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Quelques entretiens avec Patrick Cintas
Caméras animales

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 Article publié le 7 novembre 2006.

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Éditions Caméras animales
François & Mathias RICHARD
Ce que nous avons irrémédiablement perdu est aussi immense que ce que nous avons fragilement gagné. Cela donne le vertige.

Patrick Cintas : D’emblée, avec Caméras animales, on est ailleurs ?

François Richard : Higher, tout en bas, c’est de là que vient l’oraison... Ailleurs, pourquoi pas. On associe souvent ce mot à un lointain meilleur, plus intense, surclassant la chienlit quotidienne, et c’est bien de cette perception oppressante qu’est né le désir de Caméras Animales. Un désir qui n’est pas de résister à cette chienlit mais de l’attaquer, la surclasser à la fin la détruire et ce par une autre temporalité -la vibration enfouie intense en soi, centrée bas dans le corps. Le diapason sacré et commun dénominateur, la part de nulle part, doit bien pouvoir être virale, comme la rumeur de galop dont rêvait Deleuze, c’est l’état de présence absolue à soi, la lucidité qui jouxte la folie et qu’on se remémore dans la transe tribale, l’ici-maintenant en corps comme en core. (Now here - nowhere). Pour rendre la cécité voyante, le soleil noir de cet œil plein-bassin, aux nôtres qui se crèvent les yeux, parmi eux on cherche au sonar ceux qui crèvent le regard. L’œil du phénomène des corps humains, c’est au centre des corps humains, c’est à dire à l’extrémité du temps. C’est-à-dire que si l’on cherche la culmination et l’éruption de celui-ci il faut convoquer l’éclipse des extrémités du temps, les deux sur le même plan. Créer des factions où le point le plus archaïque et le point le plus moderne de l’humanité big-banguent des fécondations, en crues de laves virales et lacérations de justesse (ça se jouera in extremis) dans l’entendement. Même ici.

Le très beau site de Caméras animales propose une idéologie ?

Mathias Richard : La beauté du site doit beaucoup à l’artiste Etienne Bodet (dit « le baron »), qui l’a créé en étroite collaboration avec nous. Il a parfaitement compris et capté l’esprit « caméras animales », d’ailleurs -même s’il n’est pas forcément au courant- je le considère comme une caméra animale pur jus, Etienne Bodet est une caméra animale. De lui je vous conseille aussi par exemple :

mycroft.com.fr/off_produits/anim/remix.html

ou

mycroft.com.fr/off_produits/anim/hypecity.html.

Pour l’idéologie elle-même, qui prend la forme de manifestes ou pré-manifestes poétiques et politiques (*) se précisant, s’additionnant voire se corrigeant les uns les autres, le plus simple est de se reporter ici :

camerasanimales.com/ideo.html

de lire, de réfléchir/sentir, puis d’y répondre par des actions et/ou des créations. C’est ce qu’a fait par exemple la peintre-dessinatrice-collageuse Stéphanie Sautenet ici (entre autres) :

camerasanimales.com/ideo_03-1.html".

(*) « polétiques » pourrait-on dire mais je n’aime guère ce néologisme [François : ou poéthyliques...]

François : Effectivement toutes les réponses à vos questions peuvent se trouver dans les six manifestes de la partie idéologie. Cette idéologie, encore une fois, part du bas.

Pour commencer, je recommande à tous ceux qui me lisent d’aller sur la page d’accueil du site et de cliquer sur la ligne blanche, « montrer des subjectivités inouïes, jamais vues et jamais senties ». Et de continuer à cliquer sur ce qui apparaît au fur et à mesure.

Pour inverser la gangrène d’anaérobiose, nous réunissons des anaérobioses. Pour détruire le système, nous faisons réaliser l’existence d’irrésolutions qui à elles seules le mettent en péril lucidogène. Pour libérer l’esprit du carcan, nous permettons un espace où il est possible d’en briser les limites -la morale, la raison, la logique. Et là on voit apparaître un vivier de créativités brutes, comme une diaspora de puissances autonomes insituables.

