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Hommage à ROSTROPOVITCH
Auditorium du musée du Louvre

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 Article publié le 31 mai 2007.

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Hommage à ROSTROPOVITCH

Auditorium du musée du Louvre
Samedi 2 et dimanche 3 juin

6 , 5 (TR), 3.50 (jeunes et solidarité), 2.50 (scolaires)
Métro : Palais-Royal - Musée du Louvre
Informations : 01 40 20 55 55 / Réservations : 01 40 20 55 00
Fnac : 0892 68 36 22 (0.34 € /min) ou fnac.com

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse... » Césaire...

Pablo Casals et Mstislav Rostropovitch servirent les grands avec le même instrument, ce violoncelle capable d’émouvoir et de charmer, sans doute le moins musical des instruments et le plus à même de plonger l’âme dans la musique et ses effets secondaires quelquefois salutaires. L’un composa entre autres pour augmenter un répertoire que l’autre, à cinquante ans de distance, réussit à peupler de la musique de Prokofiev et de Chostakovitch. Franco, Staline et quelques autres s’immiscèrent dans cette antichambre de la musique face à un monde dit « libre » qui ne ménagea pas ses appareils de reconnaissance publique et réussit d’ailleurs dans son entreprise de captation. Qui n’assista pas, au moins par intermittence et petits sujets télévisés, à ces combats contre les pères de nations blessées à la fois par l’Histoire et la Politique, au croisement de l’individu et de ce qui l’écrase : le peuple qui l’éduque et l’utilise. Musiciens officiels, l’un finit par se révolter et, comme le génial Machado, choisit l’exil et la protestation et parvint à y survivre, ce qui ne fut pas le cas du grand poète ; l’autre naquit dans un système assez efficace pour reconnaître son talent et même l’honorer, puis s’associa à la dissidence. Celui-ci, à la faveur des temps qui courent, effaça même le souvenir protestataire de Casals, lequel est tout entier revenu à la seule musique qui le porta d’un bout à l’autre de sa longue vie. On ne mesure pas assez l’écart qui sépare les deux hommes quand Casals refuse de charmer une reine d’Angleterre accusée de trop d’accointance avec la dictature franquiste, et la poussière de mur qui s’éleva autour d’un Rostropovitch « icônifié » par l’angle de prise de vue quand une autre dictature, autrement périlleuse, donna enfin les signes clairs de son achèvement. Ce fut sans doute un achèvement, on le vérifie hélas encore aujourd’hui, et non pas une page tournée. La Russie se reconstruit sans destruction, tout comme l’Espagne, par un goût des transitions colorées qui, du bleuet du Portugal à l’orange de l’Ukraine, pâles reconstitutions des grandes et vraies révolutions françaises, accompagnent cette globalisation des destins et des choses qui promet, par égalisation des consciences et étouffement des inconnues propitiatoires, une humanité pour tout le monde et pour chacun. Bien sûr, il y a la Tchétchénie, le Pays basque...

La maison de mon père
je la défendrai.
Contre les loups,
contre la sécheresse,
contre le lucre,
contre la justice,
je la défendrai,
la maison de mon père.

 

Je perdrai
mon bétail,
mes prairies,
mes pinèdes ;
je perdrai
mes intérêts,
les rentes,
les dividendes
mais je la défendrai la maison
de mon père.

 

On m’ôtera les armes
et je la défendrai avec mes mains
la maison de mon père.
On me coupera les mains
et je la défendrai avec mes bras
la maison de mon père.
On me laissera
sans bras,
sans poitrine
et je la défendrai avec mon âme
la maison de mon père.
Moi je mourrai,
mon âme se perdra,
ma famille se perdra,
mais la maison de mon père
demeurera debout.

Gabriel Aresti.

