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Article publié le 26 mai 2019. oOo « Qui suis-je quand j’écris ceci ? » Ecrivit Babelin sur l’écran :
SUITE DE L’HIVER
Tempête de personnages Dans la chambre où j’écris ! Ah ! ce n’est plus de mon âge, Mais voilà c’que je suis !
C’était là tout le refrain D’une chanson non écrite. Je n’étais plus seul désormais. Personæ ! Personæ ! On s’ croirait au théâtre Et pourtant tout est vrai !
Je me fiche d’où je viens Et je sais où je vais. Le plafond arrête les rêves Et recompose le sommeil. Mescal des coups de dés Sur le tapis des impressions. Je suis ce que je suis Et vous êtes ce que je ne suis pas.
À la place du taureau Et du sable doré, Entre l’ombre et la lumière, Se joue la comédie Sans lever de rideau Et s’il se couche tôt, C’est que j’ai re-sommeil !
Plongez dans cet écart ! Personnages sans histoire ! C’est le soleil qui saigne Et non pas le taureau.
*
Bien sûr il y a les gens. Il n’y a pas que des personnages. Il y a aussi des existences, Des passages du vrai au faux, De possibles découvertes A impact universel. Des vitrines, des guerres, Des sous-sols et des asiles. On ne choisit pas les lieux. Ils tournoient dans l’écran Des communications libres. Gens de la terre et de la mer, Mais aussi des profondeurs, Et pas seulement de l’Histoire Et de ce qu’il en reste Quand on cesse de raconter. Des gens que je ne connais pas, Que je n’ai pas envie de connaître, Des gens qui écrivent à leurs semblables, Des raisons de leur écrire. Il y a des gens partout. La nuit dans le ciel Avec ou sans étoiles, Ils agitent leurs feux. Gens des voyages et des tombeaux. Ils n’entrent pas chez moi. Ils ne traversent pas mon jardin. Ils hantent peut-être mes rêves, Mais ils n’existent pas Comme existent les personnages Apparus sur l’écran blanc Des murs que j’ai construits. Murs de théâtre joué Un jour de suppression de soi. L’œil aux trous ainsi percés. Personne n’expliquera jamais ça. Nous contenons l’infini Et il nous contient. Voilà qui est complexe Et non pas absurde, l’ami ! À deux doigts d’en finir Avec ces frôlements humains. J’en suis là ! À mon âge !
*
Tantôt inquiet à force D’en penser quelque chose, Tantôt amusé ou irrité Au contact des apparences Données pour des réalités.
Je n’ai jamais mis le pied dehors. N’en croyez rien Si on vous dit le contraire. Mes pieds demeurent ici !
J’ai quelquefois ouvert ma porte, Mais seulement à l’étranger, Celui venu d’ailleurs, Sans bagages, sans rien.
Le cœur balance toujours. C’est l’esprit qui s’arrête. Heureusement pour moi ! J’ai le cœur si fragile !
En admettant que je meure Plus loin que mon jardin, Qu’en penseriez-vous, vous Qui n’ouvrez jamais mes livres ?
Oui, cela m’inquiète de penser Et chaque fois que je m’approche De vos fantômes ancestraux, Je m’amuse ou je gueule Et vous me le reprochez En vous promettant encore De ne plus jamais Vous occuper de moi.
*
Parapluies des torrents Cette fois tournoyant Au rythme des soleils Et des apparitions.
Petite après-midi de feu. Une toile s’est envolée Avec quelqu’un dedans ! On rit sous la treille.
Ce ne sont que des enfants. Hier, nous étions à l’usine. Une sardine grillée A tout changé.
Puis l’averse a ouvert Vos parapluies dessus Vos têtes s’enfuyant Loin des corps endormis.
Je ne serai jamais des vôtres, Ô miens que je connais Comme ma poche, celle Que vous visitez encore.
