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I - Aucun idéal humain ou conscience divine...
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 Article publié le 11 juin 2007.

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I

 

Aucun idéal humain ou conscience divine ne peut les sauver en dehors de la poésie, et peut-être la poésie y échoue-t-elle, mais elle justifie la vie et demande aux hommes de faire face à la vie, rendant la vie invincible. Ainsi l’homme qui a jamais tiré une bouffée de fumée. « Ippolit » de Dostoïevski, allume une première cigarette plus bruyante en lui que l’explosion de la bombe lorsqu’il apprend lexistence de l’atome. Quelle est extrêmement ridicule cette faculté de nuire dune cigarette rapportée au pouvoir destructeur de la bombe atomique !

Cette crainte de la poésie nest pas sans racines. Cette crainte, c’est les corpuscules blancs du sang à côté des rouges, cest la « Géraldine » dune pâle nuit de lune, la peur de la catin de Baudelaire, la femme de Milton, la conscience historique de Jivanananda, cette crainte est le premier gagne-pain des principaux asiles, elle a une relation manquée avec le foetus de la civilisation moderne. Et cest la peur qui a prouvé en dernier ressort que la poésie est même plus importante que la civilisation.

Ce que Wordsworth n’a pu comprendre et qu’a compris Baudelaire a été saisi par Jivanananda Das qui fut lauteur de loeuvre « Jivan » (Vie) et Jean-Paul Sartre ainsi que d’autres philosophes existentialistes, ce que je veux expliquer : « La nature est perçue par mon corps comme une paralysie », cest-à-dire qu’il existe une relation oblique entre la poésie moderne et le caractère redoutable de la nature. Qu’est-ce qui est acceptable dans la civilisation et comment laccepter, quest-ce qui est à rejeter et comment le rejeter, cela est probablement encore obscur au simple civilisé plongé dans sa civilisation. Et alors, hélas ! nous rencontrons ces deux êtres, lun empêtré dans une masse de chair et de graisse et l’autre né avec la peine dans les os, sur le même chemin.

« Qui a mal aux os comme moi

n’a qu’à penser à moi,

il ne me rejoindra pas en esprit par la route des espaces car à quoi bon rejoindre un être en esprit

et ne pas le rejoindre en corps ? »

 

Antonin Artaud

(Dossier de « Pour en finir avec le jugement de Dieu »)

Ou alors des grèves sont proclamées et des balles tirées pour la préservation de l’intérêt d’une fraction plutôt que de celui de l’idéologie, tandis que les cloches du couvre-feu de la mort se font entendre en même temps que des cérémonies de mariage ont lieu.

Aussi loin que l’on puisse se remémorer, alors qu’il n’y avait aucun calendrier dans le monde, quun absolu pessimisme, lindiscipline et des défaites répétées et qui sans raison imposaient jadis leur règne souverain, les hommes sunissant, commencèrent un jour leur première « construction » contre les ténèbres et le désert. Lorsqu’on découvrit que les divinités de la nature navaient rien dautre à offrir qu’un spleen belliqueux, lorsque fut prouvé par laspect pratique des profits et des pertes qu’il était en fait plus avantageux d’être fidèles à notre pouvoir - à partir de là l’homme moderne était né -, nous nous échappâmes en toute hâte du style de vie sylvaine autant qu’il nous fut possible en lespace d’une vie et commençâmes à dresser les piliers de la civilisation, de sorte quaujourdhui le monde civilisé est presque prêt à se déclarer indépendant. L’intelligentsia professionnelle et la bourgeoisie tiennent tellement à l’immortalité de cette civilisation qu’ils acceptent à contrecœur toute autre force en dehors d’elle, en dehors du laboratoire et au-delà des pages d’histoire.

On ne peut nier cependant que même dans les villages les plus isolés dIrlande ou du Bangla Desh aucune universalité nest observable : la simplicité et tous les autres mystères de la vie ont été absolument altérés et les mains avides des exploitants ont rendu rebelles même les sentiments fondamentaux de l’âme humaine. Des voix grinçantes se sont introduites ici pour transformer en cacophonies les mélodies de la vie. Après la Grande guerre, la civilisation moderne, tel Méphistophélès, a détaché l’espèce humaine de l’embryon créateur.