Quelle est la part de musique et de musicalité, ou de toute autre ambition artistique, dans ce détail de l’Histoire que les révoltés et les dissidents alimentent de leurs prouesses et quelquefois de leur misère ? En quoi consiste cette trahison où l’on assiste au spectacle d’une main princière finalement mordue jusqu’au sang par des dents, trop longues pour ne pas réussir officiellement, qui durent servir aussi à se nourrir pompeusement ? Qu’est-ce que trahir ?

Faut-il attendre la reconnaissance pour enfin exprimer sa révolte ? Car Franco fut la conclusion tragique d’une Espagne qui filait le mauvais coton de l’avarice et de l’envie, et la Russie de Staline n’était rien d’autre qu’une Russie subtilisée à l’aristocratie des Romanov, despotes ignominieux, et d’une Église réputée pour sa voracité et son goût du luxe.

Question à laquelle il n’est pas difficile de répondre en constatant que, du côté de l’Occident libéral, nous n’avons pas de héros magiciens. L’Espagne, petite et confinée, incapable de forcer le cours de l’Histoire dans l’état où elle est depuis le déchirement du traité d’Utrecht qui la réunit définitivement sans espoir de séparation, fut considérée de cet œil connaisseur par les États que Pablo Casals accusa clairement de laxisme envers le Caudillo. Mais Pablo Casals fut un petit contestataire sans grande envergure. Il ne se distingua jamais du commun des Espagnols contraints à une lutte dangereuse au cœur de leur propre substance mirifique. Il en fut autrement de Rostropovitch dont le pays natal, auquel il retourna pour encore servir les grands de retour aux manettes, eut l’incroyable privilège historique de menacer le monde de sa puissance de feu. On comprend qu’à la mort de Franco il n’y eut que de petites fêtes assez sympathiques avec, encore et toujours, des médailles cette fois destinées à attirer l’attention sur la tragédie de la nation catalane. On n’en parle plus beaucoup : Casals est au panthéon avec quelques autres qui eurent plutôt la gorge écrasée par les instruments de la mort judiciaire. Côté Rostropovitch, on se réjouit de son retour au pays natal ; on s’étonne que la victoire sur la dictature communiste n’est pas celle de la démocratie, mais, encore et toujours, d’une Histoire finalement vaincue par des nations fédérées et une religion archaïque qui fait fureur en attendant d’aller plus loin dans le sens de la même aliénation.

Faut-il en conclure que nos deux héros de la liberté et des démocratisations furent des jouets de l’illusion politique ? Ils marquèrent leur temps par leur talent, eurent des éclairs de génie, se rendirent utiles en créant des écoles, des festivals, une tradition aussi de la fidélité à l’esprit critique, mais sans doute dans un cadre qui aujourd’hui nous paraîtra trop étroit pour être absolument sincère.

On voit pourquoi et comment, de nations phares qu’elles furent pour l’esprit et ses lois, la France et les USA, par exemple, continuent leur trajectoire dans l’économie et l’efficacité des moyens de production et surtout d’innovation. Nous eûmes nos héros magiciens, de Voltaire à Thoreau, du Dictionnaire philosophique de poche, qui fut brûlé aux pieds ligotés de La barre accusé et condamné par la religion au service de l’État, à la désobéissance civile qui fait toujours couler de l’encre et qui, à l’instar de l’art, sert encore à quelque chose. Cependant, nos héros tragiques furent plutôt des anonymes ou des personnages de romans. L’imaginaire accompagna toujours nos revendications et nos luttes. Nous allâmes même jusqu’à nous venger dans la peau du comte de Montecristo, nullité littéraire élevée au pinacle pour faire le spectacle et déployer un facile drapeau et ses corollaires logotypés. Nous vivons aujourd’hui à l’écart du monde et pourtant nous en sommes la cheville ouvrière. Quel est notre avenir ?