Mathias : Après des années de réflexion, j’ai enfin trouvé le mot exact pour désigner notre mouvement : le Mutantisme.

Les 6 pans de l’Idéologie Caméras Animales sont à lire comme les 6 pré-manifestes du MUTANTISME.

L’Insurrection Mutantiste est une vie dont VOUS êtes le héros.

Notre modèle c’est pas les Yes-Men, mais les X-Men.

 

Le catalogue présente 4 auteurs et 4 livres. Quelle ligne éditoriale s’en dégage clairement ?

François : Un front de machines de guerre, toutes différentes et mues par la même exigence, la même urgence, le même caractère inouï, reliant l’imaginaire archaïque et l’imaginaire moderne, des Réplicants. Des apatrides hors toute idéologie sauf celle de la singularité humaine et du refus des formes néantisées. Une ligne d’onde tripale humable indicible aussi, une courbe oblique comme celle de l’ADN et qui a toujours fait son chemin, depuis l’homme des cavernes qui a tracé un cryptogramme-tag (révélateur de toute profondeur dans son étrangéité à la dimension communicationnelle, d’une altérité puissante en soi-même) à côté des représentations conventionnelles dans la grotte de Lascaux.

Quel fut le premier livre publié ? Était-ce un manifeste, un avertissement ?

François : Musiques de la révolte maudite de Mathias. L’en-tête du faire-part était « Les éditions Caméras Animales naissent. / Les éditions Caméras Animales sont des éditions d’attaque ». Le verbe naître comme un verbe d’action.

Nous sommes assez fiers de ce coup d’envoi, qui nous est apparu comme s’imposant de lui-même. La toile de Mathias qui illustre la couverture, avec la mort s’exhumant, en est indissociable. Nous publierions des textualités et textures frémissantes en rapport direct avec le dessein terminal de l’humain, dans ce dépassement de toute limitation, excédant les sens et les récupérateurs.

Où en est l’édition à Tours, et plus généralement, la culture ?

François : Nos rapports avec les éditeurs d’ici sont proches de pas grand-chose (le « gros » éditeur du coin en littérature contemporaine est Farrago, mais il semble que nous ne vivions pas dans le même monde). Au niveau culturel il y a quelques initiatives, structures et groupes intéressants (Radio Béton, Les Studio, Sans Canal Fixe, Omégaphone, Alma Fury, Phonochrome, La Lisière des Marges...) et pour ce qui nous concerne quelques soutiens (cf. l’entretien à Radio Béton par Emmanuel Mazodier et Fabienne Parduvo, en ligne sur le site), comme il y en aurait ailleurs. Au Centre Chorégraphique il y a la présence précieuse de Bernardo Montet. Globalement c’est une ville universitaire avec un esprit très « art contemporain », et un gros fléchissement du côté des salles de concert rock -aucune « grosse » salle alors qu’il y en a dans des villes avoisinantes plus petites.

Musiques de la révolte maudite de Mathias Richard n’est pas un ouvrage sur la musique, mais sous la musique, tracé sous son empire, dites-vous. L’écrit est-il un acte si ce qui devrait être son objet (ici, la musique) devient le prédateur ?

François : C’est surtout le point où le sujet (l’écrivant, l’écrieur) et l’objet fusionnent pour se solutionner dans le verbe qu’on capte et dont on ramène des scalps.

Danse-fiction de Ly Thanh Tiên, littéralité d’un corps hors de ses gonds. Ici encore, la proie c’est l’homme. Se donne-t-il d’ailleurs ?

François : Il donne parfois ces sismographies du mouvement intérieur de sa transe, ces négatifs qu’on essaie d’amener à la lumière. Si l’homme ne veut pas se rendre à lui-même et cimente son vide intérieur en se réfugiant dans les extériorités, il importe de lui mettre sous les yeux l’état de présence qui est possible, qu’il pourrait exiger de lui-même. Nos livres sont des caméras plongées dans des tempêtes qui ne sont pas seulement endocrânes mais endocarnes. Pour un individu, l’initialisation de la vie rêvée, toutes de lignes de vitesse et d’enchaînements de séquences intenses, s’opère d’abord dans une mise en branle de sa vie intérieure, et de son corps, à sa propre échelle.

