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 Article publié le 15 avril 2018.

oOo

C’était étrange. Ils m’avaient donné rendez-vous en ce drôle d’endroit.

C’était un lieu vaste, qui sonnait creux, tout d’espace, de propreté luisante et de froideur moderne, de surfaces lisses, glacées vouées au carrelage et à l’inox, d’aspect presque aérodynamiques. Lorsque j’y pénétrai, il me serra instantanément le cœur.

Devant moi s’étendait une immense, imposante salle de restaurant au sol carrelé, ponctuée quasiment à perte de vue d’une foule de tables rondes et spacieuses inoccupées au centre desquelles se dressaient, par-dessus de grandes nappes tombantes et si blanches qu’elles en paraissaient, pour certaines, quasi aveuglantes, de sveltes et précieux vases de verre taillé translucides remplis de brassées de fleurs multicolores aux teintes extrêmement vives.

La salle, à un tel point aseptisée qu’elle ne dégageait absolument aucune odeur, comportait aussi, tout au fond, à l’exact opposé de son seuil où je m’étais figée, quelque peu interdite, contre un de ses murs revêtu d’une couche de peinture pastel d’un rose-saumon pâle, un interminable comptoir pourvu d’étals protégés d’un vitrage oblique façon cafétéria, de même que, sur le côté gauche, entre deux longues séries de baies vitrées qui escortaient l’océan de tables, la masse métallique, étirée dans le sens de la hauteur mais trapue d’un distributeur de boissons chaudes, tel qu’il en existe partout.

Le plus étonnant était peut-être que ladite salle de réfectoire fût tout ce qu’il y avait de vide bien que je me fus montrée très ponctuelle.

Il était tout, sauf dans mes habitudes de faire attendre les gens. Que ce soit eux ou moi qui aient fixé le rencart, peu m’importait. Si je n’aimais guère attendre, je n’aimais pas non plus que les autres se morfondent dans l’attente de mon fait.

J’attendis encore quelques minute, hésitante, après quoi je m’avançai dans l’ample espace au dallage marron clair (qui faisait résonner mon pas d’une manière assez gênante), entre deux rangées de tables désertes et, faute de savoir quoi faire d’autre, je finis par tirer à moi l’une des confortables chaises de cuir fauve encadré de métal rutilant, et m’assis. La propreté que réverbérait la nappe blanche qui me faisait désormais face m’intimidait, de sorte que je n’osais pas y poser mes avant-bras, pas même la pointe de mes coudes, non, je me bornai (je ne savais trop pour quelles raisons) à me caler au creux du siège, que, par ailleurs, je me gardai bien d’approcher du linge tombant qui enrobait le large plateau de la table (un peu comme l’eut fait une jupe).

Le temps commença à défiler, dans un silence de cathédrale, que j’occupai comme je le pus : en m’accrochant aux fins tubes d’aluminium qui constituaient les accoudoirs, en regardant autour de moi à intervalles réguliers…en constatant, par exemple, à cette occasion, que le long présentoir du self-service qui trônait à l’autre extrémité de la gigantesque salle était rigoureusement vide…en plongeant, de plus en plus souvent, mes yeux au travers des grandes baies vitrées closes, où je n’apercevais en tout et pour tout qu’un champ d’asphalte baigné d’une clarté rosée, diaphane et indécise. Je commençai à trouver le temps long, et l’attente plus que fastidieuse. En fin de compte, une espèce de torpeur s’abattit sur moi, aussi épaisse et glissante qu’une coulée de lave molle et grasse ; je crois bien que je m’endormis, car tous mes muscles se relâchèrent. C’était le flou, le coaltar nébuleux, là, assise sur cette chaise. A l’instant où je sentis qu’une main se refermait sur l’une de mes épaules, je fus prise d’un brutal sursaut.

La main se retira ; la sensation de pression autour de la chair et de l’os de mon épaule cessa sans tarder.

A la façon d’un chien qui vient de traverser une rivière, j’ébrouai l’ensemble de mon corps. Sous mon crâne, les nuages, les pétales d’ouate sans consistance se dispersèrent avec mollesse.

Mon cœur cognait.

