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 Article publié le 10 juillet 2016.

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Des excuses seraient malvenues. Je crois bien que le temps est venu d’oublier jusqu’à ton nom.

Cette longue phrase gravée dans la pierre avait de quoi intriguer. La roche lisse l’avait conservée, émaillée de lichens bleutés du plus bel effet sous le soleil de midi.
Le sous-bois rafraichissant retenait cette parole, tandis que les cimes des hauts arbres vibraient sous la chaleur. Des fanions de ciel bleu, des bribes mobiles de nuages blancs passaient. Et nos yeux allaient ainsi vers le haut puis retombaient sur la roche grisâtre, vieux témoin d’un message adressé à qui ? Nous ne le saurions jamais.
Il fallait taire le nom, mais dire qu’il convenait de le taire, et ainsi dire sans dire en restant sur le seuil d’une parole de délivrance.
Une liberté, comme en-deçà de toute délivrance, avait gravé ces mots dans la pierre neutre, seule porteuse maintenant d’une colère froide, d’un juste ou injuste courroux qui était passé en elle.
Combien d’arbres blessés par des amants de passage n’avions-nous vu lors de notre périple ! Ici, la pierre blessée ne saignait pas, elle conservait malgré elle la trace d’un passage. Sa sûre assise, sa vénérable ancienneté avait sans doute présidé au choix de l’âme errante qui avait gravé ces signes dans une langue ancienne, si ancienne.
La nommer précisément, la linguistique historique le peut, mais à quoi bon en faire état ? Ce serait pure érudition malvenue. On se contentera de la dire écrite en vieux norrois sans entrer dans les détails de sa mise.
De rune en rune, je crois bien avoir erré, erré à la recherche d’un signe autre qui les eût effacés toutes.
Ce signe n’est pas venu, moi seul suis venu en effacer jusqu’au désir dans cette forêt joyeuse si proche de la mer que des effluves marins emplissent les narines, comme si la mer, s’étant retirée loin dans les terres, achevait de pourrir en des marécages, venant rappeler aux marcheurs que nous étions qu’il serait bien difficile de reprendre la mer.
Nous étions ainsi plusieurs à poursuivre le même but. Notre communauté acheva sa course au sommet d’une haute falaise de craie. On pouvait voir de haut scintiller les vastes étendues marécageuses, à perte de vue, jusqu’à cet horizon jaunâtre qu’un soleil malade achevait de rendre glauque avec la complicité d’une végétation luxuriante, comme si tout le paysage se vautrait dans la morve d’un être aux dimensions floues mais impressionnantes.
Il faudrait tôt ou tard rebrousser chemin, partir loin dans les terres saines, oublier la mer disparue, et bâtir sans se soucier de Babel, de Sodome et de Gomorrhe.
Le dieu vengeur ne nous arracherait aucune excuse, et loin de nous l’idée de pointer un doigt accusateur sur qui que ce soit. Tous étaient et seraient les bienvenus.
Impossible sur le long chemin du retour d’oublier les paroles gravées dans la pierre. Trouvées par hasard, elles n’en guidaient pas moins nos pas désormais.
Nous étions arrivés au seuil d’une vie nouvelle.

Jean-Michel Guyot
19 juin 2016

 

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