’y était pas non plus
le moyen de maintenir de force
cette tête le plus près possible
de ce que les yeux voulaient savoir
*
L’hiver sera bleu ou ne sera pas
Comme la vérité est dure
quand elle met la main à la pâte
En attendant le rouge de tes mains
ruisselle sur l’échine noire
d’une bête morte et cuite
L’hiver bleu est un fantasme
Rien que tes épaules
encore nues à cette saison
pour servir d’oblique
à un repas de bête tuée
Le bleu a aussi ses lèvres
La fumée d’une cigarette
croise la poussière des rideaux
sur les os blancs et noirs
Un hiver sans bleu
oh je ne l’imagine pas
Bête sans tête
et donc privée de son regard
sa peau comme un torchon sur un fil
*
La joie comme les poils sur un dos
secouée de l’intérieur qui se courbe
et surmontant un rire de peau fanée
au bout d’une tige à mi-jambe de l’eau
Je te voyais trouvant l’écrevisse sanglante
l’eau jaillissant de tes seins drapeaux
tandis qu’une barque passait au bord
de l’autre rive où des oiseaux faisaient
de l’ombre à un feu de bivouac
La joie que la main caresse comme le poil
de la nuque à la racine dressant ses fils
Ariane d’une autre histoire recommencée
tandis que la barque s’éloignait avec les oiseaux
et que le feu se nourrissait de vent et d’herbe
Tes jambes portent encore ces traces de cendres
*
Un arbre couché encore vivant
feuillage en partie baignant
dans l’eau qui attire du monde
Image d’un automne à venir
Moi aussi j’ai glissé sur ce chemin
pour voir la saignée de bois éclaté
Ton foulard en était le sang
Emporté par le vent
il s’était posé sur le spectacle
donné par les fous de l’automne
Sang qui manque à l’automne
malgré la rouille de ses fers
et la cassure de ses plans d’argile
Le foulard est déchiré maintenant
Tes mains l’arrachent à d’autres mains
mais ta bouche dit le contraire
ce qui te vaut un compliment
pour la beauté de tes épaules
Les seins n’ont inspiré que le silence
Le foulard je l’ai vu voler
mais pourquoi a-t-il fallu que ce soit le tien
autant dire le mien
*
Croissance du feu et proximités
ce paysage de fenêtre change le soleil
J’ajoute un plan de vert émeraude
parce que mon imagination te retrouve
Je troque l’ocre pour le chrome
et l’ombre pour des reflets de vitrine
Sous le rideau des insectes rapides
métallisent la poussière de l’été
Sperme comme le tain des miroirs
gouttes de l’enfance dans les fissures
le couteau lance des chanfreins noirs
tandis qu’apparaît le blanc de tes cuisses
À l’automne je me sens peindre
Je traverse des musées d’impressions
Le couteau dans la poche je resquille
et la gardienne laisse tomber son rideau
*
Jalouse tu remarques devant témoins
que l’été est la saison des récoltes
et l’automne celle du vin ce vin
que j’accumule sans le boire
Tu aimes les terrasses des cafés
et leurs témoins en forme de poire
Un garçon te fait de l’œil aux jambes
L’été était-ce hier ou aujourd’hui
Rues finissantes sous la chaleur
nous y voguions comme des touristes
revenant de si loin qu’on peut espérer
où les blés furent fauchés sous le soleil
Mais ici les grappes fondent sur toi
Je n’aime pas les pièges sucrés
Une guêpe a son charme si on veut
mais la mort ne m’enchante pas
Il faudra tuer un animal pour te le dire
et pendre sa peau au colimaçon de ton art
Le vent interroge ces poils séchés
mieux que le poème que tu ne veux
pas voir ni même en peinture
Coulissons ensemble ô passagère de nuit
Le train revient de loin et le quai est désert
*
Je ne voudrais pas que tu croies
que ces passages de peintures
prétextent la couleur de l’automne
au lieu de rendre à tes vertes cuisses
l’éclat d’un premier instant de joie
Tu ne croiras à aucun prix
et sous la menace d’aucune promesse
que ces croix de complémentaires
n’ont de sens qu’en dehors
de la symétrie parfaite de tes seins
Je ne mens à personne au couteau
mais c’est ta chevelure que je vois
balayant la palette de ton front
et tes yeux couleur de lilas
ne croient pas non plus à mes fables
Laisse ma main envoyer ta main
au diable de cet horizon graphique
Les sensations s’enchaînent au couteau
comme le fil à son histoire de feu
et le sang n’a plus la couleur du sang
*
C’est encore l’été dans l’ombre
Une craquelure d’aile y fond
doucement nourrie d’un feu
dont tu es je crois l’étincelle
C’est encore l’été sous la poussière
La soie d’une toile balance
des argents de visage en fête
dans les fissures du passé
C’est encore et toujours l’été
ces heures qui collent aux doigts
comme des mouches tombées
que tu n’as pas daigné achever
L’été finit mais sans oublier
ses petits cadavres de soleil
et ses momies de plaisirs
arrachées au sommeil de l’ombre
C’est encore l’été qui se lève
L’été croque-mort en panne
Chapeau bas et jambe en l’air
ouvrant des portes pour les fermer
Et les ouvrant moi-même je sors
ne rencontrant finalement que l’ombre
qui témoigne encore si c’est nécessaire
que l’été n’a pas de fin sans toi
*
Tu n’as retenu que les brouillons de terre
Au fil de ton histoire le sang n’a pas coulé
et dans le vert sillon de tes rêves de Poésie
le grain a germé certes mais tu n’as pas grandi
Cette eau n’a emporté que des commencements
Au fil de tes fleuves l’été s’amenuise
Ces mains qui brisent les surfaces
n’appartiennent à personne en particulier
Les trottoirs de ta ville ont perdu le chemin
Les murs de tes campagnes portent des traces mais
sous la chape des mots la morte se plaint encore
Le seul été de l’existence se fond maintenant
dans l’estuaire de l’automne
et tu vois bien combien l’hiver est un monde
*
Oui je me souviens du printemps
Comment peux-tu penser que j’ai oublié
oublié mes petites naïvetés de terrien
oublié le monument de mes passages
oublié le sang versé pour que je m’enracine à mon tour
oublié les batailles sur le terrain de la Justice
Que peut-on oublier encore
si l’été n’a pas donné de fruits
et si l’automne n’est que le nom de l’hiver
Oui je me souviens de toi
et des délices de l’aventure
de l’inconnue rencontrée alors
et de tes crises empruntées à la Littérature
Le printemps m’a nourri
car je suis né de l’hiver
et j’y retourne
As-tu oublié que j’ai chanté
avant même que l’été t’emporte
au large de mon imagination
