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Histoire de Jéhan Babelin 60 (poésies de LUCE - texte intégral)
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 Article publié le 17 mars 2019.

oOo

La poétesse bien française

Qui jamais ne contesta

Les origines de sa chair.

Ses poèmes sont connus

Sur les deux rives opposées

De notre rivière municipale.

On en cite les saillies

A tout bout de champ.

Quel esprit aux entournures

Du vers et de la rime !

Pas une journée

Sans cette humeur

Qui vagabonde en nous

Pour nourrir notre sommeil.

Nous nous sommes saoulés

Entre les verres de l’amitié.

Nous avons battu la campagne,

Hommes, femmes et enfants.

Les rues ne désemplissent pas

Au marché de cette poésie.

À genoux nous avons prié

Pour que Dieu se remette

A exister pour de vrai,

Même que le curé

A fini par avouer

Qu’il n’avait pas d’autres vocations.

Y a-t-il deux LUCE

En ce monde pourtant

Pas fait pour se rompre ?

 

Le chien grattait la terre

Pour se coucher dedans.

Son poil en frémissait.

Et moi de mon côté,

Qui n’étais qu’un enfant

Voué à la pédophilie,

Je cherchais dans les mots

Je ne savais pas quoi,

Doute ou admiration.

Et Jéhan cependant,

Qui n’en était plus un,

Riait de toutes ses dents.

Et ses jambes montraient

Qu’il était femme et LUCE.

Comment ne pas… la croire ?

 

« Pour preuve j’en veux

Ce manuscrit authentifié, »

Dit-elle en séparant ses seins.

Elle en sortit une ramette

A la couverture jaunie

Comme les amours de Tristan.

C’était son écriture !

L’écriture de LUCE !

La télé en témoignait.

Le doute n’était plus possible.

Quid de la conviction ?

 

La foule encore médusée

Malgré la promesse

De saisons futures

Se pressa contre le portail.

On entendait sa rumeur

Sans toutefois saisir

Le moindre de ses maux.

Jéhan monta sur la table,

Gambettes nues jusqu’à la taille.

Le clitoris se dressa

Comme sur le ventre de Priape.

Il allait parler ! LUCE !

 

***

le voyage commence avec moi

 

Conard le Barbant fait une rime

comme un pet après le repas de noces

 

j’emporte la soie de tes yeux

je n’oublie pas les mots

 

tiens

une autre rime

la poésie sent la merde

« même sans rime lulu même sans

ces conneries d’un temps de merde »

 

petite pluie avant de te quitter

la gare n’est pas loin

des putes dialoguent

un dernier regard de toi dans la vitrine

 

« et mes rimes merde mes rimes mes rimes mes rimes »

 

au buffet il lance une olive en l’air

 

« non je ne connais pas la poésie des pays lointain et toi »

 

les rimes s’embrassent mais pas nous

les rimes de ces vieux cons dépassés

par l’avenir de la poésie

 

Géladoze ne rimait pas mais ça rimait au fond

il est venu me saluer « tes pays lointains »

je ne veux plus chanter

les chansons ne riment à rien

les rimailleurs ne savent plus foutre le bordel

je me casse chéri je vais loin et en plus

je t’emmerde

 

*

une guitare électrique sans électricité

« Faut imaginer cocotte t’imagine pas assez »

 

alors j’imagine que je suis dans une gare

et qu’une locomotive crache sa fumée

le quai attend sous les gens

et les gens sont pressés d’en finir

un enfant passe sous les roues

« dire que t’as failli être écrasée par un train »

dit papa fumant la cigarette du dernier repas

avant de passer le dernier au guichet de la mort

 

une guitare électrique sans électricité

et ces doigts qui cherchent la trouvaille

voix chantonnant mes propres paroles

tu peux pas savoir à quel point j’en avais marre

 

« T’en connaîtras des gares avec des trains et sans train

moi c’que j’préfère c’est les sans train

avec un quai pour moi tout seul »

 

il répète le guitariste sans l’électricité

qu’on a oublié de brancher le mois dernier

répète ce que j’ai écrit avec des rimes

parce que la musique en est encore là

à se faire avoir par la rengaine

et nous on a fait ça pendant des années

et on ne s’est même pas aimé

 

*

je ne sais pas pourquoi le café

des buffets

est toujours le meilleur

 

pourquoi je le saurais

je te dis que je pars

et je pars

et pas seulement parce que j’en ai marre

 

« explique explique explique

parce qu’on comprend pas

on est plusieurs à pas comprendre

et toi t’es seule à pas expliquer

alors explique explique explique

des fois qu’on se mette enfin

à comprendre »

 

c’est fou ce café

des buffets

il me fait l’effet

d’être le meilleur

 

« comme si tu revenais déjà poulette

ou même que t’étais pas partie

et qu’on était pas là à attendre

nous aussi on en a marre

de voir le quai sans le regarder »

 

mon prochain café

y aura un Turc dedans

avec une bite en acier

et de bonnes intentions

 

*

« quand on sait pas où on va et qu’on y va

c’est qu’on est déjà revenu »

 

des fois tu dis pas que des conneries

mais c’est pas la bonne heure

pour le dire

 

un train vient d’emporter mille fantômes

mais dans l’autre direction

un train comme les autres

avec des roues et un petit sifflet

et des arbres qui savent tout des voyages

 

je ne reviendrais pas

mon idée du voyage c’est la mort

pas la découverte

 

« mais tu sais pas ou tu vas »

 

papa non plus savait pas

où il allait quand il y est allé

et il est jamais revenu

 

« ah si t’avais eu une maman »

 

ici les trains qui partent

entrent dans un tunnel

d’un côté comme de l’autre

« je sens que ça va pas te plaire »

 

après le tunnel je prends le bateau

— il faut que je connaisse l’eau

avant de t’écrire des cartes postales

 

*

Bing Love est un type qui a déjà voyagé

il a fait un enfant à chaque voyage

il y en a de toutes les couleurs

il y en a même dont il ne comprend pas la langue

 

il a écrit un bouquin sur les femmes du Voyage

ça en fait des pieds et des mains

« si elle danse pas je joue pas » dit-il

 

ah ce qu’il a aimé m’instruire le Bing Love

encore un peu et je me donnais en échange

mais comme je dis à celui que je quitte

quand je suis en apprentissage c’est moi qui joue

 

Bing Love était dans la bagnole pour m’accompagner

« pas plus loin que la gare mignonne et puis tout ça »

il a mis un pied à terre comme un marin

et on a admiré le cuir de sa bottine

 

il était sur le pont et il continuait de me saluer

« ah t’auras pas été son dernier voyage sœurette

il sera mort quand tu reviendras »

 

je ne reviendrais pas que je te dis marrant

je me fiche de quoi il va mourir

et pas un enfant pour le pleurer

un peu comme toi avec ta guitare

 

*

vas-y chante-moi que je vais déchanter

plus vite que je me suis mise à t’aimer

ah ya pas comme les voyages les amis

pour remettre à l’endroit ce qui n’avait

que l’envers pour se faire remarquer

 

tu étais de ceux-là ami à la guitare

je parle de toi comme si tu n’existais plus

il paraît qu’on creuse d’abord le trou

sans même savoir avec quoi on va le reboucher

 

« fais pas de l’esprit avec moi gamine

des trous j’en ai connu que tu peux pas savoir

si tu t’imagines que tu vas me manquer

tu imagines un trou où je mets rien dedans »

 

j’imagine ce trou comme si je l’avais fait

c’est peut-être par là que je suis passée

pour me mettre sur le chemin des voyages

 

*

Hardy Hard Dydy avait un doigt de trop

mais je ne sais plus dans quelle main

il s’en servait pour jouer aux dés

pour le reste il ne s’en servait pas

 

un jour le doigt s’est coincé dans un mandrin

tellement coincé que le mandrin l’a arraché

Hardy Hard Dydy en a été quitte pour pleurer

parce que l’assurance n’assurait pas les doigts en trop

 

« mais enfin merde un doigt c’est rien les mecs

y en aurait deux je dis pas je comprendrais très bien

mais un doigt qui me servait même pas à travailler

ça doit valoir le prix d’un voyage au bout du Monde »

 

« ils remboursent pas les doigts s’ils servent pas

à travailler dans leurs usines

je pars en vacances pars avec moi choupette

avec dix doigts je t’amènerai au bout du Monde »

 

Hardy Hard Dydy n’est plus là pour le dire

sinon tu penses je l’aurais mis dans mes bagages

un mec qui a souffert au travail pour de vrai

ça doit valoir plus cher que pas de mec du tout

 

*

« alors comme ça maintenant tu fais de la poésie

j’en ai fait moi aussi mais ça m’a passé

un jour il pleut et le lendemain il fait soleil

jamais de jours gris dans la vie à papa »

 

mais c’est quoi la poésie pour toi papa

la pluie ou le soleil parce que les jours gris

j’en ai plein que je ne sais plus quoi en faire

 

« je fais de la poésie parce que ça rapporte rien »

me disait un pauvre type qui mangeait dans ma main

en attendant de se faire manger par ses propres mains

« tu fais de la poésie parce que tu sais pas ce que c’est »

 

si tu savais ce que c’est tu ne demanderais pas

qu’on t’écoute parler juste pour comprendre un peu

que ce qui t’arrive n’arrive pas aux autres

aussi facilement que ça t’est arrivé

 

*

non mais c’est qui ces mecs qui se mettent en travers

de ta route pour t’obliger à écouter leurs songs

et encore sans la guitare ça ressemble plutôt

à des lamentations entendues à l’église

un jour qu’on y enterrait le meilleur de nous-mêmes

 

en voilà un qui se fait appeler Gélachoze

si on ne le croit pas « ya qu’à d’mander à voir »

en voilà un qui n’est pas jaloux de son prochain

mais il ne faut pas lui demander pourquoi

 

le type que je viens de jeter avec l’eau du bébé

avait une plaie qui cicatrisait avec le soleil

mais qui se remettait à saigner les jours de pluie

« les jours gris je travaille pas du cerveau »

 

chaque fois que je me regarde chanter leurs songs

un enfant me tombe entre les jambes

tout nu et tout joufflu et même que ça l’amuse

de me voir lui aussi dans le miroir de la réalité

 

*

voilà où on finit quand on n’a pas commencé

ah le conseil n’est pas tout cuit et même salé

j’avais à peine ouvert la porte du grenier

que le froid de l’hiver m’a fait un enfant

vous savez un de ces enfants mort-nés

qu’on trouve dans les poubelles des hôpitaux

 

je suis donc en droit de vous demander

si par hasard vous n’auriez pas un billet

pour l’enfer parce que c’est là que je vais

moi et mon môme on va se refaire une santé

de préférence dans un hôtel

parce que les hôpitaux on en a marre

 

le billet ou l’argent pour en acheter deux

vous pouvez venir avec nous si ça vous chante

on avait l’intention de faire un petit tour

du côté où les gens s’amusent en payant

ah ce qu’ils peuvent payer et pas pour les autres

 

vous remercierez bien les gens qui vous ont donné

la foi et la charité et aussi l’argent merci merci

mon enfant n’est pas encore doué pour la parole

mais vous pouvez me croire il est déjà poète

 

*

Tonton Tata avait ses deux sœurs à la maison

l’une était douée pour la cuisine

alors il dit à son amoureuse

« si tu sais pas faire la cuisine c’est pas grave

j’ai une sœur qui s’y connaît pour un

alors pour deux tu penses bien si elle sait »

l’autre sœur savait chanter quand elle avait bien bu

« t’auras qu’à lui donner à boire

quand tu seras tellement triste

que seule une chanson

te redonnera goût à la vie »

 

Tata Tonton n’avait pas dit non

mais elle avait pas dit oui non plus

au cas où elle avait amené

un poulet désossé et une bouteille de gin

elle fut très bien reçue par les deux sœurs

seulement voilà pas plus tard que le soir

elle était morte et bien morte de la mort

et pas d’autre chose

 

Tonton Tata l’enterra à ses frais

et ses deux sœurs participèrent de bon cœur

l’une en préparant un repas digne d’un enterrement

et l’autre en l’arrosant de toutes les larmes

de son corps

 

Si Tata Tonton n’avait pas aimé Tonton Tata

rien de tout cela ne serait arrivé

 

*

la vie ne commence pas par un voyage

King en savait quelque chose

il était né avec un billet de train dans la main

 

« ah se dit-il à peine arrivé sur le quai

si la vie commence par un voyage

je dois pas être le seul à prendre le train »

 

il s’engagea aussitôt sur la voie

sans se douter que c’était la mauvaise

celle qu’on appelle voie de garage

parce qu’on y finit ce qu’on n’a pas commencé

 

il faisait noir là-dedans et il eut peur

peur de quoi il ne savait rien de la peur

parce qu’il n’avait aucune expérience du passé

 

et comme il faisait noir il ne voyait rien

il sentait qu’il n’était pas seul

mais personne ne prenait la parole

comme si ce n’était pas le bon endroit

pour dire ce qu’on pensait

 

il garda le silence plus de quatre-vingts ans

et le silence lui demanda alors des comptes

« t’es con ou quoi mec qui n’a jamais rien dit

j’attends que tu me brises depuis quatre-vingts ans

ah pendant quatre-vingts ans j’ai attendu

que tu me violes comme une vulgaire putain

et regardes ce que tu as fait de moi :

une rien du tout »

 

King cessa de respirer

il était mort mais il entendait encore un peu

le silence continuait de se plaindre

parlant dans l’obscurité

comme si elle était faite pour ça

et qu’elle le disait maintenant seulement

 

*

« allez Chochotte arrête de chanter

le train va bientôt arriver

et on sera bientôt plus là

pour t’accompagner »

 

ah ce qu’on a la tête pleine

juste avant de pencher

du côté des voyages

 

je voyais tous ces gens

ceux qui tournent en rond

qui prennent le train

mais pas pour voyager

juste pour aller où on va

où tout le monde va

sans se tenir la main

parce qu’avec les mains

on ne sait jamais

si ce sont des mains

ou ce qu’il y a dedans

 

voilà voilà j’arrête de penser

je mets le pied dedans

si ça vous fait marrer

des pieds j’en ai

en veux-tu en voilà

des nus et des habillés

à la mode de chez nous

petits chanteurs des rues

accompagnés ou pas

 

et voilà Conard le Barbant

qui me propose de mettre en vers

ce qui ressemble déjà à une chanson

 

encore un verre et je ne pars plus

 

*

j’en connais un qui ne boit pas

on dit qu’il va se mettre à voyager

et il dit qu’il ne reviendra pas

si on ne l’oblige pas

 

j’en connais un autre qui boit

il ne voyagera jamais

il dit que c’est trop loin

et qu’on ne sait jamais

 

il y a toujours quelque chose

qu’on ne sait pas

qu’on boive ou qu’on ne boive pas

 

l’un ne sait rien de ses maîtres

et l’autre craint de ne pas savoir

et il n’y a pas de juste milieu

 

*

Palapène avait un chat

et elle n’aimait pas le chat

il tua le chat

pour ne pas la tuer

 

enfin il la tua

et on le jugea pour ça

 

il ne se défendit pas

on le jeta en prison

et il ne tua plus personne

 

*

« mettez-vous à l’aise

prenez une chaise

et asseyez-vous là

près de la fenêtre

on entend les oiseaux

et même les voitures

moi c’est ce que j’entends

tous les jours que Dieu fait

et s’il ne les fait pas

j’ai le droit de rêver

vous aussi vous aurez le droit de rêver

on a le droit de rêver

si Dieu n’y est pour rien

même si on a assassiné quelqu’un

et même si ce quelqu’un le méritait

 

mettez-vous à votre aise

tout nu ou en habit du dimanche

fini la liberté

vous et moi

on n’est peut-être pas faits pour ça

après tout »

 