Comme je sentais, tout près de moi qui plus est, l’indice d’une présence, je tâchai de me redresser, et levai vivement la tête. Ce fut pour découvrir la découpe d’un homme svelte, de taille moyenne qui se tenait planté debout, très droit, et qui se signalait d’emblée par une posture notablement raide, ainsi que par le port d’un costume trois pièces plus noir que le plumage d’un corvidé. Pour le reste, une cravate du même noir, d’un modèle très effilé descendait en sinuant un peu sur le blanc immaculé de sa chemise tandis qu’un chapeau melon, noir également, recouvrait son chef, et qu’une paire de Ray-Ban opaques me dissimulait l’aspect de ses yeux, au milieu d’un visage long, figé, blanc mais à la carnation vaguement mate qui n’était pas sans rappeler le genre de face que, dans les films, on prête volontiers aux mafiosi ou aux agents du FBI.

- Bonjour, m’ame ! Vous allez rentrer chez vous, à l’Île Maurice. Vous êtes la gagnante du concours.

J’ouvris la bouche…et ne parvins ni à la refermer, ni à articuler un son.

Il poursuivit, de sa voix plate, monocorde, aux résonances légèrement métalliques et déplaisantes :

- Si vous voulez bien avoir l’obligeance de me suivre…vous embarquez tout de suite !

- T…Tt… Tout de suite ?...Mais je n’ai sur moi aucun bagage ! parvins-je à lui objecter.

Sa réponse fut sèche, pour ne pas dire tranchante : « aucune importance ! », et, sans attendre, il me saisit le coude de sa pogne gauche et me mit debout, fermement, quoique sans une once de brutalité.

Son bras droit encore libre se déploya en un geste ample qui indiquait vaguement la direction du lointain comptoir.

Complètement prise de cours et le coude toujours enserré par sa pogne impérieuse qui trahissait, sans nul doute, une notable force, je traversai à sa suite la vastitude de la salle déserte.

A la droite du comptoir sans vie, je découvris une double porte close d’apparence métallique, peinte d’une couche de gris plate, mate au plus haut point rébarbative, dont il poussa résolument l’un des battants. Ce dernier s’ouvrit sans opposer l’ombre d’une résistance pour nous introduire à l’intérieur de ce qui ressemblait à une sorte de tuyau géant, dont le large sol, moquetté tout du long de linoléum vert d’eau un peu décoloré, luisait et semblait s’étendre devant nous deux sur une distance incalculable.

Sans doute afin de m’empêcher de m’arrêter net sous l’effet d’un certain étonnement, l’homme raffermit encore l’emprise de sa préhension autour de mon coude fluet, dans le même temps qu’il me décochait « allons-y ! » dans un murmure à la fois sec et chaleureux (il fallait le faire !).

Nous suivîmes donc le curieux couloir qui, à droite comme à gauche, nous encadrait de deux parois fortement concaves apparemment faites d’un épais caoutchouc noir en accordéon pareil aux soufflets que l’on trouve, couramment, dans les bus parisiens ; au-dessus de nos têtes, assez haut, ces parois incurvées se rejoignaient pour former une voute au sommet de plastique transparent mais sale, au travers duquel on ne distinguait rien que de la crasse jaunâtre mélangée à des gouttes et traînées de crachin.

Nos pas – les seuls – résonnaient et crissaient bizarrement sur le lino.

Au bout d’un certain temps, réflexion faite, je me dis que je marchais dans le sas d’embarquement qui me menait à un avion. Ce que m’avait affirmé le bonhomme était donc bien réel !

Mon ahurissement reflua quelque peu ; je me détendis. Toutefois, le fait de n’avoir pas eu le temps de me préparer pour le voyage, d’être « cueillie à froid » de la sorte et entraînée si brusquement continuait de me chiffonner. La situation me faisait toujours l’effet d’être quelque peu surréaliste.

J’aurais pu interrompre ma marche tout net ; refuser d’avancer plus loin et, le pied résolument vissé au sol, me mettre à demander des comptes : est-ce que cela se faisait, ce genre de truc ? Le comportement autoritaire et peu loquace de l’homme qui m’embarquait ainsi était-il justifiable ?

Pourquoi une telle hâte ?

