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 Article publié le 9 janvier 2007.

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Cher à mon cœur tu l’étais, Homme, oh combien !

J’ai fait ta connaissance en lisant avec frénésie les ouvrages que tu avais écrits et qui m’ouvraient des horizons insoupçonnés.

Des mois durant, tes livres m’ont aidée à vivre.

Ils m’ont offert une contrée de silence et de plénitude où j’ai pu rassembler les pièces éparses de ma conscience ou de ce que j’appelais ainsi.

Ils ont éclairé le sens des évènements qui me percutaient et dont je me croyais victime.

Ils ont été à l’origine des décisions les plus importantes de ma vie.

Ton œuvre a été la déferlante sur laquelle j’ai surfé et qui m’a déposée délicatement sur le rivage où vivent les femmes avec les hommes.

Tes livres m’ont parlé, guidée, inspirée et définitivement amenée à l’âge adulte.

Un jour, je t’ai écrit, aux bons soins de ton éditeur, ne sachant si tu étais vivant ou mort, en activité, en France ou à l’étranger...

J’ai mis dans ce message toute ma reconnaissance pour le cadeau que tu m’avais fait grâce à ta lucidité, à ta façon indulgente quoique sans pitié de considérer le monde, de proposer de le réformer tout en l’acceptant pour ce qu’il est.

Je n’attendais pas de réponse, et un matin, tu étais dans mon courrier, sous forme d’un mot manuscrit de remerciement et une invitation à venir assister à ton enseignement.

Une longue correspondance entre toi et moi s’en est suivie, étalée sur des mois. Nous avions tant de choses à nous dire, tant de temps à rattraper l’un et l’autre !

Quand les stylos ne courraient pas assez vite sur les feuilles A4, nous échangions des cassettes qui enregistraient en même temps que nos pensées, nos souffles et le flux de nos émotions.

Lorsque nous fûmes tout entiers occupés l’un de l’autre, me suis dégagée de toute contrainte et précipitée dans le premier train en partance vers toi, le cœur fou et l’esprit en ébullition.

Sur le quai de la gare je t’ai immédiatement reconnu, toi que je n’avais jamais vu.

Et toi, tu es venu vers moi sans hésiter.

Plus tard tu m’as avoué que jamais au grand jamais tu n’avais répondu personnellement à une lettre, chargeant ta secrétaire de ce travail. Et jamais tu n’allais accueillir les étudiants qui venaient des quatre coins du monde pour t’écouter.

Et moi je n’avais jamais écrit à un auteur, et ne m’étais évidemment jamais déplacée pour rencontrer quiconque.

Nous étions donc à égalité, et chemin faisant, nous avons ri des cinq mille ans de souvenirs qui avaient présidé à notre rencontre.

Tu étais grand, vigoureux comme un bel arbre à la ramure généreuse. Ta crinière abondante et rebelle appelait la main et la caresse.

Et ta voix, ô ta voix ! Profonde, chaude, venue de l’intime de ta gorge avec des harmoniques métalliques et ronronnantes...Ton élocution lente, claire qui laissait à l’auditeur le temps de t’entendre, d’assimiler tes paroles et de les laisser tranquillement se faire un chemin dans leur esprit.

Ton regard intense, à l’ombre d’épais sourcils broussailleux, contenait la juvénile curiosité que tu avais conservée pour tout ce qui parle. Tu donnais à chacun de tes interlocuteurs le sentiment qu’il était, sur l’instant, l’unique sujet de ton attention. Et les réponses que tu faisais étaient toujours du « cousu main », imprévisibles, surprenantes, éclairantes.

Tu marchais lourdement, lentement, comme un fleuve certain d’arriver un jour à la mer qui l’engloutira.

Nous avons largué toutes nos amarres et avons vogué de conserve de belles années durant. Nous avons vécu chaque jour avec ferveur. Nous avons dit merci, silencieusement à la providence qui nous offrait cette chance.

Nous avons voyagé, écrit et pratiqué notre métier ensemble, dans l’étonnement renouvelé devant les coïncidences de nos aspirations.

Et puis le temps de la maladie est venu. Depuis longtemps tu étais menacé, tu me l’avais dit dès notre première rencontre.

Tu avais toujours négligé les précautions. La prévention, à tes yeux, n’était nécessaire que pour les autres. La prudence n’a jamais fait partie de tes priorités.

Quand le temps est venu de te laisser aux mains des médecins et de leurs machines, tu as souhaité que je t’accompagne et tu m’as offert ta sérénité, ton courage et ta confiance.

Tes mains, abandonnées innocentes et offertes sur les draps blancs me parlaient lorsque tu étais épuisé.

Tes mains d’intellectuels, lisses et juvéniles, généreusement ouvertes à la fatalité me disaient qu’ « il ne faut jamais dire que ceci est le dernier chemin ». Tu acceptais de mourir mais à ton heure seulement.

Nous moquions le sérieux et la componction avec lesquels les blouses blanches virevoltaient autour de toi et cherchaient à te duper quant à l’issue de ton parcours.

Tu disais que notre histoire t’avait donné les plus belles années de ta vie.

Je peux à présent en dire autant.

Lorsque la vie te fut une insurmontable épreuve, tu m’as priée de m’éloigner, de ne plus te voir, de te laisser partir sans essayer d’assister à ton extinction.

J’ai commis cette lâcheté de t’obéir.

Le souvenir de la douleur qui a été la mienne pendant tes souffrances commence à peine à s’estomper.

 Je ne le cultive pas, je le laisse s’effilocher comme un vieil habit trop porté, et je garde au cœur comme un viatique la bonté de tes yeux bleu acier, la lumière de ta chevelure argentée et ta tendre façon de décrire sarcastiquement le monde que tu adorais.

Et la musique de ta voix sonore roule encore dans mon âme et me guide sur le chemin que je dois parcourir sans toi.

Sept 06

 

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