*

j’en ai connu un qui aimait le travail

il aimait voir les autres travailler

et du coup il ne faisait rien

 

j’ai même vécu avec lui

je travaillais tous les jours

je ne pouvais plus m’arrêter

 

il me regardait et pleurait

« tu ne ressembles à rien »

me disait-il en frottant ses yeux

comme s’il ne croyait pas

à ce qu’il voyait

« mais qu’est-ce que tu travailles bien »

 

un premier enfant est mort

sans qu’on sache de quoi

ni pourquoi

 

un deuxième s’est mis à travailler

à peine né

et il travaille encore

 

le troisième était en route

« si tu travailles bien

ce sera le premier »

 

*

« la poésie est partout ma vieille

tiens regarde dessous qu’est-ce que c’est

c’est un poème un vrai pas un faux

vois comme il se laisse écrire

ah si j’avais ton talent

ma vieille ô ma vieille »

 

seulement voilà tu l’as pas

et j’ai beau regarder dessous

je vois pas le poème

moi c’est dessus que je le trouve

et dessus tu n’y es pas

 

« tu me fais mal ma vieille

de me parler comme si

j’étais pas le père de ton enfant

ah tu sais pas ce que j’ai mal

ma vieille ô ma vieille »

 

le mal c’est pareil mon vieux

c’est pas dedans qu’on le trouve

c’est dehors et dessus

et c’est pour ça que ça fait mal

mais t’es trop tarte pour comprendre

ce qu’un enfant comprendrait

s’il n’était pas le tien

 

« des enfants je t’en ferais plus

j’en ai marre d’avoir mal

où ça ne te fait rien

et plein la tête des poèmes

où j’ai l’air de rien

ma vieille ô ma vieille

tu les feras sans moi

tes enfants de papier »

 

un enfant de papier

brûlait dans le cendrier

j’étais seule une fois de plus

et je n’attendais personne pour Noël

 

*

partir comme sur un fil

tendu entre deux gratte-ciel

avec au loin la mer

et ce fleuve qui pénètre

boue jaune de la ville

 

je peux partir n’importe où

ce pont tendu entre deux rives

au-dessus de ta tête la photo

d’une contrée peut-être lointaine

ou bien c’est la porte à côté

 

ta tête frisée presque blonde

au ras d’un paysage de montagnes

avec deux promeneurs casqués

qui mesurent la perspective du regard

 

je pars le long d’une clôture

où pendent des feuillages rouges

le mur d’une église semble chaud

et des paysannes invitent au voyage

ici on ne travaille pas sans toi

ô voyageuse des murs renvoyés

par les miroirs des autres murs

 

*

tu peux gratter un accord

fredonner le dernier refrain connu

fermer tes yeux qui voient encore

grimace de paupières closes

 

tu n’es pas venu pour me quitter

tu ne viens jamais pour perdre

pourtant je t’ai attendu

et j’ai même chanté pour toi

 

pour l’enfant tu lui diras

que je n’ai jamais existé

veille à ne rien laisser

derrière moi

 

deux accords pour la mélancolie

un silence pour en souffrir

tes yeux voient ce que je vois

mais pas comme je le vois

 

tu lui diras que les enfants

sont les enfants d’autres enfants

qu’on ne peut pas les faire autrement

et que rien n’arrive si ça n’arrive pas

 

trois accords pour la colère

et un sourire sans me regarder

ne voyant que tes yeux

dans les reflets de mes mains

qui jouent qui jouent jouent tout le temps

 

*

maintenant que j’écris

car ce temps est venu

il vient toujours à temps

et je n’attends plus rien

 

maintenant je voyage

après tant de voyages

je reviens et je suis

enfin arrivée

 

tu ne liras jamais

ces lignes entrelacées

il faudra que tu joues

comme ton père jouait

 

j’ai le temps devant moi

le passé me précède

dis-lui que j’ai aimé

et que j’aimerais encore

 

la poésie commence à la fin

tu le sais depuis toujours

voilà pourquoi tu es partie

et voilà comment tu reviens

 

*

Radeg ne faisait rien

et il s’en portait bien

ne rien faire c’est tout faire

et laisser aux autres le soin

de refaire ce qui mérite de l’être

 

un jour il crevait la dalle

et pour la rime ça faisait mal

mais c’était le trottoir

qui faisait le plus mal

et pas seulement à cause

de la saleté et des traces

de malheur

 

il se dit que plus jamais

il ne se tiendra debout

par exemple pour regarder

les choses des vitrines

ou celles qui vont bien aux autres

sur leur peau vont bien

à ces autres qui ne te voient pas

comme tu te vois

 

par exemple pensa-t-il

il se peut que je me relève

et alors j’en profite

pour voir ce que je n’ai jamais

voulu regarder comme par exemple

l’intérieur des autres

qui n’est pas aussi sale

que ce que j’en ai toujours pensé

 

mais je rêve pensa-t-il

je ne me relèverai jamais

il n’y aura plus d’exemples

plus rien à regarder

que cette saleté des pieds

ces crachats vert olive

et la poussière des fleurs

qui se penchent sur moi

comme si j’allais mourir

avant de me mettre à souffrir

 

et en effet Radeg mourut là

sur le trottoir dégueulasse

avec des fleurs dessus

et des crachats dessous

 

il n’est pas mort longtemps

on est venu le prendre

et on n’a pas nettoyé les traces

parce que ce n’étaient pas les siennes

 

*

la poésie va et vient comme les mouches

elle était à fleur de cette bouche

elle l’abandonne

et se mêle de cette conversation

pour la quitter aussitôt

qu’un reflet s’accroche

à l’aile d’une voiture

 

la poésie est comme mon cul

ici une chaise à la terrasse

du café que tu prends avec moi

là le banc où tu me caresses

rien sur la cuvette des waters

on n’y va jamais ensemble

 

la poésie ne se chante pas

il n’y a pas une note de musique

dans ces allers-retours

entre le bien des plaisirs

et le mal des échecs

 

il faudra que tu y penses

avant que je ne sois trop loin

pour fêter avec toi le bien et le mal

que nous n’avons pas encore faits

 

*

une valise est vite faite

si on n’emporte pas avec soi

ce qui nous a toujours manqué

 

voilà comment je l’ai faite

et pourquoi tu l’as trouvée

à la place de ton chapeau

 

se jeter sur un lit

pour crier que quelque chose

ne va pas dans ma tête

est inutile et sans force

 

tenter de briser

le miroir où hier encore

nous tentions de vivre ensemble

est inutile et sans force

 

te tuer me tuer

tuer tout le monde sauf un

mais on n’est pas dans un film

 

tu peux garder la clé

si ça te fait plaisir

non je n’en ai pas d’autre

tu sais très bien

que nous n’en avons jamais eu qu’une

mais les valises qu’on emporte

avec soi pour aller loin

ne sont que le prétexte

d’autres voyages

que tu n’imagines même pas

 

*

tu ferais bien d’arrêter de te poser des questions

sur ce qu’est et n’est pas la poésie et ses poèmes

on n’est pas là pour écouter ce style de chanson

si tu as une idée neuve on est là pour chanter

et si ça sent la vieille armoire referme ses portes

et parlons d’autre chose

 

j’en ai ma claque de ces discours sur la rime

et de ces dissertations à propos du rythme

et jusqu’à ces romans de l’histoire personnelle

qui ne valent même pas la peine d’être mis en scène

sur le théâtre du bide

 

dis-moi que j’ai raison et on va se coucher

dans le même lit entre les murs de notre prison

on n’est quand même pas obligés de réfléchir

avant de dire des bêtises

 

payer rubis sur l’ongle je sais ça ne te dit rien

ces rubis et ces ongles qui ne payent pas de mine

surtout quand on les regarde de travers

et qu’ils se demandent s’ils ne vont pas appeler les flics

et nous faire embarquer

 

moi je rêve d’un autre voyage que celui d’à côté

la prison ce n’est pas loin et il en faut du temps

pour en revenir

 

on va arrêter d’assassiner les gens pour leur piquer

ce que nous n’avons pas malgré un sacré talent

de poètes pris dans les filets de la réalité

en chair et en os

 

si tu ne veux pas venir avec moi commence

par t’en aller le plus loin possible des prisons

et n’oublie pas de me laisser cette part de pognon

qui me revient

 

« ah je te laisse aussi le gosse puisqu’il te ressemble

et que je ne ressemble plus à rien »

 

*

« bon sang c’est pas difficile

la poésie c’est quand

la forme et le fond

ça devient quelque chose

qui n’est plus ni forme ni fond

tu sais bien comme dans… »

et de citer ses poètes préférés

comme par hasard pas les miens

ou alors par hasard

 

je ne sais pas pourquoi je t’écoute encore

encore une nuit à rêver avec toi

des nuits comme ça on s’en passe

si on a envie de dormir

 

si c’est poète que tu veux être

fais ta valise avec rien dedans

et prends le premier train

on se retrouvera bien un jour

 

moi j’ai toujours rêvé de cet ailleurs

pas de poésie sans un ailleurs

introuvable ailleurs qu’ailleurs

 

je pourrais y attendre toute la vie

même sans savoir ce que j’attends

à part l’étonnement et le regret

de ne pas être Dieu pour en savoir davantage

 

là-bas j’ai peut-être une maison

avec rien dedans

comme ma valise

avec juste de quoi écrire

et une poire pour la soif

 

mais pour l’instant je t’écoute

il fait nuit et les chats sont noirs

un mec joue du pipeau derrière une fenêtre

il cherche la même chose que nous

mais il n’y a personne pour l’écouter

ah ce n’est pas un mince avantage

 

*

Rizeck aime les femmes

et les hommes aiment Rizeck

hier je le croise dans la rue

il me dit qu’il m’aime

je le crois comme si je l’aimais

 

« dis-moi ce que tu aimes le plus

et je te l’apporte sur un plateau »

le plateau c’est en trop

des plateaux j’en ai déjà

j’en ai plein la cuisine

que je sais plus quoi en faire

des plateaux des uns et des autres

 

distingue-toi Rizeck

 

« veux-tu voyager

je sais comment »

 

oui mais alors

avec un plateau

partir avec toi

ça me donne envie

de faire le ménage

 

distingue-toi Rizeck

 

tu crois qu’il se distingue

que non il ressemble

à ses frères humains

avec ou sans plateau

il a l’air tarte

 

*

« j’ai revu ce mec qui me disait rien

tellement il était bavard… »

 

l’humour de Blandinette est un yoyo

le même yoyo lui sert de preuve

quand c’est l’amour qui la chatouille

 

et bien vous n’allez pas me croire

mais Blandy elle a tué un homme

un vrai de vrai avec des os et un cerveau

un comme on n’en voit qu’à la foire

quand on voulait acheter une bête

 

quand il s’habillait

on ne voyait que son costard

et quand il était avec elle

on n’entendait que ses hennissements

 

ah elle avait fière allure Blandy

avec un mec pareil avec un poète

que même il jouait de la guitare

et que c’est avec ça qu’elle l’a tué

 

drôle de musique quand on ne sait pas le solfège

lui a dit le juge pour rigoler

il lui avait piqué son yoyo

sans savoir ce qui lui arriverait un jour

à force de s’en servir contre les autres

 

*

« je veux bien partir avec toi lulu

mais qui me dit que tu me foutras

pas à l’eau à la première occasion

ah c’est pas les occasions qui manquent

sur les paquebots transatlantiques »

 

Rigolin n’a pas compris ma proposition

je lui ai juste demandé de m’accompagner

jusqu’à la gare qui n’est pas si loin

 

j’ai eu un mal fou à le détromper

du coup il n’a pas fini son café

pas même sali sa petite cuillère

ni croqué à part le morceau de sucre

 

il me regarde comme si je lui avais fait quelque chose

 

« or lui dis-je je t’ai rien demandé

sinon de m’accompagner à la gare

parce qu’avec ma petite culotte

j’attire pas que les mouches »

 

des paroles qui auraient dû le gonfler

mais du côté de la tête pas ailleurs

seulement dans sa tête ya rien à gonfler

alors il ne comprend toujours pas

pourquoi je ne lui ai pas acheté un billet

 

« de toute façon je veux pas crever

avec les poissons qui sont dans l’eau

j’en ai un d’accroché au mur de mon salon

j’y causerai pendant que tu seras loin

et je finirai par en crever comme lui »

 

pas moyen de le décoincer

je suis partie sans

 

*

moi tu vois la poésie

ça me fait des gratouilles

partout où j’en ai envie

sans me montrer à poil

 

le genre c’est là que j’aime

ne m’inspire pas des vers

si j’ai œuvré dans l’ombre

je ne fais pas la lumière

 

ah je ne peux pas partir

sans t’en dire quelque chose

on ne quitte rien sans confession

même si on n’a rien à se reprocher

 

des choses j’en ai à dire

que si tu en savais la moitié

il me resterait l’éternité

pour t’apprendre le reste

 

c’est ça la poésie des mots

des mots pour ne rien dire

et d’autres pour laisser entendre

ce que tu fais à merveille

 

je fais la moitié du chemin

en te quittant pour toujours

et je ne rencontre personne

avant la fin du voyage

 

il n’y a pas de poésie sans attente

mais j’en ai une autre moins patiente

au cas où je ne te retrouve pas

quand je n’aurais plus rien à dire

 

*

Clodac Cladoc le Triste était au bout du rouleau

il en avait l’âge et les maladies qui vont avec

en plus il sortait de prison avec un bracelet

et il venait de griller un feu rouge sang

un flic bleu comme la mer quand elle est d’huile

lui demanda une explication claire sinon il sévissait

il en avait les moyens ça Clodac Cladoc le Triste le savait

il avait déjà battu un flic avec une arme par destination

il n’avait pas envie de recommencer parce que celui-ci

le prévenait qu’il ne renouvellerait pas l’offre

Clodac Cladoc se confondit en tristes excuses

et le flic lui indiqua l’adresse d’un bon opticien

pas cher et en plus la nana qui t’essaye les verres

a une poitrine que tu peux pas confondre avec autre chose

mais avant d’aller acheter les lunettes ils burent un coup

et c’est après avoir bu ce coup et même d’autres

que l’un a battu l’autre avec une arme par destination

mais comme ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau

si on peut évoquer ce principe sans faire rire les juges

l’avantage va incontestablement au flic

même si la plupart des flics sont des salauds

« voilà dit le juge personne ne vous a forcé

à ajouter cette remarque qui va vous coûter

plus cher que la bouteille que vous avez cassée

sur la tête de cet agent de la force publique

qui vous ressemble certes mais de l’extérieur

parce que dedans vous êtes complètement différents »

du coup Clodac Cladoc le Triste s’est suicidé

avant d’arriver à la prison où il n’avait pas envie

de recommencer ce qu’il avait fini depuis longtemps

la morale de cette triste histoire est

qu’il ne faut pas faire à autrui ce qu’il vous a déjà fait

sans que vous ne lui ayez rien demandé

 

*

Clique claque cloque

quand vous aurez fini de voyager

Revenez !

 

Je voyais la mer

mais

le train s’arrête

et

je me sens mal !

 

Voyager ? Vous n’y pensez pas !

— Mais je suis en voyage !

— Clique claque cloque

J’y suis pour rien

Revenez !

 

Revenez une autre fois

mais cette fois

en état

de voyager

 

— Mais je voyage, monsieur !

— Non madame

vous ne voyagez pas

Vous n’êtes pas en état de voyager

— Le bateau ! Là ! Qui m’attend !

— Il ne vous attendra pas

A-t-on vu un bateau attendre

celle qui n’est plus en état

de voyager ?

Alors attendez

attendez neuf mois

moins deux ça fait…

— Clique claque cloque ?

 

*

 

quatre heures du mat je dégueule

parce que j’ai envie de sortir

— drôle de raison !

 

je sors la nuit la lumière la pluie

rien n’a changé depuis que je ne suis plus là

pour remettre la pendule à l’heure

— drôle de saison !

 

sur le trottoir personne pour me reconnaître

tout le monde ne dort pas dehors

— drôles de façons !

