Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Travailler
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 13 mars 2022.

oOo

Littérature de conquête, donc, et d’abord de soi. Oui, l’auteur que je suis tâche d’obtenir sa place dans un monde où les forces rétrogrades et la peur de la liberté, décidément, sont tenaces...

Stéphane Pucheu, Conquérante, 9 mai 2021

 

La dynamique de toute œuvre inscrit sa puissance sur le long terme, s’érigeant sur de l’ancien, pour emprunter une direction nouvelle. L’élaboration d’une œuvre littéraire peut s’étendre d’un genre l’autre, après en avoir épuisé certains.
La nouvelle, le roman, l’essai, le récit, la critique... se développent tout au long du cursus de l’auteur, tout au long de son curriculum vitae, s’affirmant par surcroît sur les ruines d’une littérature de masse ou industrielle qui n’a plus aucun rapport avec la littérature.
L’on peut aussi évoquer le concept de littérature impérialiste, qui signifie un mouvement de l’avant, reprenant l’ancien - et toujours aussi moderne - réflexe prométhéen. De la sorte, l’œuvre en question procède inévitablement à la régénération de sa propre civilisation, du contexte qui l’a vu naître, c’est-à-dire un humus occidental.

Stéphane Pucheu, Du concept d’empire, 16 mai 2021

*

Travailler, voyage au long cours, long travelling semé d’embûches et d’obstacles, « tension vers un but et qui rencontre des obstacles » (DelportMarie-France (1984), « Trabajo-trabajar(se) : étude lexico-syntaxique », dans Cahiers de linguistique hispanique médiévale, n°9, pp. 99-162.), surmontés un à un, comme autant d’étapes ou d’escales qui jalonnent le parcours de l’œuvre.

Ce voyage n’a rien d’un supplice occidental ou chinois, c’est une recréation à valeur récréative, un bain de jouvence dans un monde qui tarde à faire peau neuve, inconscient qu’il est de ses potentialités explosives, enclin depuis quelques décennies à la prudence et la pruderie - ne parlons pas de puritanisme ! - et qui verra tôt ou tard s’affronter un monde de libertés individuelles et publiques menacé de l’intérieur et de l’extérieur et un ordre mondial à la fois brutal et propret, autocratique voire dictatorial, avide de puissance économique et militaire mise au service d’une vision du monde tout à la fois frileuse et conquérante, mélangeant nostalgie impériale et frénésie high tech déployée tous azimuts.

Dans un tel contexte, l’œuvre longuement mûrie, planifiée, conçue de A à Z puis patiemment réalisée prendrait donc forme et sens sur un planisphère, un espace plat sans courbure terrestre entièrement dévolu à une démarche préconçue pour une marche en avant sure d’elle-même, sans ratés ni haltes ni repentirs. 

Démarche qui s’apparente à une avancée triomphale dont chaque œuvre marquerait en quelque sorte une étape décisive. Nous aurions ainsi à contempler, en parcourant l’œuvre, un chapelet de petits triomphes, chaque œuvre pouvant être considérée comme un arc de triomphe sous lequel passer signifie vivre et subir une expérience cathartique sans réel danger, tout danger ayant été écarté par l’œuvre imposant sa loi sur les terres conquises.

Aux flèches du désir - I say my arrows are made of desires from far away as Jupiter sulphur mines… Jimi Hendrix, Voodoo Chile - décochées par l’arc triomphal de l’auteur ne correspondraient que de légères blessures narcissiques infligées aux lecteurs, alors qu’il s’agit en fait de toucher au cœur et de bouleverser, sans le tuer en le submergeant d’émotions trop vives, un lecteur capable de soutenir une forme, un style, une approche du réel multiforme et multifactoriel ainsi qu’une perspective ouverte sur l’inconnu sans nom et sans visage.

Il est des œuvres qui ne savent pas plus où elles vont que quand exactement elles ont commencé à se considérer comme appartenant à une œuvre en devenir.

L’exemple le plus frappant en est à mes yeux ce qu’il faut bien appeler après coup - après coup seulement - l’œuvre de Georges Bataille.

Inchoative, itérative, disruptive et censurée, parfois considérablement retardée dans sa publication (L’histoire de l’œil, Ma mère, Le bleu du ciel…). En effet, quand l’œuvre commence-t-elle ? Avec la publication de L’expérience intérieure et du Coupable  ? avec les articles parus dans la revue Documents ? avec la première parution de L’histoire de l’œil dont les exemplaires furent perdus sur un quai en gare d’Abbeville durant les jours sombres de « la défaite de 40 » ?

En partie publique - de très nombreux articles avant et après-guerre publiés entre autres dans Documents, Acéphale, Critique et par la voie royale des éditions Gallimard pour L’expérience intérieure, Le Coupable, Sur Nietzsche - et aussi pour ainsi dire souterraine, publiée sous un pseudonyme (L’histoire de l’œil, Madame Edwarda), voilà une œuvre marquante marquée par les contraintes de son temps qui aurait pu, à maintes reprises, sombrer dans l’oubli, si la chance, toujours saisie au vol par l’auteur, n’avait été de son côté. Chance qui peut tout aussi bien s’appeler amitié, car Bataille sut s’entourer et nouer de nombreuses et solides amitiés, dont celle, décisive, de Maurice Blanchot.

La capacité de rebond de Georges Bataille est confondante. Il aura pu ainsi maintenir une activité littéraire débordante en dépit de tous les obstacles : censure, deuxième guerre mondiale, graves ennuis de santé, moyens financiers précaires. 

Loin de moi l’idée tout à fait déplacée et saugrenue de m’identifier à Bataille et à qui que ce soit, d’ailleurs. Je note simplement une parenté de destin. Nous sommes nombreux à tendre vers un but et à rencontrer des obstacles, c’est-à-dire à travailler dur pour un résultat certes tangible - une œuvre en devenir dont on ne sait pas ce qui adviendra d’elle, dont le principe tient même, à mon sens, en cette formule de Nietzsche : Unwissenheit um die Zukunft - mais dont la réception laisse à désirer, nous laisse quelque peu sur notre faim. Nous sommes en attente de lectorat, méconnus que nous sommes, en plus d’être exposés comme tout un chacun aux aléas et aux incertitudes du temps présent. 

Aussi dois-je avouer dans ce contexte mon admiration pour le travail infatigable de Stéphane Pucheu qui trace son chemin en suivant une perspective novatrice et décomplexée, sure d’elle-même, ce qui, à mes yeux, fait de lui un esprit de première grandeur qui ne cessera sans doute pas de nous étonner pour le meilleur.

 

Jean-Michel Guyot

7 mars 2022

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -