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Autres essais de Patrick CINTAS
Laissez-moi faire ! À propos de Danse-fiction de Ly Thanh TIÊN

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 Article publié le 9 juin 2006.

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Ly Thanh TIÊN
Danse-fiction

Éditions Caméras animales - Poésie, essais

Les livres publiés depuis quelques années par les éditions Caméras animales sont toujours construits. On n’y développe pas des introductions pour les conclure par le néant des certitudes ou de la connaissance indiscutable. Ils sont toujours le fait d’artistes qu’il est nécessaire de laisser faire pour qu’ils existent.

Laisssez-moi faire !
par Patrick CINTAS

« La plus belle lueur sur le sens général, obligatoire, que doit prendre l’image digne de ce nom nous est fournie par cet apologue Zen : Par bonté bouddhique, Bashô modifia un jour, avec ingéniosité, un haïkaï cruel composé par son humoristique disciple, Kikakou. Celui-ci ayant dit : Une libellule rouge - arrachez-lui les ailes - un piment, Bashô lui substitua : Un piment - mettez-lui des ailes - une libellule rouge. » Cette célèbre conclusion de Signe ascendant, écrit au lendemain de la Guerre, ou peu s’en faut, trouve son pendant presque exact au pivot du livre de Ly Thanh TIÊN, Danse-fiction :

Je pense à Ghérassim Luca qui disait : la révolution sans personne / la poésie sans langage / l’amour sans fin. Si l’on inversait les trois propositions, cela donnerait ce qui caractérise l’humanité actuelle : la personne sans révolution, le langage sans poésie, la fin sans amour.

C’est que l’artiste n’est pas ou plus celui qui déclare : Ils pensent que je suis un artiste, donc je le suis. L’artiste dit plutôt : Ce n’est pas possible ! Il doit exister autre chose. LAISSEZ-MOI FAIRE !

D’où la différence, toujours nettement distinguée de l’altérité qui fait mieux florès, certes, mais sans cette sensation de discordance qui signale l’oeuvre d’art ou au moins sa possibilité. Pas de révolution, malgré l’évidence de l’être, pas de poésie en usage, et la mort sans trace disponible à tout moment. Une telle croissance du désespoir ne peut que pousser l’angoisse. Or, Ly Thanh TIÊN danse, raconte, trouve, sans jamais inspirer la peur. Danse-fiction est un itinéraire sans remords au fil de l’improvisation comme art et comme fin. L’homme, son langage et sa mort, face à la tentation de la révolution, de la poésie et de l’amour. Une telle formation de l’idée et de l’acte ne peut que donner lieu à une oeuvre et c’est ce que ce livre s’emploie, sinon à démontrer, du moins à déterminer. On verra qu’il s’en dégage un bonheur concevable avec les moyens du corps. Ce qui réclame l’adhésion.

Les livres publiés depuis quelques années par les éditions Caméras animales sont toujours construits. On n’y développe pas des introductions pour les conclure par le néant des certitudes ou de la connaissance indiscutable. Ils sont toujours le fait d’artistes qu’il est nécessaire de laisser faire pour qu’ils existent. La carrière de Ly Thanh TIÊN est déjà longue et semée de nombreuses expériences. Il a déjà laissé sa trace. Ce livre, qui arrive ces temps-ci, pourrait passer pour une prière d’insérer. Or, c’est un livre qui ne cesse, à chaque page, d’ouvrir les portes du bonheur d’exister. Qu’on n’aille pas imaginer que les choses sont jouées d’avance. Le texte, au fil du poème, du récit, de la fable, voire de l’explication et du compte rendu, n’enferme rien ni ne s’y conforme.

