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 Article publié le 9 novembre 2006.

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Tout mortel se soulage à parler de ses maux. André Chénier

 

Mettons que tout soit dit. Alors tout reste à redire. Mettons que tout soit fait. Alors tout reste à refaire. Il parle ! Ma-man. Ma-man. Je parle. Tu me parles ? Tu parles à qui ? Je me parle. Tu parles seul ? Je parle au désert, à la forêt, à la mer... Et pourquoi pas aux pierres des chemins, aux cailloux des cours d’eau, aux parpaings des enceintes, aux moellons des puits, aux briques des usines, aux pavés des barricades, aux mosaïques de Ravenne ? Ne dis rien, laisse-moi deviner. A l’occasion, on en reparle. Tu parles ! Tu parles, tu parles... Tu me donnes soif. Je parle ex cathedra de mes outils - mes plumes, mes encres, mes papiers, les mots... -, de ma matière - les mots, toujours les mots -, de ma lumière, de mes éclairages - mes origines, mes mots, mes morts... -.Où commence une œuvre ? J’use mes salives. Mon latin sent la lie, mon propos sent la lime. Poète, je me souviens que je suis immortel. Des ogives, des ogivettes, des colonnades, des étançons, des jambages, des clefs de voûte architecturent ma parole. Je jardine avec Epicure, je devise avec Platon, Je songe avec Rabelais à d’impayables sales quarts d’heure sur l’île des Lanternes, je syllogise avec Cioran... Je jappe entre le cimetière des chiens d’Asnières et le cimetière des voitures d’Arman, de César, d’Arrabal. Tu parles, Charles ? Je jacte dans un drame à mille actes. Les tréteaux ! J’ai mon visage. Pour la vie de tous les jours, j’ai mes masques. Tu parles du nez, Edmond ? J’en parle à tâtons aux répétitions des couturières. Les Français parlent aux Français. Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage... Le poste... C’est Londres ! On dirait de la poésie. Des pourparlers, camarades, parlons-en. Les élus palabrent le cœur sur la main, la main dans la poche. Je ferraille contre les haut-parleurs qui déversent du latin urbi et orbi, du bas-breton, du haut-allemand... Je ferraille contre les moulins à prières. Les bruits courent... Est-ce ta fête, estafette ? J’ouvre mon courrier de malheur. Et ces jalousies, ces persiennes, ces lanternes sourdes parlières. Tes sept péchés mortels, mon fils. Le confessionnal... Trois Avé, trois Pater... Et le tronc... La gégène, ça te dit quoi ? Logorrhée et diarrhée ? Tu sues, Eugène ? Les gars, Eugène sue ! Te torture, te tourmente pas. A table ! Où y’a d’la gêne, d’la gégène, y’a pas d’plaisir... L’plaisir ! Je débagoule mon pain de douleur, mes traits de ginguet, mes ratas, mes salmigondis... On t’en ressert une louche ? Au suivant ! Parlez dans l’hygiaphone. Nom, prénom, domicile, date et lieu de naissance, matricule. Douze photos ! Face, profil, nuque, bouche ouverte, fermée, mi-close... C’est quoi ce charabia ? Ar-ti-cu-le ! T’as des fèves dans la gargouille ? Un nom à coucher dehors. Un prénom pas catholique, un... Un pays imaginaire. Une gueule de voleur à l’étalage. Le corbeau et le renard. J’écoute. La Fontaine, poète affable et imbuvable. Putain de Camembert ! Te faire taper sur les doigts, c’est ce que tu veux ? Retourne à ta place. Tu finiras sur l’échafaud ou derrière un guichet de l’Administration avec un majestueux zéro sur ton carnet de notes, sur ton livret de famille, sur ta carte d’identité, sur ton passeport, sur ton compte en banque... C’est tout le mal que je te souhaite. Au suivant ! Au suivant ! J’ai parlé ? Toute la nuit. T’as refait le pauvre monde. Forcément, le jour tu la boucles. La loi du silence. La ferme, vieille pie. Allô ! Allô ! C’est toi, Erato ? C’est moi. T’as quelqu’un dans ta chambre ? Non, c’est la radio. Parle à mon trou de balle, ma comprenette est dans les vapeurs de la ménopause. Mot pour mot. Je l’ai envoyé bêler dans les champs Phlégréens, aboyer dans la grotte du Chien, ce rimeur en prose. Le poème, le tableau, la sculpture, la photographie... Cause, mon hôte, je tiens le crachoir ! Le film se déroule bien avant le synopsis. Silence, on tourne, on détourne, on contourne la pensée ! On te demande au parloir. Je n’ai rien à dire. Plus rien. T’as perdu ta langue ? Pas un signe. Ô Dante, des tenailles m’èdentent ! L’Enfer... Je te dépave, Proserpine. Jaspine ! Jaspine ! Tu me la tailles cette bavette ? Le lit de mort. Les derniers mots... Les derniers mots de Vaugelas, de Corbière, de Fellini, de Pasolini, de Pissaro... Les derniers mots de Léautaud : Maintenant, foutez-moi la paix  ! Le dernier mot de Mahler : Mozart ! Les derniers mots, ça se prépare. Mes derniers mots... Et mon épitaphe ? Les idées... Se faire des idées ! Tu te fais des idées. Tu te fais à l’idée... Arrête ton ciné, ton cinéma, ton cinématographe ! Mon cinoche, quoi !

 Robert VITTON - 2006

 

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