Nulle inconnue alors
même nue et donnée d’avance
n’a remplacé ce que tu m’as volé
Quand je verrai l’hiver
le jour sera venu de me taire
Il n’y a pas de raison
de chanter dans la saison
des premiers temps de l’existence
*
Peinture de soie de l’existence
tenue pour seul enjeu
J’ai joué moi aussi
tout l’été joué avec toi
jouet de la nuit
Ici au cœur brisé
de l’automne qui commence
sans avoir jamais fini
je ne joue plus je vis
Peinture de soie
trouée par la lumière
une épine te retient
et le vent s’arrête
Nous jouions pour jouer
oubliant qu’au printemps
nous avions aimé la terre
et qu’elle saignait encore
Soie des jours comptés
un doigt mouillé
estompe les ombres
les emplit de lumière
Ce que je vois
n’est qu’un reflet
et je ne joue plus
à me regarder
*
Statue de pierre qui ne meurt pas
inspire-moi avant l’hiver
Ton sang fleurit encore la terre
mais je ne reconnais plus ton visage
C’est que l’ombre est retombée
Après l’été l’ombre a retrouvé son ombre
Ô statue de pierre sans visage reconnaissable
donne-moi le la de ta présence parmi nous
Ce matin personne n’est venu
La porte s’est ouverte sur l’inconnu
De loin j’ai aperçu ta main levée
dans les aurores d’un soleil mal réveillé
Voici mes pas tels que je les donne à compter
Si l’automne n’est plus une aventure
dans ce monde qui ne connaît pas d’hiver
ô que ta pierre se donne encore à creuser
*
Maintenant je pose mon sac
sur le seuil de ta maison
Je ne frappe pas à ta porte
Je n’attends rien de l’existence
Les gens me regardent
et je les salue
quand je les connais
car autrement je sais
qu’ils n’aiment pas
qu’on les salue
surtout avec un sac
posé sur le perron
la pierre grave du seuil
de cette maison
où j’ai connu le bonheur
alors que l’été
n’avait pas commencé
Maintenant je te regarde
penchée à la fenêtre
et saluant peut-être tout le monde
les mains dans les fleurs
promenant ton regard violet
sur les gens qui s’approchent
car tu les connais tous
Les conversations tombent
dans mon silence
Maintenant je crois exister
parce que j’en ai fini
avec un été trop long
et trop chargé de tentatives
au moment où mon esprit
pensait renouveler
les explications mille fois
remises sur l’établi
Mon sac n’est pas témoin
pas plus que ma cigarette
vieux sac emprunté
ou volé je ne sais plus
Je fume tes cigarettes
mais tu ne me vois pas
Les fleurs sous tes seins
capturent les insectes
dont je t’ai parlé cet été
*
Je ne reviens jamais de loin
Certes le sable sent encore
la misère des coins du monde
où on se bat contre la mort
Le train me vomit souvent
sur des quais où tu n’attends pas
que je te dise tout à propos
d’une blessure encore visible
Il m’arrive souvent de suivre
mes hôtes sur le chemin
de la maison que j’ai quittée
parce qu’elle sentait le printemps
Ces fleurs envahissent mes nuits
Il n’y a pas de monde assez lointain
au bout du rail ou de la route
pas de monde sans sommeil
Si je reviens c’est pour finir
ce que tu as commencé sans moi
Peu d’horizons et pas de pays
j’ai perdu le peu de terre
le peu de terre que j’ai aimée
parce que sa langue me parlait
et que tu choisissais toujours
le bon moment pour me quitter
*
Nous ne vieillissons pas aussi bien que nos maisons
Il faut dire qu’elles n’ont pas d’âge
Leur bois accepte nos peintures
et la pierre semble renaître dans le mortier
Même les fleurs se plaisent dans ces corbeilles
Le carreau brille des feux de la rue
Les ors d’une poignée de porte rutilent
à la surface revisitée de ses planches disjointes
Le temps a rajeuni ces paysages d’une autre époque
et nous y traînons nos douleurs articulaires
montant ou descendant quand le soleil
joue avec l’eau de nos bains sulfureux
Il faudra un enfant à ces belles vieilleries
pour qu’elles vieillissent sans perdre leur beauté
mais de quoi aurons-nous l’air
si nous l’avons perdue nous-mêmes
Difficile de trouver l’enfant de cette poésie
et je ne parle pas de le concevoir
Nos maisons nous parlent d’un autre temps
et non pas de ce qu’elles vivront encore sans nous
*
Je connais aussi la poésie des armoires
Il n’y a pas de confiture qui n’en sache rien
Mes doigts recommencent toujours ce travail
dans le silence et l’ombre de l’automne
J’eusse été une femme des draps m’eussent ravie
Deux portes refermées sans grincement de fer
Une clé qui a toujours été la seule clé
et la photo aux pliures repassées à chaud
Le dessus des armoires a connu mes sommeils
Dormir avec le chat n’a plus de secret pour moi
Le fer d’une boîte rouille depuis longtemps
mais je n’ai jamais ouvert cette brèche dans la nuit
Est-ce de la poésie ou n’est-ce que l’automne
Au printemps je ne jurais que dehors
Des eaux m’invitaient au voyage
eaux doucement allées où le monde finit
Et si ce n’est pas de la poésie je mens
Je n’ai pas assez tourné ma langue
et ce que je dis maintenant à l’enfant
est un joli mensonge en forme de conte de fées
*
Je n’ai pas aimé la feuille
et elle me le rend bien
en n’inspirant à mon cœur
aucun chagrin d’amour
Verte je l’ai regardée
se gorger de soleil
à la tangente du fruit
que j’ai cru lui voler
Elle a fini par rouiller
Le vent l’a emportée
et sur la branche nue
le signe d’un bourgeon
m’a fait un signe
L’hiver n’a pas de feuilles
Il est comme les arbres
Il attend son heure
*
On sort plus libre
par la fenêtre
que par la porte
Une de mes amies
s’est défenestrée
Il faut bien se faire
quelque chose de mal
quand on n’a
plus rien à faire
Je me ferais bien
autre chose de bien
avec la même fenêtre
si je l’avais encore
à portée de voix
Mais je prends la porte
tous les jours la porte
sans me faire mal
ni me faire bien
Il faudra qu’un jour
je me donne les moyens
de penser vraiment
à la liberté
*
Hier je suis passé
devant le monument aux Morts
Un drapeau déchiré
sans couleur
pierre martelée
avait été ajouté au décor
en mon absence
J’ai revu les pieds du soldat
et les seins de la liberté
Pourquoi ne pas revoir
ce qu’on sait déjà
Mais pourquoi chercher à voir
ce qu’on ne savait pas
*
Où est-elle cette poésie du premier regard
que le printemps me promettait
sans ménager ses effets de manche
C’est l’hiver que devrait porter la jeunesse
comme habit de poète
