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Entretien avec Nicole BROSSARD
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 Article publié le 9 juin 2006.

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Rodica DRAGHINCESCU
Entretien avec Nicole BROSSARD

Poète, romancière et essayiste, Nicole Brossard est née à Montréal, en 1943. Depuis la parution de son premier recueil, en 1965, elle a publié une trentaine de livres dont Le Centre blanc, La lettre aérienne, Le désert mauve, Hier, Cahier de roses et de civilisation. Deux fois récipiendaire du Prix du Gouverneur général (1974, 1984) pour sa poésie, elle compte parmi les chefs de file d’une génération qui a renouvelé la poésie québécoise dans les années 70. Elle a cofondé en 1965 la revue littéraire La Barre du Jour et, en 1976, le journal féministe Les Têtes de Pioche. Elle a aussi coréalisé le film Some American Feminists (1976). En 1991, elle publiait avec Lisette Girouard, une Anthologie de la poésie des femmes au Québec (Des origines à nos jours). En 1991, le prix Athanase-David, la plus haute distinction littéraire au Québec, lui était attribué et, en 1994, elle était reçue à l’Académie des Lettres du Québec. En 1999, elle reçoit pour une deuxième fois Le Grand Prix du Festival international de la Poésie de Trois-Rivières pour ses recueils Musée de l’os et de l’eau et Au présent des veines. En 2003, elle reçoit une Bourse de carrière du Conseil des Arts et des Lettres du Québec et le Prix W.O. Mitchell lui est attribué. Son plus récent recueil est Je m’en vais à Trieste (2003). Ses livres sont traduits en plusieurs langues et lui valent aujourd’hui une réputation internationale. Nicole Brossard vit à Montréal.

Rodica DRAGHINCESCU : Nicole Brossard, croyez-vous que l’écriture en général soit un lieu névralgique ?

Nicole BROSSARD : L’écriture et la lecture ont été jusqu’à tout récemment les seuls outils prolongeant le cerveau au même titre que le télescope et le microscope ont prolongé l’œil ou que la roue prolonge les jambes. L’écriture est une activité de réflexion, au sens visuel, nous permettant d’interroger le monde, de le comprendre et de le transformer ; elle permet aussi d’inscrire dans la langue des séquences de pensée et d’émotion qui, sans l’acte d’écriture, n’existeraient pas. Elle permet aussi d’emmagasiner dans la langue des énergies vitales qui donnent du plaisir et stimulent la pensée. En ce qui me concerne, l’écriture est un lieu précieux, caractéristique de notre espèce, de sa virtualité et de son potentiel. C’est un instrument de musique qui peut capter sa propre musique. 

R.D . : Estimez-vous que la poésie soit ‘la perle noire’ de la pensée, à travers les cerveaux et les cœurs de ces mondes mercantiles et guerriers ?

N.B. : Parce qu’elle allume en nous des images et des pensées rares par rapport au quotidien et à la langue, on peut dire que la poésie désamorce le filon du sens habituel et celui de la pensée marchande qui prend de plus en plus de place dans nos sociétés et qui voit en chaque être humain, un outil, une marchandise, un « bien ». La poésie peut être recueillement ou précieux délire, jeu de présence ou d’absence, bruyante ou silencieuse mais partout où elle passe, elle nous réconcilie avec l’idée de vie, de vivace. On parle de la poésie comme essentielle, mais il ne faut pas oublier que s’il faut des individus pour la produire, il faut une culture pour la nourrir. La poésie est une idée d’harmonie avec le cosmos qui vient avec nos gènes. Les poètes ne font que traduire « ça » dans une langue.

R.D. : Pétrarque disait : « Je ne veux pas que mon lecteur comprenne sans effort ce que je n’ai pas sans effort écrit moi-même. » Selon vous, Nicole Brossard, écrire pour un lecteur et lui offrir de la poésie signifie-t-il lui donner un peu de chance (chance ici au sens de fuite, aventure critique, liberté du rêve) ou du fil à retordre ?