En vérité, j’avais peine à réaliser ce qui m’arrivait. Là devait résider l’explication de ma sidération et, partant, de ma passivité. Car, habituellement, j’étais d’une nature exigeante, curieuse, rien moins que docile. Pourtant, là, même si l’homme, peu à peu –je le sentais - relâchait sa prise corporelle, je laissai couler…

Je ne sais pas combien de temps dura notre traversée de ce sas. Il s’étirait, tantôt en ligne droite, tantôt sous la forme d’amples virages, de tracés plus ou moins onduleux. Dans un sens comme dans l’autre, nous ne croisâmes pas la moindre âme qui vive.

Je commençai à avoir mal aux jambes à force de marcher sans répit lorsqu’enfin, face à nous, se présenta une brusque interruption de l’interminable tunnel au profit d’une « caverne » à peu près aussi sombre et aussi béante qu’un four grand ouvert, et nettement moins large que le sas que nous venions de traverser. De part et d’autre de ce rectangle orienté dans le sens vertical, mon regard nota la présence d’une surface, elle aussi verticale, de métal blanchâtre et, plaquée contre ladite surface, à ma gauche, du battant d’une porte qui me fit (quoique très vaguement) penser à la porte d’un petit frigidaire tant, à première vue, elle me paraissait épaisse, solide. Cette porte était capitonnée d’un coussin de matière noire, caoutchouteuse, qui en accentuait l’épaisseur.

- Voilà. Nous sommes arrivés. Vous allez entrer là-dedans, et vous assoir sur le siège. C’est tout. Pour le reste, laissez-moi faire.

Et, sur ce, la main fichée au creux de mes reins sans brusquerie, il me poussa vers la béance de l’ouverture dont, malgré ma soudaine incertitude, j’enjambai le seuil. Dès que je posai le pied de l’autre côté, une lumière s’alluma d’elle-même et éclaira un habitacle guère plus grand qu’un mouchoir de poche et rigoureusement vide, aux murs présentant, me sembla-t-il, une légère concavité, tout encombrés de boutons lumineux, de cadrans dont certains émettaient des clignotements bleus, verts ou rouges, de manettes et de valves de dimensions des plus variées, et seulement troués, vers le fond, d’un minuscule hublot vitré en forme de disque derrière lequel (j’eus beau scruter), l’on n’apercevait que du noir. Au centre, très à l’étroit comme on se l’imagine, trônait un fauteuil passablement volumineux qui affichait, en gros, un air de fauteuil de dentiste ou de fauteuil de relaxation, et que l’homme, de suite, me désigna de la main en accompagnant son geste d’une inflexion de voix encourageante, à mi chemin entre exhortation et douceur : « asseyez-vous ! ».

Je me tournai vers lui, puis vers le siège solitaire, pour le moins perplexe : cet habitacle ne ressemblait en rien à l’intérieur d’un avion de ligne, il s’en fallait même de beaucoup.

- Vous êtes sûr que…

- Oui, j’en suis sûr.

- On ne dirait pas un avion…persistai-je tout de même, d’un débit de voix très rapide.

Il balaya ce « détail » d’un geste de la main en « coup de patte » qui fendit l’air.

- Ne vous arrêtez pas à ça. C’est un avion d’un nouveau type. Chaque passager, ici, dispose de sa petite cabine personnelle. Cela rend le voyage plus intime !

- Ah bon ? bêla ma voix, encore traversée par l’incertitude.

- Dépêchez-vous. Le départ va avoir lieu d’un instant à l’autre. Il n’y aura pas de deuxième avion, jugea-t-il bon de surenchérir, sans davantage élever la voix mais d’un ton qui, je le perçus bien, se retenait tout juste d’être pressant.

Je me sentais tout à coup comme installée sur une corde raide. Néanmoins, je tranchai, pour la bonne raison que je ne me connaissais que trop : au diable mon tempérament inquiet, méfiant, qui m’avait si fréquemment pourri la vie ! S’il faut se lancer, lançons-nous !

J’accouchai d’un hochement de tête éclair à l’endroit du type, après quoi, sans plus d’arguties ni de tergiversations, je pris place au creux, plutôt confortable, notai-je au passage, du fauteuil rembourré et revêtu de cuir luisant et sombre. Devant moi, très près, tout un mur de cadrans, de manettes et de boutons métalliques, qui étincelaient.