 

heureusement que j’ai mon couteau

parce que quelqu’un que je ne connais pas

et que je voudrais ignorer

veut me prendre sans amour

— drôle de con !

 

je grogne pour ne pas expliquer

les raisons de mon refus de prendre le plaisir

sans lui demander pourquoi

— drôle de chanson !

 

et le voilà qui se barre en poussant un cri

mais au lieu de courir il s’envole

comme un oiseau battant de l’aile

— drôle de garçon !

 

*

à travers la lucarne ferraillée

Grogobile m’invente son histoire :

« luce ! luce ! jamais ne pique un microonde !

 

j’ai ouvert le mien à l’heure pile !

et qu’est-ce que je vois ?

quelqu’un ! quelqu’un dans le microonde !

 

la trouille ! je referme ! Clac !

pas le temps de savoir qui c’est !

et lui pas le temps de sortir

pour me faire ce que tu sais

qu’ils me font chaque fois que je pique ! »

 

il est tout excité Grogobile

par son aventure ménagère

« et il est pas sorti ? je demande

à tout hasard car Grogobile

ne répond jamais aux questions.

 

— luce ! il avait pas la clé !

tu le sais bien qu’on a pas la clé

quand on est à l’intérieur des choses !

et moi j’étais à l’extérieur

mais sans la clé sinon je sors ! »

 

On a cherché le microonde partout.

On l’a pas trouvé.

Il a rien piqué, Grogobile.

C’est dans sa tête.

 

*

« Papa Noël c’est la porte à côté ! »

Je glisse sur le tapis.

La porte est ouverte.

Je gratte, attends, entre.

Le mec est en train de se caresser

devant un match de foot.

« Je viens pour l’annonce… »

Il fait signe qu’il s’en fout.

Une main m’emporte

et me dépose ailleurs.

« Vous savez comment on fait ?

— Je l’ai déjà fait…

— On paye après.

— Je demande à voir…

Des fois, c’est pas possible…

— Par ici, je vous montre. »

Papa Noël !

Tout de rouge vêtu.

Il bave dans sa barbe.

« Pas de coups surtout !

Il en devient fou.

Balancez-lui le seau

s’il exagère. »

Le seau est posé

sur la paille bien tressée

d’une chaise.

C’est bien de l’eau.

10 litres sur la gueule

« s’il fait le con ! »

Et nous voilà seuls.

Papa Noël et moi.

Il me sourit.

Il a de gros yeux bleus.

Des mains énormes.

Il est assis sur un coussin

et joue avec une auto.

« Comment tu fais pour faire le con ? »

je demande pour tâter le terrain.

Il ouvre la bouche et rit,

mais sans bruit,

secouant la langue

hors de la bouche.

« Je sais pas !

finit-il par dire.

Ça me vient et je fais

ce que tu dis.

— Elle est comment, l’eau ?

— Bonne.

— Alors tu t’en fous !

— Complètement ! »

À dix heures je le couche.

Et je reviens

à mes occupations.

C’est con, Noël !

 

*

« Seul, on est un homme.

Ensemble, des humanistes.

Heureusement que Dieu

n’existe pas pour tout le monde ! »

 

Alors on met la télé.

Le catéchisme des ministères

nous apprend

que le monde est à nous

à condition de ne pas le partager

avec n’importe qui.

 

XinXin, ça le rend fou

cette leçon de citoyenneté.

Résultat : pour insulter les flics,

il se sert de l’Islam.

 

Maintenant il insulte

la compagnie

avec des arguments

tirés des étoiles.

 

Ça le rend compliqué,

beaucoup plus obscur

que quand il est arrivé

avec une recommandation de la Justice

de ne pas le prendre au sérieux.

 

On l’écoute pendant la pub.

 

*

« On enferme les fous et les méchants !

On enferme ceux qui le font exprès

et ceux qui n’y sont pour rien.

Pas de Justice pour les autres ! »

 

— Ben merde ! fit Rocco.

J’y avais pas pensé ! —

et il se roula une clope

en essayant

de penser à autre chose,

par exemple à ce mec

avec deux paires de bras

que Buk a rencontré dans un bar.

Ou alors un cadavre d’Hemingway,

qui se retourne tout seul

pour regarder le ciel encore fumant.

Ou Danny foutant le feu à sa baraque,

lui ou un autre.

Et ce type qui marchait sur des œufs

en allant au tribunal

pour s’en prendre une de chaque côté

et rien dans le cul

alors que ça lui aurait fait un bien fou.

 

Il avait un tas de personnages dans la tête, Rocco.

Même que j’y étais.

Mais si je savais bien pourquoi,

pas moyen de savoir comment.

Ça me faisait tellement chier

que je suis sortie fringuée en mec.

Et j’en ai trompé plus d’un !

 

*

« Je fais de la poésie

chaque fois que je sens

que c’en est… »

 

Nous bavassions une fois de plus.

J’arrive à deux heures pile.

Et j’entends ça.

Alors je me mets en rogne.

Et on me traite d’aristocrate.

 

Mais la critique ne dure pas

et on se remet au boulot.

N’empêche que réduire la poésie

à un petit instant de bravoure

sur le terrain de la tranche de vie,

moi,

ça me tente pas.

Autant arracher la tapisserie

pour s’amuser avec les punaises.

 

J’avais envie de leur dire

que la poésie

c’est ailleurs qu’on la trouve.

Pour la trouver,

il faut partir.

Et pas à deux pas d’ici.

En plus,

Il faut ouvrir le chemin.

 

Des heures que je passe

à y penser

chaque jour

que je gâche

à faire le contraire.

Destin de simple citoyenne.

Ils sont où les compliqués ?

Je drague,

mais j’en trouve pas.

Ou alors je me trompe de sexe…

 

Si le troisième sexe c’est Dieu,

je suis pas faite pour concevoir.

 

*

C’est bien beau d’être désespéré

mais on fait quoi quand on est ensemble ?

 

Je dis pas ça parce que tu dors

mais on a des factures à payer

 

Dormir la fenêtre ouverte d’accord

mais qui la ferme une fois que t’es plus là ?

 

Distiques du mais

même quand je dors pas

 

Ce matin t’auras des croissants

même si je t’aime plus

 

Ah ! Ce qu’elle est chouette la boulangère

même s’il faut changer de sexe

 

Distiques du même ceci

et même cela

 

J’en ai marre de cette existence

à la mais même !

 

*

Qu’est-ce qu’elle veut la République ?

Qu’on couche ensemble

selon le Code

 

Voilà ce que j’ai appris à l’école

J’aurais mieux fait de pas y aller

et d’envoyer mes vieux en taule

 

Qu’est-ce qu’ils ont ces employés

de la migration des neurones

vers les pieds qui se tournent

(Ah j’y peux vraiment rien !)

vers l’azur et sa côte ?

 

Qui c’est tous ces gens

qui font tourner la machine

à donner du travail ?

 

Et qui sont mes amis, ô Phillis !

En grattant le trottoir

on en trouve encore des fiables,

mais la rigole est souterraine

et j’ai peur du noir.

 

*

Marrant, celui qui me montre

comment on fait

pour être bien vue

sans passer pour une pute

 

Je l’épouserais bien

rien que pour faire du mal

à une femme qui a réussi

 

C’est pas qu’il soit moche.

Il a encore des tifs sur le crâne

et quand il se gratte les couilles

on entend rien

 

Si je sais faire des choses ?

Et des utiles aux gens

et surtout à moi-même ?

 

Des tas, que je sais en faire !

Mais me demandez pas de les refaire.

Je vous montre et après

on passe à autre chose

 

Vous voulez pas que je vous montre

comment on tue les mouches

sans insulter Dieu la Fiente ?

 

*

Bon, j’ai pas toujours été à l’heure.

J’ai même rêvé de mourir

sous les arbres de la forêt

par un léger temps de pluie

 

Je m’excuse d’être en retard

au rendez-vous du sauve-qui-peut

 

C’est drôle…

Il pleut toujours.

Et ça ne vous change pas.

Vous sentez le croissant

et le papier hygiénique.

 

Moi aussi je reviens des chiottes.

L’air des arbres de la rue

descendait du vasistas.

Je me sentais comme chez moi.

J’ai même rêvé

que je prenais des vacances.

 

Vous énervez pas !

Je vous explique le retard.

J’avais même pas faim.

Et j’avais mal nulle part.

Qu’est-ce qu’on peut traîner

quand on a rendez-vous

avec l’improbable !

 

*

Qu’est-ce qu’on croise comme vieux cons

dans les rues de ma ville !

J’en ai vu un qui rouspétait

après un chien qui aboyait.

« Eh ! Vieux con plein de retraite !

On dirait que tu lui plais pas.

J’vais ouvrir le portail,

histoire de te faire bouffer

par plus chien que toi. »

Ça lui a pas plu…

Comme ça il votera FN

et moi je voterai pas.

Qu’est-ce qu’on croise

quand on se rencontre

entre mon portail et la rue !

Et on parle toujours des mêmes choses.

On change pas le chien.

Et la République

préfère les petits soldats

qui posent pas de questions

et foutent la paix aux chnoques

pour qu’ils continuent de rêver

à mettre de l’ordre

sur ce qui bouge plus

depuis qu’on est mort.

 

*

« C’que c’est une fille

quand ça n’a pas l’âge

de s’pisser à la culotte

pour emmerder les jeunes !

 

J’en ai pris deux en stop

un jour de Foire à Pomponot.

Et j’ai pissé pour me faire sentir

telle que je suis

depuis que j’en peux plus

et que tout le monde s’en fout.

 

Elles se pinçaient le nez

en riant langues dehors.

J’ai mis les phares

pour mieux voir les platanes.

Des années que je les vois

et pas un m’a changée

en bouquet suspendu

à un clou de la Croix. »

 

J’étais cette gosse en larmes

tellement ça la faisait rire.

et elle,

c’était moi plus tard,

quand j’aurais plus rien à dire

à propos de fleurs.

 

*

La différence, petit con, c’est que jadis un mec comme toi pensait même pas à écrire pour se flatter les couilles et bander en public.

La voilà, TA différence.

Alors pourquoi tu engueules les poètes quand ils font leur marché entre eux ?

Pourquoi que tu te conduis comme un cochon ?

Tu crois que c’est agréable de t’entendre grouiner pendant que je feuillète ?

Ya des gens qui me regardent en se demandant si j’écris moi aussi.

Et tu sais quoi, connard ? Ça me flatte. Même que si j’en avais une je te la mettrais où tu mérites d’être bouché.

T’en as pas marre de te conduire comme Valls ? ¡Sin educación !

Qu’est-ce que tu crois qu’on est ? Un couple heureux ? Non mais t’as regardé ma moumoute ? Ça fait combien que tu t’es pas servi du peigne ? Et moi qui rêvais d’avoir des gosses ! Voilà que j’écris des poèmes.

Jadis, j’aurais rien écrit. J’aurais même pas su écrire. Et j’aurais pas eu l’idée d’écrire. J’aurais fait autre chose. Et j’aurais pas vécu assez pour rêver de la retraite.

Tu sais quoi, salaud ? J’aime mon époque. Et je suis pas jalouse des autres pays où qu’on réussit mieux que nous, même qu’on y est meilleur poète.

Je suis bien ici.

Je m’emmerde mais je suis bien. Et je t’emmerde. Tu m’emmerdes aussi. Et si c’était pas comme ça, j’écrirais rien. Et je viendrais pas sur le marché pour voir ce que les autres écrivent. Tu t’imagines ma solitude si t’étais pas aussi con que ceux qui écrivent rien ?

Au fond, je te dois mon bonheur.

On a nos petits paniers en osier. Paniers de poètes.

On a même le carnet avec des chèques dedans.

Même que c’est toi qui signe, mon chou. Et que ça te fait faire la grimace. Parce que c’est cher la poésie. Vise-moi un peu le papier !

T’imagines autrement la Poésie, toi le cochon de service ?

La poésie a besoin de papier, comme le cul, sauf que c’est pas de la merde qu’on met dans les égouts de la société.

Et on en met des tas, de nos torchons. C’est qu’on aime avoir le cul bien torché, nous, les poètes.

Tant pis pour les égouts si les rats savent pas lire !

Alors Kikou et moi on a fait le marché. On a rien vendu mais on s’est mis en relation avec des gens qui connaissent du monde. On leur a même offert des sucettes.

Ah ! tu les aurais vus en train de tirer la langue ! Ça en bavait même ! Je cite pas de noms pour vexer personne. Ça se vexe vite les poètes. Et ça mord. Mais ça fait pas crier.

Moi j’interrogeais les gens :

— Ça vous fait pas crier la douleur du suicidé ?

— C’est pas qu’on a pas envie de gueuler nous aussi mais on s’est pas encore posé la question.

Voilà ce que me disaient les gens qui écrivaient pas encore. C’est pourtant pas l’envie qui leur manquait. Mais y zétaient pas encore titularisés.

On est revenu à la maison avec de nouvelles idées. Ils en ont des tas au printemps. Ça leur grouille entre les pattes. Et ils en pincent. Alors Kikou et moi on s’est dit comme ça qu’y a pas de mal à emprunter, comme disait La Fontaine.

Mais Kikou y veut plus écrire. Il s’est remis à étudier. Il veut avancer. Il en a marre de faire le clown façon classe moyenne. Et me voilà seule. Moi qu’ai pas envie, mais alors pas du tout, d’avancer.

Je ferais quoi plus loin ? La même chose connard. Et tu sais pourquoi ? Toi et moi on est pas pareil. Si jamais on fait un gosse, il nous comprendra pas et nous pourrira l’existence avec des trucs que la Poésie, à côté, ça sent trop l’époque où on aurait même pas pensé à écrire.

Et en plus faudrait piger ! Ah ! merde !

 

*

Et la langue française par ci !

Et la langue française par là !

Et que la langue française c’est pas de la merde !

Et que c’est pas comme les autres langues

qu’on parle encore juste parce qu’on est obligé !

Et qu’y a des pays où qu’on t’oblige à parler russe

sinon tu peux plus parler librement !

Et qu’on en a de la chance de parler français

sinon on serait pas tout à fait humain !

Et que les profs c’est des cadors

qui parlent français parce que sinon ils seraient pas profs !

Et que quand ça me gratte entre les jambes

c’est parce qu’il faut que j’ouvre le dictionnaire !

Et que du coup on se sent jeune et prêt

à recommencer de nettoyer les trottoirs de la Nation

où qu’on est jamais mieux que si on s’entend !

Et que si les gosses parlaient autre chose

on se sentirait cocus comme des étrangers !

Et patati ! Et patata ! Plein le colon !

Que quand j’y vais je parle plus

tellement je bavarde du cul !

 

Et puis de parler patois

ça me donne des airs de révolutionnaire.

Voilà comment j’explique la petite crotte

que j’ai laissée sur votre paillasson national.

Elle sent mauvais comme toutes les crottes

mais vous êtes pas obligé de puer de la gueule

chaque fois qu’il est question que je parle plus

comme on a toujours parlé

avant d’en savoir plus sur vos intentions.

Et patati ! Et patata ! Plein le colon !

Que quand j’y vais je parle plus

tellement je bavarde du cul !

 

*

Oh la la ! Le mot juste et même plus !

Y a qu’une manière de dire les choses.

Si y en a deux c’est que ces deux-là sont mauvaises.

Faut vous mettre au boulot et fissa

pour trouver la troisième qu’est la bonne,

la seule qui mérite d’être française

des arpions au baron.

 

On était là avec Kikou à se demander

si on avait été à l’école de la République

ou si c’est la République qui avait séché.

 

On avait droit qu’à une réponse

et à tous les coups

Kikou en avait au moins deux.

 

Il me faisait des signes

quand le maton avait le dos tourné.

Mais c’était pas des signes en français

alors j’y ai parlé tout haut

comme quoi j’avais envie de pisser

même si c’était interdit.

 

Le maton m’a regardée d’un œil trouble

comme quand on met pas trop de flotte dans le pastis.