*
Les avions ne tombent pas Aussi souvent Qu’on y pense. Le ciel n’appartient plus Aux oiseaux. Quel rapport entre Cette chute rare Et les oiseaux vaincus ? Il faudra que Je me le demande Plus souvent. Quelle connexion Entre la rareté Et la défaite ? Est-ce ainsi Que naissent les contes ? Je n’ai pas fini De croire au hasard Comme on se tue.
*
Bien sûr il y a votre poésie, Pacotille des jours et des nuits, Travail et rêve de l’impatience. Vous n’attendrez jamais assez longtemps.
Et puis si c’est de la poésie, Cette poésie de l’évidence, Alors je ne suis pas poète Et rien d’autre pourtant.
Vous rendez impossible mon hypothèse. J’aurais préféré la contradiction, Mais vos instances ne connaissent pas Les bizarreries de la versatilité.
Les papillons vont de fleur en fleur Si le temps est aux fleurs. Vous ne comprendrez jamais ça. Éternisez-vous devant vos télévisions !
*
-------------------------Aux terrasses -------------------------Ils font la rue -------------------------Et la rue -------------------------Les terrasse.
Passagers des allers-retours. Moi, je plonge plus loin, Dans l’eau des poissons, Nu comme au premier jour.
Je croise des sirènes d’Ulysse, Mais sous l’eau les oreilles S’en emplissent jusqu’à La surdité que je qualifie De poétique sans me noyer.
Voyez ma tête hors de l’eau. On dirait qu’elle est coupée, Qu’elle flotte à la dérive Dans un nuage de sang Digne de l’assassinat en vue.
Vous auriez dû voir cela, Mais vous n’avez vu que moi. Moins nu, je ne vous eusse pas déplu, Ô bouteille aux voiles lointaines.
Mais parmi eux à la terrasse, Vous exigez moins que le sexe Et je ne vous comprends plus Aussi bien que je vous ai créée.
-------------------------Les trottoirs -------------------------Sont les veines -------------------------De ces soirs -------------------------Où je peine.
*
Là où d’autres écrivent pour s’évader, Je compose pour vous enfermer. Je crois qu’on ne va pas s’entendre. Il y a trop de rimes dans vos vers, Ô chers cadavres des peuples en rut !
Nous nous croisons sans nous regarder, Ou plutôt vous ne me voyez pas Alors que je me plains tous les jours De vous perdre de vue le soir venu. Ô chers cadavres des peuples en rut !
Il y a loin entre le rêve et les apparences ! Chaque fois que je vous offre un verre, Vous me parlez de vos voyages au pays Des retournements de situation, cadavres, Ô chers cadavres des peuples en rut !
Après le verre et bien d’autres choses Que nous avons en commun malgré tout, Et tandis que vous agitez vos sonnettes Au milieu d’une foule qui vous reconnaît, Je frappe à la porte de mes personnages Et ils l’ouvrent sans autre cérémonie Que le salut bien bas et les trois coups, Ô chair vivante des peuples en rut !
*
-------------------------La fleur s’étiole -------------------------Dès qu’on la viole. -------------------------Le sein tombe -------------------------Dans sa tombe.
Vous n’avez pas la main au sort ! Les télescopes finissent par s’enfuir. Vous ne saviez pas ça, ô voyageuse Sans voyages, tristounette passante.
-------------------------Pas d’ clitoris -------------------------Sans ce pénis -------------------------Ô même si -------------------------On s’en soucie !
Vous n’avez pas le pied marin non plus ! Souvenez-vous de nos escapades, Genre rayon de Lune avec injection. Vous reveniez par un autre chemin.
-------------------------Ô ce soleil -------------------------Et ces souliers ! -------------------------Vous reveniez -------------------------Après l’ sommeil.
Vous n’aviez pas l’esprit à ça, mignonne ! J’allumais toutes les cigarettes, je buvais Tous les verres et le monde m’appartenait ! Jambes écartées vous cherchiez mon slip Parmi les crabes farfouilleurs de sable.
-------------------------Vienne le temps -------------------------Des tramontanes. -------------------------Ô cet autan -------------------------Et tout le temps !
