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Haïbun autour de mon recueil "A l'oreille du rêveur"
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 Article publié le 14 juin 2007.

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Haïbun autour de mon recueil "A l’oreille du rêveur"
Paul de MARICOURT

Première partie : le Désert Blanc : On ne m’en avait rien dit : ces Cairotes, qui ne reculent devant aucune pirouette sur les échangeurs, redoutent le brouillard. Minibus à l’arrêt une bonne heure, en bordure de cette voie rapide du désert, je me mets en mode passif, prêt à tout recevoir : la part de rêve comme la part de cambouis.

Il y a de ronds cailloux gras sur le bas côté et une persistante odeur de mazout. Ma foi, s’il faut se faire une idée neuve de l’Égypte, de l’Orient ou du monde entier, acceptons de le faire sans oeillères et sans pince à linge sur le nez. Je suis heureux d’être ailleurs, ne serait-ce que le temps d’une randonnée. J’ai en poche un petit carnet fringant, je viens de découvrir le haïku, les miens sont encore gluants de lyrisme...

Haïku ! Le seul genre littéraire que l’on puisse pratiquer en marchant, sans même ralentir le pas. Ou si peu... Je connais déjà la puissance captatrice des sables. J’ai des envies d’imprégnation, de siestes écrasantes, de silences prolongés face à la beauté sauvage. Mode passif. Prêt à tout recevoir ?...

Désert de brume

Au sortir du Caire -

Mon portable vibre

SMS. Un genre encore plus court que le haïku. Réseau Nil vous souhaite la bienvenue... Quelle idée d’avoir pris ce mobile ! Ça « gâche tout » ! Un peu de lecture ciblée conviendrait mieux au désert Libyque. Citadelle, par exemple... Sans m’efforcer de ne voir que ce qui cadre avec mon imagerie, au moins pourrais-je tourner la tête, ne serait-ce que d’un cran, pour focaliser sur les hibiscus, pas sur le tas d’immondices ! Soit, mais... si les hibiscus ont poussé sur les immondices ?

* * *

Brouillard dissipé. Voie rapide, Désert Blanc, marche dans les sables. Le soir même, à la quatrième tasse de karkadet - infusion d’hibiscus plutôt acide -, un ami, qui en a consommé plus que de raison, s’en va vomir derrière une roche. Je tourne mon regard à l’opposé ; beauté immuable (?) de la nature, virginité du désert, habillé par cette lumière..

Coucher de soleil

A la cime du roc blanc

De l’or - et plus rien

Immersion profonde. Silence. Itinéraire certes conçu pour ne rien croiser qui puisse nous rappeler trop violemment le monde urbain... Qu’importe ! Mes yeux s’en retournent toujours à ces fabuleuses concrétions de craie. Un nouveau soir, un nouveau jour, déjà. La marche, encore. A nos pieds, mille cristaux noirs aux formes stupéfiantes. Puis les silex, éclats, pointes de flèches, haches de pierre... A la pause, un bédouin ponce les cors de ses pieds avec une petite meule du néolithique.

C’est qu’ici, tout semble se mêler dans un joyeux syncrétisme ! Cette étendue et ses champignons de craie ? Wadi el mushroom ! Et cette roche pour le moins évocatrice, n’est-ce pas le fameux El zob ?... Notre argot est plein d’arabe, leur arabe plein d’anglais, leur histoire pleine de nous, nos rêves pleins d’eux. Et ce guide jovial de marier les trois langues : Alors, Français, il n’y a pas le schrab ce soir ? Il n’y a pas aperrro ? Where is aperrro ? 

Une semaine dans les sables, mon carnet dans la main gauche, mon bic dans la droite, gorgé de tout, gorgé du tout, compagnon de route peu disert. Recevoir, tout recevoir : ce soir, les billes effarées du fennec venu lécher nos coquilles d’oeuf. Et demain ?...

***

On ne m’en avait rien dit, non. Ni du goût des fennecs pour les poubelles des randonneurs, ni de la ville cerclant Kheops, mais là, j’anticipe sur notre retour au Caire ; patientez un mois encore, j’ai d’autres souvenirs pour vous !

Ne vous l’ai-je dit ? Mon propos du jour est un haïbun, soit plus ou moins une prose rythmée par des haïkus. Les haïbuns sont souvent des récits de voyage, un des plus connus est de Bashô : la Sente étroite du bout du monde (1694)...

Une voie coupe en deux le Désert Blanc. Cette route du retour, de Farafra à Baharia (dernière étape avant le Caire), n’a certes rien d’une sente étroite... Je somnole à l’arrière du minibus. J’ai retrouvé une fois encore l’écho des sables, l’onde muette qui vous pénètre, qui fait que - même si cette planète menace de devenir un Disneyland - nous ne revenons jamais entiers du désert.

