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Magnus (de Stéphane Pucheu) ou l'hyper-conscience narrative - par Jean-Michel Guyot
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 Article publié le 18 septembre 2022.

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https://www.editions-non31.fr/

I used to live in a room full of mirrors
All I could see was me
Then I take my spirit and I smash my mirrors
And now the whole world is here for me to see
Now I’m searching for my love to be

No place stumping
No place far
Can’t find the floor
Nowhere at all
See nothing but sunshine
All around

Jimi Hendrix, Room Full of Mirrors

*

Vous me permettrez de ne pas m’effacer en lisière de votre texte, mais d’y entrer afin d’en explorer la teneur et le dessein dans les dessins qu’il a composés en moi, dessins qui se veulent être la réplique ordonnée-désordonnée à ce dessein qui fut le vôtre d’écrire Magnus ou le cavalier en lui donnant la teneur qu’il vous plut de lui donner.

Dessein et teneur qui n’appartiennent qu’à vous, mais qu’il nous appartient à nous lecteurs de dire une seconde fois dans un langage autre, ce qui nous amène aux confins de la traduction qui est l’impossible réalisé.

Il m’a semblé à vous lire que les femmes pourraient bien être vos meilleures alliées dans la quête qui vous anime mais qu’il n’appartient qu’à vous de préciser toujours plus en en creusant toujours plus profondément les savants motifs.

Il ne pourra s’agir ici d’une étude en profondeur mais d’une simple plongée dans les miroitants reflets que vous projetez à travers les yeux de Magnus, ce cavalier sans rival.

*

Ce titre, Magnus ou le cavalier, semble vouloir tout dire, tout en laissant augurer l’impossibilité de dire le tout, d’où cette alternative posée d’emblée par ce ou à la fois inclusif et exclusif, inaugurant le champ narratif qui s’ouvre pour ne jamais se refermer complètement, clôture provisoire, toujours provisoire d’un élan discursif qui bondit hors de sa cage livresque, déferle de paragraphe en paragraphe, de nouvelle en nouvelle.

Livre ouvert sur une infinité de livres possibles… L’empire des sens renouvelé !

De lieux en liens noués puis défaits s’affirme un érotisme du mot tremblé, poutre-maîtresse et force motrice d’un édifice en déconstruction permanente, comme si les lieux liés les uns aux autres par une puissante autoscopie à visée phénoménologique ne suffisaient jamais à saturer l’espace de la narration avide d’elle-même.

Magnus ou le cavalier : l’un n’est que le prolongement allusif-extensif de l’autre, sensible dans ce ou inaugural.

Un ou inclusif car Magnus est le cavalier, exclusif parce que le cavalier est le double sans cesse renouvelé d’un nom, rien que d’un nom à qui la chair des mots qui le dévorent et le recrachent rend nécessaire mais jamais suffisante la doublure incarnée de sa perte incessante : renouvellement inextinguible du Doppelgänger qui cavale de masque déchiré en masque délité pour mieux dévoiler la puissance de sa narration qui oblige. 

Courtoisie de la parole écrite qui tourne autour de l’idole introuvable de la narration faite promesse ouverte sur l’avenir de son advenue toujours suspendue aux rebonds qu’elle ne cesse de s’imposer.

Magnus se donne à la narration qui se donne à lui, impossible fusion, matrice de la narration qu’il se donne à soi-même pour s’y adonner sans fin.

Magnus ou la puissance des mots appliqués à la juste appréciation d’une ambition démesurée : saturer l’espace par la narration, rendre compte mot après mot d’une série infinie de possibles qui s’engendrent mutuellement, formant ainsi série au sein d’un ensemble en construction : ici, c’est le temps qui définit l’espace créé et non l’inverse.

Magnus cavale de nouvelle en nouvelle, y donne des nouvelles d’une quête effrénée de sens, toute matérialité confondue, l’asphalte luisant se prêtant aux jeux de miroir d’une femme puis d’une autre et miroir pris dans les reflets qu’il projette, imbrication aiguë de la chair et de l’abstraction géométrique la plus vive d’une précision cinglante.

Le nom, cette enveloppe sonore, et le surnom, perspective cavalière qui en surmonte tous les tours et détours par un jeu de dédoublement incessant. Cavalier hissé sur sa monture, Magnus sort grandi à chaque étape de la narration, affirmant toujours plus son éminence à travers la prééminence du narrateur en expansion constante qu’il se veut être au sein de ce royaume de béton et d’acier qu’il donne à découvrir au moment même où il s’y déplace avec l’aisance d’un serpent juché sur une monture, cet équidé au pas lent et sûr qui jamais ne galope.