mais l’hiver on est déjà mort
et l’automne ne porte pas de fruits
Nous mourrions alors en été
en plein soleil de la parole
et l’automne emporterait nos cadavres
loin de l’hiver et de ses créations
Mais c’est le printemps
qui va le mieux à la jeunesse
Ainsi l’été nous déçoit
et l’automne n’est qu’un spectacle
celui de l’envers de la déception
Le premier regard est printanier
et l’hiver s’en fout
lui qui ne pense qu’à créer pour créer
alors que nous sommes faits pour vivre
*
La Poésie couche dehors depuis longtemps
On ne l’a jamais vu passer l’hiver
Ces feuilles mortes sont des poèmes
qui n’ont pas été écrits pour l’être
J’aime les voir courir sur l’eau
aller plus vite que moi qui cours
comme un enfant sur le chemin de hallage
sachant que la prochaine écluse
est équipée d’un robot ramasse-feuilles
Mais les poèmes ne sont pas toute la Poésie
Les feuilles ne représentent pas l’arbre
Ce n’est pas courir qui t’inspirera
Des arbres nus s’enracinent ailleurs
Alors je reviens d’où je viens
Je ne reconnais plus personne
et pas un chat ne sait qui je suis
En passant devant ta fenêtre
j’ai aperçu ton échine penchée
sur l’ouvrage que tu me destines
car dis-tu l’hiver sera long
et je n’ai plus mes vieux habits
ceux qui tenaient si chaud
quand je suis né de toi
et que le printemps vagissait
*
L’argent dénature le travail
Je ne veux rien en retour
Les vivants de la guerre
n’ont pas pris le bon chemin
Chemin de la Poésie sans papier
sous tes arbres ou sous tes lampadaires
nous suivons le fil de tes aventures
mais nous ne sommes pas tes ouvriers
Pas besoin de mémoire pour revenir
à la tradition orale perdue en chemin
C’est l’outil dont nous héritons
Comme l’Arabe laissons les mots aux fils
Il n’y a pas de pères sur le chemin
et une seule mère suffit au symbole
et les fils et les filles n’oublient jamais
d’éteindre leur feu avant de mourir
Mais les vivants de la guerre
sont encore vivants et la Poésie
en crève un peu plus chaque jour
car sans père l’homme se sent orphelin
Non ce n’est pas dans les orphelinats
que la Poésie habite le présent
Ce qui est fait est fait et ce qui est
ne sera peut-être plus dans un instant
Non merci ma bonn’ dame mon bon monsieur
La main c’était pas pour la pièce
J’avais juste besoin de me la gratter
des fois qu’il se mettrait à pleuvoir
*
Palais de verdure
bientôt votre ossature
partagera le ciel
de ses ombres vivaces
et à vos pieds la terre
renaîtra de vous-mêmes
car si vous savez
perdre vos habits
votre nudité
est un signe d’éternité
Grands arbres vous avez
la vie devant vous
tandis que je promène
mon miroir sans tain
sur vos chemins
Je ne prends pas racine
nos morts sont inutiles
nos combats épuisants
et de nos champs brûlés
par le soleil d’été
demeure l’ombre
et ses habitants
Ici le fils
est poussière du fils
Les murs de nos palais
ne prennent pas racine
Il n’y a pas de forêt
moins humaine
que l’œuvre commune
*
Où sont les drapeaux brûlés
par les feux de la terre assise
au bord de son abîme
Jour de colère ô France
Quelle langue parles-tu
à cette profondeur
que tu ne connais pas
Qu’est-ce que ce sang
La terre assise dans son fer
terre des fusions impossibles
que la langue ne connaît pas non plus
Je ne veux pas écrire ces noms
dans les marges de ma Poésie
Tout doit retourner à l’inconnu
les os avec les os
et la chair avec la chair
Cette terre n’a plus de paysans
Ses héros sont les marioles
de la gloire administrative
Je ne suis pas une décoration
au bout de la Justice
J’ai ma langue en colère
et je suis prêt à tuer
Jour de colère ô Nuit
*
Au printemps il faut se préparer à l’été
et c’est à l’automne que l’été prend son sens
mais comment en juger sans l’hiver en caution
C’est à peu près tout ce que je sais de la vie
maintenant que j’épouse ce que j’ai aimé
et que je me cache pour pleurer
Voici l’automne en habit de travailleur
bleu comme la douleur et sali par le temps
L’horizon a l’air d’une grande blessure
au front du monde
Ai-je bien joué le rôle de ma jeunesse
et jusqu’où ai-je poussé l’imitation
de cet âge que le soleil tanne durement
Ma langue est à tout le monde certes
sinon je n’aurais plus rien à dire
et peut-être même rien à penser
Demain n’est peut-être pas demain
non pas que la nuit peut emporter le combat
que je livre à ses fantômes revenus
mais je ne sais pas si le chant n’est pas
achevé depuis si longtemps que je n’ai
plus qu’à le relire depuis le début
pour en savoir un peu plus sur moi-même
*
Cet outil oublié me rappelle que j’ai travaillé
travaillé avec les autres à l’œuvre commune
le fer dans une main et dans l’autre une main
et peut-être l’esprit ailleurs car j’étais malheureux
Cette rouille ne porte pas la trace de mon savoir
Elle ne participe pas à la mémoire de l’objet
et de tout ce qui accompagna cet objet
au bout de son chemin de plaisir ou d’utilité
Il ne reste que le fer sans la poignée ni le sang
L’herbe a bon dos quand l’oubli y demeure
Un peu de terre arrachée à la terre
se mélange à la rouille comme le feu jadis
Cet outil ne servira plus à se projeter dans le futur
Un clou dans le mur n’en fera pas une œuvre d’art
mais mon regard vient de créer un nouveau besoin
et je plante le clou pour accrocher ces yeux
*
Un toit s’effondre et le bulldozer arrive
Une heure après le gazon a poussé
sur cette tombe où j’ai vécu heureux
quand c’était encore une maison à vivre
La terre est lisse comme un tissu
C’est un nouvel habit que le bulldozer
a taillé à l’aulne de ses chenilles d’acier
Il faut dire que je n’en crois pas mes yeux
Pourtant je les ai frottés avec toute l’énergie
du souvenir et des fictions qui s’en nourrissent
Et les ouvrant de nouveau pour voir le vrai
c’est le faux qui s’impose à ma mémoire blessée
Je ne sais pas si je reviendrai à cet endroit précis
Je prendrai peut-être la tangente
Qui sait ce qui peut arriver quand on revient
et qu’on a perdu le souvenir des distances
*
Depuis que l’automne a commencé son œuvre
de destruction
et en attendant que l’hiver confirme la nécessité
de l’ouvrage
je n’ai pas connu un seul instant de joie
simple
je dis simple parce que la compliquée
est compliquée
Je ne sais pas ce que peut valoir ce temps