NB : Je présume qu’on ne pense bien une question, une situation, un monde que si on est d’abord attiré, fasciné par la façon dont il s’offre à nous. Je crois que tout lecteur ou lectrice de poésie crée sa chance, son aventure avec les mots, l’invente à partir du poème mais aussi de son propre désir. Un poème qui nous donne du fil à retordre est toujours bienvenu si la langue dans laquelle il est composé est mystérieuse à ce point qu’elle nous oblige à lire et à relire, à imaginer, à voyager dans de l’inédit. Car relire, c’est rêver une seconde fois le poème. Nous faisons tous et toutes l’expérience de la relecture en tant que poète. Certains jours le poème nous semble plat, d’autres jours, il est tout en relief de sens et d’image. Or le relief, c’est d’une part, l’énergie de la langue qui le donne, d’autre part, on peut affirmer que c’est aussi l’énergie du lecteur qui donne du relief aux mots. Personnellement, j’ai toujours dit que j’aime semer le trouble, c’est-à-dire que je veux que mes poèmes dérangent et forcent le lecteur ou la lectrice à s’interroger sur le monde. J’aime les interventions qui créent des ruptures dans la syntaxe et qui produisent des transgressions grammaticales. J’aime aussi poser des questions audacieuses en langue douce.

R.D. : Quel sens a aujourd’hui le fait d’écrire des poèmes ? A quoi servent ces formes inouïes ? Ou, comme disait Hölderlin : « A quoi bon encore des poètes ? ». Ou plus récemment, comme le prétend le provocateur Christian Prigent : « Pourquoi y a-t-il quand même ça ? »

N.B. : Beaucoup de choses disparaissent dans les pratiques culturelles mais je crois que la poésie, c’est-à-dire ce rapport au langage qui transforme notre habitude du réel et de la langue, est là pour rester, et je l’espère, sous la forme écrite. Je dirais qu’ « il y a ça » tout simplement parce que cela fait partie de nous et que « ça » mérite d’être cultivé comme un jardin. Dire « À quoi bon la poésie ? » c’est comme dire « À quoi bon la vie ? ».

R.D. : Poser des questions, trouver des réponses, oui, vivre et mourir à la fois.

N. B. : Certains jours, on trouve la réponse, d’autres jours on la cherche désespérément. 

R.D. : Exactement. Et maintenant je vous poserai d’autres questions, en vue de faire revivre vos souvenirs d’écrivains. On aimerait mieux connaître l’intérieur de votre « Atelier d’écriture ». Qu’est-ce qui vous pousse à écrire (entre autres) de la poésie ? Quand, comment et où écrivez-vous ?

N.B. : J’écris pour comprendre et parce que j’ai du plaisir à tracer des mots sur du papier. J’aime voir le monde prendre forme à cause d’une phrase. J’écris chez moi, surtout le matin. J’aime être entourée de mes livres et surtout des dictionnaires. Pourtant je prends constamment des notes. Il n’y a pas de poésie sans un état de vulnérabilité, de disponibilité, d’ouverture. Les mêmes lieux vus lorsqu’on a des soucis réalistes et pratiques ne sont pas les mêmes que lorsqu’on est entièrement libre de son temps et de flâner dans ses pensées. Dans mon atelier d’écriture, il y a des questions, des intuitions, des sensations agréables, des émotions difficiles à traduire mais qui le seront par le poème. Je pense qu’on peut écrire partout si on est libre intérieurement, si on n’est pas parasité par l’obligation quotidienne de survie. Mon atelier c’est parfois mon bureau, un avion ou un train, une chambre d’hôtel, c’est chaque fois que le murmure s’installe et veut autre chose que du réel. Devant la mer, je suis toujours en état de poésie car le temps, l’horizon, le recommencement, le passage sont des mots qui surgissent et me gardent en état d’alerte. D’une certaine manière, on pourrait dire que la mer est plus forte que le poème, pourtant c’est le poème qui a le dernier mot des pensées surgies en regardant la mer. 

R.D. : Chercheriez-vous de vous trouver par la poésie une autre langue pour verbaliser l’expérience que vous faites intimement du monde ?

N.B. Votre question est déjà une réponse. Tout écrivain cherche à dire ce qui est inavouable ou innommable ou tautologique. C’est ça la beauté et la richesse de la littérature. Un corpus virtuel sur ce que nous sommes et comment nous voyons le monde.

R.D. : L’écriture, dans votre cas, serait-elle une alliance nouvelle avec le monde ou un divorce ?