Comme on n’échappe pas à sa propre histoire, les frôlements de la mort y sont pour quelque chose. Douze ans... Bien plus tard... rentrant d’un week-end d’amour... [...] Récit dépassé par l’attelage des amnésies vandales. [...] Ce qui s’écrit n’est plus là. [...] La nuit, les insectes montent la garde/ contre les cauchemars, témoins/ d’une organicité archaïque. Les premières pages du livre nous promènent au bord du vide. Ici, la poésie cherche sa langue et non pas le contraire. Nous en sommes tous là, nous sommes nous-mêmes, acceptés ou en cachette, tout commence par cette narration de la poésie qui peut avoir lieu y compris sur ce vélo musical dont Ly Thanh TIÊN est l’inventeur. C’est clair comme de l’eau de roche. Les trois poèmes qui composent ce prodrome de la danse-fiction valent mieux qu’une mise en bouche et disent tout sans exception :

Ma maison soufflée par une déflagration, on me livra le monde dans une barque. Cette anecdote ne quitta plus mon enfance. Guerre virtuelle, mort virtuelle, rives de la transparence. Le naître et le mourir sont les pores de mes énoncés. Leurs gestes millionnaires prennent feu dans mon artifice, marquent l’achromie de ma fuite, la jungle de ma guérison.

On transporte le missile dans un musée, à l’abri des rafales.

Belle poésie de la facilité quand on est amoureux. Puis le livre devient « journal écrit, visuel et musical d’un voyage sonore. » Écriture du compte rendu soucieux de fidélité aux faits et aux compagnons de voyage. « Ici, aucun objectif objectif... Voici la chronique de 27 voies de fait soniques. » Des improvisations dans le train, dans l’après-midi, à Radio-France, partout où l’instrument séduit ou non. Partir, et être encore un poète, un artiste, l’instrument en bouche (Ly Thanh TIÊN joue de la trompette). C’est la leçon du trio annonciateur des temps post-modernes : John CAGE, Merce CUNNINGHAM et Robert RAUSCHENBERG réunis au hasard d’un ballet, peu après cette Guerre justement, la guerre de toutes les guerres qui ont suivi et suivent encore. La vitesse d’exécution de Caroline CARLSON, sans doute. Le Chi-Kong, dont Ly Thanh TIÊN est un adepte au sein même du théâtre corporel de GROTOVSKI. « Qu’allons-nous faire de ces bandes sonores ? [...] Déjà naissent d’autres projets... »

C’est ici que s’insère la personne sans révolution, le langage sans poésie, la fin sans amour. Il n’en faut pas plus à ce poète-chien pour balader son humanité au bout d’une lampe-tempête à l’épreuve des vents contraires. Belle lueur sur le sens général, obligatoire, que doit prendre l’image digne de ce nom. Ce n’est pas, donc, que les dés soient jetés : c’est plutôt le tour qui est joué. Avec la science du saltimbanque, du cracheur de feu, avec l’art au sens où celui-ci sert encore à quelque chose.

« Si nous n’écoutons pas d’urgence le réel, il disparaît. » Si on ne comprend pas alors que Ly Thanh TIÊN est un des artistes importants de notre temps, refermer le livre revient à se condamner soi-même au silence. Les textes qui suivent sont les actes entre les actes d’une passion pour la vie. Il y a encore de la place pour la poésie et pour les explications. Les trois instances qui soutiennent le monde créé et créateur de Ly Thanh TIÊN sont l’image, le son et le mot, en lieu et place donc du personnage, du temps, des lieux et de cette cochonnerie qu’est définitivement l’écriture. C’est alors tout changer de place ! Mais avec le talent du connaisseur en comédie qui est le contraire de l’imposture quand c’est bien joué et bien vu. C’est un programme d’école, à coup sûr. Et une poétique s’ensuit. Je l’ai vu s’étirer impeccablement entre Le rêve de Miranda, beau texte à épigramme comme il ne s’en compose presque plus de nos jours, et cette stradaniera de 8 pages qui ferme le livre sans le conclure.

Dans un ultime sursaut, elle voit LE RÊVE TOUT ENTIER se retourner vers elle et lui dire : Ce n’est pas parce que le monde va se retrouver sans homme qu’il va manquer d’yeux, de bouches, d’oreilles, de langues et de narines.
Le rêve de Miranda

