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 Article publié le 27 décembre 2020.

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Ce chemin d’été qui chemine dans la pénombre des bois est un sourire.

Il s’ouvre et se referme, appelle et invite à écouter autre que lui en-deçà de sa présence heureuse.

En-deçà est le lieu où tout recommence, et le chemin te murmure : ta voix est libre.

Il me faut son murmure et son appel pour commencer à entendre ce qui sera sans doute quelque jour la voix que je suivrai jusqu’au bout du monde.

Même un profond sommeil recèle une petite voix intérieure, mince filet d’eau prompt à devenir, à dévaler ainsi, ce ruisselet sautillant, bientôt ce torrent bondissant avant que de se jeter, impétueux, dans les eaux bleues de ce petit lac de montagne à la surface duquel ta pensée s’éveille, de jour en jour plus ferme, plus aventureuse, plus démonique.

Amont ignore l’aval qui oublie l’amont.

Ainsi en va-t-il de toute parole un tant soit peu fluide, si rien ne vient en contrarier le fil furieux ou le débit étrangement calme. 

Tout discours, pour se tenir, se voit contraint de recourir à des jalons, des points de repère, des lieux mémorables pour ne pas n’être que ce flux incessant de paroles vaines, mais tout référent qui mute aussitôt en références livresques, historiques ou anecdotiques, tout ce vécu appelle des circonlocutions destinées à apporter des précisions, toutes creusant le lit d’une parole qui court ainsi domptée vers son terme provisoire.

De ci, de là, une cascade vaporise-irise les eaux furieuses, en fait massivement aussi ce rideau d’écume blanche qui blesse les yeux. Eaux torrentueuses d’abord, puis fin rideau à la blancheur presque aveuglante, et, pour n’en pas finir mais recommencer en poussant plus loin, à nouveau aux grondantes qui dévalent de plus belle les pentes.

Te revient en mémoire cette anecdote touchante lors d’un séjour en Allemagne du Nord ; tu te revois cet enfant sage, attablé avec ses parents, un jour de mai ensoleillé, assis à la terrasse d’une Gaststätte à Lüneburg.

Impressionné par la fluidité de ton allemand, voilà qu’il nous sort en manière de compliment, et en s’adressant en ma présence à ses parents : Jean-Michel spricht flüssig (sic) Deutsch. Eclat de rire général ! 

Dans le milieu de la police qui déteste les avocats, ces derniers sont surnommés les baveux. Leur parole est ainsi réduite à de la salive mal contenue, ce qui revient à les apparenter à des idiots qui bavent en permanence. Leur parole est ainsi ravalée à de la bave, alors qu’en fait elle est un acte qui donne des résultats. Minorer une action pour la dénigrer, voilà tout ce dont sont capables ceux qui détestent une parole qui défend au lieu d’accuser. Arguties juridiques versus faits relatés dans un procès-verbal, lui-même mise en mots et discours arrangé qui s’arrange avec les faits pour charger le suspect. Si la défense n’existait pas, alors les policiers se comporteraient en juges tout puissants, n’est-il pas ?

Moi, le dictionnaire ambulant, comme m’avait surnommé ma prof d’allemand en classe de Première, j’ignore encore, et j’ignorerai sans doute toujours, d’où me viennent tous ces mots assaillants qui, à défaut de donner du bonheur, canalisent tant ma rage de vivre que mon inextinguible soif d’en finir une fois pour toutes.

De mes nombreuses lectures ? de la parole rare mais marquante de ma grand-mère chérie ? de ma mère si mesurée et si réfléchie ? de mon grand bavard de père intarissable lorsqu’il s’agissait pour lui de narrer par le menu ses balades et ses parties de pêche à la mouche ?

D’où me vient cette propension à devenir pour ainsi dire l’éponge des propos d’autrui, et aussi, par voie de conséquence, cet être poreux, ouvert par toutes ses fibres à ce qui se dit et se fait de bon ou de mauvais au cours d’une banale journée, au cours de ma vie toute entière aussi bien ?

Propension d’autant plus cocasse que je n’en retiens jamais la lettre mais toujours le fond, incapable que je suis de citer mot à un mot quelque propos que ce soit ! Un fort esprit de synthèse est à l’œuvre qui dépouille allégrement les propos de leurs habits de mots pour n’en retenir que le flux et l’afflux qui émeut et le flot d’idées heureuses ou malsonnantes qu’ils charrient.

Commence toujours, dès lors, pour moi, une prise de parole qui réinvente et réajuste les propos émis dont je me suis épris ou qui m’ont heurté, prise de parole solitaire, rare en présence d’autrui, particulièrement en présence d’une figure d’autorité qui inhibe ma spontanéité native.

D’où ce besoin d’écrire à nouveau dans le calme appris à l’école de la rigueur.

Non qu’il s’agisse alors de figer des êtres et les choses vues, dites et entendues, mais bien pour, à mon tour, devenir cette voie libre dans l’espace sûr de laquelle je puis trouver sereinement ma voix que je souhaite faire entendre pour qu’à son tour d’elle se libère la parole d’autrui.

 

Jean-Michel Guyot

24 décembre 2020

 

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