dans la balance
Je n’aurai d’ailleurs pas le temps
de le savoir
Le temps va tellement vite quand il prend
le chemin
de l’infini et de tous ces concepts obscurs
qui occasionnent
bien des encombrements aux croisées
en vigueur
Non je ne me souviens pas d’avoir ri
pour rire
car telle est ma définition de la joie
simple
parce que la compliquée est compliquée
et qu’alors
rire n’est plus du domaine des saisons
*
Non mes amis je n’ai pas passé ma vie
à tenter de résoudre le problème des dés
qu’on a jetés parce qu’il fallait les jeter
ou qu’en tous cas le temps en était venu
et qu’alors qu’ils étaient en l’air
il s’agissait de les empêcher de toucher le tapis
qui dans mon cas était de la terre ordinaire
très glissante en toutes saisons
avec ou sans feuilles mais en glissant
on ne fait plus attention aux feuilles
Par contre le problème des feuilles
qui n’a rien à voir avec celui des dés
a retenu une partie de mon temps
lequel n’était précieux que de mon point de vue
ce qui explique que les feuilles ont attiré
mon attention sans prévenir ma prudence
comme le font quelquefois les feuilles
quand on joue aux dés sans elles
si jouer c’est avec les dés qu’on le fait le mieux
Je sens qu’il va manquer une conclusion
à cette métaphore du tapis avec ou sans dés
mais l’automne vient à peine de commencer
les vacances ont encore un goût de vacances
et je ne veux pas achever ce poème
sans avoir fait tout ce que je n’ai pas encore fait
car j’ai une petite idée de ma mort figurez-vous
Je compte bien mourir en faisant quelque chose
et non pas bêtement en ne faisant rien
*
La Poésie n’est pas autre chose
que ce qui manque au roman
mais bien sûr si vous n’écrivez pas de romans
vous ne pouvez pas comprendre
ce que je dis de la Poésie
Imaginez le roman que je n’écris pas
tout en écrivant ce que j’écris
et que vous êtes en train de lire
C’est un bon exercice à notre âge
qui est celui de l’automne
que d’imaginer l’imaginable
en se servant d’une réalité
que je vous apporte dans un plateau
Le printemps est une histoire
L’été en est la suite
et l’automne je n’en sais rien
parce que j’y suis
et que je n’ai pas envie de savoir
Je ne saurais donc jamais
Voilà le roman à écrire
si je n’écris pas la Poésie
*
Mon voisin est satisfait de sa retraite
Quand il se lève le matin tout est fait
Il ne lui reste plus qu’à continuer de se lever
ce qui lui prend la journée
et une partie de la nuit
Ma voisine a encore de beaux restes
Elle les a montrés tout l’été
et maintenant l’été indien
l’encourage à continuer
Cet arbre a deux fois mon âge
Il connaît l’hiver comme sa poche
Il en a de la chance
Je serai peut-être un arbre un de ces jours
mais en quel endroit de ce vaste monde
Ce café est meilleur dans l’après-midi
surtout à cette époque avec les feuilles
qui commencent à mourir sur les chemins
Le café des feuilles mortes
Ce bois brûlera cet hiver
mais il brûlera sans moi
car je serai mort avant la saint Martin
Bonjour Voisin
(je ne dis pas ça pour vous)
comment va notre Voisine
*
L’automne découd les conversations
comme si nos vieux habits
pouvait servir à autre chose
chiffons voués à la mécanique
chemises du tout petit
tapis du chien en grâce
ou torchons des cires
Que sommes-nous devenus
si nous ne sommes rien
Les fils de l’automne
se recousent ailleurs
*
Rien n’est moins précieux qu’un poème
Voici le bas de l’échelle du langage
l’explication de tout ce qui va suivre
et qui n’aura pas de fin
Il m’arrive de fredonner
l’air d’un poème qui respire
ou de souffler dans le pipeau
d’un cadavre de vers sans poème
Mais je ne suis pas à l’article du poème
J’ai encore de beaux jours devant moi
et demain n’est pas le moindre
car je m’y sens déjà chez moi
*
Ma voisine m’a prévenu
— Cet enfant demande des sous
à ceux qui en ont
C’est qu’il n’est pas bête
Elle le croit donc intelligent
Il ne m’a rien demandé
Il est donc bête
car des sous j’en ai
Mais je n’ai pas d’enfant
Je n’ai pas d’enfants non plus
Je n’en ai jamais revendiqué
la stricte propriété
J’ai des sous
mais pas à ce point
Finalement l’enfant est venu
me demander des sous
Qui te dit que j’en ai
— La voisine me l’a dit
mais je fais pas
le même métier qu’elle
*
Journée de pluie ou de soleil
les feuilles meurent de la même mort
sang versé par l’automne
Derrière le carreau ou sur le banc
mon chapeau est un chapeau
qui n’aime pas la pluie
Je ne change pas avec la pluie
et le soleil ne me transforme pas
en enfant des bois
Noir ou gris je me promène
en dedans ou en dehors
sans changer de chapeau
*
Couper le rideau ne me dit rien qui vaille
J’aime cette lumière sans faille
Peu m’importe que les petites bêtes
en profitent pour habiter dedans
Dans mon enfance on ne coupait
les rideaux que si la lumière
ne s’y trouvait pas à l’aise
On se fichait des petites bêtes
Mais quand l’une d’entre elles
te trotte dans la tête
il faut couper sans discuter
et tant pis pour la lumière
Le soleil en profitera je le connais
pour fendre le sol d’un rayon jaune
juste à l’endroit où je pose mes pieds
quand je te regarde et que je me souviens
*
Mais d’où sort cette Poésie
qui n’y était pas
J’ai passé ma vieille main
sur cette vieille surface
usée par le travail du temps
et par le temps du travail
Comme elle était lisse la surface
lisse comme s’il n’y avait rien dessus
et il n’y avait rien sinon je l’aurais senti
Mais quand j’ai pris du recul
comme un enfant qui va sauter
le ruisseau qui le sépare de ses rêves
le lisse s’est plissé comme une peau
qui a vécu trop longtemps
et c’est sorti comme ça
poétique comme la Poésie
avec de la salive sur la langue
et le pouvoir ce grand pouvoir
le pouvoir de sortir
sans demander la permission
*
Nous vivons seulement neuf mois
car l’hiver ne compte pas
Nous n’aurions pas assez de doigts
Douze mois c’est deux de trop
mais si l’hiver ne dure qu’un mois
comme dans les contes à dormir debout
Hélas trois c’est trois
On ne fait pas un un avec un trois
*
Petit à petit l’enfance revient
Ce n’est pas la jeunesse
C’est la pluie de novembre
avec des gouttes d’or
si on regarde bien entre les gouttes
Justement j’y regardais
Le hasard fait bien les gouttes