Mais dans quelle mesure cette révolte contre nature, ce « barrage », selon le mot de Subo Acharya, a-t-elle été couronnée de succès ? Quel est le degré de sécurité qui a été apporté par des centaines de milliers de Constitutions ? Est-ce que l’homme moderne est simplement moderne ou simultanément primitif et moderne ?

L’homme moderne accepte difficilement ceux-là (Rishis[7], saints) qui sétaient complètement abandonnés, suppliants, aux divinités et à la nature. Leur honnêteté est mise en doute - alors qu’il n’y a aucune volonté, aucun désir de suivre leurs conseils et leurs évangiles -, parce qu’ils n’ont pas tenu en juste considération laspect de la psychologie humaine. Ils ont été complètement oubliés, si l’on excepte quelques tribus et cultes primitifs.

Ceux qui n’ont jamais reconnu aucun mystère de la vie humaine au-delà du règne de la science matérialiste, qui n’ont jamais oublié une seule fois la distinction entre l’argent et la terre dans toute leur vie n’ont jamais consenti un seul instant à la liberté humaine de sortir des statuts et règlements, de l’ethos moral et des transactions commerciales qu’ils ont établis, ceux-là seuls doivent être tenus responsables de la principale maladie sociale, l’unanimité politique, la nourriture, le mariage, etc., n’indiquent pas un bon état absolu de lhumanité. Nous soutenons évidemment ceux qui luttent pour ces causes, parce que celles-ci ont été les premiers facteurs qui ont amené à la construction de la civilisation : ce sont les droits fondamentaux de l’homme à sa naissance.

Mais aucun savant, aucun parti politique nont jamais été capables de remplir la seconde condition de la création de la civilisation, à savoir la garantie de limmortalité humaine, la garantie d’être, au moins une fois, oublieux du caractère éphémère de la vie humaine, contre une nature inexpugnable de millions d’années. Ainsi, en dépit de la présence de toutes les composantes, nos poignets se fatiguent un jour, toutes distinctions entre la sociabilité et l’insociabilité étant dissipées en un instant. Pourquoi donc Rabindranath compose-t-il des chants divins en observant l’océan sans fond du firmament ? Ou pourquoi alors telle dame pousse‑t-elle du pied des pots de fleurs en bas du balcon ? Est-ce qu’elle a des cases vides dans sa tête ?

L’« Hyperion » de Keats a compris que la chute de la génération des protagonistes avait commencé immédiatement après la naissance d’Apollon, peut-être pas simplement en raison de létablissement et de la protection trouvée, mais parce que, par quelque panique inconnue, lhomme aime ses enfants de toute sa tendresse, et ceci nest pas un jeu d’illusion.

La crainte que l’homme a de la poésie, même après que l’on sache son infaillibilité, est en réalité la crainte à entrer dans une nouvelle vie, en laissant un style de vie futile au plus haut degré et extrêmement périmé. Lhomme avide et comateux craint la poésie toute sa vie durant jusquà la révélation de son propre moi, tout comme un assassin (Raskolnikov, Dimitri Karamazhov) craint la vie avant la purification. La purification de l’assassin et la révélation à l’homme de sa propre identité sont atteintes dans la même flamme blanche d’une torture et d’un repentir longuement subis - et, plus généralement dans le monde moderne, de la dépression, de l’incompétence, de l’inadaptation, de l’obsession sexuelle, de la pauvreté -, qui purifient notre esprit sous la forme de souffrances et de cauchemars.

La poésie est l’ultime abri de ces indigents qui, bien qu’en fait ils aient tout, n’ont rien en propre. La poésie est le seul moyen pour oblitérer toutes les questions et dialectiques de l’homme primitif comme de l’homme moderne, de même que tous les conflits entre la conscience et linconscience des gens instruits et des ignorants. Mais la poésie est la « synthèse ultime », la poésie est le « Nirvana » et le but final « Purusartha[8]« de l’homme. C’est la poésie qui est le plus intime de l’homme, parce que l’homme lui-même en est le créateur. La poésie est l’ultime religion de lhomme.


[7] Rishis : dans l’Hindouisme, titre que l’on donne à quelques prêtres, poètes et sages divinisés, cor leur furent révélés les hymnes sacrés qui devaient constituer les Védas. Ils furent ainsi les premiers à obtenir le pouvoir d’accomplir des sacrifices qui satisfassent les dieux. Les traditions varient quant au nombre des Rishis : en général entre 7 et 11.

[8] Purusartha : le but final de l’homme.

 

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