- Voilàà…Très bien ! approuva mon accompagnateur, sur un mode fort satisfait. Bon, à présent, je m’en vais boucler votre ceinture, sortir et refermer la porte.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il se pencha sur moi et, de part et d’autre de mon corps, déroula en un éclair deux languettes de tissu synthétique rugueux presque aussi épaisses que larges, qu’il eut non moins vite fait de réunir en encastrant l’un dans l’autre, au niveau de ma taille, deux gros morceaux de métal qui se trouvaient à leur extrémité et produisirent un « clac » sonore. Ceci effectué, il leva, sans perdre de temps, son bras droit, et fit cette fois descendre du haut du dossier du siège une troisième ceinture, laquelle eut tôt fait de s’arrimer aux deux premières, dans le même claquement sec, pour venir me sangler à l’oblique, serrée en travers de mon poitrail. J’étais étroitement harnachée.

L’homme se redressa alors avec brusquerie, d’un seul coup de rein et, pour la toute première fois depuis que nous étions en compagnie l’un de l’autre, me sourit.

- Il ne me reste plus à présent qu’à vous souhaiter un très bon voyage. Au revoir, ma petite dame !

Il me tendit la main. Quasi machinalement et sans prononcer un seul mot, je la serrai. Sans perdre une minute, il se retourna pour franchir le seuil en sens inverse.

Tandis que j’essayais – un peu péniblement, dois-je préciser – de déglutir, je le vis pousser avec force et lenteur l’épaisseur du vantail qui, en se fermant, ne laissa échapper aucun bruit. Concentré sur sa tâche, son regard ne m’accordait plus d’attention. Lorsque la porte de l’habitacle se referma enfin en silence, j’eus une drôle de sensation, que je ne parvins pas à combattre. Un serrement de l’estomac, accompagné de sueurs froides. Je n’avais jamais été particulièrement claustrophobe, cependant. Mais allez savoir…pour moi, la situation était tellement inédite !

J’abaissai les paupières, dans le but de faire abstraction du « paysage ». Dans le même temps, je tâchai de respirer, ce qui s’appelle « un bon coup ». Plusieurs inspirations profondes, suivies de plusieurs expirations. Cela eut pour effet de me détendre.

Quelques minutes plus tard seulement, un sourd grondement retentit. D’abord, il était si lointain que mon ouïe le percevait à peine et que je crus, pour ainsi dire légitimement, à une illusion auditive – peut-être due au stress. Mais, par la suite, de minute en minute, la tonalité s’éleva, un peu comme un bruit de tonnerre qui se rapproche, qui gagne peu à peu en puissance et en faculté d’impressionner. Pendant de longues secondes, j’écoutai, les nerfs à nouveau très tendus et à chaque instant plus perplexe. Le rugissement semblait provenir de sous le sol de mon habitacle. Il devint bientôt si puissant et à ce point envahissant que toute perception auditive autre se perdit dans la sienne. Un réel tsunami sonore !

On ne m’avait donné aucun protège-oreilles pour m’en défendre. Qu’est-ce que c’était que cette histoire ?...

Au bout d’un certain moment, il parut tout de même se stabiliser.

Mais n’allez pas pour autant vous imaginer qu’il diminua. Il continua de ronfler, de m’assourdir, et s’enrichit là-dessus de ce que j’identifiai comme une manière de vibration.

Au début, je n’en fus pas très sûre…mais je dus me rendre à l’évidence : le sol s’était bel et bien mis à trembler. Assez rapidement, l’habitacle, dans son entier, gronda, tangua, vrombit. Ainsi que l’avait fait avant lui – quoique plus progressivement – le grondement, le tangage finit par se muer en un secouement de nature très brutale. Ruisselante de sueur, clouée au dos de mon fauteuil, doigts agrippés aux accoudoirs comme s’ils avaient été des serres, je fus saisie par la nausée.