et les gouttes font bien le regard
Tout va bien tout va bien
le cœur l’estomac les jambes
Tout va pour le mieux du bien
Je ne vais pas me plaindre maintenant
Il serait trop tard pensez
Se plaindre maintenant
alors que la pluie de novembre
ne cesse de tomber
au hasard des gouttes d’or
qu’on ne compte plus
*
Dans un champ de bruyères
les abeilles ne piquent pas
Pareil pour la pluie
qui ne tombe que du ciel
Une feuille d’automne
a le temps de mourir
La terre ne demande rien
à la mort des feuilles
Cette eau qui ruisselle
personne ne la pousse
Pareil pour l’homme
qui a le droit de reculer
Un arbre est tombé
alors que les arbres
n’ont pas la force
de se relever
Traverser une vitre
c’est la casser
mais les miroirs
ont d’autres tours
dans leur sac à miroir
à condition de ne pas les casser
en les regardant trop vite
*
Qu’est-ce qui tue le mieux
La douleur ou le hasard
Question des carreaux
à la transparence
Plus de feuilles
dans les arbres
Horizon retrouvé
Style hivernal
Il y a belle lurette
que nous ne trempons plus
nos plumes d’oiseaux
dans les encriers de la vie
et pourtant nous écrivons
avec la même mort
pour compagne de temps
Plus de feuilles
sans les arbres
chemin sans fin
écrit d’hiver
Raison de plus
de ne pas s’aventurer
au-delà de la raison
Fermer une fenêtre
installe la transparence
et la question se pose
de la douleur ou du hasard
Plus de feuilles
Rouille sang
L’hiver saque
les sacs à malice
*
Tubes de toutes les couleurs
c’est-à-dire beaucoup de tubes
et dans le ciel de lit le blanc
qui ressemble à l’éternité
Quand on est mort
c’est pour l’éternité
alors qu’on peut vivre longtemps
avec un peu de chance
Liquides d’or et d’argent
Pistons millimétriques
À la fenêtre on joue
avec les rayons du soleil
Ne cours pas après
tes rêves inachevés
ce sont de faux rêves
on n’en vient pas à bout
Le masque ronronne doucement
ou roucoule je ne sais plus
si ce sont des oiseaux
qui perdent leur temps
Il y a les bons animaux
et ceux qu’on ne mange pas
Réfléchis avant de parler
tu n’es pas éternel
Flaque des lumières
On croit mourir ainsi
mais ce n’était qu’un souhait
Ils sont à l’heure les vivants
*
Je n’ai jamais apprécié
les retours à la case départ
et pourtant c’est arrivé
plus d’une fois je crois
arrivé comme rien n’arrive
C’est là tout le secret
Mais je ne cache rien
sous cette armure d’or
Je reviens sans les mains
comme un enfant fou
qui ne veut rien savoir
sans payer le prix
de l’équilibre précaire
Le lit sera douillet
Les draps frais comme l’eau
des fontaines de l’enfance
Tes mains ne résisteront pas
longtemps aux miennes
ni ton esprit à ma joie
cette joie de savoir
dur comme fer que rien
n’est arrivé au Temps
*
Boucle blondes à travers les cactus
Un doigt désigne des vols en masse
L’équilibriste est un enfant
privé de bicyclette pendant trois jours
Je sais ce que je ferais
si je n’avais pas de bicyclette
Le linge claque dans le désert
Tu ne seras jamais un enfant
si tu continues
Fragments de la solitude
imposée par l’écart du lit
Si tu continues
il n’y aura plus de bicyclette
plus d’oiseaux sur les fils
plus rien avec eux
la Poésie claque dans le désert
L’oiseau en question était un slip
emporté par le vent
Tu n’oublies pas ta bicyclette par hasard
*
Fusée d’insecte au fil de l’eau
Une feuille m’est tombée sur le nez
J’aime ces après-midis maussades
Le soleil en chercheur d’ombres
Rien ne commence vraiment
et tout s’achève dans la clarté
La Poésie coupe les fils de la poupée
Il n’y a personne sur le chemin
Les mêmes pas à peu de chose près
L’ornière revue et corrigée par l’angle
Le temps est au rendez-vous
Il ne reste plus qu’à entrer en conversation
avec les personnages de sa croissance
Glisse encore sur le même fil
Il n’y a pas de temps à perdre
si tu veux arriver avant le soleil
*
Comme si la vie consistait
à clore le bec de la jeunesse
et à tout flanquer par-dessus bord
la langue et tout le saint-frusquin
et les morts dans le sang de la terre
et les statues aux grands airs
Même le rire du bouffon y passe
Il ne reste plus rien que la critique
On y a vraiment mis du sien
La barque n’a jamais appartenu
au voyageur qui prétendait descendre
les fleuves du monde en jouant
à chat-perché avec de vrais chats
Les objets sont retournés d’où ils venaient
Il aurait fallu en payer le prix
mais on est fait comme ça patients
et même écorchés vifs de la loi
pas voraces mais l’œil aux aguets
On ne sait jamais et on n’a rien su
Cette voix qui revient de loin
ne parle plus la même langue
On ne peut pas changer à ce point
sans perdre au moins son âme
S’il s’agissait de cela alors on a gagné
*
Est-il possible qu’un seul mot me contienne
Non pas un mot symbole ni même générique
mais un mot qui sans m’appartenir en propre
contient la cendre de mes cendres jetées au vent
C’est peut-être ce mot que la Poésie veut imiter
Sans même le connaître de loin ni de près
Une intuition qui l’approche de la connaissance
et qui constitue enfin son acte de bravoure
Mot sans références intérieures sans rien de toi
par exemple et alors il n’est pas question d’amour
et sans ces fragments d’os projetés dans l’esprit
pour expliquer que la douleur a son importance
Poésie bouffonne de soi-même mais avec tact
car il n’est rien de plus angoissant que de savoir
que le seul personnage est joué depuis toujours
et qu’il est temps de l’envoyer se faire voir ailleurs
***
Jéhan Babelin était vieux
Quand il relut tout ça,
Ces poésies d’un autre temps,
Ces tentatives de s’extraire
De la tombe déjà creusée.
Il était vieux et solitaire,
Car le chien était mort
Et l’enfant n’était plus.
La maison en témoignait.
Il n’écrivait plus depuis longtemps.
Il connaissait la source de Jouvence,
Mais ne s’en approchait plus
Aussi facilement
Que jadis et naguère.
Il l’entendait fluer,
Il en devinait l’ombre,
Mais ne visitait plus
Cet angle mort du jardin.
Il laissait le temps agir.
Il voyait le monde se rapetisser
Dans une nouvelle enfance,
Une enfance qu’il ne connaissait pas
Mais qu’il avait peut-être inventée
Avec les autres sur le fil
D’une Histoire par définition
Sans début et sans fin
Et surtout sans queue ni tête.