N.B. : L’écriture est une alliance avec le monde même si en écrivant on conteste le monde tel qu’il est ou qu’il nous apparaît. L’écriture est un pari sur l’avenir du désir. Dès que l’on écrit, nous faisons le pari d’une autre vie, d’un autre paysage. On peut parler d’imagination, de fiction, et même dans le cas où l’écriture est autobiographique, on peut penser que l’écriture traîne avec elle en virtuel d’autres possibilités que celles qu’elle recense ou raconte. L’écriture d’une manière générale est une alliance vitale avec le désir, le futur, la compréhension du monde. On ne peut pas écrire contre la vie. On ne peut qu’écrire sa déception. Et ce n’est pas mon cas. Je suis captivée par l’idée des nombreuses cellules qui texturent le cerveau humain. Je suis absolument fascinée par la vie comme hologramme, comme essence virtuelle du désir. Tout ce que je dis là, vous pouvez l’appliquer au langage. Le langage est, tout comme nous, virtuel. C’est à nous d’en faire surgir un maximum de permutations. 

R.D. : Quels seraient les sources de votre littérature ? Et les objectifs ?

N.B. : Je ne sais ce que vous entendez par sources. Si vous parlez d’influences, alors disons que Mallarmé, Blanchot, Barthes ont été des sources d’inspiration, puis plus tard les œuvres de Djuna Barnes et de Gertrude Stein m’ont accompagnée. Dans ma littérature, c’est-à-dire la littérature québécoise, la poésie et les romans d’Anne Hébert ont été importants ainsi que le roman Prochain épisode d’Hubert Aquin.

En ce qui concerne ce que vous appelez objectifs, je dirais que ma raison d’écrire est de comprendre et d’explorer. Je ne me vois pas comme un témoin de la réalité mais comme une exploratrice essayant de comprendre son monde intérieur et les lois de vie qui nous régissent et comment nous y répondons.

J’écris pour comprendre mais aussi parce qu’il y a en moi une dimension ludique. 

R.D. : Qu’est-ce que votre poésie incarne ?

N.B. : J’espère qu’elle offre de la lucidité et du vivace. Un questionnement, du désir. Un goût d’horizon. Il y a dans ma poésie une trame philosophique, un questionnement constant. C’est une poésie peu métaphorique et plutôt abstraite. Cependant, il y a des recueils comme Cahier de notes et de civilisation qui traduisent chez moi un soudain goût de réalité et qui incorporent des mots concrets comme olive, chèvre, parcomètre, des mots surgis de la réalité et que je n’ai pas rejetés car il m’arrive d’avoir envie de la réalité à travers ses odeurs, ses couleurs. J’aime que ceux et celles qui me lisent se transforment en joueurs et en lectrice d’empreintes, d’éclairage, de masques et de symboles. Je voudrais que ma poésie offre un espace ou chacun et chacune puissent reconnaître ce qui rend heureux et lucide. 

R.D. : Votre poésie inscrit-elle quelque chose de spécial dans le registre du sociopolitique ?

N.B. : Je ne sais si on peut clairement définir les choses ainsi, mais il est certain qu’une partie de mon écriture a consisté à décoder comment le patriarcat invalide l’humanité des femmes, une autre partie a consisté à traquer le mensonge partout où il amenuise l’espèce humaine et son potentiel. Je ne sais pas si on peut appeler cela sociopolitique.

R.D. : Alors ?

N.B. : Je peux tout simplement dire que comme femme, je comprends ce que signifie être minorisée, être marginalisée, être infériorisée par la culture, les préjugés et surtout par les institutions religieuses qui sont les plus misogynes qui soient et qui sont à l’origine de tous les scénarios d’injustices et de violence commises envers les femmes. 

R.D. : Au-delà de la chute des dieux, dont parlait Nietzsche, tout poète peut découvrir qu’il lui reste, pourtant, quelque chose : lui-même, sa biographie, ses phantasmes. Vie et mort, votre écriture est vertigineuse, que ce soit du théâtre, du roman ou de la poésie, le style Brossard s’applique au tourbillon fantasmagorique de nos vies réelles, à nos craintes et à nos désirs, ou à la simple fascination de survivre malgré tant de difficultés, de combats et de pertes. L’on découvre dans vos livres que tout ce qui fait se mouvoir les êtres les uns vers les autres, c’est l’attraction de l’amour, la découverte de ce territoire de la raison intérieure, avec son appétit de vivre et de se renouveler, refusant les frontières de la solitude absolue.

La presse canadienne dit de vous : « Nicole Brossard est la première dame de l’Avant-garde, la dissidente », celle qui laisse parler le « non ! », dirais-je. Vous êtes une écrivaine engagée. A quoi et à qui dites-vous « NON ! » ?