Arnaud Pelletier est un véritable romancier, un grand, maître des moyens et capable de renverser la vapeur à tout moment. En quoi V.I.T.R.I.Ø.L. est-il un mourir vif  ?

François : Oui, Arnaud Pelletier est décédé au moment où son livre paraissait (c’est que vous vouliez me faire dire). C’est à la première partie de votre question qu’il faut s’attacher. Pour ma part, je pense qu’Arnaud Pelletier aurait avant tout pu être un poète noir dans la lignée d’Artaud, Bataille et Daumal -ceux pour qui l’engagement poétique signifiait engager toute sa vie dans la recherche du dépassement et du sacré, quel qu’en soit le prix. Arnaud riait de ceux qui s’auto-proclament écrivain ou romancier, dans leur très large majorité. En écrivant V.I.T.R.I.Ø.L. il ne pensait pas « j’écris un roman », il était dans un état de nécessité absolue pour survivre, jusqu’au caractère invocatoire dangereux qui se dégage de ces pages.

CREVARD [baise-sollers] de Thierry Théolier a-t-il du succès ? C’est un livre si présent, si actuel, qu’on lui souhaite d’appartenir à la conversation plus qu’à la littérature. Livre de philosophe, à la manière dont Marcel Duchamp l’était. Les sentences creusent notre réalité avec une acuité de moraliste. Notre monde appelle la critique morale plus que l’action. CREVARD est un chef-d’œuvre. Qu’en pensez-vous ?

François : Merci pour lui et pour nous... Pour répondre à votre question, j’invite tout le monde à aller visiter la revue de presse de CREVARD sur le site. Si le cadre de la revue de presse a explosé pour laisser une large place aux élans de tous bords que le livre a inspirés hors du cadre de la chronique (en premier lieu au flot de commentaires sur les listes, blogs et sites du web), elle a aussi pu se constituer de chroniques jouissives (Gérard Guégan, André Murcie, Sylvain Nicolino...), et c’est là une vraie fierté, et un véritable objectif atteint, car la visée était de faire visualiser que cette écriture à la base inhérente à l’écrit Internet rejoignait la littérature la plus exigeante, une descendance parmi les plus dignes de la littérature digne de ce nom. Sachant bien le paradoxe que la plus haute littérature est toujours en hérésie par rapport à la littérature. Quant au décalage factuel et bien contemporain entre discours (ou même perceptions) et actions conséquentes, CREVARD a été conçu pour être un pavé dans la vitrine de la rentrée littéraire, au premier comme au second degré. Pour retourner une de vos précédentes questions, nous publions les empreintes de prédateurs.

Revenons à l’idéologie de Caméras animales... connecter les parties les plus extrêmes de son cerveau... contre-émission cryptée... anus visionnaire... shoot... Peut-on espérer refaire ce qui a été tissé dans les pires intentions, c’est-à-dire ce monde ?

François : On peut retisser le monde en démon, c’est à dire à l’image de ses entrailles profondes, de ce qui le sous-tend réellement. Par rapport à notre visée éditoriale il y a pour nous un absolu dans ce qui se dégageait de la conférence de Jérémy Narby sur le Serpent cosmique synchronisée à une création des Young Gods.

Le dossier de presse de Caméras animales est impressionnant. À propos de CA, de ses auteurs et des livres publiés. Par exemple, Chloé Delaume écrit : CREVARD c’est un livre vivant, à cause de la cervelle de Thierry Théolier. On peut en dire autant des autres livres et même de CA. Qu’est-ce que de la cervelle depuis Jarry ?