Les jours ressemblaient aux nuits,
Les rêves à leurs doubles
Et la mort à d’autres existences que la sienne.
Il ne recevait plus,
Ni devant le portail
Ni dans le salon doré
De ses inspirations célèbres.
Il mourait à petit feu,
Alors que le chien
Avait été écrasé
Dans sa propre rue.
L’enfant mourait lui aussi,
Mais il était impossible
De savoir de quelle manière
Peut-être étrange
Ou même cruelle.
Il ne restait de lui
Que ces Quatre saisons.
Jéhan ne relisait rien.
Il tournait en rond
Et y prenait plaisir.
Il attendrait longtemps
Si c’était nécessaire,
Inévitable,
Peut-être écrit.
Qui sait si ce n’est pas écrit,
Pensait-il quelquefois
En se mordant la langue.
Qui sait ce que personne ne sait ?
Il fallait bien que ça se termine.
***
Jésus se prit pour Jéhan Babelin.
…………………….
…………………….
Romano Gambas dit Romain Gambois
*
C’est compliqué, la poésie.
Rien à voir avec la chanson,
Ni le peuple, ni la nation.
Je voudrais vous y voir, amie,
Quand le vent cesse de dorer
La pilule à nos frais.
Les bons mots
Ne sont plus à la mode,
A la mode de chez nous.
On a beau
Se jeter à ses genoux
Voilà, elle n’est pas commode.
Certes je suis petit
Et mal embouché.
Je fais tout à demi
Et c’est bien mal torché.
Mais au moins je le sais.
Alors passez votre chemin,
Poètes à deux mains.
Le présent est déjà passé.
Je ne suis plus un enfant,
Ni le vieillard mouchant
Son nez dans sa trompette.
En voilà un poète !
*
On apprend de la femme
Comme de l’homme.
Seul l’enfant ne dit rien.
Son jouet
Est muet.
L’enfant est une horloge.
Il ne voit pas bien loin.
Seconde après seconde
Le silence tire la langue.
Il y avait un horizon
Et d’autres paysages
Moins facile’ à redire.
Le jouet avançait
Sans se retourner.
Quelqu’un le suivait-il ?
Ou m’accompagnait-il ?
On devinait le cri
Mais de quelle fontaine ?
Jouet
Muet.
L’enfant
Le sait.
Il est devant.
*
Qui suis-je au personnage ?
Regardez comme il va !
De son petit bonhomme.
Quelle autre alternative ?
On ne s’interroge pas assez.
Tout va comme on va,
Depuis toujours
Comme on va.
Qui change le mot en source ?
Plus de temps à l’arrivée.
Quelquefois c’est l’hiver.
Non, c’est toujours l’hiver.
Nous marchions elle et moi.
Elle, Romana, la belle absente,
Et moi Romano l’héritier.
La mer nous attendait.
Nous sommes nés du vent
Ou du feu qu’il nourrit
Quand l’été est venu
Pour changer les données.
Je ne sais plus ce que je dis.
Et pourtant elle écoute.
Mais n’est-ce pas le vent
Qui inspire son silence ?
Ah ! pauvre de moi seul !
Nous sommes trop réalistes.
La mer n’est que la mer
Et le voyage est un rêve colonial.
*
Le corps n’aime que la tiédeur.
Ni chaud ni froid, craint le corps.
Comme entre toi et moi, cet hiver.
Et j’écris cela en été.
Je ne suis plus moi-même.
Je parle dans le personnage.
Me voilà deux sur scène,
L’un désirant l’autre qui ment.
Froidure des fenêtres ouvertes.
Cristaux des fenêtres fermées.
Le mur s’en allait en poussière,
Poussière de vent et d’étoiles,
Atomes de jours et de nuits.
Il n’y a pas de saison pour le corps.
Certains jours et quelques nuits.
Rien de plus dans le temps.
Et nous en perdons le fil
Avant même d’exister.
Hiver en été,
Ou le contraire,
Je ne sais plus
Ou tu habites
Ni où je vais.
*
Ni triste ni joyeux,
Voilà un homme heureux !
Et je l’étais ma foi !
Elle me donnait tout
En un seul mot fêté
Aussitôt comme il faut.
Rendez-vous entre les siècles.
Elle arrache des pages
Et le vent les emporte.
Campagnes désolées.
Un chien venu du paradis
S’interposa entre elle et moi.
Sorte d’hiver comme en été
Ou le contraire si on veut.
Voilà un chien bien malheureux !
Un chien qui n’aboie pas.
Un animal de porcelaine.
Une chose en soi,
Presque abolie.
Ce que je voyais dans le miroir,
C’était ma joie triste et sonore.
Et je n’en demandais pas plus
A la poésie, à la solitude.
*
Vous verserez une larme
Sur l’angle encore pluvieux.
Je vous vois d’ici là,
Encouragée par l’éclaircie.
Qui étiez-vous quand vous étiez ?
Aujourd’hui votre absence
Est un signe des temps.
Temps passés à redire
Que le jour est venu.
La pluie encore glacée
Vient de cesser
De détruire les plis
De votre voile noir.
Un enfant sommeille toujours
Dans l’allée parallèle.
Pages criantes de vérité.
La fleur fanée au soleil
Mouille l’angle de pierre.
*
L’araignée est morte en hiver.
Je regardais ce plafond.
La fenêtre était ouverte.
Il pleuvait comme en automne,
Lourdement sur le couvercle.
Et vous ne cessiez d’exister.
Des cavaliers ornaient le mur
D’en face, ils chevauchaient
Les répétitions insensées
De la tapisserie horrible.
Sur la table la cire des fruits
Recevait les reflets blancs
De la dentelle et de vos plumes.
Je m’en souviens, ô bel hiver,
Comme si c’était hier.
Et pourtant je suis revenu,
Comme dans un roman.
Et lentement je vous ai vue
Déshabiller l’apparition.
*
Jaune blanc des lumières
De l’hiver,
Nous rêvions de la mer
Et de ses plages bleues.
Statues des parois en blanc
Aux cristaux des verres vides.
La tisane en volutes
Croisait nos regards.
Nous n’agissons plus depuis
Que l’été a emporté
Les dernières trouvailles
De la nuit et de ses rêves.
Nous sommes comme morts.
Vivants mais morts.
Et plus rien n’existe que nous.
La maison nous enferme.
Jadis un enfant nous aimait.
Il a disparu avec les mots.
Sans lui le temps devient espace
Et tout est faux au blanc du ciel.
Jaune blanc des lumières,
Je ne pense à rien d’autre.
Je ne vois plus la nuit.
Je ne sais plus ce qu’elle a été.
Et ton silence m’oublie.
