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Le lac gelé
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 Article publié le 4 novembre 2018.

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Ici, ici commence, devant tes yeux et ton sourire si heureusement accordés, la fin d’une errance amoureuse qui jamais ne trouva un écho favorable, pas même dans les lieux les plus reculés de ma mémoire sylvestre, errance prise en haine à mesure que, pas à pas, d’année en année, de femme en femme, de déception en espoir renaissant la vie devenait pour moi ce feu de paille qui ne réchauffe pas, pas même à même de détruire quoi que ce fût de grand ou de petit, de menu ou de gigantesque, hormis l’effort de vivre avec dans le cœur et le corps un amour tendre comme les jeunes pousses de blé mais vivace aussi comme le lierre le plus obstiné.

Horizon en forme de clairière aux dimensions nettement délimitées se dessine sous mes yeux, les vagues de la forêt aidant, fines échancrures de verdure insolente, bordures mouvantes, orée jaillissante et jeunes branches qui ploient sous la charge des neiges tombées mollement durant les nuits qui s’invitent dans ton sommeil, depuis que tu séjournes dans les montagnes du pays natal.

Telle l’image nette et mordorée, blonde et ciselée qui s’impose à ma marche dans les neiges fraîchement tombées.

La nuit a porté son souffle ailleurs sur terre. Répit de quelques heures dans notre Norvège natale.

Le lac a gelé cette nuit, mon amour.

Comme en prière, pins et sapins ploient sous le manteau de neige écrue. 

Neige yprend ses aises, se repose doucement sur les grandes virgules noires qui montent vers le ciel tout chargé encore de brumes en cette matinée qui vit l’éveil. 

Elfes dansent au matin dans la clairière une ronde sans fin. Entraînent arbres et arbustes dans le vertige de leur ronde joyeuse.

Y concourent tous et toutes et tout ce qui, dans l’enfance déjà, composa hardiment l’espace-temps d’une vie ascensionnelle.

Ainsi passes-tu par des vies oubliées, quelques peines, divers chagrins, des joies aiguës aussi, de menues tracasseries, cela va sans dire, mais celles-là, toujours tu t’y entends à les taquiner comme on taquine la Muse jusqu’à en faire ressortir le grand comique ailé sur le fond de grand art qu’est devenue, jour après jour, la vaste toile en expansion de ton désir de vivre à même les couleurs les plus crues de l’existence en mouvement perpétuel sous les pinceaux furieux de ta main rectrice.

J’en veux pour preuve ce sapin consacré par la foudre et qui survécut au feu du ciel.

Son tronc calciné atteste qu’un feu furieux s’en empara, sans parvenir toutefois à ravager les branches empesées de neige fraîchement tombée.

A notre image, ce sapin rescapé de la fureur d’éléments déchaînés.

L’or de tes yeux, le noir intense de tes cils, ta bouche entrouverte qui s’apprête à murmurer un Je t’aime renversant, le tout du tout qui compose ton visage grâcieux et radieux, et ta parole, clef de voûte de tout ton être parlant, tout cela qui bouge et remue, court et vole et s’affole en toi, et plus encore dans l’en-deçà abyssal de rêves nombreux qui, de longtemps, trouvèrent refuge dans le secret de ton cœur, tout cela atteste, si vivant, si rayonnant, d’une présence ardemment pressentie et que tu appelles amour.

Pur jaillissement d’âme, dans un corps ruisselant de désirs.

Nous sommes la foudre et le sapin, son tronc calciné et ses branches sauvées du désastre, et aussi bien cette clairière à la lumière douce qui décille les yeux, ouvre violemment sur un monde oublié en mal d’avenir. 

Le lac gelé n’a plus que ses roseaux secs le long de ses berges pour frissonner sous le vent d’hiver.

L’homme et la femme que nous devenons l’un pour l’autre marchent à sa surface, partis que nous sommes à la rencontre l’un de l’autre, avec ce même sourire aux lèvres.

Bientôt le Verbe et ses sésames ouvriront grandes les portes de la demeure perdue dans les neiges. Nous y trouverons refuge pour passer l’hiver.

Au printemps, ce ne seront bientôt que torrents et cascades bondissantes prises de vertige, mousses et lichens à foison, perce-neige dans le sous-bois et crocus dans les prés.

L’unique déploie son espace intime entre deux êtres qui s’aiment.

Ce qu’ils vivent et ressentent n’advient jamais qu’à eux d’eux, leur est infiniment propre jusqu’au mutisme parfois.

Pourtant, il faut parler encore et toujours, et rendre grâce jour et nuit aux dieux qui vivent à travers nous.

Entre-deux, entre-dieux, entre ciel et terre dans l’intervalle qui nous dure.

 

Jean-Michel Guyot

29 octobre 2018

 

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