Casals et Rostropovitch, réunis à l’occasion du violoncelle et de la musique occidentale, eurent à interroger leur conscience dans un autre sens que le progrès scientifique. L’Espagne est définitivement un petit pays gorgé d’art et d’artistes et la Russie n’est plus qu’un trouble-fête à deux têtes dans un monde qui ne l’aime pas. Nos deux héros magiciens devaient être clairement préoccupés par ces destins impossibles à replacer dans le fil d’une Histoire définitivement captée par les nations qui maîtrisent l’économie. Nous avons surmonté les crimes de l’aristocratie et des Yankees, et inversement. Ailleurs, les cicatrices ne se sont pas refermées. Du coup, la poussière du mur de Berlin, outrageusement symbolique, est encore une source d’étouffement, peut-être est-ce un moyen. Et puis nos héros ne retournent-ils pas finalement dans leur pays natal ? Avec la profondeur d’un Césaire qui inventa le retour ? Je ne crois pas.

Ce tournoiement de la pensée que j’essaie d’imiter n’est pas une excuse destinée à camoufler les détails tangents des biographies respectives de nos deux héros. Bien au-dessus de nos personnages les mieux conçus et les plus représentatifs de nos rêves et de nos consciences, ils donnent en héritage la possibilité d’être quelqu’un tout en étant quelque chose. Ce que ne réussit jamais le personnage, et par conséquent l’imagination romanesque. Le combat est faussé par la gloire, par les conventions, le conformisme de la pensée, les soumissions, les reconnaissances, les gesticulations scéniques qui marquèrent leur temps, rite incroyablement constant du recueillement auquel ils prêtèrent leur corps et leur regard. S’intéressèrent-ils un seul instant aux musiques du monde ? Là encore, je ne le crois pas : ils servaient et se servaient. En étrangers pour nous, mais aussi en amis d’un ailleurs qui ne nous est pas aussi étranger que l’autre côté du monde, celui où les Grands ne servent à rien parce qu’il ne rencontrent aucune résistance à leur despotisme sur des terres où le minerai et la main d’oeuvre ne peuvent pas manquer à notre propre soif.

Par conséquent, au-delà des jugements qu’on peut porter sur les justifications, les raisons, les réponses mêmes que nos deux héros apportèrent à la fois à leur existence et à leur époque, demeure notre responsabilité de baladins du monde occidental, notre poids dans la balance des justices, des écologies, des égalités, des répartitions, des équations que nous tentons de résoudre par l’habileté ou par l’absurde. En ce sens, le concert organisé au Louvre en hommage ou en mémoire de Rostropovitch est un signe d’intelligence plus que d’à-propos. Si nous nous y rendons, ces samedi et dimanche, ce sera pour réfléchir, à l’oreille et au pif, sur ce que nous sommes et surtout sur ce que nous ne serons jamais pour les uns ni pour les autres. Jugez-en :

Trois séances d’archives filmées
réalisées sur plus de quarante ans de la carrière du grand violoncelliste disparu le 27 avril dernier.

Des concerts, des récitals et un opéra filmé pour évoquer un interprète dont l’engagement musical est particulièrement éloquent à l’image.

Une dizaine de documents permettent de retrouver le grand violoncelliste auprès de quelques-uns de ses partenaires musicaux : son épouse, la cantatrice Galina Vichnieskara, les chefs d’orchestre Leonard Bernstein et Carlo Maria Giulini ainsi que deux autres géniaux interprètes solistes : David Oïstrakh et Sviatoslav Richter.

La relation particulière qu’entretient Rostropovitch avec la musique de son époque est illustrée par le concert pour violoncelle de Chostakovitch.

Cette programmation réunit quelques documents rares comme cette première suite pour violoncelle de Bach filmée en 1963 et retrouvée dans les archives de la télévision privée anglaise Granada, ainsi que les extraits d’Eugène Oneguine, une des productions que le Bolchoï interpréta lors de sa tournée à l’Opéra national de Paris durant l’hiver 1970 et qui fit découvrir au public parisien Rostropovitch en tant que chef d’orchestre.