*
Chute d’un soleil lourd
De sens et de mémoire
En plein milieu du jardin
Où l’enfant jouait encore
Pas plus tard qu’hier.
Tu le vois comme moi.
Je n’hallucine pas.
Il brille comme en été.
Le feu gagne la saison
Comme au jeu du hasard
Avec les fils de l’enfance.
La terre s’est fendue
Cette après-midi noire
D’un soleil tout exprès
Tombé du ciel comme
Si nous n’existions plus.
Les jambes nues d’un enfant
Cisaillaient l’herbe jaunie.
Cela arrive quelquefois.
Nous ne nous y attendons pas.
Nous sommes seuls
Dans le jardin.
Il ne se passe rien d’autre.
Et tu ne t’en étonnes pas.
Alors que je jubile
A l’écoute en moi
Des mots qui te manquent toujours.
*
Mains crispées du bonheur.
La nappe se fendait
De ses miettes aux oiseaux.
Une tâche de vin ployait.
Joug des jours anesthésiant tout.
Dessous les pieds ruaient
A l’unisson de la langue.
Un fruit ouvert coulait
Entre d’autres saisons.
Mannequin des retours,
Un oiseau caressait
Des projets d’avenir.
Rupture dans l’image.
Dans la fente j’existais.
Je me glissais, je m’étonnais,
Je traversais d’autres distances
Et tu revenais
Un pichet à la main,
Rougeoiement des délices
Qui complotent avec le sommeil.
Ainsi tu m’invites à rêver,
Avec toi ou sans toi,
Je ne sais plus qui tu es
Quand tu reviens de loin.
*
Romano, Romana,
Faces des nuits
Entre les jours.
Je suis monté
En haut de la tour.
Ni jour, ni nuit.
Ni ciel, ni terre,
Tout juste le feu
Et cet infini.
Je suis ma femme,
Mon enfant, ma vieillesse.
Je suis ce que tu n’es pas.
Ni double, ni traversé
De langage.
Chute lente des essais.
Avec elle je croissais.
Sans lui je ne suis plus
Au chant comme au champ.
Romano, Romana,
Crevettes des eaux tristes,
Sous les îles poussait
La fleur des existences.
*
Le monde est dessous.
La mer emporte les nuits
Que le sommeil a désertées.
Blanches nuits des orages.
Pluie de jours sans fin.
Dans l’interstice ainsi tracé,
Des personnages renaissaient.
Paroles au hasard des langues.
Devant on applaudissait.
Ensuite il faut saluer,
Remercier, se donner
Encore à leurs rideaux.
Puis tout revenait comme avant.
Monde des profondeurs
À la hauteur du mythe.
La face tavelée de miroirs
Comme aux alouettes des champs.
Comment trouver le sommeil
Dans ces conditions ?
Quel animal sait creuser
Sans en perdre les ongles ?
Comédie des lendemains,
Nous la jouions sans en perdre
La goutte au bord du vase,
Automates des averses
Où le poisson se noie.
*
Nous respirons l’écriture
Comme le cadavre sent la mort.
Tous les matins il se rature
Et se réconcilie
Avec son corps
Comme au lit
Il foisonne
De rêves et de fantômes.
Il n’a jamais été
Cet enfant de l’été.
C’est l’hiver qui le crée
Au rendez-vous des fées.
Le mur se couvre de signes.
Lais verticaux
De ses échos.
Sur ça, pas d’autres lignes.
À midi il mange le personnage
Et en recrache les répliques.
Nous n’avons pas d’âge,
Rien de beau ni d’historique.
L’après-midi il rend le vin
A ses tripots et s’en retourne
A ses cahiers lâchés au fond.
Il devient ce qu’il écrit
Par habitude et dans l’angoisse.
Respirons avec lui
Cet air au feu de sa langue.
Il est en nous
Comme nous sommes en lui.
*
Fenêtre d’un saut
Conçu pour lui.
Il crut que l’oiseau
Par son cuicui
L’invitait à
Chanter dans la
Joie et là-haut.
Par terre il chante
Et en déchante.
Il n’a pas d’ailes,
Alors sans elle
Rien n’est gagné,
Même signé.
L’os est cassé.
Joie en morceaux.
Tombé de haut,
Sait-il que c’est
Demain la fête,
Bête poète ?
Sans lui l’hiver
Est un enfer.
Elle le dit
Et le redit
Au vert passant
Du seul printemps
Né de la chute.
Elle est en rut
Cependant.
*
Comme c’est enchanteur
L’été en hiver !
Fracas contre la vitre
De reflets presque verts.
Il lève son verre
Et trinque
Avec la branche nue
D’un arbre encore mort.
La source est immobile.
Elle attend son heure.
Elle viendra à temps.
Soleil des tiges grises
Et des rides d’écorce.
Un animal s’approche,
Sans doute domestique.
Poil électrique de l’été
Pris au piège de l’hiver.
Hier il neigeait sur tout.
Il a plu cette nuit
Et dans les draps
Le même animal
S’est glissé comme un rêve
Entre le jour et le sommeil.
Quelle jouissance ! Quelle joie !
Quel endormissement sous la chair !
Soleil comme une flaque d’eau
Dans la boue hivernale.
Le lit se soulevait
Sous l’effet de la vague.
Le désir enfin récompensé
Par tant de poésie !
Maintenant l’animal
Prend la parole.
Dans cette éclaboussure
C’est toute l’écriture
Qui verdit comme feuille
Au printemps de son heure.
J’en ai mal aux gencives !
*
Il n’y a rien comme la poésie,
Excepté le doux alcool,
Pour remettre à leur place
L’homme et ses possessions.
À midi, ce n’est plus l’hiver
Qui cache le soleil et son enfer.
L’or se couvre de vers
A l’endroit comme à l’envers.
Je suinte comme un vieux mur
Prometteur de moments
Autrement
Obscurs.
Quelle poésie en hauteur !
Saut dans l’avenir des mots
Et des teneurs.
Abattoir des animaux
Et de l’enfance.
Quelle douleur dans la connaissance !
Et quel plaisir de s’entendre !
La voix d’un comédien
Revient
Sans attendre.
Il n’y a rien comme l’interprétation
Pour faire du poème,
Ô chanson,
L’emblème
De la nation.
*
Passé le temps, ma mie,
Où pour lutter contre la politique
On faisait de la politique.
C’était dur mais facile.
Aujourd’hui il faut
Lutter contre l’économie
En faisant de l’économie.
Combat de riches et de voyous.
Fini l’homme honnête et sincère.
Je n’ai plus qu’à me taire.
Et me voilà à la dérive
Au fil des technologies de l’inutile.
Quel besoin créé de toutes pièces
Me rend mon cœur et mes passions ?
D’ailleurs je ne t’aime plus.
Je m’accroche à tes avantages,
A tes possessions acquises
D’une manière ou d’une autre.