*
Voilà comment on s’absente Après les présences fidèles Et les anniversaires. On ne fait jamais mieux.
On fait même tout mal. Trop de bougies à éteindre ! Il suffit d’une goélette. À son bord une nymphette.
Pas question de changer À ce point de panache. Mieux en dire quelque chose, Mais sans être entendu.
Pourtant rien n’a changé. Enfin je crois que rien n’a Changé au point d’en mourir Si rien n’arrive finalement.
Porte claquée, escalier descendu, Ou plus exactement redescendu, Puis la perspective des carènes Dans l’eau bleue des lagons.
Jambes croisées aussi dessous, Mais plus profondément encore, A même les fonds qu’on nacre Du regard sans oser y plonger.
C’est ainsi que naît une angoisse Si nouvelle qu’au premier gong La joie fait encore son effet. Puis ce corps revient à la surface.
J’avoue ! C’était le tien ! Mais je N’était plus ce que j’avais su être ! Quel orgasme pourtant ! Là, Sur le quai qui reçut ma semence.
*
Ce souvenir n’est pas le mien. J’interrogeais un personnage Qui figurait ce que j’ deviens Quand je n’ai plus d’âge.
J’écrivais ce qu’il me disait. Ou parlait-il à un autre personnage Et c’était un troisième qui écrivait. On n’en a pas fini avec les miroirs !
Les miroirs c’est plus facile Que les coups d’épée dans l’eau. À force de morceaux On éparpille le sujet, Pensant en multiplier Les ronds dans l’eau Par ricochet.
Il faut se méfier de l’enfant Qui sommeille à l’endroit Où c’est l’envers qui prime.
*
L’écriture se muscle A force d’exercice. La dernière page écrite N’est autre que la première.
Ne donnez pas de visage A vos personnages. Le dernier en date Est aussi le premier.
Il n’y a pas de temps Pour expliquer ça. Et toute cette structure Ne tient qu’à un fil.
C’est peut-être l’art, Ce fil qui ne conduit pas. J’ai dû le savoir, Mais j’ai oublié ça.
***
Ils ramenèrent Jéhan Babelin Un dimanche matin Pendant que les cloches sonnaient. Quelle ellipse ! Quelle anacoluthe ! L’ambulance revenait sans sirène. On n’était pas pressé. La maison était ouverte, Le portail ouvert en grand, Les fenêtres aussi étaient ouvertes. Babelin pensa qu’il n’habiterait Plus jamais seul comme Autrefois quand il n’était Pas question de sa folie. On traite les gens de fous Et on les enferme. Ensuite on les rend Mais seulement si le chien N’est pas en voyage.
Le chien fit signe Ou il saluait, sait-on Ce qu’un chien signe Quand il n’aboie plus ? Babelin fit un signe A travers un rideau Que quelqu’un avait entrouvert Pendant le trajet. Il pensa seulement : « Je reviens de loin ! Ah ! ce que je reviens de loin ! » Il n’arrivait pas à penser A autre chose d’aussi clair. Il pensait aussi A des choses noires, Opaques, menaçantes. Et entre cette clarté Somme toute joyeuse Et cette obscurité De nuit sans fin, Il n’y avait rien, Rien que lui Et ce qu’il était. Le brancard coulissa. Alors le soleil Coula sur lui Comme de l’eau. Le chien le renifla. Il ne parlait pas, le chien. Il reniflait en frottant Ses gros yeux de merlan. Un autre lui parlait Et le chien signait, Signait des papiers Et encore des papiers ! Puis les cloches se turent. Quelle ellipse ! Quelle anacoluthe ! Devant la maison, L’odeur des rosiers Enivrait des insectes Ni joyeux ni tristes, Des insectes volant Qui fuyaient le soleil. « J’imagine, pensa Babelin, J’imagine que c’est ça, Le soleil, les insectes, Les roses, les cloches, L’odeur des pneus, Le moteur qui tourne Et l’autre qui plie Les papiers et les met Dans sa poche avant De reprendre le volant. »
