TEMPS Il

Au comptoir d’un lieu de nuit, d’un lieu où l’on entend une agréable musique de fond dont certains éléments appartenant à la famille des instruments à vent, des instruments à cordes ou encore des instruments à touches tels que le piano sont reconnaissables, dans ce cadre nocturne où la lumière est largement tamisée, où deux grands espaces rectangulaires rejoignent un espace circulaire plus grand au milieu duquel des tables, également, sont occupés par des clients, un lieu situé dans une ville du Vieux continent, une dame de haute stature, aux cheveux bruns et ondulés, est assise, en tenue de soirée, devant un verre contenant un breuvage couleur cuivre. C’est ici qu’elle est née, c’est ici qu’elle vit, dans un pays multiséculaire marqué par des histoires incroyables, des histoires qui ont fait l’Histoire.

Tandis qu’elle guide le verre jusqu’à sa bouche et boit une nouvelle gorgée, un homme arrive au premier plan, à partir de la droite, un homme semble faire calmement irruption, il rejoint maintenant le comptoir, juste à côté de la dame en question. Cet homme est tout de noir vêtu, le col relevé de son manteau accentuant sa stature déjà haute. L’épiderme de son visage, pâle, est recouvert d’une barbe de quelques jours, cependant que ses cheveux, bruns et courts, sont légèrement en désordre, un désordre volontaire. Les traits de son visage sont nets et francs : des mâchoires quelque peu angulaires, un nez droit, de longs sourcils et un large front. Cet homme, étrangement, ressemble fort au narrateur :

— Vous permettez ? dit-il à la dame après s’être assis presque à côté d’elle, sur le siège vacant.

La jolie femme brune repose son verre sur le comptoir et répond simplement par un « je vous en prie » courtois, son visage demeurant figé, dans l’axe frontal. Puis, alors que l’homme continue de la regarder, montrant son profil au miroir, elle se tourne vers lui, au bout de quelques secondes.

— Je m’appelle Alexandre. Mais ... ne me dites pas votre prénom. Cela n’a pas d’importance.

— Alexandre ... voilà un joli prénom, un patronyme élégant, lui dit-elle en le regardant droit dans les yeux, esquissant presque un sourire.

— Vous êtes belle, chère madame. Magnifique, même...

— Vous n’êtes pas mal non plus... lui répond-elle en croisant les jambes, du côté du courtisan, des jambes désormais largement visibles, de longues jambes recouvertes de bas noirs et terminées par des escarpins, noirs également. Puis, elle poursuit :

— Je ne vous demanderais pas ce que vous faites, Alexandre.

— Moi, au contraire, j’aimerais savoir ...

— Savoir quoi ?

— Ce que vous faites. Ce que vous êtes.

Au bout de quelques secondes, elle lui dit :

— Je suis en mission.

« En mission ...tiens, donc », se dit le sosie du narrateur qui masque son étonnement.

— Dans le domaine de la géobiologie.

— La géobiologie ?

— Oui. Vous en entendrez parler davantage d’ici quelque temps. Grâce à sa plus méritante représentante ici présente, que vous avez choisie de séduire, cher monsieur.

A ces mots, l’homme qui ressemble fort au narrateur approche lentement son visage vers la dame, les yeux sur ses lèvres, sur cette bouche fine et large qui vient de prononcer des paroles sans doute très subjectives et entre en contact avec sa peau. Lèvres contre lèvres, nez à nez un court instant, le temps de suspendre bien des hésitations ... avant qu’elle ne se retire lentement, ne pose brièvement sa main sur son avant-bras, s’éloigne du comptoir et quitte l’endroit.