 

« Fallait le faire avant !

dit-il en se grattant.

Après on ne peut plus

ou alors c’est foutu ! »

 

On parle en vers à Pôle Emploi !

Ça m’a coupée au bon endroit

et j’ai fait tout ce qu’on m’a dit.

Plus question de faire pipi

si justement c’est interdit.

Voilà comment j’ai réussi

là où Kikou a pas compris.

 

Ah c’que c’est bon d’être française

quand on est pas vraiment à l’aise

au moment de faire des fraises.

 

*

Fais grincer tes dents, mon amour !

T’aimes pas l’odeur de ma cuisine, je sais.

Mais c’est la cuisine que je sais faire.

J’ai rien d’autre à te donner à bouffer

pour que tu continues d’exister.

 

Dire que c’est moi qui te nourris !

J’ai le tablier qui le prouve.

T’en as déjà vu des plus tachés ?

Celui de ta mère, peut-être, et encore…

À l’époque, t’aimais encore personne.

 

Tandis que moi, tu m’aimes.

Et que si j’étais aussi belle que tes poésies,

j’aurais une chance de te quitter.

 

*

 

J’en ai connu un qu’aimait pas les chaussettes.

Or, moi, je sors jamais sans quand je me couche.

Même que des fois j’en mets deux paires

tellement ça sent pas bon quand on s’imagine.

 

Ah ce qu’ils peuvent imaginer au lieu de rêver !

Ça écrit même quand ça peut pas dormir.

Si j’avais plusse de chaussettes, je le ferais savoir

mais je préfère laisser au rêve la décision.

 

L’autre jour je m’en couche un de pas tordu.

C’était ce que je pouvais imaginer avant

de me mettre au travail de ses petits nerfs.

 

Un mec tout en surface, façon BD avec des hauts

et des bas en veux-tu en voilà — et SCRAOUTCH !

Il a une chaussette sur la queue et des lunettes

qui grossissent tellement ses deux couilles

que je le prends pour un autre et que je crie au viol !

 

*

Vous allez pas me croire, les filles,

mais j’ai trouvé mon bonheur !

Pas de quoi convaincre tout le monde,

mais si vous y mettez du vôtre,

on va bien rigoler !

 

C’est pas un mec, pas une maison,

pas un enfant à la sauvette,

ni le bouchon qu’on fait sauter

pour faire comme tout le monde.

 

C’est juste un bon moment.

Ça vous impressionne peut-être pas,

d’autant qu’il se reproduira pas,

mais j’suis capable de m’en souvenir

même sous les coups du sort.

 

Allez-y ! Essayez ! Cognez

pour voir si je perds la mémoire !

Je vous dis que ça s’efface pas.

Même morte, je clignerai de l’œil

pour vous dire à quel point ça me rend

heureuse d’avoir vécu au moins ça.

 

Et si on vous demande qui j’étais,

dites que j’y étais plus

quand ça vous est arrivé.

 

*

 

Gragnoute a faim.

Je lui donne à manger.

Il a soif.

Je cours à la fontaine.

Il veut m’aimer.

Je me couche.

La nuit tombe.

Toujours pas de Gragnoute,

alors que j’attends

depuis des heures.

Comment voulez-vous

que je rêve

si j’ai faim moi aussi ?

 

 

*

Ils ont tout changé à la maison.

Je veux dire que je suis chez moi

mais je suis pas responsable

de la nouvelle déco.

 

Ça allait et venait les dimanches.

Je reconnaissais plus personne.

Je suis meilleure en semaine.

 

Et un jour ils m’ont trouvée trop grosse.

Je faisais du bruit même en fumant.

Ils ont changé la selle de mon vélo.

 

Les gens veulent que vous changiez.

Y en a pas un qui veut rien changer.

Ils passent leur temps à réfléchir

et se ramènent avec des changements

que vous auriez pas imaginés toute seule.

 

Mais ce qu’ils pouvaient pas changer,

à part eux-mêmes,

c’était ce que je voyais

quand je regardais à la fenêtre.

Rien n’a jamais changé ici.

On fait plus la guerre depuis longtemps.

 

 

*

« On en fait plus des comme ça ! »

Et bang, que je t’y mets

sans penser que ça laisse des traces.

 

J’arrive pas à me voir en individu.

Chaque fois que je me scrute

je me multiplie.

 

Qu’est-ce que je voudrais

de plus que ce qu’on me donne ?

 

« Distingue-toi ou tu disparais ! »

Qu’est-ce que je pourrais inventer

sans trop les effaroucher ?

 

J’arrête pas d’y penser.

Ça me turlupine jusqu’à l’os,

que ça me donne envie

d’y faire des trous

pour que ça fasse des flûtes

et que ça les amuse

de souffler dedans

pour entendre comment je fais

quand c’est pas moi qui souffle.

 

*

« Un jour vous connaîtrez l’erreur

et on vous demandera de payer.

Voilà comment la porte se ferme

sur le nez qu’on a pas eu.

 

Il était dix heures et la nuit

était tombée sur nos affaires.

L’erreur c’est de savoir

que c’est une erreur et pas autre chose.

 

Je dis pas que ça me tentait.

Mais l’idée d’en savoir plus

est entrée dans mon cerveau

comme le ver dans la pomme.

 

L’oiseau qui me trouait

s’est mis à chanter

et ensuite on s’est séparé.

On avait plus rien à se dire

et, réflexion faite,

on s’était jamais rien dit.

 

Seulement voilà les chants d’oiseau

quand c’est pas dans le cul ça rechante.

Et je vous prie de croire qu’en pleine nuit,

alors que j’ai autre chose à rêver,

ça me donne pas que des frissons.

 

Mais j’ai pas encore commis

l’erreur de tuer un enfant.

Paraît que c’est cher à payer,

surtout si papa veut pas ! »

 

Que le monde est mal fait !

pensai-je en écoutant cette salope.

Je dois avoir un cul à la place du con.

 

*

Au bois irons-nous, conard ?

Je ne fais que passer.

 

Maman bassine et Papa travaille.

À l’école on m’explique

Que je suis faite pour exister.

Et la télé me promet

De pas m’en vouloir

Si je comprends de travers

Ce qui est à l’endroit.

 

Au bois irons-nous, conard ?

Je ne fais que passer.

 

Plus tard je me fais prendre

A corriger des fautes.

« Je t’explique, dit le flic.

Les vitrines sont transparentes,

Mais c’est juste pour voir.

Si tu passes derrière,

N’oublie les œuvres de la République. »

 

Au bois irons-nous, conard ?

Je ne fais que passer.

 

Ah bon ? Il faut vieillir

Sans devenir con ?

J’étais pas au courant

Avant de m’faire pincer !

Ah c’qu’on est pas bien

Quand on revient

Et que ça recommence

Avec les mêmes !

 

Au bois irons-nous, conard ?

Je ne fais que passer.

 

On se souvient toujours

De notre premier macchab.

Moi c’était sur l’trottoir

En rev’nant de l’école.

Ça saignait sans chlinguer.

C’était tout écrasé.

Si j’avais su que c’était lui

J’aurais rien dit à maman.

 

Au bois irons-nous, conard ?

Je ne fais que passer.

 

T’y aurais dit, toi ? Conard !

 

*

Les vrais poètes te parlent et tu n’entends rien.

Des poétaillons de toutes sortes occupent le terrain.

C’est comme si le monde basculait du mauvais côté de l’existence.

 

Sur cette pente dangereuse, je glisse, je viens vers toi,

Lecteur médiocre, auteur peut-être, que dis-je ? Sans doute !

Nous n’aurons plus le vent pour nous inspirer.

 

Petits poètes paresseux, vous n’écrivez pas, vous prenez la place.

Le vrai poète ne recherche pas ce genre d’endroit.

Il sait exactement où se retrouver seul pour être lui-même.

 

Il vous laisse les mairies, les bibliothèques, et même la rue.

Il ne vous rencontrera pas sur le marché, petits poètes de panier.

Hier, il est sorti de vos existences de domestiques en vacances.

 

Petits poètes sans comète, vous sentez la savonnette et le pet.

Mais vous êtes si nombreux, aimés des dieux élus et des voleurs,

Que la balance penche et que je glisse vers vous, c’est inévitable.

 

Il faudrait vous haïr, mais voilà : la poésie est sans morale.

Elle vous tuerait plutôt. Oui, Adolf Hitler s’est trompé :

Les Juifs sont utiles comme les Noirs et les Arabes,

Et toutes les races que la Terre porte pour les cultiver

Éternellement. Hitler aurait dû écouter Mohammed :

Il faut couper la langue aux poètes. Mais comme ce grand homme

N’était pas si grand que ça, il n’a pas entendu que Dieu,

Ou le ciel, ou le vent, ou je ne sais quelle puissance surhumaine,

Commandait de limiter cette mutilation aux petits poètes,

Aux merdes qui font pencher la balance du mauvais côté

De la Vie. Je vais me noyer dans un WC ! Ô merde !

Petits poètes ! N’oubliez pas le papier !

 

*

« Oh la la ! Les méchants veulent fermer la porte

De la maison de la poésie de saint Pantin en Zibeline !

Et ça gueule dedans ! Ça veut faire un procès !

Que les méchants ont des idées libérales

Et que c’est mieux de défendre la langue française !

Et tant pis pour ceux qui s’en foutent

D’écrire comme ils ont appris à parler !

Et que le socialisme et le nationalisme

Ont toujours fait bon ménage !

Et qu’on a plein de preuves pour le prouver !

Qu’on est des poètes et pas les autres !

Et que ceux qui sont pas contents

Arrêtent de fermer la maison de la poésie

Que c’est la seule qui mérite d’être entendue

Et publiée et même médaillée et chouchoutée !

Non mais qui c’est ces nouveaux venus

Qui ferment les portes qu’on était les seuls

A avoir le droit de les ouvrir et même

De les fermer sur le nez des faux poètes ?

Ils savent même pas favoriser les copains !

S’ils pensent écrire de beaux poèmes

Sans enculer et se faire enculer par Roland

Et par Jacques et par ceux que c’est des vrais poètes,

Et ben c’est des faux et nous on va gueuler

Du fond de nos niches de jacobins retraités ! »

 

Moi je m’en fous, j’écris pas de poésie.

Je me laisse écrire et ça me fait un bien fou.

En plus je dors dehors et j’emmerde les bourgeois

Et leurs peigne-culs qui écrivent des poèmes

Comme les cardinaux font des concours de pet

Pour pas être obligés de penser vraiment aux autres.

On va te leur en mettre plein la gueule

A ces librhéros de la rente habilitée ! 

Et pas des vers ! Rien que des bouffées de merde !

Parce qu’on sait pas péter comme les cardinaux

Et qu’on n’a pas besoin de maison pour exister !

 

*

Je me demande quand même

Si c’est une bonne idée de faire un gosse

Juste pour voir si ça marche…

 

Le problème avec les gosses,

C’est qu’on peut pas les tuer

Sans avoir à payer le prix fort.

 

On peut les faire souffrir.

C’est moins cher si ça plaît pas

Aux citoyens de la nation.

 

Des fois on paye rien,

A condition de pas violer,

De pas cogner, de bien nourrir.

 

Je sais pas si je pourrais

Me venger de cette façon

Si jamais ça arrivait

Que ce gosse me fasse chier

Comme son père me fatigue.

 

*

Mon père m’avait prévenue !

« Avec un cul pareil,

Que c’est pas un faux cul,

T’iras nulle part ma fille ! »

 

Et voilà où je suis allée.

À l’école de la République.

Avec des croyants de gauche

Et des anarchistes de droite.

 

Et il a fallu ô Papa

Que j’en épouse un de planqué !

On va en vacances l’été.

On fait l’amour en société.

On dit oui ou non quand on vote.

Et on accepte de crever

Parce qu’hélas on n’en sait rien !

 

Voilà comment ma propre fille

Prends exemple sur son grand-père !

 

Hier on était à l’école,

Entre un prof bien déboussolé

Et un parent du même côté.

« On ne peut pas montrer ses cuisses

Quand on a du poil au pubisse !

Vous devriez la corriger

Avant qu’on en touche deux mots

Aux gardiens de la Société ! »

 

Bon d’accord elle a déjà fait

A quatorze ans un ou deux gosses

Sans demander la permission

A Maman qui n’en voulait pas.

 

J’ai pas les sous pour lui payer

Un rasoir à poils de pubis.

Les peignes c’est beaucoup moins cher.

Alors je peigne et je repeigne !

Je fais ce que je peux lui faire.

Ou alors j’ai pas tout compris.

 

*

Le type qui boit au volant risque gros.

Bien fait pour sa gueule

S’il se fait pincer !

Mais le type qui boit en classe

Est un malade qui se soigne.

Monter dans une bagnole

En état de la conduire de travers,

C’est pécher.

Mais monter sur un gosse

En état de lui faire mal au cul,

Ça mérite pas une médaille,

Mais ça se soigne !

On en avait un comme ça qui se calmait au Ricard.

Il a fini à la retraite !

Tu parles d’une poubelle !

Avec villa, vacances et tout.

Mais à soixante dix ans passés,

Il a écrasé un gosse sur le trottoir,

En reculant, c’est évident.

Maintenant c’est le plus riche

Des malchanceux de la prison.

Il sort demain grâce à Kouchner.

Ça donne envie de se suicider.

Mais avant je vais me saouler.

On sait jamais des fois l’alcool

Ça tranquillise le suicidaire…

 

*

Sans Histoire on est des riens.

On n’arrive même pas à se ressembler.

Prenez Zakaka le QQ, le mec d’à côté.

Prenez-le en exemple à pas suivre.

Il est fier d’avoir un galon à sa manche.

Et il la fait depuis longtemps.

Retraite à cinquante-cinq berges.

Si ça vous parle pas,

C’est que vous avez jamais été arrêté

En état de sobriété

Sur la route du terrorisme.

Zakaka le QQ a tout raté,

Sauf le métro pour y aller.

Et en plus il a de la chance.

On n’est pas occupé.

 

*

Le plus dur après un attentat,

C’est de recoller les morceaux,

Surtout si on mélange les Juifs

Avec les autres.

 

Ah ça c’est difficile à avaler.

On sait plus s’il faut en parler

Ou la fermer et laisser pisser

Même si ça doit se mélanger encore

Pour donner raison au racisme.

 

Ya rien à faire on est raciste.

On n’arrive pas à raisonner.

C’est plus facile quand ya pas d’Juifs.

 

*

C’est pas pareil de tirer

Dans la tête d’un enfant

Comma ça froidement

Ou de jeter une bombe dessus

En espérant l’avoir raté.

 

C’est pas pareil mais c’est pareil.

 

*

Je savais même pas qu’on était en république

Et qu’en plus on avait la démocratie.

J’aurais pas dû lire Rousseau.

C’est sa faute. Pan !

 

Je savais pas non plus que j’étais raciste

Et que si l’occasion m’était donnée

Je ferais tout ce qu’on me dirait.

J’aurais pas dû lire Voltaire.

C’est sa faute. Pan !

 

Je savais pas qui j’étais.

Et en plus j’avais rien.

Qu’est-ce que les autres pensent de moi ?

Ah ! J’aurais pas dû lire Schopenhauer.

C’est ma faute. Pan !

 

 

*

Je sais pas vous, mais moi ça me fait un peu chier

De profiter que les capitalistes sont en guerre

Contre tout ce qui ne va pas dans leur sens.

Je me demande même si c’est pas mon sens.

 

Bon d’accord j’ai pas droit au lolo qui nourrit

Les houellebecq les beigbeder et les nothomb.

Mais j’ai ma tétine sécurisée à la rustine vigipirate

Et ma foi Internet me donne la parole que j’abuse.

 

Je me demande ce que je ferais sans papier Q,

Sans brosse à dents et sans essence dans le tube.

Pas grand-chose si j’en juge par l’état de ma culotte.

