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 Article publié le 18 avril 2021.

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Je me lime et je me rabote,

Je finirai bien par trouver,

Quitte à user de coups de botte,

À faire semblant de crever.

 

J’ai peint et peigné la girafe

 Et même endouzainé des œufs ;

 J’aurai mis Paris en carafe,

Je suis oisif, mais pas oiseux.

 

Ces livres que je mets en joue,

Pardine, n’ont ni moût, ni goût,

Ni la musique qui enjoue,

Ni badinerie ni bagou.

 

Ils sont bons pour l’épicerie.

Je m’en torche le postérieur

Et celui de mon égérie,

Tantôt grognon, tantôt rieur.

 

 

Les choses parlent d’elles mêmes,

Pourquoi toujours en rajouter ?

Que l’on m’exècre ou que l’on m’aime,

Je n’ai plus l’âge de jouter.

 

Sur le parvis des cathédrales,

Vous venez au devant de nous

Avec la croix et l’eau lustrale

Pour nous fléchir les deux genoux.

 

Je m’endrogue de confiture ;

Je ne suis certes pas le seul.

Nous cherchons tous bonne aventure,

De la barboteuse au linceul.

 

J’en reconnais qui s’y connaissent

Plus que moi, vraisemblablement,

Qui vident leurs sacs de finesses

Tout en étant aux rudiments.

 

C’est ma petite république :

Bigles, bossus, bègues, boiteux,

Tous dans ma tchatche se rappliquent,

Crieurs, écorchés vifs, nuiteux…

 

 

 

Sourd comme un pot, n’y voyant goutte,

De mauvaise humeur, empâté…

Vieillir à la fin me dégoûte,

Mon double, qu’avons-nous été ?

 

Je buvotte à la grande tasse,

Ligoté sur un lit de camp,

J’ai les maux de tête du Tasse,

J’étourdis le bègue Racan.

 

Écoute, écoute, petit homme,

Vivre mes récits dégustés ;

Ces mondes friands d’épitomes

N’ont que des plaisirs écourtés.

 

En état de pure nature

Comme Adam au premier péché,

Que de gouspines je voiture,

De la marelle au chat-perché.

 

Plumitif imbu d’eau de rose,

Va-à-la-ligne, livrier

Et versificateur en prose,

Trempe ton zob dans l’encrier !

 

 

 

Je déparle comme mes livres

Sans choix des lieux et des moments,

J’y trouve mes raisons de vivre,

De vivre et revivre aisément.

 

Je me croyais intarissable

Comme le Styx et l’Achéron,

Impétueux, mais franchissables,

À la gouverne de Caron.

 

Je carde les filles de laine,

Là, dans mes beaux quartiers d’hiver,

Les innocentes aux mains pleines

Qui passent dans mes faits divers.

 

C’est un aveugle qui me mène

Avec sa canne et son cabot.

Une barbe d’une semaine,

On dirait que j’ai deux pieds bots.

 

J’ai traversé mille disettes,

Des vents, des pluies, des froids, des chauds…

Ma vie tenait dans ma musette

Et j’avais un cœur d’artichaut.

 

 

 

Nous avons tous nos fariboles,

Nos refrains, nos rondes d’étrons.

Gardons tout de même une obole

Pour la fatigue du patron.

 

Il file comme une comète,

Parfois, je le trouve un peu lon-

guet, ce temps qui nous guillemette.

Toi, toi, toi, tous nous y allons.

 

Je double le cap des tempêtes,

Ma vieille barcasse ne craint

Que le feu et la terre, arpètes

Et capitaines à tous crins !

 

On dirait que la rumeur tienne,

Elle-même, à nous faire part

Des dernières tristes antiennes

Qui endeuilleront les remparts.

 

Je tâtonne dans les ténèbres,

Entre ci et la fin des temps,

Dans les cris des oiseaux funèbres

Et sous les coups mats des battants.

 

 

 

Mes romans-fleuves se font rares,

Si j’en crois tous les bouquineurs.

C’est vous qui le dites… Tarare !

J’entends d’ici les ricaneurs.

 

Je suis citoyen et métèque,

Je rime et prose pour les rats

D’égout et de bibliothèque,

Les gueusards en sortent fort gras.

 

Mes livres n’ont plus rien à dire,

Trop longtemps, je les ai forcés.

De supplice en supplice, d’ire

En ire, je les ai froissés.

 

Mes livres n’ont ni marque-page 

- Signet, fleurs séchées -, ni fermail

- Agrafe, boucle… Je me page !

- Fermoir d’or, d’argent ou d’émail.

 

J’écris pour les belles beurrières

Qui retroussent leur tablier,

Pour leur devant et leur derrière,

Leur langue bonne à délier.

 

 

 

Parfois, mes livres se bagarrent

Contre des romans policiers,

Des douloureux romans de gare…

J’ai cessé de m’en soucier.

 

Ils en auront eu des factures,

Dame, mes livres lus au lit.

Chacun tire sa couverture

Sur ses draps froissés et salis.

 

J’ai écrit pour les mareyeuses

Dessalées, cousues d’hameçons,

Celles des pêches merveilleuses

Qui savent noyer le poisson.

 

Tous ces livres que l’on expurge :

Plus de verjus, plus de jus vert,

Plus de tirades qui s’insurgent,

Plus de renvois, plus de revers…

 

J’écris, je m’en fais le mérite,

Pour les marchandes de marrons

Grillés, de jujubes, de frites…

J’écris pour les pilleurs de troncs.