Je savais déjà, oui...

Mais on ne m’avait rien dit du pouvoir captateur des rues grasses :

Sous le cagnard

Ses bras ballants - et ses pieds :

Tchi... tchi... tchi...

   

Deuxième partie : le Caire

Je ne venais pas pour les Pyramides. Si l’avion avait pu se poser dans une oasis, j’aurais été ravi d’éviter deux demi-journées de route. Pour le Désert Blanc, je venais. Pour de longues marches dans les sables, et j’étais malgré moi l’homme pressé, qui refuse ces temps d’anéantissement sur les banquettes des tout-terrain ou des minibus.

Le Caire. Je n’en avais pas d’image préconçue, mais tout de même, ce Nil... Ce Nil semblant couler aux pieds de La Défense... En est-il ainsi du Gange ? Est-ce que tous les fleuves nourriciers de la planète ont pour berge une ligne de gratte-ciel ? 

Des tours de verre, il n’y en avait pas aux pieds du Nil, il y a cent ans, quand mon arrière grand père s’est avancé sur la rive, avec la ferme intention de se suicider. Fameux architecte en Égypte, il venait de perdre sa fortune aux jeux. Mais pour son salut glissait le cadavre d’une vache, si gonflé, si répugnant que mon bisaïeul a rebroussé chemin.

Grattes-ciel sur le Nil -

Ici flotte la dépouille

D’un rêve d’ailleurs

Je ne vois pas de vache, non. Mais longtemps, mes yeux restent en arrêt sur ce panneau Hitashi, au haut d’une des tours... Un jour, sûrement, dans les rues de Tokyo, je contemplerai la même pub en pensant au Caire.

***

Je ne venais pas pour les Pyramides, j’ai refusé la veille une sorte de show historique, avec lasers et commentaires d’André Malraux. Kheops ainsi mise en scène, voilà qui doit déchirer grave ! Entre dans ta dernière demeure, Pharaon !...

Ce matin, pourtant, avec deux compagnons de marche, je découvre le site de Gizeh, englué dans un troupeau de touristes. Le sphinx est époustouflant. Palpant les blocs de Kheops, nous croyons toucher l’éternité.

Mykerinos, la plus petite. Plonger dans ses entrailles, le dos courbé... Un boyau minuscule nous gobe et nous recrache, un peu sonnés. Monter sur Kefren ? Strictement interdit. A moins de croiser ces deux fameux archéologues et de leur verser le bakchich en vigueur.

Compte une livre par marche

Pour toucher le ciel

En haut de Kefren

Midi, déjà. Figurez-vous qu’il y a ce petit restaurant typique, offrant pour un tarif très raisonnable une vue imprenable sur Gizeh : le Pizza Hut.

***

Je ne venais pas pour les Pyramides ni pour le Caire, mais tout de même, cette ville, cet incroyable bouillonnement d’énergie... Humaine, solaire, tellurique, peut-être. Quelque chose qui vous traverse, que vous prenez sans doute en grippe à la longue, mais qui pour quelques heures vous capte et décuple vos sens.

On peut survivre au tourbillon des taxis bicolores hors d’âge, au frôlement continuel des scooters, on peut même croiser un bourricot tirant sa charrette à pneus. Se perdre dans Khan el Khalili en s’éloignant des ruelles autorisées, de leurs scarabées de pierre made in Taïwan, se perdre dans les venelles jusqu’à se retrouver dans d’étranges impasses, mi dehors mi dedans, plus ou moins couvertes et habitées, dont on vous chassera sans manières.

On peut rêver en marchant, les yeux dans le vague, entre détritus et flaques de cambouis. Toucher du doigt la pauvreté et bien vite se laver les mains. Il est deux heures du matin, je rentre à l’hôtel. La moquette est trempée, pourquoi ? Je n’en sais rien. Un compagnon de voyage ronfle dans le lit voisin. Demain l’avion. Je retire mes chaussures, mes pensées s’en retournent au désert...

Sable blanc -

Dans un sac à vomi

J’ai vidé mes pompes

Paul de Maricourt

A l’oreille du rêveur
Egypte, du Désert Blanc au Caire
Bucdom Edition Culturelle

Aquarelles de Ilsette R. MURACCIOLE

Décembre 2004. Passionné par le désert auquel il a consacré deux romans, Paul de MARICOURT randonne en Egypte, entre les vertigineuses concrétions de craie du Désert Blanc. De ses impressions, il tirera ce carnet de haïkus.

En écho, Ilsette R. MURACCIOLE, élève du peintre Gustave SINGIER dans les années 50, gardant de sa jeunesse égyptienne une chaleur toute orientale, livre ici une série d’aquarelles, marquée par la vivacité de son trait.

 

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