- Il est vingt-trois heures quinze Monsieur Placard et vos portes restent entrebâillées, vous ne dormez toujours pas ?
- Hélas Madame Fenêtre, vous qui avez un peu plus vue sur le monde, vous devez bien savoir qu’il n’est pas facile en ce moment de s’endormir sur ses deux oreilles.
Nous n’avons beau être que des objets inanimés nous avons quand même un coeur à défaut d’âme et les soubresauts du monde ne nous laissent guère indifférents.
Rien qu’à penser au devenir des peuples et de notre planète j’en ai le bois qui se noue et les veines qui se figent.
- Je ne suis qu’une simple fenêtre et ne puis endosser tous les malheurs du monde.
D’ailleurs, mon rôle est d’être transparente et de laisser passer la lumière mais aussi tout ce qui va avec.
- Voici une singulière façon de vous dédouaner. N’oubliez pas que vous devez vie à d’humbles mains d’artisan qui vous ont sans doute créée avec amour et passion. Vous ne pouvez maintenant rester indifférente au devenir de vos géniteurs.
- Je ne dois rien aux hommes. je ne leur ai rien demandé. Je n’existe que par défaut et pour satisfaire leurs besoins.
- Ha, Madame Fenêtre, comme j’aimerais pouvoir vous ressembler et ne pas faire preuve de tant de sensibilité ! Mon cœur ne serait-il donc qu’un pauvre coeur d’artichaut ?
- Cessez de vous tourmenter Monsieur Placard et laissez-moi vous caresser de ces quelques rayons de lune avant que le ciel ne vienne à s’obscurcir un peu trop.
Allez, laissez-vous aller. Refermez doucement vos portes sur toutes ces choses intimes que vous êtes censé protéger.
Demain sera peut-être un jour meilleur...
- Oui, oui...
Mais chut ! La petite s’est enfin endormie...
Il y a plein d’étoiles dans le ciel et je vole au-dessus des toits.
Maman m’a tenue longtemps au bout du fil puis elle a soudain lâché en souriant et en me souhaitant bon voyage.
- tu n’es pas toute seule ma chérie, il y a tous tes souvenirs enfouis au fond de ton placard.
Madame Fenêtre s’est tue. Elle n’est plus qu’un ensemble de vitres et de bois traversé par une lumière blanche et bienveillante.
Ma vie doit être un poème, c’est Maman qui me l’a dit. Je ne dois avoir peur de rien et je peux, quand je veux, trouver refuge au fond de mon placard.
C’est comme ça qu’on aborde le monde. Il paraît que tous les enfants font de même.
Nous avons tous notre placard en cas de besoin. C’est un véritable ami. Plus fidèle que n’importe quel humain.
Lorsque je serai fatiguée de voler ainsi au-dessus du monde, je viendrai me poser aussi légère qu’une colombe sur le sol de ma chambre et, après avoir rangé soigneusement mes nouveaux souvenirs au fond de mon placard, je m’allongerai sur mon lit, la tête délicatement posée au creux de mon oreiller et j’écouterai le murmure des choses et des objets qui m’entourent.