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Dictionnaire Leray
DICTIONNAIRE DE RIMES

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 Article publié le 29 mai 2016.

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Du temps que les rimes étaient classées, le dictionnaire de rimes était un outil indispensable. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Quand Baudelaire demandait au poète de connaître chacune des rimes que comporte un mot, il n’appelait pas à apprendre par cœur un dictionnaire de rimes. Certes, l’attention à la rime elle-même était, pour ainsi dire, première.

Les rimes rares faisaient l’objet d’une considération particulière. La « richesse » des rimes en scellait la validité. Mais il est probable que Baudelaire ait eu en tête une conception plus large de la rime que l’identité phonique marquée en fin de vers.

Certaines rimes ont été beaucoup utilisées et ont une histoire comme « jour / séjour » (Ronsard, du Bellay...) ou « astre / désastre » (Corneille, Mallarmé, Hugo...) Les rimes ont une histoire. La rime « jour / séjour » a fait l’objet d’un historique détaillé de Roman Jakobson, dans son analyse d’un poème de Du Bellay, « Si notre vie... » malheureusement moins connue que son analyse des « Chats » de Baudelaire. Mais ce cadre très normé a été sévèrement bousculé. Paul Claudel a sans doute pensé au plus près la nécessité de resserrer l’attention du poète sur des phénomènes plus diffus.

La technique alexandrine en gâtant et durcissant la sensibilité de l’artiste, en disciplinant l’oreille qui ne laisse plus passer que les rythmes primaires et les sonorités homophones, a laissé dormir dans les profondeurs du français tout un trésor de délectation.

La prosodie aujourd’hui dispose d’un éventail beaucoup plus vaste et peut-être moins facile à appréhender. C’est peu de dire que les théories du vers et du langage versifié ne sont pas stabilisées. Le mot ne comporte pas seulement des rimes en finale : c’est l’ensemble des échos sonores qui fait effet. C’est vrai pour le vers libre, ce l’est aussi pour le vers ancien. Le fameux vers de Racine, « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes" ? », nous en présente un cas extrême mais toute poésie regorge de ces échos internes qui, contrairement à la rime, n’observent pas de symétrie particulière mais qui contribuent manifestement à l’enveloppe phonique du vers.

Dans cet arsenal sémantique sériel, la rime finale n’est pas première. La « rime d’attaque » (identité phonique des premières syllabes de deux unités sur un segment donné) est à considérer autant qu’une rime interne. La position des termes (symétrie ou proximité) en scellera l’effet, manifeste ou diffus.

Un dictionnaire de rimes qui prendrait en compte la multiplicité des formes que revêt la rime est-il aujourd’hui envisageable ? Peut-on, au bout du compte, répondre pleinement à l’injonction de Baudelaire ? Il semble que non, enfin.

On peut tenter d’approcher le mystère profond qui fait que la rime produit un effet non seulement musical mais aussi sémantique. La classification des rimes potentielles de chacune des unités de la langue se heurterait à l’infinité des combinaisons possibles pour chaque terme. La simplement préposition « de » entraînerait immédiatement tous les vocables comportant le phonème /d/. On offrirait une place privilégiée à « deux », peut-être, ainsi qu’à l’ensemble des mots qui comportent un « de » dans leur corps. On épuiserait le lecteur à envisager toutes les potentialités. Il ne faudrait pas oublier de mettre en regard la dentale /d/ avec son homologue /t/. On aurait une sémantique sérielle sans discours, ce qui serait une double impasse.

Mieux vaut, sans doute, laisser le dictionnaire de rimes à son histoire. L’enjeu de la phonologie du poème mériterait un autre traitement. On regrettera qu’il y ait peu d’essais en matière de phonologie du texte qui ne soient contestables et approximatifs. C’est que le périmètre de l’étude n’est pas circonscrit. Henri Meschonnic demande à l’analyse qu’elle soit aussi diffuse que possible, engageant chaque phonème du poème étudié dans une « sémantique sérielle ». Mais le résultat est une sériation amorphe des termes marqués par un même phonème dont le regroupement peut, au mieux, souligner certaines associations thématiques. Mais le degré de validité de ces associations ? Il est invérifiable.

Voilà toute la difficulté. Et sans proner aucun retour à la « vieillerie poétique », il me faut bien énoncer ce constat : tant que les études de l’élément phonologique du poème reposeront sur des prélèvements invérifiables, le dictionnaire de rime et les traités de versification des temps passés nous regarderont avec condescendance et ironie.

 

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