I
Et d’un fort coup de pied il le fit reculer
L’autre retint son ventre et cracha des injures :
« Espèce de marsouin ! Décrocheur de galure !
Tu n’auras pas ma fille et mon chapeau replet ! »
Il lui brisa la nuque et l’autre s’écroula —
Sa tête retombée sur l’épaule à l’équerre
Il s’immobilisa dans le frileux parterre
Que la rose et le lys se partitionnaient là.
« Effroyable menteur ! dit l’autre sur sa tombe
Tu voudrais bien me voir provoquer l’hécatombe
Des pères amoureux de leurs filles amènes.
Je vais te faire voir comme on traite les sourds
Qui ne veulent entendre que des chansons obscènes ! »
Et d’une plume alerte il chanta ses amours.
II
Une femme passa, que la froide guitare
Épousant la musique en sonores beautés
Attira doucement dans l’allée illusoire —
Il regarda sa jambe et son sein de statue.
Elle sourit aussi dans les sonorités
À cet enchantement qui l’avait retenue —
« Par exemple, dit l’homme en cessant de jouer
Serais-tu pas la mère horriblement trompée
Par le père et la fille par le père entrompée ?
J’ai un double sonnet, je l’offre volontiers
À ta stupeur de femme ! — Veux-tu m’accompagner ?
Que le chant nous ranime et inspire la mère
Et qu’il donne au poète la force pour le faire ! »
Entre leurs corps tendus la guitare vibrait.
III
Comprenne qui voudra cet éloquent poème
Tout est dit sur l’amour et le sens est extrême
Et qu’on pardonne aussi ce distique serein
Qui du coup se transforme en aimable quatrain.
Et pourquoi pas du coup, rien ne l’interdisant,
Continuer aussi jusqu’au dernier moment
D’un deuxième quatrain exigeant une rime
Et de la rime enfin ayant trouvé la rime
Attaquer un tercet aux délicieux accents
Et lui donner la forme et le verbe mouvant
Que l’amour exigeait qu’on donnât à son sens.
Et d’un triple sonnet l’histoire se compose
Ahurissant le mort et la fille qui l’ose
Encore aimer — c’est du moins ce que je suppose.