N.B. : Comme beaucoup d’écrivains et de gens, je dis non à la violence, à l’injustice, à la corruption. Mais ce qui m’a toujours révolté radicalement, c’est le mensonge, la diffusion du mensonge pour qu’il se transforme en bêtise humaine. Aujourd’hui le monde a changé de manière à ce que les non que nous prononçons deviennent des n/oui, ce qui rend les prises de position ambiguës et érode en quelque sorte l’éthique. Cela les politiciens le savent et ils en profitent mettant en péril les acquis démocratiques gagnés de haute lutte. Le monde a changé de manière à multiplier les décisions et à les rendre ponctuelles sans que nous ayons l’impression de changements importants. Aussi une partie de nos interventions sont-elles comme des coups de poing dans le vide qui nous donnent l’impression de ne plus avoir d’emprise sur le réel, sur le futur qui d’ailleurs existe de moins en moins puisque nous sommes entrées dans un éternel présent qui efface la mémoire et disperse le futur désormais remplacé par le concept de « progrès durable ». Je dis surtout oui à la vie, à la complexité des êtres que nous sommes et au désir qui renouvelle constamment notre vision du monde. 

 R.D. : En quoi consiste la dissidence d’une écrivaine ? Et surtout d’une auteure provocatrice subversive ? Quels seraient l’urgence et le doute dans la dissidence ?

N. B. : Il n’y a pas de réponse à cela. L’urgence surgit à des moments différents pour chacun et pour chacune. Parfois, notre urgence singulière rejoint une urgence collective de transformation. Quand cela se produit le je et le nous se rencontrent et cette rencontre nourrit la création et la solidarité. Seule l’urgence du désir décide de notre engouffrement dans la magie des mots. 

R.D. : La Femme moderne serait-elle une Sisyphe moderne ? Qui dit « oui ! » consent un peu ? Et qui dit « Non » ? Trouvez-vous qu’il aurait « un je m’enfoutisme » envers la littérature des femmes qui se fait souvent complice de situations ou d’agissements machistes ?

N. B. : Il y a eu des changements dans les mœurs et les lois. Cela dans plusieurs pays d’Europe et bien sûr au Québec et au Canada. Il faut cependant être vigilantes car l’histoire nous a appris que rien n’est jamais acquis dans ce que nous croyons être le progrès. Je pense qu’il faut apprendre à distinguer entre la misogynie, le phallocentrisme et le sexisme, trois stratégies patriarcales pour humilier, dominer et exploiter les femmes. Selon les pays et les cultures, chacune de ces stratégies est plus ou moins violente et aliénante. Pour en venir à la littérature, disons que par exemple au Québec et au Canada, les femmes ont une place importante dans leur littérature. Tout d’abord parce qu’elles ont écrit des livres majeurs. Je pense ici à Anne Hébert, à Gabrielle Roy, à Margaret Atwood, à Marie-Claire Blais. À cela, il faut aussi ajouter l’incitation à la création, à l’autonomie et à la confiance en soi que la réflexion féministe des années 1975-2000 a suscitées. Mais, je vous l’accorde, il suffirait d’un rien pour revenir en arrière et je sais qu’il y a peu de cultures qui prennent au sérieux les écritures de femmes. En fait, je pense que seule la légitimation des textes de femmes par d’autres femmes permet, dans l’écriture et nos pensées, d’aller bien au-delà des énoncés et des scénarios convenus. On le sait, les scénarios convenus de l’hétérosexualité hot ou non entrent plus facilement dans la donne masculine. 

R.D. : L’essence de la féminité nuit à la femme ? La Femme est-elle, selon vous, encore marginalisée, comme être fragile, émotif, prisonnière à ses sentiments de fille ou de maman, ou comme révoltée contre son ancien statut de soumise ? La géographie sociale et politique en décide toujours...

N.B. : « La femme » est marginalisée dans toutes les cultures. « Elle » est l’épitomé symbolique de l’autre, c’est-à-dire en constante posture de vulnérabilité, à la merci du pouvoir patriarcal qui, selon l’angle religieux, économique ou fantasmatique, lui attribue des tares et des attraits, ou accentue de manière négative ce qui lui appartient en propre. Aussi « la femme » n’est-elle jamais ce qu’elle est, aussi ne sait-on pas vraiment ce qu’elle est. Tout ce que nous savons, c’est que ce sont « les » femmes de la réalité qui font les frais de cette odieuse supercherie que certains appellent le destin. 

