1
Au nord
l’adret du doublier
altitude
Au sud
la Méditerranée
noyée au soleil
Sais-tu
que certains matins d’hiver
du mirador
on aperçoit la Corse
Devant toi
le mur béton
altitude
Silence épais
Souligné
d’un chuintement d’air
D’un jacassement de pie
Devant toi
la porte
Le verrou claque
Derrière toi
ça résonne
2
Closes sur elles-mêmes
comme autant de coffres
dont on aurait égaré les trésors
les cellules se suspendent
aux trousseaux de clefs
des gardiens
Le cri des serrures
étouffe
un à un
les mots
Leur identité s’effiloche
aux aspérités des chiffres
Entre les mots et le poème
le choc sourd des verrous
électroniques
3
Ici
respirer déchire la langue
Elle s’accroche aux barreaux
Elle s’y suspend
Comme un linge
en l’absence de vent
elle se tient muette
Quel poème
oser
pour donner forme
à l’ombre
et
grimper
au plus haut du langage
afin de renouer avec le sens
4
Jour après jour
identique
et toujours égal à lui même
un mur tourne autour de toi
Il te râpe
et
lentement
te transforme
en sable
Chaque grain compte les jours
5
Entre dehors et dedans
le mistral se déchire
aux rouleaux de barbelés
Vagues immobiles
dont les surfeurs plastiques
sont frappés de logos commerciaux
Les sacs
aussi légers soient-ils
ne franchissent pas le mur d’enceinte
Ils claquent au ciel
leurs froides prières
6
Dans ces couloirs privés de soleil
tes mâchoires se serrent
Respirer oppresse
Sur ton épaule
un ange
murmure
ses ailes
Le long des nuits cernées de projecteurs
quand un bref éclat d’obscurité
lui permet d’apercevoir
glissant sur sa lointaine orbite
un satellite de communication
il te sourit
7
Dehors
le lièvre et le crapaud
les pâquerettes
la buse et le chant des chênes
tous ces petits bonheurs
en liberté
Libres
comme flocons de mars
Flocons légers
qui fondent sur le sol de la prison
mouillent le goudron
puis
suivent
tranquillement
les canalisations d’évacuation des eaux
Tu rêves d’être soluble
8
Ici
le poème vit séparé de la terre
Avec son désir
dru
entre ses testicules en berne
son corps n’a plus aucun poids
mais
il est si lourd à coucher le soir
que tout rêve a déserté
sa présence
9
Si
dans la bibliothèque
ton regard ne s’ébréchait pas
aux barreaux
tu pourrais te croire
vraiment
Vivant
parmi le bruissement des voix
et non
retranché dans l’attente
Hésitant
à tourner la page
10
Tu te tiens à la lisière du mot
air
Tes yeux tremblent
Tu bégaies
Tu voudrais
fendre
le silence
à la hache
Ton regard s’attarde
auprès d’un fragment de ciel
azur
Tu voudrais respirer
à pleins poumons son eau
mais il est trop vaste
et les intervalles
entre les barreaux
trop étroits
11
Tu tiens tes mots en laisse
Leur donner voix
ce serait permettre aux murs
de les étouffer
Les encrer figerait leurs vagabondages
Te livrer ou te retenir
Là
est ta liberté
12
Cartouche vide
l’encre a coulé
Sur la feuille
sèche un poème
Quelques signes
en témoignent
13
Que viens-tu faire ici
petit poème
Comment es-tu entré
Es-tu tombé du ciel
As-tu sauté le mur
Tu ne portes pas de numéro matricule
Qui es-tu
pour marquer ainsi
le papier de ton empreinte
En toute impunité
14
Par la fenêtre ouverte
un papillon de nuit entre
et te tient compagnie
Il te raconte ses hauts vols
la brûlure de l’espace
et la palpitation des cistes mauves
Tu ne dis rien
tu écoutes
Tu apprends sa langue
avec la patience de la chenille
15
Il y a de la terre en toi
de l’arbre aussi
du ciel
du rocher
et tant de lumière en toute saison
qu’aucune barrière n’aura raison de toi
aussi longtemps
que tu resteras fidèle à toi-même
de septembre 1997 à mai 1999, le mercredi matin, à 8H30, j’entrais dans la Maison d’Arrêt de Grasse pour animer un double atelier d’écriture poétique : l’un avec les adultes, l’autre avec les mineurs. J’en ressortais à 11H30.
Quelques années plus tard des moments, des visages, flottent encore et toujours dans ma mémoire, icebergs étincelants ; ces quinze poèmes en constituent comme les parties émergées
Patrick Joquel