 

Allez tenez je vous offre ce sonnet sans rimes

Des fois que ça vous dirait d’en trouver cinq

Et de renouer avec l’ordre des temps anciens.

 

*

Les vieux ne veulent plus mourir.

Drogués et enchantés, ils envahissent

Les jardins d’enfant avec leurs leçons

De comment avoir une bonne retraite.

 

Moi qui m’échine entre mon potager

Et mes obligations dont certaines

Sont même professionnelles (que oui)

Je les vois de moins en moins chauves.

Un des ces jours ils y prendront plaisir

A être vieux et debout par miracle

Pharmaceutique et spirituel.

 

Il faudra alors mettre son cul à l’abri.

Les vieux ne savent plus où est le plaisir

Mais ils n’ont pas oublié que ça existe.

 

*

Le p’tit Crispin qui jouait à côté

Et ben dis donc il est mort au Mali.

 

Que je savais même que ça existait,

le Mali.

 

Le p’tit salopiaud qui piquait mes cerises,

il en a pris une en plein dans la tronche.

 

C’est les parents qui sont fiers de leur fils.

Il est moromali.

 

Les anciens combattants aussi sont très fiers.

Ils sont pas moromalis.

 

J’espère que moi non plus

je serai pas moromali

parce que je suis juive

et que ça plaît pas à tout le monde…

 

*

C’est plus facile de remplir le cœur que l’esprit.

Alors ne nous gênons pas.

Tous en chœur ! Et qu’ça saute !

 

Mieux vaut être con et honnête

que bien foutu du citron

et méchant comme dans les films.

 

Peut-être mais je suis pas conne.

Et j’avoue que mon intelligence

me rend méchante dans les moments

où on m’empêche d’être moi-même.

 

Je serais jamais vraiment amoureuse.

 

*

Il y a ceux qui disent non tout de suite

Et ceux qui finissent par ne plus vouloir

Et qui s’en foutent maintenant de mal finir.

Je ne connais personne d’autre, les amis.

 

Et pourtant je me connais comme si je m’étais faite.

J’ai pas vraiment dit oui à la première claque.

Ce n’était qu’une claque sans rien dedans.

Et puis j’ai senti que ça faisait plus mal que mal.

 

Vous auriez fait quoi à ma place, les amis ?

J’avais jamais dit oui ni non ni merde !

J’étais juste un peu seule et pas finie.

 

Ah merde ! Encore un sonnet sans rimes.

Je vais m’en prendre une si je continue

A pas répondre aux questions de genre.

 

*

Ah si faut être un salaud fini

Pour aller habiter au Panthéon,

Comprenez que j’hésite…

 

Si faut trahir les plus naïfs

Et faire plaisir à ceux qui savent,

Comprenez que j’hésite…

 

Les trucs en toc genre national

Avec des plumes et des rubans,

Je dis pas non,

Mais permettez que j’hésite encore…

 

J’ai lu la liste des grands Français,

Sans hésiter à m’renseigner,

Et j’me suis dit qu’pour hésiter

J’suis pas la dernièr’ des futées.

 

*

Non mais t’imagines la république qu’on est ?

On te demande de choisir

Entre Charles Pasqua et Ben Laden !

Moi qui aime tant qu’on me respecte !

 

Et l’autre pingouin qui parle de valeurs !

Il est allé les chercher dans un manuel… scolaire

Exprès fabriqué pour amuser les enfants

Et qu’y se fassent pas chier à en savoir plus.

 

Moi qui aim’ tant qu’on me respecte

Je regard’ bien avant d’ voter

Des fois qu’ dessous se cache un boche

Ou un pap’ que Dieu a choisi

Pour rendre aux rich’ c’que j’ai volé !

 

*

« Si j’étais président de tous les Français,

Je s’rais catho, un point c’est tout !

 

L’idée de Dieu a beau sentir la merde,

Quand on est président des Français,

On collabore avec l’Allemagne.

 

Et gare aux Espagnols qui se sentent Arabes 

Et aux Anglais qui rêvent d’Amérique !

 

Les médailles françaises sont des croix !

Il faut les porter sur le chemin de l’Histoire. »

 

Je me demande ce qu’on serait

Si Jésus avait existé

Ou s’il n’avait pas été juif…

 

*

Ah c’qu’on était bien loin de tout !

Et de tout le monde par-dessus le marché !

Pas un gosse pour nous chier dans les bottes

Ni un vieux pour nous épouvanter !

 

Jabin et moi on est comm’ des oiseaux

Dès qu’on s’échappe avec la mer pas loin

Et rien dessus pour avoir l’air plus jeune,

Surtout d’esprit à cause du soleil.

 

On s’est payé un séjour en Enfer,

Avec du sable et des petits poissons

Que si Jabin il avait mis un slip

On en aurait ram’né un à Paris.

 

*

Qui c’est qu’a demandé à vivre ?

On s’rait moins seul si on avait voulu,

Tu parles !

 

Seulement voilà, on était pas venu

Pour assister à la va comme j’te pousse.

On verra bien si c’est l’intelligence

Ou le manque à gagner du bon temps.

 

C’est l’un ou l’autre

Et des fois c’est les deux,

Tu parles !

 

Ah si j’avais été là pour leur dire !

Mais l’vieux trouvait qu’ça lui faisait du bien

Et la vioque attendait qu’ça passe

En espérant que faute d’intelligence

Je finirai par me marier mieux qu’elle.

 

Tu parles si j’me souviens !

On était déjà trois sans compter les autres.

Même que j’l’avais moi aussi dans l’sang !

 

Pass’moi l’sel que je m’en mette dessus

Sinon Papa va me trouver bien fade…

Après ce que je viens de dire…

 

*

Moi, tu sais, jouer à la baballe…

Ça secoue miches et roberts

Sans parler de la muse.

 

Je connais aussi le truc du coquillage.

Je saurais pas te l’expliquer

Aussi bien que la muse.

 

En attendant que je comprenne

Va bouffer un beignet aux abricots

Et te trempe pas tout d’suite après.

 

Ce soir y z’ont prévu de la saucisse

Avec c’qui faut pour l’arroser.

C’est pas comme ça qu’on améliore l’érection.

 

Quand je pense à tous ces jeunes

Qui crèvent d’envie

Et avec les moyens !

 

*

On est pas payé pour se noyer !

Et pourtant on se noie

Avant d’avoir tout dit.

 

Ça m’fait chier mais j’m’y fais.

 

*

On a bouffé des trucs avec des pattes.

Ça marchait plus mais yen avait des poils !

Ensuite on a baisé sous les étoiles,

Pas jusqu’au bout mais en aristocrates.

 

Il était beau comme un petit navire.

La mer faisait des vague’ avec son eau

Et le ciel des nuages tout en haut.

L’ambiance je ne saurais vous traduire.

 

A poil dans le sable et les algues vertes,

On a échangé nos milles frisous.

La prochain’ fois on ira voir le zoo

Parce que le poil ça nous déconcerte.

 

*

Jeanne allait sur Pégase

« Vive la République ! »

À Paris c’est l’extase.

En province ça bique !

C’qui manqu’ c’est l’écriture

Avec des rim’ au bout.

L’colon à l’aventure

Ne fait plus ça debout.

Couchée sur sa monture

Jeanne tient son embout.

C’qui sort c’est la musique

Qui fait marcher les foules.

À force on perd la boule

Et l’amour et la trique.

Les enfants d’la patrie

Naissent mais sans génie.

Jeanne enfante du cul

Entre trône et écu.

Tout ça n’est pas très gai

Mais on est comme on naît.

Jeanne et la raie publique

Font dans l’anachronique.

Ah mais qu’est-c’ qu’on y peut

Pisqu’on est bienheureux

D’avoir un trou de balle

Où que normalement

On a un encéphale

Et de l’enseignement.

 

*

Quan j’ sera gran je sera socialiste

Et je vot´ra à droit’ pour ètre sur la liste.

J’ora un bon boulo avec du pèze en dur

Et l’banquier dira d’moi

Que je suis quèkun d’sûr.

Et j’vot’ra pour le Roi

Et pour le p’tit Jézu !

Non mais qui c’est qui dit

En démocratie ?

 

Et j’en f’ra des enfans

Avec un cerveau d’dans.

À droite à goche et au milieu

Comme quil a fait Dieu

Avec sa grande bite

A torcher les pucelles.

Moi je sais ou jabite

Et j’ai le sens femelle !

 

Mais il me faudré un bo militère

Avec du plomb si possib’dans la tête.

Ça court pas les rues de la capitale.

C’est moi qui cours, ça devient infernal !

Et quan j’me voi dedans une vitrine

J’me dis que tant qu’à fair’ lever les pines

Faut s’lever to, même avant le cléron.

On est comm’ ça ! C’est l’amour ou les ronds !

On est comm’ ça en république.

Ça fait des lun’ qu’on conné la zizique !

 

*

À l’école on fait des bulles

Pour pouvoir les crever

Quand on n’en fait plus.

 

*

Je rêv’ de m’faire violer

Par les forces spéciales !

Je sais faut pas rêver,

Mais je veux avoir mal.

 

Mal à l’enfanc’ française

En vadrouill’ chez les autres.

L’enfant qui n’est pas nôtre,

Ça me met mal à l’aise.

 

Comm’ Jeann’ je servirai

D’exemple à la jeunesse.

Mieux que de faire abbesse,

Mon cul je donnerai.

 

Ainsi le p’tit Jésus

Pourra enfin bander.

La République en sus

Se fera un devoir

De m’fonctionnariser.

Normal, j’ai le pouvoir !

 

*

Tu t’es pris pour Voltaire

Face au chevalier de Rohan

Mais Jean-Claude Marin

Même « en détention non provisoire »

N’a pas de lustre sous la table.

Autre chose, oui, sans doute,

Mais pas de lustre.

Ses pieds, ses genoux,

Le bord de la chaise

Où reposent ses couilles.

Mais ces objets du délit

N’en font pas un personnage.

Remets-le dans son berceau,

Avec son hochet, ses erreurs,

Et son sens de l’orientation.

Enfin, signe au bas du tableau.

 

*

« Mon cher lecteur veut connaître cet âne,

Qui vint alors offrir sa croupe à Jeanne… »

 

*

Forcément, le piston,

C’est pas dans le nez

Qu’on se le met.

Surtout si on a

Le cul d’être bien né.

 

Le reste, c’est pour les autres.

Et on en voit de toutes les couleurs.

 

Les trésors de la Nation —

Médailles, prix, postes et nœuds,

Ça transite par les ministres

Via les sponsors de bonne famille

Et les mécènes des syndicats.

 

Le reste, c’est pour les autres.

Et on en voit de toutes les couleurs.

Moi je vois rouge

Avec ou sans verre.

 

« Faudrait être con pour pas en profiter ! »

Me dit Gnagnak sans humour noir.

— Mais si ya rien à profiter

On est con quand même.

Honnête ou crapule

On change pas facilement

Quand on en voit de toutes les couleurs.

 

Dire qu’il suffit d’être premier ministre

Pour pouvoir tenir des propos racistes

Et ne pas en payer le prix !

 

La couleur, ça n’compte plus !

On joue impair et manque.

Et à la même table en plus.

Vive la France et les couillons !

Le reste c’est pour les autres.

 

*

 

Je mange à tous les râteliers

 

A Vichy, Sétif ou Alger

 

*

Labrel veut infantiliser mon enfant.

Il déploie le drapeau et l’explique.

Il invite à la guerre contre le terrorisme.

« En récompense, on fera du théâtre, »

Promet-il en répandant son odeur d’anis.

 

A la maison, mon enfant s’entraine

A ne pas mourir pour des prunes.

Il va faire une guerre à l’américaine

Avec des moyens purement français.

Ça va pas être beau à voir !

 

Dimanche on est allé au bord de l’eau.

Elle était salée mais on a payé.

Pour le même prix, on attendu

Que le soleil se couche et que la nuit

Nous oblige à allumer les phares.

 

« Le terrorisme, c’est là-bas, 

A dit mon enfant en montrant l’horizon.

Et si on fait pas gaffe, ce sera ici ! »

Voilà comment il me fout la trouille,

Cet enfant qui n’est déjà plus le mien.

 

*

Ça saignait dans les vitrines.

Un flic encore à jeun voulait voyager.

« Mais alors loin ! » grognait-il

En secouant son indice retraite.

 

Nous, on était plus simple.

Beaucoup moins bien payé

A rien foutre, mais plus simple.

On pensait au lendemain d’un attentat.

 

Remarquez bien qu’on faisait que passer.

Les agences de voyage, c’est beau

Comme les discours présidentiels,

Mais n’est pas flic feignant et poivrot

Qui veut voyager aussi loin que lui.

 

On a expliqué au gosse que le sang,

Celui qu’on verse sans faire exprès,

C’est le même que celui qu’on fait exprès,

Sauf qu’on a pas la garantie de l’emploi.

 

Il a passé la soirée à nous demander

Pourquoi qu’on avait pas fait fonctionnaire

Alors qu’ils embauchent que des cons

Et des faux culs et même des étrangers.

 

*

On demande pas mieux de travailler

Et de baiser comme des bêtes

Pour multiplier et même croître.

Mais la patrie, c’est trop abstrait.

 

Bon, le drapeau est pas compliqué.

Avec deux feutres tu t’en sors.

Et on commence par le rouge

Ce qui se finit dans le bleu.

 

Nous on est pas pour l’abstraction.

Une fois qu’on a bien dessiné

Et respecté l’ordre historique,

On a un drapeau avec du blanc au milieu.

 

C’est peut-être ça qui fait abstrait.

On a envie de s’y torcher le cul.

Oh ! juste pour déconner en attendant dimanche.

Pour le sang, n’en parlez pas trop aux enfants.

Ils finiront par avoir des idées concrètes

Et nous on passera pour des cons.

 

La patrie, c’est vraiment trop abstrait.

On la sent pas, on reste froid.

Du coup on a envie de travailler plus

Et baiser moins car les enfants,

A force de les multiplier par plaisir,

Ça revient cher en explications.

 

*

Je me demande si je vais pas me voiler.

J’arriverai sur la scène complètement à poil.

Et je recollerai tous les poils à leur place

Avant de me couvrir des pieds à la tête.

 

Ensuite je sortirai dans la rue des flics

Et de tous les faux culs qui servent à quelque chose.

Je veux savoir ce que ça fait d’être insultée par la Loi.

 

*

Bizarre que nos politicards

Finissent tous fonctionnaires

Comme au temps des rois.

 

Je me demande qui est le roi,

Qui est la reine,

Et si j’ai une chance moi aussi.

 

Entre chiens, salauds et fils de pute,

Mon bulletin d’élection

Ne me parle plus.

 

Je me demande qui est sur le trône,

Avec qui il baise

Et quel est cet enfant

Qui nous fera chier

Comme ses parents

Quand on sera grand.

 

*

Et si j’allais danser

Avec les papillons

Et les fraises des bois

Au lieu d’aller voter ?

 

Moi je trouve qu’on est bien

En France.

Je ne veux plus sortir de chez moi

Pour aller voter.

 

Et pour ne pas être seul

Je deviendrai schizo,

A Frênes ou en Enfer

Si c’est ça qui fait deux.

 

Et si j’allais chanter

Avec les grillons dans l’herbe

Qui va si bien à mon teint

Et à mes petites ordures ?

 

On est bien dans ce pays !

Suffit de pas en parler

Si des fois on est mal luné

Les jours de contentieux.

 

J’irai danser et chanter

Autant qu’il me plaira

Et je ne verrai plus personne

Dans les arbres de mon jardin.

 

*

Avec une médaille dans le cul

Et le renfort de la sécu,

Ils ont pas l’air de s’ennuyer,

Nos putains de retraités.

 

J’en ai un dans mon jardin.

Avant, il était en céramique blanche.

Maintenant, grâce à l’État,

Il a pris les couleurs de la vie.

 

C’est comme au cinéma français.

