à Jean Orizet

Les mots ont une chair
tellement douloureuse
une chair où s’enchevêtre
la trace des blessures
que le sang jaillit
dans la bouche étonnée
de l’homme qui les prononce...
Les mots ont trop de souffrance
et la pulpe de nos lèvres
dans la transparence du murmure
froisse déjà
la beauté de leurs ailes...
Ils incarnent le feuillage
d’une étoile inconnue
qui masque le poignard
où repose le spasme
de l’ultime seconde
mais les mots anonymes
les mots multicolores
s’échappent de mes mains
comme la solitude
entre dans mes prières...
Je ne suis que le reflet
d’une soif qui s’enfonce
dans une terre aride
où l’avenir se retourne
sans remplir une coupe...
Alors dans l’imprudence
d’une métamorphose je cueille chaque mot
qui frôle ma feuille
avant qu’il ne se referme
où ne s’envole à jamais
comme un parfum
qui peu à peu s’estompe
dans une chambre close...

Mais je ne peux hélas
les accueillir tous
car j’ai perdu l’enfance
et la force du rêve...
Chaque mot oublié
est une déchéance
une fleur qui se fane
un monde qui s’éteint
un oeil prisonnier
d’une paupière sauvage...
De combien de mots
ai-je brisé les reins ?...
Le désir du poète
ressemble à une chute
au milieu du silence
où son chant minuscule
se volatilise
comme l’abîme d’un adieu
plus effrayant qu’une larme...
Les mots montent en moi
telle une sève ancestrale...
Tout ce monde en devenir
immense paysage
roule sous ma peau
mais je ne suis
qu’un être migrateur
une imperfection
habitée par la mort
je ne peux cependant
refuser la nourriture
de l’alphabet qui cherche
un accomplissement
dans une bouche d’encre...

J’accepte le glaive
des mots qui me blessent
pour ne pas mourir
et je marche dans le feu
où se tordent les paroles
et je cherche le corps
de l’oeuvre incandescente
pour ensevelir la douleur
et suivre la grande lumière
d’où surgira peut-être
au-delà de cette ombre
la splendeur éternelle
d’une farandole de mots
en habits de poèmes !...

Antibes, le 19 mai 2002

Victor VARJAC
Le dragon de poussière
Illustrations de René LACROIX
Mélis éditions