Samedi 2 juin à 14 h 30

Bach - Suite pour violoncelle n°1 (1963) - On sait que Mstislav Rostropovitch a beaucoup attendu pour graver cette somme du répertoire de violoncelle que sont les six Suites de Bach. Mais un film anglais, archive rare, réalisé en 1963, montre le violoncelliste dans une interprétation en studio de la première Suite.

Dvorak Concerto pour violoncelle et orchestre (1979) - London Symphony Orchestra - Direction : Carlo Maria Giulini.

Une profonde amitié liait M. Rostropovitch et Leonard Bernstein qui accueillit son ami Slava à bras ouverts alors qu’il était à Paris, chef invité de l’Orchestre National de France.

Ernest Bloch Schelomo, Rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre (1975) - Mstislav Rostropovitch, violoncelle - Orchestre National de France - Direction : Leonard Bernstein .

Un grand classique du répertoire pour violoncelle, le concerto de Dvorak que Rostropovitch donna au Henry Wood Hall au cours de l’année 1979 avec le London Symphony Orchestra dirigé par Carlo Maria Giulini.

Samedi 2 juin à 17 h

Beethoven Sonate en ut majeur pour violoncelle et piano (1964) - Mstislav Rostropovitch, violoncelle - et Svjatoslav Richter, piano - Rostropovitch et Richter enregistrent à Moscou en 1961 l’intégrale des Sonates pour violoncelle et piano de Beethoven qu’ils redonnent au cours d’une série de concerts au Festival d’Edimbourg en 1964.

Beethoven Trio n°7 en si bémol majeur A l’archiduc (1971) - Wilhem Kempf, piano, Yehudi Menuhin, violon et Mstilav Rostropovitch, violoncelle - Un extrait du trio de l’archiduc joué à la salle Pleyel à l’occasion du « Concert du siècle » organisé par l’Unesco.

Johannes Brahms Double concerto pour violon, violoncelle et orchestre (1965) - David Oïstrakh, violon et Mstislav Rostropovitch, violoncelle - Orchestre philharmonique de Moscou - Direction : Kirill Kondrachin.

Un document témoignant de la collaboration entre Rostropovitch et un autre éminent représentant de l’élite musicale soviétique, David Oïstrakh, dont l’impassibilité légendaire contraste avec l’expansivité du violoncelliste.

Dimitri Chostakovitch Concerto n°1 pour violoncelle et orchestre (1961) - Mstislav Rostropovitch, violoncelle - London Symphony Orchestra - Direction : Charles Groves - « Dimitri Chostakovitch fut vraiment mon ange gardien. Mon amitié personnelle avec lui et notre compréhension réciproque est la plus belle page de ma vie ».

Dimanche 3 juin à 16 h

« Slava et Galina » - Modest Moussorgski Chants et Danses de la mort (1970) - Galina Vichnieskaïa, soprano et Mstislav Rostropovitch, piano - Mstislav Rostropovitch (excellent) pianiste qui accompagne sur un plateau de la télévision française Galina Vichnieskaia.

Tchaikovski Eugène Onéguine - Extraits -Orchestre de choeurs du Théâtre du Bolchoï - Direction : Mstislav Rostropovitch - Avec Iouri Mazourok (Eugène Onéguine) Galina Vichnieskaia ( Tatiana) Wladimir Atlantov (Lenski)... Réalisation : Roger Benamou, production : Ina,1970, 54 min. Cette captation du chef-d’œuvre de Tchaïkovski dans la mise en scène de Boris Prokrovski fut réalisée à l’occasion de la fameuse tournée du Théâtre du Bolchoï à l’Opéra de Paris en 1970.

Il me suffirait d’une gorgée de ton lait jiculi pour qu’en toi je découvre toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée d’un soleil que n’entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel, ma terre.

Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j’arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai ».

Et je lui dirais encore :

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse... »

Césaire...

 Patrick CINTAS.

 

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