Ça tranche de vie à deux ou trois.

Il est pas seul, mon retraité.

Il m’a moi et mes miens.

 

Je le peinturlur’ bien moi aussi

Avec les sous du gouvernement.

Je veux bien êt’ républicain,

Mais faut pas m’prendr’ pour un crétin.

 

J’en veux bien deux si c’est possible.

C’est qu’il faut pas que ça s’ennuie.

Sinon ça redevient malade

Et ça s’absente rien qu’pour des riens.

 

Vous m’en mettrez deux ou trois autres.

Ça f’ra la paire et même deux.

Pendant ce temps ma femme et moi

On ira au bord de la mer…

 

On ira au bord de la mer

Pour voir les poissons et les moules.

Ça nous chang’ra des retraités

Et même aussi de not’ jardin.

 

*

La terre est à tout le monde.

Laissez-les voyager.

Quelques-uns ne s’arrêteront pas

Et ce seront les plus inoubliables.

 

*

Que ceux qui sont partis la fleur au fusil

Crèvent !

Et qu’ils foutent la paix aux autres

Si jamais ils reviennent !

 

Est-il juste de saluer un drapeau ?

Est-il normal de se dresser fier

Devant un monument aux morts ?

Est-il humain de souhaiter

la mort de son ennemi ?

 

Et je ne crache pas que sur vos tombes.

Je crache d’abord sur vos œuvres.

Que ma salive vous pourrisse l’existence !

 

Je n’irai pas à l’école de la république.

Je ne défendrai pas la veuve et l’orphelin.

Je ne me coucherai pas

Aux pieds de vos statues.

 

La vraie vie est ailleurs, dit-il.

Mais je me demande bien où !

Je crache aussi sur les poètes

Qui me racontent des salades.

 

*

C’est facile d’être anarchiste

Quand on est payé par l’État.

Facile d’écrire des chansons

Et de prétendre qu’il s’agit

De poèmes…

 

Les milliardaires et les petits bourgeois

Sont faits pour vivre ensemble.

Qu’est-ce que je fous

Si je ne fous rien,

Papa… ?

 

J’en connais un

Qui a fait le tour du monde

Rien qu’avec son salaire

Et celui de sa femme,

Salaire…

 

Voici les plages d’or fin

Où jamais je n’irai me dorer

La pilule…

 

J’irai plutôt tremper l’acier

De ma triste volonté

Dans les idées les plus folles,

Folie…

 

Notre père qui êtes aussi,

Soyez-y

Et n’oubliez pas vos petits bourgeois,

Vos profs, vos flics, vos boutiquiers,

La France…

 

N’oubliez pas mes petits souliers

De terroriste heureux de l’être

Faute d’avoir le pied marrant

En société…

 

*

C’est que je ne comprends pas

Ma haine…

Je ne comprends pas pourquoi

Il est nécessaire de vous haïr.

 

Le monde appartient à tout le monde

Sauf à moi…

Je ne sais pas posséder

Et pourtant je travaille

Et j’aime tellement

Que je me reproduis.

 

Cet enfant est le mien.

Vous finirez par le haïr

Comme je vous hais.

 

*

Martenot n’a rien à voir avec les ondes

Du même nom.

D’ailleurs il ne joue pas

Et refuse d’être joué.

 

C’est mon voisin le plus futé.

Il se suicide tous les jours

Et Dieu ne fait rien

Pour que ça change.

 

Et ça se passe sous ma fenêtre

Comme si c’était moi,

Sa voisine de palier,

Qu’il hait à la place des autres.

 

Vierge Marie, grosse pute,

Prête-moi le fruit de tes entrailles

Pour que j’en mette dans le ragoût

De ce salaud qui me pourrit la vie.

 

Si Dieu le veut

— mais il ne voudra pas —

On aura toi et moi

La même peine à accomplir

Au nom de la Loi et des hommes.

 

*

Putain de Jésus en sucre !

Le voilà qui revient

A la mode.

J’en ai trouvé un

Dans ma chaussette.

Ça m’apprendra à aimer Dieu

Comme le père Noël.

 

*

Bougez vous ! au lieu de pleurer

Dans les plis de votre drapeau

Qui est aussi le mien

Mais j’ai pas fait exprès

De tomber du nid.

 

Vous ne m’entendrez pas

Chanter la Marseillaise.

Je ferai LA LA LA

Sans filer à l’anglaise.

 

Les assassins tirent sur les habitants

Des quartiers chics de Paris.

Les flics tirent dans les rues

Pourries de Saint-Denis.

Chacun sa peau de balle.

 

Après tout la musique

De Berlioz et sa clique

C’est pas si mal que ça

Surtout si LA LA LA !

 

On vit bien mais les autres ?

La liberté est cannibale.

On sait ça depuis toujours.

On ne mange pas de l’homme

Sans s’empoisonner l’existence.

 

LA LA LA ! et du sang

Pour sauver ce qui reste

Des racin’s et des ans.

Pour ça on a la veste !

 

Le monde s’améliore.

Le fascisme est l’idéal des pauvres.

Faut être riche

Pour rêver de démocratie

Sous la houlett’ des parlements.

 

Allons enfants c’est pas fini !

Encore un effort et la Terre

Ressemblera à vos Paris

Avec des flics et des poètes.

 

La prochain’ fois je salue pas !

Et si c’était pas le bon drapeau ?

Essayez de chier dedans

Avant de vous faire une idée

De ce qui nous attend.

 

Tuons et abreuvons !

Vive l’oxymoron,

La charrue et les cons !

Bravons, décervelons !

 

Mais il faut se résigner.

Les pauvres sont les soldats des riches.

Et les riches ne vont pas à la guerre.

Ils la font.

 

Je ne tuerai pas le taureau !

Je ne tuerai rien de vivant !

Je veux bien sacrifier les morts

Sur l’hôtel de nos monuments !

 

Mais ne m’en demandez pas plus.

J’ai pas la force, pas le pognon.

Démerdez-vous si ça vous plaît

Et si ça vous plaît pas

Changez d’trottoir.

Je suis l’éboueur.

 

*

Moi j’aime bien la musique de la Marseillaise.

Surtout pour beurrer mes tartines le matin.

Mais heureusement que je connais pas les paroles !

Sinon qu’est-ce que je me ferais dénoncer

Pour incitation à la violence !

 

Le drapeau tricolore, que voulez-vous,

C’est pour moi le drapeau du Front national.

Et puis c’est trop voyant pour ma façade,

Un vieux mur qui a besoin de fraternité.

Tout ça à cause de l’inégalité

Provoquée par la pratique du copinage.

 

Bon, le deuil, la douleur, je dis pas non,

Mais à condition que ce soit pas un « hommage » !

Je m’associe à la douleur des familles, des amis.

Mais pour ce qui est d’apprécier les décorations,

J’ai mon idée qui n’est pas celle du Président.

Qui qu’a dit que j’ai pas droit ?

 

Ya aussi la guerre que je veux pas faire.

Je m’en fous que c’est pas moi qui pilote !

Avec le prix d’un missile ou même d’une pétarade,

Je monte une asso et je deviens présidente !

Faudrait voir à pas se foutre de ma gueule,

Mesdames, messieurs les parlementeurs !

 

Et puis j’croirais à la parole d’un flic

Quand elle sera soumise à l’intelligence d’un juge.

Et encore… ya juge et juge dans ce pays

Où la liberté est soumise aux intérêts de l’État

Et de ses actionnaires, sacré bordel de Dieu !

Et que tu sois Jésus, Mahomet ou Yahvé !

 

Sur ce, les amis, je vous salue bien bas.

J’ai des chats à fouetter et ça leur déplaît pas.

 

*

Manquerait plus qu’ils nous assassinent aussi

Dans les banlieues et en marge de la société !

Alors là que oui que la jeunesse foutrait le camp !

Parce que c’est la mienne ! Et que j’y tiens

Comme d’autres tiennent à leurs concerts

Et aux joujoux de la politique culturelle !

 

Non mais !

 

*

 

Histoire de la femme en poésie

 (elle se penche)

 

Qu’est-ce qu’ils font ?

Ils améliorent la doctrine fasciste.

La poésie devient chanson.

La terre porte un drapeau.

L’ordre assure le pouvoir.

Voilà ce qu’ils font.

Et moi, qu’est-ce que je fais ?

Qu’est-ce que je peux faire ?

Voter comme aboient les chiens ?

Travailler, repeupler, combattre ?

La seule chose que je sais faire,

C’est travailler — et encore

Je travaille à ma manière.

Je sais baiser aussi, mais l’enfant

Je ne l’ai pas fait exprès.

La prochaine fois, je ferai gaffe.

Et si vous pensez m’utiliser

Dans un combat contre l’ennemi

De la patrie, épargnez-moi

Le meurtre de mon prochain.

Sinon, je ne fais rien de mal.

Je vis pour exister encore un peu.

J’aime la nature, les hommes

Et tout ce qui respire ici-bas.

Je ne sais pas pour vous mais moi

Ça m’occupe toute la journée.

Et la nuit je cauchemarde

A cause de votre télévision

Et de vos ministres fils de pute.

Ces viols de ma chair

Et de ma conscience nuisent

A mon sommeil de bonne femme.

Je réveille mon enfant

Et il crie lui aussi.

Il crie parce que je lui fais peur.

Mais comment lui expliquer

Que c’est votre peur

Qui nous empêche de dormir ?

 

(on entend la mer)

 

Je ne me sens pas seule pourtant.

Oh ce n’est pas l’enfant.

C’est tout le monde et la mer

Que nous avons atteinte

Pour en jouir avant de mourir.

Nous n’y reviendrons pas.

Une dernière fois la mer.

 

(elle pleure longtemps)

 

Le premier barreau était trop haut.

J’ai simplement levé la tête

Pour mesurer la différence.

On n’a pas tous la même chance.

Il faut hériter ou gagner.

Qu’est-ce qu’on devient

Quand on n’est pas héritier

Ni conquérant, ni veinard ?

Ni… fâcheux si je puis dire.

 

(elle sent la brise sur son visage)

 

Après le voyage à la montagne,

On nous a proposé la mer

Et des vagues à la place de la neige.

L’eau, toujours l’eau pour commencer

Et finir en beauté.

Maman me le disait en chantant.

Papa le disait aussi en fumant.

Je n’ai pas compris à quel point

On ne fait jamais ce qu’on veut.

 

(elle ramasse un coquillage)

 

Voici la première nuit de l’été.

La première au bord de la mer.

L’enfant dort à poings fermés.

Je n’ai pas encore crié.

Il faudra que je dorme.

Mais je me tiens éveillée

Pour ne pas céder au rêve.

On ne sait jamais ce qu’il réserve

Au lendemain et aux autres.

Je serai là en maillot de bain,

La peau dorée par le soleil,

Humant l’écume comme une bête

Qui ne voit pas plus loin

Que le bout de son nez.

C’est là toute mon attente.

Je n’ai jamais su attendre autrement.

Mais cette nuit je ne rêverai pas.

J’atteindrai cette roche

Au milieu de la mer, battue

Par les vagues noires et blanches,

Sans oiseaux pour crier,

Sans l’enfant pour jouer.

J’irai nager dans cette obscurité.

 

(elle réprime un frisson)

 

Je tente l’impossible.

C’est dans ma nouvelle nature.

Je l’ai compris à la montagne.

Le vent s’en prenait à mon visage.

Mon regard se troublait.

Je ne savais plus si c’était la nuit

Ou si le jour venait de commencer,

Mais j’étais seule au bord du vide

Et j’ai compris que l’existence

Consiste à ne pas exister avec vous.

Existe-t-il un autre monde ?

 

(elle jette le coquillage dans la mer)

 

Coquille vide de la poésie.

S’il s’agit de faire la guerre

A ceux qui ne comprennent pas

Que je ne suis rien dans ce monde,

Alors que mon enfant meure

Sur le champ, et vite, sans souffrance,

Cette nuit, et tant pis pour le rêve !

 

(elle laisse s’envoler son écharpe)

 

Nous n’avons jamais été que deux.

On nous a offert de tristes vacances

Dans le cadre d’un programme destiné

A nous rendre heureux malgré nous.

Voilà ce qui peut passer par la tête

D’un ministre qui fait de vieux os

A l’abri des besoins les plus simples.

Cette nuit j’irai toute nue vers cette roche.

J’ai toujours été fascinée par la pierre.

Celle-ci traverse l’eau verticalement.

J’irai gravir ses flancs moussus.

Mais l’eau ne me laissera pas tranquille.

 

(elle s’agenouille, sa robe se mouille.

on entend mieux le bruit des vagues

qui finissent dans ses pieds)

 

Mais pourquoi tuer l’enfant ?

Me direz-vous, ô mes juges.

Pourquoi ne pas le laisser vivre

Et croître avec les autres

De son espèce, pourquoi, Luce ?

Vous pensez que je ne saurai pas

Répondre à cette question idiote.

Mais j’ai toujours su qu’il était l’enfant

De mon désespoir et de ma hâte.

Je crois d’ailleurs qu’il est mort

Le jour où j’ai commencé à l’aimer.

Il n’y a pas de poésie plus sincère

Que ce cri demandant à rêver

Pour ne plus se sentir seul

Parmi les cadavres futurs.

 

(elle ôte sa robe, la voilà nue)

 

Maintenant que vous savez tout,

Je plonge pour ne plus revenir.

Je m’arrêterai sur cette roche

Pour prendre la mesure de ma folie.

Me voilà vidée de toute honte

Et de toute haine, de tout amour.

Je n’ai jamais conçu l’amour

Autrement — haine et honte

D’avoir franchi le cap de la jeunesse

Dans l’espoir de retrouver la trace

Laissée par les idéaux — folie !

 

(elle entre dans l’eau jusqu’à la taille)

 

Quelle peur fait de moi une femme ?

Ai-je bien tué mon enfant

Ou l’ai-je seulement rêvé ?

Il ne faut pas se retourner !

La roche est mon seul spectacle

Maintenant, là bas, environnée

De blanches vagues à l’écume noire.

J’ai encore rêvé de reculer,

Car il m’a semblé que je me trompais.

Mais l’eau me communique sa magie.

Dans quelle matière entrons-nous

Si elle n’est pas liquide à l’instar

De l’eau qui nous encercle ?

Si j’ai tué mon enfant je l’ai noyé.

Pourtant j’ai rêvé de l’étouffer là,

Contre mon sein, tout près du cœur.

Il n’y a rien comme le cœur

Pour adoucir la douleur.

Rien comme ce battement

Qui marque le temps mieux

Que l’horloge de nos savants.

 

(maintenant

 l’eau arrive sous son menton.

elle ne nage pas encore)

 

Une fois j’ai traversé la rivière

De mon enfance, à gué la rivière

De l’enfant que je n’ai pas su rester.

De l’autre côté, on riait et le pommier

Etait secoué par de solides garçons.

J’en avais la chatte tout excitée.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

Personne ne m’avait tuée ni songé

A le faire — pourtant la guerre

Sillonnait nos champs, tuait nos bêtes.

Ma chatte réclamait sa part de bonheur

Et pourtant, je n’étais qu’une enfant.

Je m’en souviens comme si je mentais

A propos de ce que je vis en ce moment.

Ma chatte mouillée et toutes ces queues

Qui frémissaient à la pensée d’une victoire

Sur le destin — pauvres que nous étions !

 

(elle commence à nager.

elle se plaint)

 

L’eau est froide tout à coup !

On ne sait jamais avec ces courants.

Les uns vous réchauffent comme l’amour,

Les autres vous glacent comme la mort.

La voilà bien la mer dont je rêvais !

Et je n’étais déjà plus une enfant.

La chatte moins attentive à l’effort

Nécessaire de la part du baiseur.

Voilà à quoi je pense tout en nageant !

Je ne sens plus ma chatte ni mes seins.

L’eau est noire, muette comme le mensonge,

Enorme, douce à la fois, menaçante.