 

 

 

Mon livre est dans toutes les montres

Et dans tous les tas d’invendus,

Mais malgré de jolies rencontres,

Non, jamais il n’aura son dû.

 

Mais que de faunes me menacent,

Ceux-là sont pour l’autodafé

Pour désenchanter le Parnasse,

Ceux-là célèbrent des cafés.

 

J’écris pour les gobeurs de mouches,

Pour les avaleurs de frimas,

Ma plume vole aux escarmouches

De théâtre et de cinéma.

 

Mes livres sont durs à la vente,

Que de piles pour le pilon.

Aux rondels, aux lais, aux sirventes,

On y préfère les flonflons.

 

Je prends le temps de me relire,

Le temps de me mettre en danger,

Le temps de suspendre ma lyre,

D’être nulle part étranger.

 

 

 

Ma plume est dans mon dernier tome…

Des gouttes d’Aqua Toffana

Suffisent pour tuer cent hommes.

Je le chante, na ! Na-na-na…

 

Bois, papier, mes grasses ratures,

J’écris toujours comme un cochon

Mais c’est de la littérature

Si j’en crois mes fougueux pochons.

 

Je n’attends plus rien, plus personne…

J’ai mon masque et mon domino,

Je garde en moi des vers qui sonnent,

Des cailloux dans mes croquenots.

 

À pas comptés, à grandes guides,

On roule sa vie comme on peut.

Si j’en crois ma plume languide,

Le plus souvent nous pouvons peu.

 

Est-ce que cela vaut la peine

D’être remis sur le tapis ?

Quand la flèche a perdu ses pennes,

Elle volette et beaucoup pis.

 

 

 

L’amour fait jeûner la jeunesse,

Disent entre autre les bouquins.

Mes pieds rebelles s’y connaissent

En cothurne et en brodequin.

 

Parfois je parle avec Corbière

De la lansquine et du beau temps

Devant une chope de bière ;

Nous n’avons même pas trente ans.

 

Quand j’attrapais un dictionnaire

Je ne levais plus le menton ;

Ni les éclairs, ni le tonnerre

Ne m’arrachaient au gueuleton.

 

Allez au bout de vos pensées,

Et revenez dans mes récits,

Dans mes pièces manigancées,

Dans mes soliloques farcis.

 

Je meurs, un tome encore en feuilles,

Toutes mes vies sont en papier.

Je veux lancer mon pavé, veuille

Le diable, et plier mon trépied.

 

 

 

Des pays et des paysages,

Les livres vous en feront voir

Même avec des phrases d’usage.

Savez-vous, vouloir c’est pouvoir.

 

Je brise les nerfs d’une viole

D’amour, d’un luth et d’un rebec,

J’écume, estorque, pille, viole

Et lisse ma plume et son bec.

 

Si c’est son métier, qu’il l’apprenne,

Qu’il soit éternel apprenti,

Saltimbanque que l’on rappelle

Et cadet de grand appétit.

 

Le métier, ganache d’empeigne,

Grande gueule de cuir bouilli,

Gavache sale comme un peigne,

Je me l’apprends dans l’inouï.

 

À qui laisser mes Incunables,

Mes véritables Elzévir,

Mes lectures interminables,

Mon histoire triste à ravir…

 

 

 

À qui laisser tous mes keepsakes,

Mes cahiers, mes carnets noircis,

Ces grimoires que je dissèque,

Ces billets, ces poulets roussis.

 

À qui laisser mes opuscules,

Mes vade-mecum, mes recueils,

Mes manuels, mes fascicules,

Quand j’aurai choisi mon cercueil.

 

À qui laisser ma barquerolle,

Ma godille, mon portulan,

Mes airs en cherche de paroles

Et mes florilèges en plant.

 

J’ai toujours une barricade

Pour y soupeser des pavés.

Gens que l’on rue dans les brancades,

Je ne suis pas qu’un endévé.

 

Ce livre sent la lampe à l’huile

 Et celui-là sent le terroir.

Tous les deux rêvés sous les tuiles,

Dorment dans le même tiroir.

 

 

 

Au bout de ma rue nonchalante

Qui a perdu tous ses chalands,

Je me tire en feuille volante

Avec des cris de goélands.

 

Et tous ces gladiateurs de plume

Ablativo tout en un tas,

J’en prends en poids et en volume

Et les gourmande à l’errata.

 

Albums qui fleurent bon le baume,

Almanachs de mes ans passés,

Agendas où mon temps se paume

Pense-bestiasses agacés…

 

J’ai eu de la prose nombrée,

Des vers vêtus de vétiver,

Des propos de partie carrée,

De quoi donner dans le travers.

 

Je suis bredouille entre les pages

Rebrodées de mon canevas,

Allant de tapage en tapage,

Rimant invita Minerva.

 

 

 

Toute une nuit de petits sommes 

Et de secousses sur les rails…

Une grosse heure et nous y sommes…

Et, au bout, Paris, ce mirail.

 

Mon Paris est un manicome

De gens jaunes comme des coings,

De gens flous, de gens vêtus comme

Des livres marqués au bon coin.

 

 

Robert VITTON, 2021

 

 

Notes :

 

Tchatche : bagou.

Épitome : abrégé d’un livre.

Livrier : faiseur de mauvais livre.

Keepsake : élégant album comportant des images, des gravures, des vers et de la prose offert en cadeau à l’époque romantique (prononciation kip-sèque).

 

 

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