Ce fut au moment où l’impression que j’étais sur le point de vomir me submergeait toute entière que quelque chose, un objet se détacha du plafond du minuscule espace. Avant même que j’aie pu comprendre ce dont il s’agissait, ladite chose se plaqua simultanément sur mon nez et sur l’orifice de ma bouche, pareille à une ventouse dont le pourtour s’enfonçait dans ma chair. Je louchai, afin de déterminer sa nature exacte, et, à peine eus-je le temps de voir en elle un masque de plexiglas transparent d’aspect identique à celui que portent les pilotes d’avions de chasse que je perdis brutalement la vue, aspirée par un grand trou noir.

Le néant. Qui venait à moi.

A une vitesse supersonique.

 

 

***

 

 

Au réveil, ma toute première sensation fut une double sensation de flottement et de mollesse corporelle. Un film de brume obscurcissait mes yeux, qui étaient pourtant ouverts.

Cela m’affola. Je m’aperçus vite, là-dessus, que le flottement, la légèreté pour ainsi dire plumeuse qui habitaient mon corps s’assortissaient d’une impression de lente rotation dans l’habitacle. Je clignai des yeux, aussi frénétiquement que je le pus et, au bout du compte, le voile qui les embuait se dissipa : c’est alors qu’à ma grande stupéfaction, je vis se détacher de la surface de chacun de mes globes oculaires ainsi que de la bordure de mes cils des chapelets de minuscules gouttelettes aussi sphériques que des billes, qui restèrent en suspension dans l’air. C’était beau, étonnant, mais je me demandais si je ne rêvais pas. « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? », me souffla mon cerveau, qui n’avait encore fait aucun lien.

Cependant, ma vision désormais dégagée ne tarda pas à me renseigner : à peu de distance au-dessous de moi, j’eus une soudaine vue plongeante sur le fauteuil qui, d’un seul coup, m’aida à me remémorer mes tout derniers souvenirs. Le même fauteuil où j’étais sanglée… l’énorme grondement… les vibrations qui me secouaient, avec de plus en plus de rudesse…Et puis, cet espèce de masque qui avait dégringolé d’en haut pour venir se plaquer tout contre ma figure à la manière d’une sangsue, après quoi la conscience m’avait été complètement arrachée.

Et à présent, je flottais en l’air.

En face de moi, je vis un hublot. Circulaire. De dimension restreinte.

Instinctivement, j’empoignai une manette toute proche qui saillait de la paroi, dans le but de m’en rapprocher. Revenue en position plus ou moins verticale, je fus assaillie par une sensation de vertige complètement inattendue, sur quoi ma face alla se cogner contre sa surface vitrée. L’étourdissement une fois passé, je constatai qu’un long et mince ruban de teinte écarlate s’était déroulé devant mon visage et qu’il flottait, lui aussi ; il me fit penser à un très fin tentacule de méduse et je sus, d’instinct, qu’il avait été expulsé par l’une de mes narines, sous le léger choc. Le regard longtemps monopolisé par cette petite « rivière » de sang liquide et en suspens qui s’était échappée de moi et, à présent, dessinait d’étranges volutes, je perdis le hublot de vue. Bien qu’abasourdie, je compris que, tout bêtement, je saignais du nez !

Mais comment cela se faisait-il ?

D’une main, je pinçai mes deux narines, et le flux s’arrêta sur le champ. Je regardais le filiforme ruban, maintenant séparé de mon corps, autonome, évoluer tout seul lentement, paresseusement eut-on pu dire, entre ma personne et le hublot contre lequel j’avais plaqué mon autre main. Après quoi, une chose en entraînant une autre, c’est ladite main que je fixai. Entre mes doigts écartés, je découvris une immensité de ciel d’un noir d’encre où étincelaient, plus ou moins faiblement, des points d’un blanc qui me parut glacial.

Partout. Il y en avait partout. J’étais seule, enfermée là-dedans. Et dehors, c’était le cosmos. Mon état de flottement corporel s’expliquait, j’en pris une subite conscience, par l’état d’apesanteur.

Je ne saurais décrire les émotions qui, dès lors, fondirent sur moi. Que m’arrivait-il ? Et pourquoi ? Qu’est-ce que tout cela voulait dire ?...

