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Vous me connaissez…
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 Article publié le 5 juillet 2015.

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Vous me connaissez… On ne choisit peut-être pas, mais on a des parents. Ça fait vite une lignée. Et si on a de la chance, on descend plus ou moins directement d’un résistant ou d’un poilu. Je n’en ai pas… mais on n’a pas tué de Juifs. On n’est pas maître de l’Histoire. On participe comme on peut. Vous me connaissez… J’ai toujours filé droit. Par beau temps comme dans la tempête. On n’impose rien sans taper du poing sur la table. Non ! Pas votre table… Elle est trop bien servie. Ce serait bien bête de salir la nappe. Madame a de belles mains. Et pourtant, on ne dirait pas à regarder le reste. Elle m’a fait un peu peur quand elle a ouvert. Je m’attendais à une bonne du genre soubrette comme au théâtre. Elle n’a pas attendu que je finisse de sonner. D’habitude, je pousse trois fois le bouton. Dring ! Dring ! Dring ! Et j’attends qu’on m’ouvre. J’aime les portes à carreaux de verre. La vôtre est de bois plein. Pas même un judas. Elle a ouvert sans savoir à quoi ou à qui je ressemblais. Je n’ai pas eu le temps d’y penser. Dring ! La porte était ouverte. Je n’ai rien vu à travers les carreaux. Personne n’a attendu avant d’ouvrir. Je venais de grimper les onze marches du perron. Je les ai comptées. Une habitude. J’ai de petites manies. Rien de méchant. Monsieur le maire m’a décoré à onze heures. Onze marches, onze heures. Je ne suis pas superstitieux. Ni naïf. Une coïncidence ne peut avoir de sens. Après tout, il n’y a eu qu’un dring. Il y en aurait eu trois, mais certainement pas onze. J’ai tout de suite remarqué qu’elle avait de belles mains, bien que je n’en visse qu’une, supposant que l’autre lui était aussi parfaitement symétrique que celle que je voyais était belle. Voilà comment je me fais une idée de la personne qui intervient entre moi et ce que j’attends de rencontrer. Je me suis présenté. Elle a souri. Je ne regardais que ses mains, mais je savais qu’elle souriait. Elle a même ouvert les bras pour recevoir mon habit, celui que je porte sur l’épaule pour me donner un air désinvolte. J’ai frotté mes pieds sur le seuil, regrettant le paillasson dont elle me parlait. Je suis entré. Je l’ai suivie. De dos, elle est belle aussi. Grâce aux reins qu’elle ceint d’une sorte de flanelle qui doit lui tenir lieu de gaine. Mais ce n’est pas mon affaire. Je ne sais pas la moitié de ce que vous savez d’elle. Vous me connaissez… Elle s’est souplement effacée pour me laisser entrer dans ce salon où je vous ai attendu plus d’une heure. Oh ! je ne vous le reproche pas, mais ce fut une heure de solitude. Elle n’est pas réapparue. Et comme je vous sais très occupé, j’ai patienté, n’osant pas fumer, ni demander à boire. Voilà bien deux défauts qui peuvent attendre si la nuit n’est pas tombée. Dehors, il s’est mis à pleuvoir. Une pluie d’été aux grosses gouttes éparses. J’entendais les feuilles résonner, la rigole se noyer. Vous me connaissez… Je suis un peu mélancolique. Il n’en faut pas beaucoup pour me rendre morose. Qu’attendiez-vous ? J’eusse aimé vous surprendre l’œil collé au trou pratiqué dans celui de cette bergère. N’est-ce pas ce trou qui la rend si… coquinement attifée ? Une érection mit fin à mes réflexions. J’avisais un coussin que je… transperçais. Le rire de la bergère ne me troubla pas. Au contraire, je crois. Nous étions deux maintenant. Et je savais ce que j’attendais. Je me répandis dans un cri étouffé. Un autre coussin me faisait de l’œil. Était-il bien sage de se laisser aller à l’inspiration causée par une bergère de peinture ? Je bandais toujours. Vous me connaissez… J’espérais tant qu’elle me surprît en flagrant délit d’étonnement. Oui, je m’étonne. En fait, je ne recherche que cet étonnement particulier. Je me demande ce que je fais sur la terre. Ne vous êtes-vous jamais posé la question ? « Pourquoi moi ? » Quel âge avais-je quand elle me vint à l’esprit ? Et en quelles circonstances ? Je ne m’en souviens pas. Est-il important d’ailleurs que je m’en souvienne ? J’assaillis le second coussin. Avec le même succès. Et je craignis alors d’être atteint de priapisme. Je ne prends rien ! Tout est naturel chez moi, mes défauts comme mes qualités. Vous me connaissez… M’a-t-on vu tricher avec ce que je suis ? Je demeure l’enfant qui mourra avec moi. Mais je n’ai plus de place pour les autres. Ceci la prend toute ! Et dix fois plus si le désir l’ordonne. L’heure avançait plus vite que moi. J’explique ainsi mon retard sur les autres. Je pris place sur une chaise sans coussin. Étaient-ce ces mains qui m’inspiraient si brutalement ? Elles me caressaient l’esprit sans toucher à cette partie de mon corps qui est bien la seule que je suis disposé à offrir en partage le temps d’un plaisir multiplié par autant d’assouvissements qu’il faut pour le vaincre. Il est alors nuit. Oui, je bande toujours. Je sais que ce sont elles qui m’inspirent. Je n’en ai pas honte. Et vous ne devez pas en souffrir. Laissez-vous aller à penser ce que j’en ferais si j’étais vous. Je vous connais… Vous êtes passif. Elle me l’a dit. Oh ! elle n’a pas eu le temps de me confier tous vos secrets. Pensez ! De la porte à ce salon ! Quelques secondes qui ont suffi à me hanter. Puis plus d’une heure de masturbation sous le regard de la bergère de peinture. Et votre œil dans son œil. Vous offenserais-je si je vous avouais que ce double regard m’excitait parce qu’il était double et qu’elle était peut-être là, avec vous derrière le tableau, à attendre que je recommence ? Mais la nuit approchait. Vous me connaissez… Je ne la hais point, mais elle me damne. Il faut que je trouve le temps de la rejoindre dans mon lit avant qu’elle ne s’y couche. C’est l’heure ! Je vais devoir vous quitter. Vous saluerez bien votre dame. Dites-lui bien que j’ai aimé ses mains et que je suis prêt à aimer toutes les autres parties de son corps si elle accepte de m’ouvrir la porte chaque fois que je viens prendre ma leçon. Cela vous ennuie-t-il que j’appelle nos rencontres leçons ? J’en apprends tellement depuis que je vous fréquente ! Et je suis tellement heureux de ne plus changer dans un sens ni dans l’autre ! Je suis enfin moi-même !

 

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