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Dictionnaire Leray
RÈGLES MÉTRIQUES

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 Article publié le 9 avril 2017.

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Quant aux règles, le débat est rude.

Je me permets de m’y attarder un instant.

La linguistique a opéré un changement de point de vue radical, avec Saussure. L’étude de la langue a abandonné son caractère prescriptif au profit d’une attitude descriptive.

Chercher à comprendre ce qu’on fait avant de vouloir le régir semble raisonnable. On oublie trop souvent que l’apprentissage de la langue - au contraire de l’écriture - est de nature intuitive, qu’elle n’est pas l’apprentissage d’une série de règles et d’un vocabulaire déterminé mais qu’elle passe par une transmission où l’affectif joue un rôle prépondérant.

« Montrer au linguiste ce qu’il fait » - était la mission qu’assignait à la linguistique Ferdinand de Saussure. Sa compréhension des phénomènes linguistiques l’assurait que son fonctionnement général nous reste inconnu.

La poésie a connu un tournant analogue. Sauf que peu s’en sont aperçus. A la rhétorique du poème qui dominait la tradition jusqu’au milieu du XIXe siècle, s’est substituée dans l’extrême romantisme une mise en relation du « noyau infracassable de nuit » qui motive toute l’activité romantique - dans sa dimension intime.

Sade, Nerval, Lautréamont, Rimbaud, Corbière, Mallarmé... entre autres ! ont demandé à la poésie de leur offrir une connaissance qui allait au-delà de la beauté classique, de l’harmonie héritée des anciens.

Ils ont recherché cette chose au coeur même du langage - de leur langage. Ils ont rendu évidente une recherche qui relève de toute la tradition et qui excède le « beau langage » des manuels de rhétoique.

Ils ont renoué pour une part avec la poésie du discours prophétique, sinon chamanique. Ils se sont avancés en un point où la parole devient événement.

Le « dérèglement de tous les sens » de Rimbaud est le témoignage le plus manifeste, merveilleusement naïf et vrai, de cette attitude aventureuse.

Il est frappant, effectivement, de voir que les oeuvres maîtresses de la poésie du XXe siècle, dont une grande partie est "vers-libriste", n’a pas permis de constituer un « sol », un discours global permettant de rendre compte des structures du langage poétique ainsi élargi.

Au contraire ! il n’y a rien de plus miné, mal foutu, embrouillé, complexe, prétentieux, que la critique poétique ! Chacun y va de sa théorie et utilise tels de ses auteurs fétiches pour démontrer la validité de sa théorie ! Comment discuter, dans ces conditions ?

Untel veut voir dans la poésie une essence : il prend Holderlin ; un autre y voit une transgression : il opte pour Corbière ; un troisième y veut une théorie du rythme : il recycle Hugo... On n’en sortira pas.

La règle est une réalité à deux dimensions : l’une est sociale, c’est la convention ; l’autre est intime, c’est le système.

La chose contestée par les modernes puis les avant-gardes, enfin, certaines d’entre elles, c’est le caractère conventionnel de la règle. C’est l’application aveugle de principes ou de contraintes qui ne trouvent leur signification que sur des critères extérieurs : en poésie, on ne dit pas cheval mais destrier, on peut inverser l’ordre sujet-verbe, un sonnet doit être fait d’alexandrins, etc.

Cette attitude conduit à des horreurs sans nom. Je n’en parle pas. Mais de l’autre côté, l’ignorance des règles conventionnelles n’est pas une garantie de qualité, c’est une évidence de le dire. Parce que la langue, la tradition, ne sont pas des codes, elles font partie d’un héritage culturel, elles sont le fruit d’un effort collectif que chacun manifeste, même le plus humble en mots, parce que parlant et étant entendu il valide une série de valeurs linguistiques qu’il a reçue et qu’à son tour il transmet.

Le poème est l’exercice conscient de cette transmission inconsciente. A ce titre l’exercice de la règle n’est qu’une toute petite part de son effort particulier mais dans la mesure où il apprend ce qu’il fait, il apprend les règles invisibles de ce qu’il fait, les règles manifestes du commun lui sont peu de choses.

Aujourd’hui les règles de la tradition sont un héritage. Elles ne sont qu’une toute petite partie des formes poétiques possibles. Le vers libre a permis l’éclosion d’une infinité de nouvelles formes. La dislocation de l’opposition restrictive vers / prose est en cours. L’organisation rythmique du vers, de la phrase, de la parole, fait l’objet d’une connaissance plus précise grâce aux travaux de Tynianov, Claudel, ou Meschonnic. Il est saisissant de voir une telle frilosité dans l’actuelle conception qu’on se fait de la poésie, quand on considère toutes les aventures menées à bien, toutes les réflexions amorcées...

Mais les choses finissent toujours par se décanter et les amoureux de miroirs tendus vers le passé seront tôt engloutis dans l’objet de leur amour !

 

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