R.D. : Le féminisme des auteures surgit-il comme un phénomène social normal ? Est-il imposé ou demandé par une situation de vie personnelle ? Par la société ? Est-il le fruit d’une fascination ou d’une déception sensorielles, d’une fascination ou d’une déception spirituelles ?

N.B. : Si le féminisme sert à comprendre pourquoi les femmes sont systématiquement dominées, exploitées et aliénées, il devrait être pour chaque femme un outil de conscience pour déchiffrer en grande partie ce qui lui arrive, ce à quoi le système patriarcal la destine ou comment il pourrait en être autrement de sa vie. Parce que le féminisme est d’abord et avant tout un regard sur le monde, une conscience qui œuvre à comprendre pourquoi la moitié féminine du monde est condamnée à servir la moitié masculine du monde, on est en droit de penser que cette conscience est d’une richesse incroyable quand il s’agit de réalité et de fiction, quand il s’agit de questionner le sens que nous donnons à la vie et la valeur symbolique que nous attribuons aux êtres, aux choses et aux idées. 

R.D. : Qu’y a-t-il de très neuf, très constructif et valeureux dans le féminisme « littéraire » du XXIe siècle ? En quelques phrases, s’il vous plaît...

N. B. : Il n’y a pas de « féminisme littéraire ». Il y a une pensée critique et une analyse féministe qui donnent des essais ou des manifestes. Il y a des colères, des révoltes, des peines et des blessures de femmes qui s’inscrivent tout naturellement dans leurs œuvres de fiction, tout comme il y a des joies, des désirs, des plaisirs qui alimentent ces mêmes œuvres. Ce qui est féministe, c’est la conscience de ce qui arrive à l’humanité des femmes et les actions de solidarité qui en découlent.

R.D. : Vous écrivez des romans, du théâtre, des essais. Quel genre littéraire serait le vrai porte-drapeau du féminisme ?

N.B. : L’essai, le manifeste.

R.D. : On vous a souvent « distribuée » dans les héritières culturelles de Simone de Beauvoir. Qu’est-ce qui vous rapproche d’elle ? Qu’est-ce qui vous sépare ?

N.B. : Je suis une féministe radicale c’est-à-dire qui cherche à la racine des choses. Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir a influencé toutes les féministes radicales nord-américaines. Je dis merci à Simone de Beauvoir d’avoir écrit ce livre qui allait permettre à d’autres livres de voir le jour. Ce qui me rapproche de Simone de Beauvoir c’est la langue française, l’intellectuelle, l’humaniste cherchant l’égalité ; ce qui m’en sépare, c’est mon américanité, le style d’écriture. Et c’est bien ainsi.

R.D. : Un de vos textes, paru en 1988, est intitulé « Mémoire : hologramme du désir » ... Pascal disait déjà : "La mémoire est nécessaire à toutes les opérations de l’esprit". Elle  capte, code, conserve et restitue les stimulations et les informations que nous percevons ». Pour Nicole Brossard, la mémoire est-elle étroitement liée au réel ? Ou à l’imagination et au désir ?

N. B. : Quelle question intéressante ! En effet, je crois que mon rapport à la mémoire en est un qui passe par l’imagination et le désir qui, lui, permet de mettre en forme le flux d’images et de « pensées se souvenant », si je puis dire. Dans la vie, il y a d’une part, la mémoire des événements, heureux ou malheureux, qui ont marqué notre rapport au réel mais il y a aussi toutes les sensation qui accumulées au cours des jours n’en constituent pas moins un bassin important d’images et un potentiel métaphorique. Je n’écris pas à partir d’événements phares. Je dirais plutôt que j’écris en faisant des croisements de pensées, d’images, d’idées et de sensations qui constituent en moi une mémoire qui se renouvelle constamment. C’est sans doute pourquoi je dis souvent que « je suis une femme du présent ». Ma mémoire est au présent de la fascination que j’ai pour la vie et du désir qui l’organise en moi. 

R.D. : Il nous arrive pourtant d’avoir des défaillances et d’oublier, sans pour autant que nous ayons à nous alarmer. L’oubli n’est pas un phénomène anormal. Alfred Jarry écrivait même : "L’oubli est la condition indispensable de la mémoire". Qu’est-ce que vous aimeriez oublier ?

N. B. : Que la guerre est un éternel recommencement.

Montréal, le 12 octobre 2005

 

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