ptoéoéoéélalarang1nagirechkearahirtrüplübonnrocdioucatanfgIom
quotessumkortouvelnoupiosregenbiouklaammbôtmogniveuleranblo
hhhürcoudinskrômôftoumquigoummifvarebeonungacgacphtahondir
gonomzouthilwoonnôlvu*dixatchfükondoumasirouwovimploplonnn
nrri*tchiII1Ilmalounnnfpcimtôkhhhha1rounplrinhânsougIourkkoung
stungbumméééééééééésjilijilijolavoeunoeuménonostju*stu*xingklu
*nxamarakowmoogkohapantootnaloontiunktùoèààùèùgfgggtunsivel
unouakrrrrimmnlnlnlnlnlnlnlnlnlsalumôlu*rjdrilamanamu*iu*rfnaaak
tômcorvetoumcrovetoumcrovetoumfostsstssfaloptümb1Iblaholna’im
borigüüüüxsinghirvünkréaotilvo’ifichlowwwtuswotchkkhoritocunar
produ*tsawoula’[...]
Essai de stradaniera.

Le simulacre n’est pas ce qui cache la vérité. C’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai, dit L’Écclésiaste cité en exergue du texte sans doute capital de ce livre : Confidence d’un micro.

Le monde est mon oreille, je lui murmure ou bruite ma drogue sonore, il n’est pas « rincé de tout exotisme » comme le craignait MICHAUX, celui-ci disait aussi qu’il y a une crise des dimensions maintenant que nous avons fait à satiété le tour de la terre, oui mais dans les moindres détails, elle demeure un mystère à entendre pour les camélésons que nous sommes, pourquoi Gérard d’ABBOVILLE ne m’a-t-il pas embarqué avec lui quand il ramait sur l’Atlantique, il aurait su qu’aucun océan ne ressemble à l’autre, en effet quand, moi micro, j’ai emmené Jean et Tiên dans mon aventure hypersonique, ils se sont bien rendus compte qu’il peut exister dix mille mers Méditerranée, rien que de Castagneto à Napoli en passant par les galets de Capri et de Lavagna, tout naît in vivo[...] Je suis un sonolâtre, si je sonne faux, le réel aussi[...]

D’où cette « langue qu’on se propose d’inventer à bouche que veux-tu, cette langue indissociée des matières et des flux, on l’appellera la stradaniera (strada=rue, straniera=étrangère). La stradaniera est donc un état d’invention permanente des possibilités vocales, pour babiller le monde qu’on découvre dans sa vie, ses voyages, sa pratique... » Vie, voyage, pratique, Ly Thanh TIÊN n’y va pas de main morte quand il est question de son existence. En plus des compagnons d’improviste, l’accompagnent ses animates et ses diapoèmes. Sans compter l’énumération toujours exhaustive de ses performances, s’il faut appeler ça comme ça. Mieux qu’un jongleur, ce sont les balles jetées en l’air qu’il tient en haleine. Si le son « prexiste au geste d’écrire », si Ly Thanh TIÊN a raison d’être ce qu’il est et de posséder ce qui ne lui appartient déjà plus, les temps à venir ne découleront pas, comme on nous en a donné gratuitement l’habitude, de ce qui s’est passé mais de ce qui va arriver quand même.

La musique, on n’en distingue guère que la militaire de la sautillante. Une-deux, une-deux, ou le swing. On n’a pas le choix. Et il en est de même de toutes les traces d’art, puisque c’est tout ce qui reste à force d’usage. Non ! Ce n’est pas possible ! Il doit exister autre chose. LAISSEZ-MOI FAIRE ! Peut-être est-ce trop demander. Il faut du courage pour résister à ce point. Ly Thanh TIÊN semble être passé maître en la matière. Je donnerais cher pour mémoriser un seul de ses accords passés avec la résonnance naturelle. Il le faut, semble dire cette danse-fiction. Là où la poésie se raconte sans toucher au roman, la fiction donne le corps à la danse. Je le savais déjà, obscurément ; Ly Thanh TIÊN ouvre-t-il les yeux comme les portes ? Imagine-t-on un artiste s’écrier pour faire du bien à son angoisse : Oui, c’est possible ! Il n’existe rien d’autre. Empêchez-moi, par exemple d’écrire ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Patrick CINTAS

 


Photos : 1. ©2006 Jean-Michel MONIN 2. ©2006 Pascal BLONDY

Sites :camerasanimales.com/index3.htm
lythanhtien.ifrance.com
fanfaredelatouffe.ifrance.com
laflibuste.free.fr

 

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