Fini de douter savamment.
Le juge est convaincu
Et le penseur aporétique.
Nous n’irons plus au bois,
Ma belle ! Ma belle !
Nous n’irons nulle part
Sans croisière organisée.
Ainsi la mort perd son sens.
Et sans cette mort immémoriale
Chacun agite son pantin
Et finit par le jeter
Au rebut de l’Histoire.
Nous n’irons plus cueillir
Les fruits de notre enfance.
On invente pour nous
Les commerces du désir.
Au fond je ne t’aime pas.
Trop de vie tue l’existence.
*
Poètes de ce temps,
Graphomanes des jours
Sans interruption
Comme s’il était possible
De survivre à ce rythme.
À la fin rien n’est construit.
Le fil n’est pas d’Ariane.
Infini de l’illusion comique.
Les journaux forment le journal.
L’humanité devient homme.
Un seul roman nous raconte.
Comme si une seule étoile
Éclairait le sommeil.
Comme si le soleil,
Déjà seul en son monde,
Ne connaissait plus la pluie.
L’existence réduite à force
De donner la parole
Au moindre signe de droit.
Ainsi va le nouveau Dieu.
Tout le monde
Dans le même sac.
Et le sac à l’encan
D’un possible futur.
Dieu chair à pâté
De l’humanité.
Univers chien
A quatre pattes
Pour recevoir
Quelle semence ?
Mais comment s’extraire
De cette profusion ?
Comment être soi-même
Et trouver un parterre ?
Dieu pâté d’homme
Sous prétexte de poésie.
Grande église du plaisir
Au service du désir
Réduit à la publicité.
Comment ne pas les haïr ?
Et que suis-je moi-même
Si je ne les hais pas ?
*
Hier je rencontre un poète,
Ce que je ne suis pas.
Il me salue, je le salue.
Le soleil s’interpose.
Me voilà aveuglé
Et transpercé de rayons.
Je saigne comme
Un chardon ouvert.
Puis la nuit arrive,
Epanchement d’encre.
Je veux rêver mais
Le poète mes draps
Secoue comme le vent
Au cours des voyages.
La mer fait des vagues.
L’Himalaya se fend
En tables de lois.
Dans cette fente
La Lune aboie.
Le Pôle lance des cris
Dans un ciel noir de monde.
Et je glisse à la surface,
Creusant le sommeil
D’un trait profond
Comme ma main.
Puis on redescend.
Le vent secoue
Mes joues.
Mes narines se gonflent.
Mes oreilles applaudissent.
Voici le Nouveau Nouveau Monde.
J’ai perdu mes poils d’antan.
Je suis lisse comme un coquillage.
Mes yeux ont du poisson.
Mon cœur tambourine.
Je n’ai plus pied.
Je vais me noyer
Dans une eau trouble.
Enfin je vois devant
Et le poète cesse
D’agiter ses doigts
Dans l’écume des crabes.
Chaque matin je reviens
Sur la plage mouillée
Par une pluie d’automne,
Une mouette sur l’épaule
Et les yeux gonflés de sommeil.
*
Poésie des oiseaux
Qui fracassent leur vers
Contre la vitre
Des fenêtres ouvertes.
Le jardin est une ruine.
L’allée jouxte les friches.
Il y a si longtemps
Que je n’existe plus !
Poésie des insectes
Qui entrent dans la maison
Par ses interstices
Au lieu d’emprunter
Les chemins des ouvertures.
Sous la marquise tu attends
Que la pluie cesse,
Pieds nus sur le paillasson
Et une main sur la poignée.
L’autre main tient le livre,
Doigt entré dans ce corps
A la page où je mens.
Poésie des feuilles mortes
Et des herbes couchées.
L’hiver s’est annoncé,
Honnête visiteur.
*
Une fois l’arbre tombé
Sous l’effet du vent,
Les fruits ornent tes pieds.
Avance encore un peu
Vers les murs surmontés
De cristaux ensoleillés.
Gravis les quelques marches
Que j’ai sculptées pour toi
Un jour de grande amertume.
Dehors tu vois l’horizon.
Et après cette limite du regard ?
Le retour au jardin de notre enfance.
Fruits sur tes ongles taillés.
L’arbre semblait souffrir.
Et je l’ai achevé.
*
Ne sortons pas dans le monde.
Ni toi ni moi, les jours de pluie.
Ne visitons pas les châteaux.
Oublions les fleuves d’or.
La vitre gicle entre les rideaux
Comme le miroir dans les fleurs.
Demeurons ici-même, ensemble,
Page après page dispersés,
Loin des châteaux et des rivages,
Silencieux comme des morts.
Jet de lumière vertical
En travers de l’ombre bleue.
Penchés sur la table d’acajou,
Brouillons les pistes du bonheur.
Toitures d’or et de nuages,
Nous volons au-dessus de tout.
Eau intruse des parois
A même le sol.
Arrêtons-nous avant de devenir
Les mannequins de leurs châteaux.
Plongeon hors des fleuves
A la limite des algues mortes.
*
L’ombre frappait à ma porte.
Je la vis se glisser entre
Les murs verts et l’allée.
L’eau ruisselait encore.
Le ciel s’ouvrit à peine
De quoi donner de l’ombre
A mon imagination.
*
Œuf brisé au pied du mur.
Alice passa son chemin.
Je retournai à mes lectures.
Le chat croqua les débris
De la coquille vidée
Auparavant par une intruse.
J’attendis la suite en rêvant
A des voyages coloniaux.
Le chat vida les lieux à son tour.
Le mur reçut une pluie fine,
Caressé par le vent comme
Si rien ne s’était passé.
Puis la nuit effaça tout,
La nuit d’un trait supprima
Cette annonce de poème.
*
Cheval au galop de la nuit,
Comme ça, sans nuance.
Je humai l’air refroidi
Par des apparitions tremblantes.
Autre cheval du même acabit,
Une heure à peine après le premier.
La lumière sautillait dans le noir,
Collier d’une poitrine
Que je venais de caresser
En pensant à autre chose.
Les femmes des autres m’appartiennent.
Troisième cheval dans la nuit,
Plus rapide que son éclair.
Le jour apparut enfin
Verticalement,
Et les chevaux se rassemblèrent
Autour d’elle.
Elle me héla de loin,
Secouant sa main
Dans les crinières.
Elle me raconte des histoires
Tous les jours que je fais
Sans elle pour l’aimer.
*
Poésie sylleptique des jours,
Comme s’il était possible
De figer une bonne fois pour toutes
La cristallisation en cours.
Chronique coupée de fables.
Tous les plans sont oubliés.
Ainsi elle entre chez moi
Comme si je n’existais plus.
Dans le lit elle enfante elle aussi.
Elle prévoie des cris d’entente.
Le jardin s’anime d’enfants