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 Article publié le 9 janvier 2022.

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Le dos d’Agnès parsemé de dents de lions a des reflets de lionnes par où s’échappent en pétales jaunes une poudre alanguie de perlimpinpin.

La fuite est constante, arrose les landes inextinguibles. Le pipi rose d’Agnès évoque le sang fané de menstrues résiduelles. La course à l’échalotte rose peut commencer. Elle a toujours déjà commencé. Cette contradiction dans les termes afflue dans les yeux de la belle qui n’en peut mais, caquète à qui mieux-mieux dans la basse-cour de ses folies douces. Son cache-sexe en tête, elle vaque à ses œufs qu’elle pond carrés comme la Loi l’y oblige. C’est sans douleur aucune car Agnès et sa peau de lionne marche au gré du vent, ignore la saine ordonnance des horloges accroupies devant l’autel des ruptures.

Je me sens comme une fraternité de sang avec elle, je n’ose parler dans mon cas précis d’adelphité, mais c’est tout comme, comme partout ailleurs dans les couloirs épineux des broussailles vouées au supplice de regards torves. Il m’est arrivé, jeune homme de me prendre pour Siegfried, je courais nu dans les halliers, me jetais tête baissée dans des ronciers. J’en ressortais ensanglanté mais comme fouetté aussi par un recul d’ambiance, comme si la chambre froide de mes humeurs activait un parfum d’aurore décomposée. Cela va sans dire, Agnès fustigeait fort mes manières de héros empanaché, préférait de près la fine couche de glace qui me servait de prépuce.

La fonte des neiges préludait à la fonte printanière des glaces. Jusque loin dans l’été pourrissant, je m’évertuais, vert encore que j’étais alors, à revêtir ma cape de neige en gibeline. Cette dernière ne consentait à fondre que par plaques entières, ce qui laissait tout loisir à Agnès d’asseoir son empire sur moi. Foutre Dieu ! La partie était engagée, nul outil, ustensile ou moyen de parer ses coups d’assommoir, ses bêlements terribles, ses cascades de rire et ses hoquets ponctués de gémissements stridents. J’étais sa proie câline, festive, ouverte à toutes les blessures récurrentes en mal d’amour vache. Le fouet de ses yeux flagellait d’abondance ma carapace de neige, atteignait les couches profondes de mes glaces éternelles, contournait le regain de soif qui s’élançait à sa rencontre, maintenant ainsi ouvert le pronostic vital engagé.

Plus tard, beaucoup plus tard, à bout d’arguments spécieux, arrivé au sommet des montagnes vertes, plus un sapin à l’horizon, ce n’était qu’enrochement gris, un chaos de lucioles évasives, une course effrénée à l’abîme. La verdeur des montagnes habitait mes yeux éblouis. Partout, ce n’était que cénotaphes enrubannés, cloches à demi-fondues, perce-neige en avance sur leur temps, et tutti quanti. Agnès, féconde, veillait au grain de la future récolte. Elle semait des baisers au vent. L’effet boomerang en était terrible. Mes joues rosissaient, s’empourpraient, éclataient enfin en vaines lamentations. Le soir de ses noces, je conçus le projet de ronger l’os de l’aube afin de lui permettre d’en extraire toute la moëlle juteuse. Elle m’en sut gré, m’intronisa derechef dapifer en chef et échanson tout à la fois, ce qui me causa quelque embarras vue l’immensité de la tâche à accomplir.

A présent que le sol est spongieux à souhait, je peux m’allonger gaiement dans les sphaignes du Grand Nord, goûter aux reflets des eaux noires des tourbières de mon pays d’adoption. La migration fut longue, fastidieuse, requérant une déconstruction de tous les instants dans la cage de verre des évidences désuètes. Agnès guidant le peuple, sein à l’air et drapeau ensanglanté dans la main droite rejoignit sagement le tableau qu’elle n’aurait jamais dû quitter sans moi. Je me faufilai hardiment dans les poils du pinceau de mon peintre favori, emportant dans ma maigre besace un éclair, une mouche bleue et un balai tout neuf.

Nous voilà réunis maintenant depuis quelques décennies dans la grange de maître Jacques, esseulés en diable mais confiants.

 

Jean-Michel Guyot

8 décembre 2021

 

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