François : Nous reconnaissons ceux qui y ont une balle fichée, à l’image du trou noir dans le ventre des humains, que pour certains cette bullet a rouvert comme dans les fonds marins la nuit fait fleurir des espèces météores par absence de photosynthèse. Est-ce qu’il faut se griller les synapses de surface à force de brûler sa vie (en plongeant les mains dans sa complexité de lignes de vie) pour que ce fruit vert de cerveau libère l’arbre et dépasse les 10% de lui qu’on utilise ordinairement ?

Mathias : "Fish & Chips" est un projet de culture de neurones de poissons sur des puces en silicone. L’activité nerveuse de cette sculpture semi-vivante a été connectée à un bras robotisé qui bouge en fonction des influx nerveux.

 

La mort est un événement à probabilité égale à 1. La vie est beaucoup moins probable. Qu’est-ce qui finira par se passer si on continue de déconner ?

Mathias : Ce que nous avons irrémédiablement perdu est aussi immense que ce que nous avons fragilement gagné. Cela donne le vertige.

François : Comme dit Brel, pour vivre il ne faut pas laisser sa mort de côté, il faut percevoir sa proximité de l’instant suivant, et même qu’elle est notre essence. C’est l’infini, l’illimité, l’inconnu, notre part d’ombre à tous, notre vivier et notre chance. Il y a un vecteur qui est l’art et qui nous permet de transfigurer le monde au lieu de lui faire sauter le caisson à coups de fusil. Alors... « que l’art se fasse, même si le monde doit en mourir ! »

Jusqu’où va le groupe qu’on sent grandir autour de CA ?

François : Pour l’instant, pour ce que nous percevons c’est une grappe. Mais une grappe c’est un atome-noyau dur. Le groupe, c’est une arborescence à échelle mondiale et multi-séculaire, de ceux qui ressentent la même chose que nous, dont Caméras Animales est une partie, un foyer visible. Le rêve du volcan c’est les éruptions en chaîne, la crue de cette arborescence hors de sa part immergée. Il ira jusqu’à la destruction de ses ennemis ou la sienne par ses ennemis, l’ennemi étant l’homme corrompu/perverti irrévocable, et plus exactement cette corruption.

Mathias : Le « groupe » est pour l’instant informe, même si les sympathisants abondent. Les personnes de confiance sont rares.

Ça réveille, dit Tristan Ranx à propos de CREVARD. Il y a cet espoir dans l’œil avec CA ?

François : Non. Une énergie du désespoir inespérée.

Avez-vous réuni les adjectifs qui précisent les sens dans le dossier de presse ? Essayez. Les mots y reviennent immanquablement. On rejoint la page idéologique. Tout ceci est-il fomenté ou faut-il vous croire quand vous dites que cela va arriver à force de regard ?

François : Lisez les traités d’art ou d’optique : le regard crée ce qu’il voit. Alors prenez un peu de recul et mettez-vous en joue.

Une explication s’impose : pourquoi François Richard ne publie-t-il pas chez lui ?

François : Il peut le faire : il participe au futur livre des éditions, Raison Basse. Ce livre sera une anthologie ultra-subjective d’écritures contemporaines et de voix jamais vues qu’on sentira, avec la particularité d’être construit comme un seul texte (les noms des auteurs de chaque texte ne seront pas mis en exergue des textes, les voix s’enchaîneront directement), organique et tout en reliefs contrastés, tous les textes qui le composent se succédant dans la cohérence supérieure de fond qui les sous-tend par-delà des formes très différentes. Environ 25 auteurs en font l’auteur.

La question de se publier soi-même dans les éditions m’a personnellement posé question à un moment (sachant qu’on a déjà publié Mathias et qu’on le publiera encore), mais c’est une fausse question. Mathias m’a dit « si je recevais un texte de toi sans te connaître, je suis sûr que je te publierai aussitôt », et c’est en pensant cela que je lui avais proposé qu’on parte sur Musiques de la révolte maudite. Il est intéressant de noter que cet ensemble avait été refusé dans un grand silence ici et là avant qu’on se décide à le publier. Quand il a été publié, soudain les enthousiasmes se sont déchaînés. Alors quelle conclusion ? C’est triste à dire mais pour qu’un texte soit considéré comme existant et reconnu pour sa force il faut qu’il soit publié. Alors aucune hésitation.