De toute évidence, je me trouvais coincée dans l’espace confiné, hyper exigu d’une capsule spatiale, et seul le vide cosmique noir, bondé de milliards de minuscules étoiles pareilles à autant de pâles lucioles, de peu sympathiques têtes d’épingle, m’environnait. Alors que l’on m’avait annoncé un départ pour l’Île Maurice !

Et je n’avais aucune idée de la manière de me sortir de cette situation.

En proie à la panique (on l’eut été à moins), je tournai prestement le dos au hublot anxiogène, dont je n’arrivais plus à supporter la vue vertigineuse, et entrepris d’inspecter l’habitacle désormais plus silencieux qu’une tombe, à la recherche d’un moyen de communiquer avec la Terre du genre « allo, Houston ? » et, ainsi, d’être renseignée sur le comment du pourquoi de cette peu ordinaire aventure. Toutes ces manettes, tous ces cadrans…c’était à donner le tournis ! D’autant que, comme vous pouvez vous en douter, je n’entendais rien à leur usage, ni à leur manipulation. A quoi pouvait ressembler un appareil radio dans un engin spatial ? A une sorte de grille d’interphone ? A un micro arrimé à quelque console, dont il fallait se saisir ainsi que c’était le cas, par exemple, dans les voitures de police ?

Tout autour de moi, en haut comme en bas, comme sur les côtés concaves, il n’y avait qu’une forêt hirsute de boutons, les uns transparents, clignotants, les autres simplement métalliques ou constitués de plastique moulé obscur. Il fallait que j’y regarde de plus près, mais mon cœur s’était emballé : il tambourinait à un rythme effarant qui emplissait mon ouïe, et l’on eut dit qu’il obstruait ma trachée artère.

Mon corps flottant avait l’impression de baigner dans l’atmosphère de l’Antarctique et, donc, de se transformer en glace, tandis que ma vue était en train de faire de nouveau des siennes : j’y revoyais flou !

Au prix d’un effort qui m’en coûta d’une manière pas croyable (puisqu’il me causa autant de douleur que si j’avalais une boulette de cactus), je réussis à déglutir, tout en me demandant si mes yeux n’allaient pas, d’un moment à l’autre, s’éjecter à l’extérieur de leurs orbites. Pour le coup, je frôlais le malaise.

« C’est l’émotion ! », me tançai-je « il faut que tu te reprennes…que tu cherches ! »

L’ampleur de mon affolement, de mon incrédulité était telle qu’elle m’empêchait de me concentrer, de rassembler mes esprits.

Je me mis pour la seconde fois à cligner frénétiquement des paupières, dans l’espoir de dissiper le floutage oculaire qui s’interposait entre moi et la vision nette des choses ; simultanément, sur le mode « méthode Coué », je me mis à me répéter sans relâche, avec un acharnement voisin de la rage et sans plus penser à rien d’autre : « allez ! Tout ça, c’est dans la tête. ».

Sans doute, à force, finis-je par convaincre la partie limbique de mon cerveau que c’était vrai car, plus rapidement que je ne l’aurais cru, mon acuité visuelle de rétablit, dans le même temps que mon gosier et ma respiration se dénouèrent, à tout le moins de façon partielle. Ce qui me permit d’explorer ma « coque de noix » spatiale avec toute la minutie requise. Boutons, leviers, cadrans, manettes en pagaille, je l’ai déjà dit, mais sans la moindre indication écrite ou bien gravée, que ce soit à côté ou autour des dites excroissances. Pas davantage de manuel, même dissimulé dans un coin. Pas davantage, non plus, de réservoir d’eau ni de denrées consommables. Pourtant, ce n’était pas faute de chercher, de farfouiller dans tous les recoins !

Seule, en fin de compte, se signala à moi la présence d’un petit écran, d’une taille à peine supérieure à celle d’un téléphone mobile standard, encastré dans la paroi et, de ce fait, difficilement repérable. Me penchant au-dessus de lui, j’y lus, sur fond noir, des séries de mots verts dotées d’une luminosité pulsatile, et constituées de caractères à peu de choses près lilliputiens, en sorte que je peinai atrocement, dans un premier temps, à les décoder ; lorsque j’y parvins enfin, je mis un temps fou à en assimiler le sens.

« Bravo ! Vous avez gagné un voyage aller sans retour vers le centre de la Voie lactée. ».

 

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