Elle est tout ce que je tente de fuir

Dans l’attente de rencontrer la roche.

Du coup le ciel a disparu, la nuit

Ne l’éclaire plus, le clapotis me prive

De toute perspective, signe avant-coureur

De la noyade ou je me trompe.

Je ne sais même plus où je suis,

Où est la roche, si je m’éloigne,

Si je suis emportée, si c’est le vent

Ou la seule force de l’eau, de la mer.

Gardons-nous de ne pas mourir

Avant d’avoir joui des effets de la roche

Sur notre esprit en proie à l’angoisse.

Le coquillage y est vivant, le crustacé

Y dort, êtres de l’ombre et des surfaces

Qui affleurent le ciel et ses signaux.

Je sens que je vais devenir obscure.

Telle est l’excuse de la poésie

Aux paresseux qui cherchent des accords

Pour accompagner leur ignorance

Du phénomène — voyez comme je nage

Sans effort maintenant que je suis morte !

 

(elle flotte sur le dos)

 

Il n’y a rien comme la solitude

Et la nuit pour vous emporter

A l’horizon le plus proche de vous-même.

Mes seins hors de l’eau ont froid.

L’eau clapote entre mes cuisses

Et je me souviens que je suis chatte

Aussi bien qu’esprit en phase

Avec le monde et ses habitants — poésie

De la tentation, mon amie, et non pas

De l’intention comme tu le croyais

Tout à l’heure en te jetant à l’eau.

J’ai besoin d’une bite pour en rire.

Mais le ciel s’obscurcit, il va pleuvoir.

La brise se rafraîchit, l’eau s’agite,

Monte, me couvre, me retourne,

M’aplatit contre la roche, je glisse.

Mes mains ne peuvent rien saisir.

 

(elle pousse un cri affreux)

 

Ce n’est pas moi, ça ! Poésie !

Je ne me ressemble plus, Moi !

J’ai l’air d’un chiffon dans le lavoir.

L’eau forme des bulles blanches.

Le sel, je ne l’avais pas senti jusque-là.

Il me donnera soif, terriblement soif.

Il faut que je trouve une aspérité.

Mais ce ne peut être qu’une rencontre.

La poésie me l’a enseigné ! Mais voyons,

Je ne suis pas en train d’écrire !

J’ai décidé de mourir parce que ma vie

N’entre plus dans mon existence

Comme la queue dans la chatte.

O que ma langue est ordinaire !

Est-ce ainsi chaque fois qu’on meurt ?

La langue ne se fait plus belle.

Elle revient à sa nature de lien

Entre les inventeurs de sa croissance.

Mais comment parler de ce désir

D’être tronchée par une belle bite ?

Est-ce que Racine nous en dit un mot

Plus haut que l’autre ? — poésie,

Je ne veux pas mourir sans le dire.

 

(elle se débat,

arrache des algues

 forme l’écume)

 

Puis-je me laisser emporter

Par je ne sais quelle force liquide,

Peut-être la trace d’une baleine

Ou le vent qui descend sur moi

Pour m’empêcher de parler aux morts ?

 

(elle se calme lentement,

retrouve sa respiration.

une de ses mains accroche

une aspérité rocheuse)

 

Sauvée ! Pour l’instant, car

Je n’ai pas renoncé à mourir.

Comme Pétrone je mesure

Cette distance sans retour possible.

Mais le temps ne s’arrête jamais.

Alors pourquoi grimper sur ce rocher,

Ce vulgaire rocher qui a toujours été là

Et qui survivra à ce que j’appelle poésie ?

Je hisse mon corps blessé, sanglant.

Je me plie aux contraintes que la forme

Du rocher impose à mes membres.

Puis ma tête se repose et réfléchit.

Je suis étendue, la chatte en l’air,

Face à la nuit et à la pluie.

Pourquoi ne pas ramener sur le rivage

Cette effusion de sensations, de pensées ?

Pourquoi ne pas redonner vie

A l’enfant que j’ai laissé aux soins

Du croquemort et de la justice ?

 

(elle s’assoit,

instable sur la roche)

 

Je n’avais pas été si loin dans la montagne.

Peut-être à cause du froid qui me paralysait.

Ce n’est plus le même froid, celui

De la mer et de la poésie qui m’emporte.

Ici, pas de douleur à l’intérieur,

Pas de douleur prenant racine au fond de moi.

C’est une douleur de surface, un frisson

De sang et de sueur, une contraction

Nécessaire à l’équilibre sans quoi

Je tombe à l’eau et cette fois je me noie.

J’attendrai la pointe du jour, qu’elle s’enfonce

Dans ce qui me reste de jugeote.

On me verra peut-être depuis le rivage.

A moins que je ne sois poisson.

Qui s’étonne de voir le poisson dans l’eau

A une heure aussi matinale ? Personne.

Mais la femme nue et sanglante sur un rocher ?

Qui ne vient pas à son secours pour la baiser ?

Mon enfant n’est peut-être pas mort.

Je n’ai pas serré son cou assez longtemps.

Je ne me souviens pas d’avoir attendu

Qu’il cesse de respirer, sa langue sur mon téton

Et ses petits pieds sur mon ventre, battant.

 

(elle tente de se mettre debout)

 

Il faut que j’y retourne.

Je dois l’achever si ce n’est déjà fait.

On ne me surprendra pas à cette heure.

Je vois le rivage d’ici — à moins

Que ce soit l’horizon — attention

A revenir ! L’horizon est trompeur

Quand on ne l’a jamais atteint.

Je vais trop vite en besogne.

Je finirai par me le reprocher

Et toute cette histoire fondra

Comme le sel dans l’eau.

 

(elle plonge,

s’embrouille au fond de l’eau

 ne remonte pas)

 

Mais je ne suis pas un cristal soluble.

Je marche à l’envers ou c’est du sable

Que ma tête rencontre dans le noir

Et la tranquille agitation des profondeurs ?

Ma bouche s’est fermée et ne veut plus s’ouvrir.

Mes narines ne font pas autre chose.

Je ne veux pas mourir comme ça,

Par accident. Je ne veux pas mourir

Si mon enfant est encore en vie.

Il faut que je trouve cette force.

Revenir au rivage, me raisonner,

Saisir le cou de l’enfant, le serrer

Cette fois avec toute la conviction

Que ma propre mort m’inspire.

Mais je suis sous l’eau avec les poissons.

Je serai morte quand je me mettrai

A flotter comme un matelas, moi !

Qui n’ai vécu que pour le dire.

 

(elle ouvre enfin la bouche)

 

Aucune douleur… je ne rêve pas.

L’enfant est vivant ou il est mort.

Je ne le saurai jamais, je n’en parlerai

A personne et je l’oublierai

Par la force des choses — les choses

Qui ont peuplé mon existence de guignarde.

Pas de souffrance… on dirait

Que mon corps s’apprête à flotter.

J’aurais bientôt la tête hors de l’eau,

Mais pour ce qui est de respirer, tintin !

On m’oubliera, même l’enfant

S’il n’est pas mort, mais il mourra.

Ce sera ma seule idée de la Justice :

Tout le monde meurt, personne ne survit

Assez longtemps pour épater la science.

Après la connaissance, le néant.

Et rien après le néant parce que le néant

C’est l’après — et non pas le futur.

 

(un dernier spasme la secoue)

 

Cette fois je crois bien que c’est fini.

Le soleil revient sous la pluie.

Comme ces gouttes me rassemblent !

Je ne suis plus moi, je n’ai jamais eu d’enfant,

Ma chatte n’a jamais existé, ni l’homme,

Ni même la poésie. Je suis ce que je ne suis pas.

 

…………………………………………………………………….

A l’hôtel, on sort discrètement le corps de l’enfant et on l’enfourne dans une ambulance. Et sur le rivage, on utilise des jumelles pour examiner la surface de l’eau. Il ne se passe jamais rien d’autre. Et pourtant, tout recommence. Il n’y a pas d’origine et pas de fin. Il n’y a qu’un théâtre et des comédiens. Et personne dans la salle.

 

LUCE

Un jour avant de se jeter à l’eau…

de ce poème.

 

*

 

Que se passe-t-il ?

On n’entend plus les poètes.

Est-ce qu’ils sont morts ?

N’ont-ils plus de voix ?

Les fils sont-ils coupés ?

La poésie est-elle condamnée

Au chant de guerre ?

 

Je demande à la philosophie

De m’expliquer le phénomène

Et non pas de se taire

Pour éviter les balles

Et les jugements

En correctionnelle.

 

Poètes qui chantiez la paix !

La guerre déclarée

Vous a-t-elle privés de langue ?

Il est vrai que la conviction

Est l’apanage des superstitieux.

Que dis-je ? Des profiteurs

Quand le temps est au beau

Et des précautionneux

Quand la subvention

Et la reconnaissance

Tiennent à un bombardier

En mission assassine.

 

Poètes vous chanterez la mort.

Vous la couvrirez d’un drapeau

Aussi moche qu’immature.

Et vous paraîtrez à la fenêtre

De vos tombeaux en forme de hochet.

 

Le prophète a raison.

Vous êtes des menteurs.

Des décorateurs, des adulateurs,

Des délateurs, lâches, vendus.

Vos rimes sont des rimes

Comme un sou est un sou.

 

*

 

Ne volez pas ma bicyclette !

Sans elle plus de tour de France.

Et sans la Franc’, plus de poète

Pour abreuver sillons et panses.

 

Ce deux roues c’est toute ma vie.

Je pédale pour fair’ des rimes.

Sans rimes ya plus d’ poésie !

Sans elle je suis anonyme.

 

Le cul sur la selle en vadrouille,

J’ai l’ambition municipale.

Je suis le roi de la pédale.

Voilà comment je me débrouille.

 

Je veux des livres en papier !

Et un guidon avec des freins.

Faut se lever tôt le matin

Pour rimer même avec les pieds.

 

Ne touchez pas à mon vélo !

Me piquez pas la dynamo !

Je vous éclairerai d’en haut

Avec des quatrains comme il faut.

 

J’ai hérité de cett’ bécane !

Je l’ai pas volée en votant

Pour les dieux du gouvernement.

Je veux mon vélo pas votre âne !

 

La poésie des intellos

C’est du crottin sur le pavé.

Moi je sais faire du vélo.

On peut êt’ con mais pas rêver.

 

Ne crevez pas mes pneumatiques !

Jamais je fais de politique.

Je me soumets à la critique

Sans sombrer dans l’anecdotique.

 

Me reprochez pas mes patins.

Quand ça glisse je collabore.

Je suis le roi du coup de frein

Et l’ami des feux tricolores.

 

Encore un petit tour de France

Sur mon vélo municipal !

Et d’atelier en renaissance

Je vous apprends le principal.

 

Ne l’niez pas, je suis utile !

Je me médaille avant qu’il soit

Trop tard pour devenir le roi

D’une glorieuse automobile.

 

Vous verrez comme quatre pneus,

Autrement dit deux bicyclettes,

Ça rend les gens un peu moins bêtes

Et les voleurs plus malheureux.

 

Allons zenfants de la patrie

Le jour est enfin arrivé !

On va par deux pouvoir s’aimer

Sans tomber dans la psychiatrie !

 

Et j’dis pas ça pour les cyclistes

Qui n’ont qu’un’ roue dessous les fesses.

Je parle au peuple et à ses messes.

Voter c’est con mais on résiste.

 

Sur ce je vous quitte en chanson

Sinon je redeviens obscur.

Si le poème est trop abscons

Ben ma foi adieu les chaussures !

 

*

Api beursedé Manu !

Api beursedé tou you.

Api beursedé mon ami.

Api beursedé et des poussières.

 

Je suis venu te dire

Que je suis patriote.

Comm’ j’ai pas les chocottes

J’te propose mon martyre.

 

Je me mettrai un’ bombe

A la place des méninges.

Tu repass’ras mon linge

Avant d’m’ mett’ dans la tombe.

 

Api beursedé Manu !

Api beursedé tou you.

Api beursedé mon ami.

Api beursedé et des poussières.

 

Pour la creuser tu pioches

Dans l’programme’ des promesses.

Sinon gare à tes fesses !

Dieu est un mauvais mioche.

 

Un’ fois que j’s’rai dedans

N’oublie pas pour ta gloire

Mon devoir de mémoire

Et mes pot’s claquedents.

 

Api beursedé Manu !

Api beursedé tou you.

Api beursedé mon ami.

Api beursedé et des poussières.

 

Si l’or de mes ratiches

Peut servir la nation,

Arrache sans pourliche

Jusque dedans le fion.

 

Ah de la class’ j’ai pas

La moyenne qu’il faut,

Mais vu d’ici en bas

Mêm’ le vrai a l’air faux.

 

Api beursedé Manu !

Api beursedé tou you.

Api beursedé mon ami.

Api beursedé et des poussières.

 

*

Ah je me sens libre comme l’air !

Et pas peu fière de l’être.

Même que je me crois croâ croâ

L’égale des saints de la Nation.

Mais être la sœur de Manuel Valls,

De Sarkozy et de Johnny Halliday…

Ah si c’est la Loi vous m’en demandez trop !

Je préfère me condamner tout de suite

Au bannissement du banc social

Plutôt que de partager quelque chose

D’aussi précieux que ma personne

Avec ces tumeurs républicaines

Montées comme des girouettes

Sur les clochers de nos églises

Pour me donner du mal au crâne.

Que je sois libre ça vous regarde pas.

Et que je sois égale ou pas,

C’est l’affaire de ma curiosité.

Mais fricoter avec les donneurs

De leçons et de spectacles,

Ah ça non je suis pas charlie !

Plutôt avaler un David Bowie.

Mais juste parce que je comprends pas

Ce que ce pitre de la hanche et de l’œil

Prétend communiquer à mes neurones.

Et je parle pas du monticule Renaud

Qui veut s’énerver avec la foule

Encore un peu avant de s’y remettre.

Vive la liberté et l’égalité !

Après tout j’en fais ce que je veux.

Mais la fraternité avec des singes,

Ça me fait remonter trop loin

Et je sais plus comment on faisait

Quand c’était juste singer qu’il fallait

Pour se servir des autres et même des cons.

J’ai oublié ce temps-là, turlututu !

Je suis toute neuve et ça brille pas.

La liberté nous rend marteaux

Et l’égalité nous enferme entre quatre murs.

Ça suffit bien pour continuer

De vivre en essayant de se faire aimer

Par ceux qu’on a vraiment croisés

Sans être obligé de loucher

Sur l’identitié et le droit d’exister.

Je ne suis la sœur de personne.

Chacun pour soi et Dieu pour tous,

M’a-t-on enseigné à l’école.

J’ai retenu la leçon et ce sera la seule.

Ça me rend libre de penser à autre chose.

C’est comme ça que je me sens égale

Et même quelquefois supérieure.

Citoyenne je veux ! Mais pas sœur !

Que la liberté soit avec vous

Et l’égalité avec votre esprit.

Je ne suis la sœur de personne.

 

*

Grikiki revenait de la guerre

Contre des inconnus nés ailleurs.

Il ramenait une blessure,

De la peur et aussi de la haine.

 

De quoi vous plaignez-vous ?

Dit le citoyen qui n’était pas allé,

Qui n’était même allé nulle part

Pour rester chez lui avec les siens.

 

De quoi ? Mais de ne plus être

Moi-même ni le fils de mon père !

S’écria Grikiki en montrant

Sa blessure, la peur et aussi la haine.

 

Ce n’est rien, dit le citoyen, qu’un peu

De chair, de feu et aussi de haine.

N’en ai-je pas moi aussi à revendre

De ces produits venus des Colonies ?

Vous feriez bien de vous remettre

Au travail comme les autres, ceux

Qui ont été et ceux qui ne sont plus.

C’est comme ça qu’on devient président.

Vous ne voulez pas devenir vous aussi

Président de la République ?

Ne me dites pas le contraire !

Tout le monde rêve ensemble.

On ne rêve plus tout seul dans son lit.

