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La nouvelle Dolores de Richard Millet
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 Article publié le 5 janvier 2020.

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LU ET … APPROUVE

Les arcanes milletiens ne sont pas les labyrinthes robbe-grilletiens. Les voies sinueuses de l’affect ne sont pas celles du désir.
Si le niveau stylistique n’atteint pas celui de livres tels que " L’opprobre " ou " Cahiers de Damas ", il n’en demeure pas moins intéressant par le reflet obsédant de la souffrance qu’il projette sans cesse. Oui, la souffrance de l’auteur est lancinante, et sa restitution s’effectue de manière centripète. La fiction sentimentale est un genre difficile, tant d’ouvrages ayant été écrits, parmi lesquels un grand nombre sans intérêt universel, tout au plus particulier. Fiction, ai-je dit, mais il faudrait plutôt avancer le terme de récit ou de confession.
Oui, l’auteur se confesse tout au long de la narration qui s’avère un récit romancé.
L’ouverture commence par une dialectique entre la Russie et l’Occident, à travers la rencontre d’un homme et d’une femme qui mettent en miroir deux disciplines des arts : l’opéra et la littérature. L’attraction entre le chant et les mots, en quelque sorte, mais avec le primat accordé à la voix et son aspect spectaculaire, les livres se confondant plutôt avec le silence et la solitude. L’auteur ne se cache pas mais cherche vainement à comprendre les ressorts de l’affect qui, pour une large part, nous dépassent. La singularité de Millet, sans la moindre préméditation, touche à l’universel, du moins en Occident. C’est l’un des aspects les plus saillants du roman, qui se décline selon une constante spéculation sur les faits et les intentions, transformant l’auteur en psychanalyste de lui-même. Mieux : en moraliste, à l’image de Laclos ou de Nabokov qui sont les ombres du roman.
On retrouve la longueur de phrases proustiennes qui tentent de ne pas se perdre dans la mouvance du temps, entre le retour du souvenir et le danger de l’oubli.
Si l’auteur a conscience des achoppements entre son amante et lui, il omet de mentionner les paramètres extérieurs et non des moindres que sont les contextes économique et historique, un monde libéral qui fait peser sur l’individu des pressions insoutenables se répercutant sur le couple. Dolores - la nouvelle douleur - le paiera au prix fort : archétype de l’abandon ou de la décomposition familiale, prémices de femme déjà modelée par le contexte, elle se perdra dans une autodestruction qui résonne comme la fin anticipée du roman, comme un trou dans la narration. Oui, la brutalité de cette béance soudaine et totalement inattendue remet en cause la narration elle-même. La fille de l’amante ne se sacrifie pas : elle ne peut lutter, seule, contre l’aspiration du nihilisme qui touche une grande partie de la jeunesse occidentale, déboussolée par l’éclatement de la famille et l’offre idéaliste quasiment réduite à néant par le monde marchand.
L’ambiguïté du désir pour Dolorès - et réciproquement - montre, une fois de plus, l’essence primitive d’éros, ses racines sauvages voire archaïques, surmontées seulement par l’invention de la civilisation. Richard Millet traverse des contrées indécentes, pornographiques puisque la broderie de sa souffrance personnelle et de celle des deux femmes rejoint la clarté immaculée du jour, sa nudité, sa crudité, dans une déflagration cathartique. Mais cette obscénité tâche de se transformer en œuvre d’art pour mieux accepter le mystère des liens affectifs et comprendre la complexité de leurs enjeux. Dans ce livre, l’auteur est un amant errant qui réfracte l’inexistence sociale de l’écrivain d’aujourd’hui - d’autant plus doué - , un errant volontiers sensible à l’autoflagellation. La figure christique de Millet le transforme paradoxalement en romain, oui, en homme antique prêt à endurer les plus grandes et douloureuses épreuves, habitué à la frugalité, habitué au combat, comme tendrait à le prouver la texture de l’incipit, digne d’un général rapportant ses mémoires : " Je crois avoir vécu. J’ai connu les travaux des champs et ceux de la guerre ; et j’ai écrit des livres. J’ai souvent été seul. J’ai aimé plusieurs femmes ". Un légionnaire qui redevient le fils de Dieu dès lors que la capitulation envahit son cortex, bien loin, ainsi, de l’abnégation romaine symbolisée par l’obsession de la victoire qui seule garantit l’honneur suprême …
La dynamique du roman connaît une soudaine accélération, aux deux-tiers de son développement, dès lors que l’éditrice de l’auteur refuse la première restitution. Une femme, encore, guide l’amant errant, cette fois-ci vers un plus grand engagement narratif qui verra les personnages principaux apparaître sous la forme de diamants : de la matière pure, noble, traversée par une nouvelle narration qui semble cerner le parcours de chacun dans une lucidité assumée. Une incandescence enfin touchée.
La trajectoire de l’auteur - un homme à l’intersection de deux femmes - ne peut qu’inciter le lecteur à adopter une attitude compassionnelle.
La compassion … Richard Millet en possède sûrement, en chrétien atypique qui paraît osciller, en permanence, entre l’amour du Christ et celui des femmes.

 

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