Mathias : François participe d’une manière extraordinairement tripante à notre prochain livre, le livre collectif Raison basse, sur lequel nous travaillons depuis presque un an, et il n’est pas exclu qu’il publie un jour un livre entier chez Caméras Animales. Sa vision et sa poésie imprègnent et orientent les éditions.

C’est avec Mathias Richard que CA explose. On le sent maître de longue date et de force des moyens d’expression.

François : C’est grâce à Mathias que je suis toujours en vie, après m’être mis en très grand danger pour cette rencontre du sacré qui nous agit tous les deux. Je vis, je me confronte au monde, je rencontre tout un tas d’aventuriers, je ne vois personne qui soit à un tel point d’exigence, de force et d’intégrité pour vivre en phase avec sa parole, debout dans la génuflexion du monde. Nous sommes très différents mais absolument le même quant à la nécessité d’être qui nous sommes. Et nous nous sommes rejoints pour créer les éditions quand nous avons chacun franchi nos morts symboliques (l’Aurélia de Nerval, ou la ténèbre de Daumal).

Mathias : Merci, cher Patrick Cintas : ce n’est pas une interview, mais une déclaration d’amour ..! Les murs, les impossibilités, les incompréhensions, l’aliénation et la solitude, détruisent, mais donnent de la force aussi, une capacité d’anaérobiose. Et certaines expériences intensément positives (toujours trop brèves) montrent une direction, un lieu, où aller, où revenir.

J’aimerais entre autres apporter ceci : un changement de dosages dans la pensée, un changement de dosages dans les expressions de la vision, de la perception, de la sensibilité et de la pensée, introduire une complexité, un mélange, une couleur, un chatoiement, un miroitement sentimental et sensitif étranger à, du moins s’éloignant de, la métaphysique des derniers siècles, voire millénaires. C’est un horizon (même si je n’aime guère ces mots, « horizon », « perspectives », qui justifient trop souvent un piètre ici et maintenant). Avec mon dernier texte, Machine dans tête, je crois avoir progressé dans cette direction, avoir accompli quelque chose ; si je n’y parviens pas, si cela ne convainc pas, j’espère que d’autres comprendront et accentueront ma démarche pour la mener plus loin, créer un changement de plan. Non par goût de changement et de nouveauté, mais par goût de vérité et de précision. (Les systèmes de pensée précédents furent nécessaires mais inexacts, et aujourd’hui s’effondrent en ne laissant derrière eux que nihilisme, nihilisme hélas au sens faible, mortifère, décadent, et non fort et libre.) Et parce que la vie telle que nous la vivons actuellement dans les sociétés humaines sacricides-concentrationnaires nous tue, cherche à nous tuer, à tuer les gens comme nous, et tuera encore et toujours plus. Nous avons au moins autant besoin de sacré, de poésie et de communauté, que de sexe et de pouvoir. On a trop nié Dionysos, les Carnavals meurent. Beaucoup croient vivre la fête quand ils ne vivent que l’atrophie de la fête (une atrophête). Ce qu’il nous faut, ce n’est pas soit Dionysos, soit Athéna, ce qu’il nous faut c’est Dionysos et Athéna en même temps !

Un des sujets qui m’importe le plus est celui de la liberté. On dit souvent que la liberté des autres peut gêner la vôtre, empiéter sur la vôtre, et cela est vrai en partie, dans le cas de la liberté sans loi, criminelle, voir Sade, voir la guerre, voir la liberté de l’assassin, du violeur, du bourreau. Mais ce qu’on dit moins, c’est que l’aliénation des autres, la non-liberté des autres, entravent votre propre capacité de liberté. Moins les autres sont libres, plus vous êtes entravés, plus il est difficile d’être libre, car ils vous entraînent dans leur aliénation, dont vous ne pouvez vous protéger qu’à l’aide de permanents masques et camouflages (position usante, déprimante). Enrayer la lobotomisation des masses est donc un objectif difficile, quasi-impossible, mais prioritaire, capital, noble, justifié, et, à sa manière, égoïste. La révolution personnelle, intérieure, est centrale, nécessaire, mais elle est insuffisante, elle peut difficilement s’accomplir, quand les autres se placent dans l’impossibilité de l’esquisser. Il faut donc contaminer, créer des virus de pensée.