Ça ne se fait plus, dans l’urgence.

Laissez faire ceux qui savent pourquoi

Les uns ont tort et les autres raison.

Ne pensez plus à vos blessures,

Ni à la peur qui n’existe pas ici.

Même Renaud ne craint de crever

D’une balle en plein dans les tripes.

Faites comme lui, mentez-vous

A vous-même et devant les autres.

Faites comme si la haine n’en était pas.

Et servez-vous-en, nom de Dieu !

 

Garde à vous ! Au trot ! Et en avant !

Ce n’est pas fini ! Ça commence !

Pour qui vous prenez-vous, mauvais

Sujet, enfant ingrat, fils de personne ?

La patrie va vous montrer comment

On l’aime quand on s’est battu pour elle.

Nous on sait déjà se faire enculer.

On est resté ici pour ça, monsieur

Le vétéran, oiseau de malheur, SDF !

Ce n’est pas vous qui allez nous apprendre !

Couchez-vous là où on vous dit.

Un fonctionnaire va vous prendre

En charge. Et gare à la rébellion !

On sait aussi les mater, ceux qui ont

Déjà servi ! Tenez-vous-le pour dit !

Et c’est signé : Le Président, ses ministres

Et le Parlement au complet. Dehors !

 

*

Il n’y a pas de pays qui tienne.

La preuve je ne marche pas

Sur cette terre d’électeurs.

Je choisis de rêver que je rêve.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

Tout s’écroule autour de moi,

Les rêves d’enfants, les vacances,

Et les promenades avec toi.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

On a trop besoin de chefs.

Et à la fin il faut se battre

Alors qu’on était venu pour autre chose.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

Le seul bonheur est une défaite.

Une guerre sans solution de fin.

Et des morts dans la maison voisine.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

Les serviteurs sont des salauds

Sinon ils ne serviraient pas.

Beaux salauds, faux anarchistes.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

J’étudierai la poésie, la seule.

Mais sans la rime des vendus

Qui chant’ au lieu d’écrire vrai.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

Je ne suis de nulle part, je migre.

Je fuis, je ne rêve plus, je pars !

Je peux aussi crever d’attendre.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

Les hommes sont des animaux

Qui se nourrissent d’eux-mêmes.

Il n’y a rien de patriotique là-dedans.

 

Il n’y a pas de pays qui tienne.

La femme ferait mieux d’arrêter

De servir la patrie et de la nourrir.

Les hommes sont des chiens aux abois.

 

*

Vous ne connaissez pas Mystère…

Pourtant Mystère est dans la rue.

Vous ne pouvez pas ne pas

Marcher sur sa tronche en rondelles.

 

Quand je pens’ que je l’ai épousé.

Devant le Maire et le Curé.

Quand je pens’ que je suis sa tartine.

Cul beurré du soir au matin.

 

Heureus’ment qu’y bande plus !

Manqu’rait plus qu’on lui fasse un gosse

A la Patrie qu’est en danger !

Ça en f’rait deux mais l’aut’ est mort.

 

Alors comm’ça Richepin,

Tes gueux vont à la guerre ?

C’est PC qui m’a dit.

J’en reviens pas non plus.

 

Mais Mystère il ira pas.

Il ira pas sans moi se fair’ tuer.

On est les frangins de personne.

On n’a pas trinqué mais on trinque.

 

Pourvu que je crève avant lui !

Ah je m’vois pas le brancarder

Jusqu’à la morgu’, même en auto.

Quand je s’rai morte, ô Français libres,

 

Consommateurs égalitaires,

Dit’ à Mystère qu’il en est pas.

J’ai toujours su ce qu’il était

Et qu’il sera après ma mort.

 

Les bit’ que ça bande ou qu’ça casse

C’est dans l’drapeau que ça s’essuie.

Et comm’ j’en ai un dans le con

Ben ma foi on est patriote.

 

Mystère et moi c’est du tout cuit.

Pas la peine de bosser la nuit.

Rich’pin nous envoie à la guerre

Et on revient le cul vernis.

 

*

Un jour j’irai en Palestine

Pour voir des Juifs et des Arabes.

Je me prendrai pour Jean Genêt

Avec un chapeau sur la tête

Et une plume dans le cul.

 

Un jour j’irai dans la savane

Pour flirter avec des sauvages.

J’aurais la tête de Camus,

Avec dans la poche un visa

De la part de tous les Français.

 

Un jour enfin je voyag’rai

Au bout du monde avec mon cul.

Je le mettrai où ça me chante,

Mais sans chapeau et sans visa.

Je ne serais jamais poète.

 

*

Non je savais pas…

Je suis pas née pour savoir.

J’ai choisi de jouer

A la baballe avec le temps.

 

Non je le vois pas passer…

Je ferme et j’ouvre ma fenêtre.

Il y a si longtemps

Que je suis pas sortie…

 

Non je veux pas…

Je veux rien si c’est bien

Et je veux penser si c’est mal.

J’écris pour ne pas écrire.

 

Non ce n’est pas dur…

Les oiseaux ont des ailes

Et les poules des dents.

Je suis faite pour ça.

 

Non je ne suis pas seule…

Je souffle sur les pages

Pour donner à la poussière

Une raison d’exister.

 

*

Qui n’a pas rêvé

De tout recommencer ?

Quel abruti n’a pas pensé

A laisser tomber le jour

Et la nuit et tout ce qui pèse ?

N’est-ce pas la meilleure

Façon de tuer l’ennemi ?

Alors c’est oui ou c’est non ?

Demande le livre ouvert

Sur le malheur et la bataille.

Il faut être un sale gosse

Pour accepter de commencer.

Mais qui n’a pas peur de l’autre ?

Qui possède le secret

D’un autre monde ?

Une injection vite fait.

Un film bien fait.

Un vote mal fait.

Le lit, la machine, la bite.

Et à l’âge d’être soi-même

On devient soldat, pute,

Fonctionnaire, curé, rabbin,

Député, pauvre con d’ouvrier.

Comment lui en parler

Sans passer pour un cas ?

J’en ai déjà trop fait.

Bien, mal, vite et même sans.

Qui n’a pas rêvé

De tout recommencer ?

Ne rien payer, voler, tuer.

Ne pas aller, ne pas rester.

Et tu voudrais que je t’écrive

Une lettre d’amour, pour voir…

Mais voir quoi, pauvre con !

Tu ne sais pas qui est l’enfant.

 

*

Livres des bibliothèques,

Labyrinthes des bonnes familles,

Chronologies, mythologies, épopées…

J’en ai vu de toutes les couleurs

Depuis qu’Aristote m’encule.

 

Quelle est ma ville ?

De quel pays ma langue ?

Histoires, lectures, écrits.

J’en ai vu de toutes les couleurs

Depuis qu’Aristote m’encule.

 

Je ne suis pas un personnage.

Je ne sais pas jouer avec la peau.

Quels sont ces lieux imaginaires ?

J’en ai vu de toutes les couleurs

Depuis qu’Aristote m’encule.

 

Comme la bourgeoisie s’amuse

Dans les universités, les parlements !

Et le peuple applaudit aux vitrines

Sur les trottoirs de l’avancement,

Du progrès, du futur en somme.

 

J’en ai vu de toutes les couleurs

Depuis qu’Aristote m’encule.

Et pourtant je ne suis pas née.

Personne ne m’a encore inventée.

Pas même toi, ô mon amour.

 

*

Je me demande sérieusement

Si je ne vais pas aller à la guerre.

Mais comme je ne sais pas

piloter un avion,

Je n’y vais pas.

C’est la seule raison,

Sinon j’irais.

La fleur au fusil

Ou à autre chose

Si c’est avec autre chose

Qu’on fait la guerre

Quand il y en a une.

Je saurais la reconnaître

Sans compter les cadavres.

Pas besoin de télé

Pour apprécier la mort

A sa juste valeur.

Ah j’ai vraiment envie d’y aller !

Tant pis pour l’avion.

Je ne le prendrai pas à Paris.

J’irai dans le désert

Avec la fleur dans la tête

Si c’est là que ça pousse

Les fleurs des tombes,

Des charniers de l’Histoire.

Vous ne me laissez pas

Le choix, ô mes compatriotes.

Tant pis pour vous, j’y vais !

Tout seul il le faut bien.

Avec un couteau dans la poche

Si c’est là qu’il faut les tuer

Ceux que je n’connais pas,

Ceux que j’aime déjà

Et qui poussent tous seuls

Ou sans explication.

Si jamais je reviens,

Je vous raconterai.

Ah c’que je suis pressé

D’revenir à Paris

Pour vous raconter ça !

 

*

« On n’est pas tout le temps égaux,

Malgré ce qui nous constitue.

Ça m’ferait chier d’être l’égal

De Gratougnac qu’est un ripou !

Je veux bien être l’égal

De ceux qui m’égalent

Ou que j’égale en m’efforçant.

Mais pas d’Gratougnac le flicard !

Ah merde et puis je m’en veux pas

De pas aimer les argousins.

Y sont trop cons et tous pourris.

C’est du terreau pour les tyrans !

Tsoin ! Tsoin ! »

 

Gratougnac juste passait là

Quand il entendit ce discours.

(C’est nous qu’on chantait en buvant)

Mais comme il avait oublié

De boire un coup avant d’y aller,

Il s’en est pris à un pov’chien

Qui venait just’ d’être au chômage.

« Ça fait du bien de s’défouler

Pour la Justice et le Travail ! »

Entonna-t-il une fois mort

Ou presque le clébard sans taf.

 

On n’est pas sorti du bistrot.

On sort plus, on attend qu’ça passe.

On critique, on se laisse aller.

On sait bien qu’c’est toujours les mêmes

Qui couch’ dehors et prenn’ les coups.

Nous on est payé pour rien faire

Et on fait tout pour que ça paye.

Ah c’que c’est bon d’être fonctionnaire

Mais pas roussin ni militaire.

On est les purs de la fonction.

Par ci par là un p’tit refrain

Et Gratougnac qu’est un vrai con

Entend chanter un SDF.

C’est nous la voix et les oreilles

De la Justice jacobine.

Et ça marche sur des roulettes.

C’est équilibré comme un pneu.

C’est un vélo qu’on fait pas mieux.

Flics et rond-d’cuir au traquenard !

À bas le chômag’ des chômeurs !

Sus aux poubelles de la rue !

On a le sens et le spectacle.

Tout est faux mais ça a l’air vrai

Viv’ l’éternité de la France !

Merci les flics ! Merci Daesh !

Tsoin ! Tsoin !

 

*

Quand j’suis pas content d’la gauche,

Je vote à droite !

Et si la droit’ m’satisfait pas,

Je tourne à gauche !

C’est pas ma faute,

Je suis Français !

 

Tenez pas plus tard qu’hier,

Je fais bobo à ma mimine

En tondant ce maudit gazon

En me disant que pour un’fois

C’est pas moi qu’on me coup’ les poils.

Renaud chantait à la télé

Et Manu relisait Mein Kampf

Aux écoliers pour expliquer

La différence et le projet.

Ah je me suis mis à rêver !

Et profitant de ce sommeil

La tondeuse a rasé les pompes

De Bobonn’ du chien et d’l’oiseau

Qui fait cuicui quand j’ai bien bu !

Ça m’a valu des tas d’reproches.

Pisque c’est ça tout c’que vous dites

J’m’en vais voter pour le FN

Et m’faire enculer par Le Pen !

 

Quand j’suis pas content d’la gauche,

Je vote à droite !

Et si la droite m’satisfait pas,

Je tourne à gauche !

C’est pas ma faute,

Je suis Français !

 

Avant-hier j’avais trop bouffé.

J’en laiss’ jamais à m’sieur l’curé.

Mais maintenant que j’suis un grand

Il me questionn’ plus à propos

De comment que j’fais pour y faire

Et pis tout seul et avec lui.

Mais y avait encor’ du dessert

Et d’quoi arroser le pastis.

Dedans j’ai trempé mes cerises

Que ça m’a foutu l’feu au cul !

Bobonne en a pris plein la tronche,

L’chien savait plus où j’habitais

Et l’p’tit oiseau qui fait cuicui

S’est noyé en poussant des cris.

Ah tout le mond’ m’en a voulu !

J’me suis fait engueuler sur tout !

J’avais plus tort que l’vieux curé.

Aussi ni une ni deux ni trois

J’m’en suis allé voter à gauche

Pour ceux qui pens’ à notre place.

Ça m’f’ra des vacanc’ et du temps

Pour penser à plein d’autres choses !

 

Quand j’suis pas content d’la gauche,

Je vote à droite !

Et si la droite m’satisfait pas,

Je tourne à gauche !

C’est pas ma faute,

Je suis Français !

 

Demain j’ai rendez-vous à l’heure.

Faut pas arriver en retard !

On va m’coller dessus les yeux

Des verr’à voir mieux à travers.

Et si j’suis sag’ pour ma dent creuse

J’aurais de quoi y mett’ les doigts

Sans risquer d’me fair’ mal au cul.

Mais je sais pas si j’vais payer…

J’en ai plus trop de quoi casquer…

Je bosse et j’ai de quoi bosser.

Je me plains pas de la bagnole

Ni des avantages sociaux.

Mais pour les yeux et les ratiches

J’ai comm’ qui dirait la main creuse.

Ça me fait mal rien qu’d’y penser.

Faut choisir, me dit ma conscience :

De belles dents avec de l’or

Et des yeux pour ne rien rater…

Ou des douleurs et rien pour voir

Ce qui me fait toujours bander…

Je m’demandais comm’ça en douce

Si des fois on peut pas voter

Sans que ça se voie trop dehors…

Et qu’on ait l’air qui faut des fois

Qu’on nous chang’ le gouvernement.

Bobonne le chien et l’oiseau mort

Vont morfler d’ici à demain

Si je trouv’ pas une réponse.

Sacré bordel de droite et d’gauche !

 

Quand j’suis pas content d’la gauche,

Je vote à droite !

Et si la droite m’satisfait pas,

Je tourne à gauche !

C’est pas ma faute,

Ya pas d’milieu !

 

*

Les fill’ devenez magistrates !

C’est bien payé et on rigole,

D’autant qu’on peut s’absenter tous les jours !

C’est un métier qu’on a pas besoin

D’étudier les mathématiques.

Même’ qu’on nous trait’ de femm’ de Lettres !

Tu parl’ de lettr’ qu’on sait pas lire.

Laissez-les s’ pendre par le cou !

Ça en fait un d’moins à juger.

 

*

Moi quand je bande

Ça se voit pas.

Ah qu’Dieu est con

De l’avoir fait

Pour que ça s’voit

Chez toi !

 

*

Ah c’qu’on est bien

Dans la cinquième république !

C’est pas la France ni l’Hexagone,

Mais on s’y sent comme chez soi !

 

« Les Français, haut les veaux !

Aiment la république ?

Eh ben en voilà une

Et gaulliste avec ça !

Vive moi ! (Je me comprends)

Comme dit mon chaouch de service,

Sac à malice’, coquin de sort ! :

— La république, tant que vous voulez !

Mais la démocratie, c’est pas donné.

Elle s’arrête où commence

L’intérêt de l’État.

Or, l’État c’est moi ! »

 

Ah c’qu’on est bien,

Mon p’tit Manu !

Jamais puni, jamais bien fait !

Des fois je crois que c’est un rêve.

 

« Depuis Louis XI, mon bon Franchu,

C’est de là-haut que vient le temps.

J’suis pas très doué en Histoire,

Mais en calcul j’ai mes dix doigts.

Plus de six siècles nous contemplent.

Ça m’étonn’rait qu’Napoléon

Soit mis au banc des accusés

Avec Adolf et les curés.

À mon avis, ça va durer

Plus que ne vivent les roses !

Vive les chiott’ et l’Président ! »

 

Ah c’qu’on est bien

Dans la cinquième république !

C’est pas la France ni l’Hexagone,

Mais on s’y sent comme chez soi !

 

 

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