Maintenant, il était Avec le chien, Dedans avec le chien, Et le chien le poussa Dans un fauteuil Qui craqua sous lui Comme il avait longtemps craqué Sous les fesses de sa mère. « J’imagine, se dit Babelin. J’imagine que c’est ça. » Le chien n’écoutait pas. Il allait et venait, Fumait, parlait, tirait Sa longue langue de feu, De feu et de terre, De terre et d’Histoire, Langue bien pendue Car il était critique. La situation ! La situation ! Dans quelle situation ! « J’imagine que c’est ça, Pensait Babelin en silence. Et si je n’imagine pas, Il imagine pour moi, Ce qui revient au même. » Il secoua la tête Pour exprimer ce sentiment Et ses boucles d’oreilles Tintèrent comme des cloches. Le chien était assis maintenant. Il croisait ses jambes, Une main entre les cuisses, Et l’autre main tenait Le foyer d’une pipe. La situation ! Quel problème ! Et sans solution avec ça ! « Nous voilà seuls, Dit le chien qui fumait. Ce n’est pas la première fois, Mais cette fois, Jéhan, L’enfant n’est plus là pour… — Pourquoi ? » demanda La bouche de Jéhan Babelin. Jésus non plus n’était pas là. Seuls voulait dire deux. Seuls au pluriel, Tout juste au pluriel Ah ! de justesse ! Justesse !
« On n’en a pas fini ! » S’écria le chien en frottant Ses gros yeux de merlan. Babelin voyait bien Que ce n’était pas fini. Il n’était pas mort Une fois de plus. À croire qu’il ne mourrait jamais ! Il avait beau tuer, Il ne tuait rien Et surtout pas lui-même. « Fini de tuer ! pensa-t-il. Je vais songer à autre chose. À quoi ? Je n’en sais rien. Au chien, à Jésus, à l’enfant. Il y a bien un moyen D’en finir avec l’infini ! » Et comme il avait dit cela A haute voix, le chien Secoua ses oreilles Et même sa truffe Et montra ses dents. « Ah ! les maths ! Tes maths ! » Aboya-t-il en insistant Sur le fait que ces maths N’étaient pas les siennes. Le moment était-il Venu d’en rire à deux ? Ces dents riaient-elles ? Combien lui en restait-il ? « C’est le premier soir, Constata Jéhan Babelin En frottant ses propres yeux. — Qu’est-ce que tu entends par là ? » Fit le chien sans insister Exagérément sur le là. C’était peut-être la d’ailleurs. La quoi ? Sait-on ? Sait-on Ce que le chien désignait ainsi ? Ou il ne désignait rien Et il fallait être là Pour comprendre Ce qu’il voulait dire. La la la ! plaisanta Babelin Dans sa tête seulement.
Ce soir-là, la la, Il se coucha Sans chercher A retrouver Le sommeil perdu Dans un autre rêve. Quelle histoire ! Le chien était sorti. Depuis longtemps, Il sortait le soir Et rentrait ivre Tard dans la nuit. Chacun son anesthésie. Babelin enferma ses pilules Dans sa main. Il n’attendait plus. Il y avait longtemps Qu’il n’attendait plus rien Ni des uns ni des autres. Quelle ellipse ! Quelle anacoluthe ! Ah ! s’il fallait tout raconter ! De A à Z raconter, raconter ! Sans ellipse ! Sans anacoluthe ! Raconter pour reculer Les limites de la fin. Non, il n’y avait pas De plus court chemin, Même en se servant des maths. Le récit ne s’achevait pas Où il avait commencé. Il avait suivi le fil, Mais pour le rompre Le moment venu. Il n’y a rien Comme une chanson Pour mettre fin A la série Qui envenime Temps et espace.
« Tiens ! se dit-il en riant, Je tiens là, la la, Un refrain très chouette, Mais sans rimes On n’est rien. » L’homme meurt Avant de mourir, Fut une pensée Aussi soudaine Que la rupture Qu’elle parfaisait. Et il s’endormit, mi mi.
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