 

Quelles sont les publications prévues de CA ?

François : Je l’ai dit plus haut -Raison basse. On y plongera entre autres dans les corps de Maurice Regnaut, Daniel Giraud, Philippe Boisnard, Sylvain Courtoux, Ariane Bart, Charles Pennequin, THTH, Ly Thanh Tiên, Lucille Calmel, Elie Delamare-Deboutteville, Didier Ober, Konstrukt...et beaucoup d’auteurs à l’œuvre encore immergée.

Dernièrement, sur le site de CA, vous réactualisez des événements passés. Perception de l’Histoire ? Jusqu’à quel point ? Et dans quelles perspectives ?

François : C’est comme pour l’adolescent : l’humanité, pour qu’elle progresse, pour qu’elle soit son propre dépassement, devienne plus forte et tout ce qu’elle est en puissance, il lui faut des seuils, des rites initiatiques -des ruptures par intensités. Nous ne nous méprenons pas sur l’échelle de l’importance de notre action, par contre nous savons que c’est l’addition et la synergie d’actions comme la nôtre -à vocation d’électrochoc pour l’esprit séculaire- qui laisse une chance à l’esprit sain de correspondre un jour (dont nous ne serons sans doute pas les contemporains) à l’Histoire.

Caméras animales a-t-il été le titre d’un poème ?...

François : L’expression « caméra animale » vient d’un de mes tous premiers écrits (qui s’appelait « Sèmes »), c’est le retour de Mathias, qui a cliqué dessus (« c’est nous », m’avait-il écrit, c’était en 2001, bien loin qu’on était d’imaginer la création de Caméras Animales), qui m’a fait réaliser que c’était une fulgurance marquante qui était passée dans le flot. Pour moi à ce moment il ne s’agissait pas de machines de guerre mais d’une traduction de ma paranoïa -la caméra animale c’était l’air, que je sentais comme une masse prégnante et regardante sur moi à tout instant, un enduit oculaire organique omniprésent.

« bout de pellicule, gaze, bruissement de l’étendue de caméra animale, omnisciente, confondue à la transparence opaque même de la lumière qui imprègne, veut convaincre tout brin d’ombre ».

Je vous regarde, enfants. A vous de jouer. Back to you.

Mathias : François a commencé à écrire du fond d’une maladie mentale qui chaque jour menaçait directement sa vie. Entre vie et mort, au bout de deux ans de cette maladie qui dura cinq ans, il s’est mis à écrire compulsivement des cahiers entiers d’une poésie brute, dense, ininterrompue, hermétique. Il finissait manuscrit sur manuscrit à une vitesse extrême, et me les donnait ou envoyait (selon nos situations géographiques et ses différents internements), il y eut un moment où je recevais de lui un nouveau livre par mois, j’étais débordé et avais du mal à suivre sa production, compacte, inspirée mais difficile d’accès, comme une sorte d’autisme visionnaire ; toute sa journée (et il dormait très peu, beaucoup trop peu, 3-4h par jour, parfois 2h, parfois moins), il ne faisait qu’une chose : tracer. Je me souviens par exemple d’une fois (à l’époque, ça m’a accablé) où, alors que je conduisais, je l’ai vu écrire en marchant, bossu, courbé sur un bout de papier en avançant sans regarder devant lui, au milieu de la route (au rond-point avant le Pont du Cher, à Tours), sans prêter aucune attention aux voitures lancées à pleine vitesse qui l’entouraient et l’évitaient de justesse.

Je me retrouvais confronté à des centaines de pages écrites serrées, un flux mental sibyllin ne cherchant pas à être compris ; cette lecture était ardue, je n’arrivais à tout lire de a à z mais plongeais régulièrement dans ces blocs obscurs, essayant d’en extraire des images et du sens. Et un jour j’ai noté et isolé de ce flux une expression qui a fortement résonné en moi : caméra animale. Plus tard j’en ai parlé à François, mais il oubliait ce qu’il écrivait quasiment au fur et à mesure qu’il écrivait, il ne se souvenait même plus que l’expression était de lui ! L’expression est restée en moi, a germé, m’a travaillé, je m’en suis servi en 2001 dans une chanson appelée « Electrocorps » - télécharger un extrait :

Et quand, en 2003, nous avons fait un brainstorm pour trouver le nom de notre maison d’éditions (que, répétons-nous, nous ne concevons pas comme une maison d’éditions, mais comme un groupe, un mouvement, un état d’esprit, fédérer des cellules germinales de vraie rebellion et de création libre dans un paysage en ruines), Caméras Animales s’est imposée, l’expression synthétisait nos visions (nous avons un temps hésité avec Anaérobiose). Caméras Animales est un anticorps sécrété par une maladie.

Paru aux Éditions Caméras animales



Musique de la révolte maudite - Mathias RICHARD
Les textes qui composent Musiques de la révolte maudite sont issus d’une expérience où entrent en jeu la transe, l’extase, le désespoir et la rage. Que la musique se révèle moyen d’exploration de lieux et de temps inconnus n’est pas le moins troublant. L’onde sait quelque chose. L’onde est un moyen de connaissance d’un monde que, le plus souvent, nous ne faisons qu’effleurer.
Passé un certain point, l’expérience de l’intense est celle du sacré, et en ceci la musique est un foyer sacrigène dans une civilisation sacricide. C’est pourquoi elle est la cible de tant d’aérosols normalisants et aseptisants, c’est pourquoi tant de musiques sauvages sont arrachées ou asséchées comme les herbes qui sortent du bitume (en premier lieu la musique des squats sacrifiés, en premier lieu tout ce qui est hardcore, c’est-à-dire irréconciliable et inconsolable). Sans la révolte, que serait la musique ?
 Lire un extrait [...]


Danse-fiction - Ly THANH TIÊN
Ly Thanh Tiên est une figure majeure, à la fois solaire et souterraine, dans le milieu de l’improvisation multidisciplinaire contemporaine (danse, "actions", déclamations, musique). Danse-Fiction est son premier livre. Sous différents modes, variant les intensités (poésie, récits, contes, fragments), Ly Thanh Tiên y applique la mise en turbulences de l’espace lorsqu’il est traversé par un corps hors de ses gonds. « Moi inaudible, même l’air vibrera encore, sans la mère porteuse que je suis, même le silence s’écroulera comme un arbre sans sève. Je suis une bulle à sa surface, j’en suis la tension superficielle, chaotique et incontrôlable, je me délivre de ce que je ne suis pas, me laisse être ce que je suis, silence hors silence, musique hors musique. » « J’installe la déviance, la rupture du confort de vie ou d’écoute. » Ly Thanh Tiên restitue dans ce livre la littéralité d’une voix à ces instants où elle se libère du corps qu’elle entraîne dans son improvisation, dans le don absolu de celle qui sait que chaque instant est le dernier.  Lire un extrait [...]


V.I.T.R.I.O.L - Arnaud PELLETIER
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Crevard. [baise-sollers] - Thierry THÉOLIER
A la fois manifeste du Crevard et l’un des premiers transferts en livre d’un mode d’écrit propre à Internet, cette oeuvre de Thierry Théolier atteint un pôle extrême qui consacre une relation au clavier, à l’écrit inadmissible, celle de taper.
Bombe d’énergie mentale, violent retour du refoulé rock’n’roll : contre la Raison, la souveraineté du chaos. Braincrash.
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