En ouverture de chapitre, nous trouvons des aphorismes incisifs qui disent en quelques mots les femmes dans le monde et le monde dans les femmes et le sens aigu qui s’y rattache, s’y dévoile et s’y incarne par le biais d’une narration impériale.

Au fond, il ne manque au narrateur que d’être les femmes fantasmées qu’il suscite et convoque et cette ville qui s’imprègne de lui, lui, ce je évanescent jamais las d’être au centre de tout ce qui le traverse. 

La grandeur du texte qui nous est donnée à lire tient au fait que Magnus semble être l’auteur de sa propre mise en demeure d’exister en avant des mots qui le portent à l’existence, existence relative à la narration qui l’engage sur la voie royale d’un livre, rien que d’un livre en constante expansion.

En ce sens, Magnus ou le cavalier, est un livre-monde.

Il en est pour ainsi dire la dépouille lumineuse ; il en a l’âpreté, la sécheresse, la douceur et la vivacité qui donne lieu et temps à la plus vivante des abstractions, un frisson au sein de l’être qui nous parcoure l’échine, ménage de petits chocs électriques qui se diffusent dans tout le corps du lecteur.

Ce livre exerce un attrait magnétique.

Je terminerai en disant que chez Stéphane Pucheu s’entend comme une ode aux femmes. J’en veux pour preuve cette phrase magnifique d’une fraîcheur tout héraclitéenne : 

La beauté des femmes est un fabuleux contre-poids au chaos du monde.

Reprenant deux formules de Nietzsche, il me semble qu’une lectrice pourrait ressentir en son for intérieur et faire dire d’elle à Magnus : Ich bin eine nuance, Magnus, de son côté, pouvant affirmer sans vergogne : Ich bin mein eigener Doppelgänger. / Je suis mon propre sosie.

Une nuance de taille qui s’impose à Magnus en la personne de femmes radiographiées, scannées par ce maître en métamorphoses amplifiées, métamorphoses qui le ramènent toujours à cette quête incessante de soi-même en tant qu’être ouvert sur le monde des femmes, comme si l’environnement urbain et le corps des femmes dans le monde, tous deux rapportés à la quintessence de leur existence brute par une savante alchimie narrative redoutable d’omniscience, ne pouvaient prendre forme ou chair que dans l’espace narratif dudit maître en métamorphoses, l’un et les autres disant sans cesse en sous-texte : je m’en ouvre à vous qui seuls savez de quoi il retourne vraiment, lorsqu’il s’agit de mettre au jour un monde turbulent incessamment retravaillé par les joutes continuelles auxquelles s’adonne le monde aux prises avec les mots.

J’incline à voir en Stéphane Pucheu un Piet Mondrian ou un Malevitch travaillé par le démon de minuit d’un hybride compacté de Jackson Pollock et de Francis Bacon ayant traversé tous les âges de leur peinture respective, ce qui fait beaucoup pour un seul homme, mais son nom n’appartient qu’à lui, appelé qu’il est à faire beaucoup parler de son œuvre tout à fait unique en son genre.

Le crocodile se mord la queue, recrache sa chair incessamment recomposée.

Tout un art !

 

Jean-Michel Guyot

29 août 2022

 

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Commentaires :

  Magnus encerclé par Stéphane Pucheu

La recension a ceci de charmant et d’instructif que ses angles d’approche sont infinis. Et que leurs corollaires, c’est-à-dire leurs résultats, sont tout aussi surprenants.

La nouvelle de Pierre Vlélo et la critique de Jean-Michel Guyot en sont d’illustres exemples, le premier relevant d’un contre-exemple paradoxal, le second d’un commentaire littéraire.

Magnus... patronyme ô combien romain qui se décline sur plus d’une centaine de pages, divisées en dix séquences ou dix nouvelles.

 

" Stéphane Pucheu est l’exact contraire de Michel Houellebecq : sa littérature n’est pas le récit d’une aventure mais l’aventure d’un récit. Plus précisément d’une fiction " disent les éditions Non31 à mon égard, paraphrasant le critique Jean Ricardou à propos du Nouveau romancier Claude Ollier, en 1963.

 

La nouvelle de Pierre Vlélo est aussi l’exact contraire du schéma narratif de "Magnus" puisqu’elle narre une histoire. Une histoire de jeunes gens, d’adolescents magnétisés par deux personnages principaux que sont Alfred et Julie. 

Ces derniers forment une sorte de couple que l’on a plaisir à suivre. De surcroît, l’auteur que je suis ne peut s’empêcher de les associer, par une troublante ressemblance, à ma propre personne en train d’écrire sur l’un de mes propres modèles.

Alfred l’inventeur, c’est possiblement moi, l’auteur de " Prix Nobel 2017 ", publié en 2015 au sein de la RAL’M ( "Espace panoramique occidental" ) tandis que Julie représenterait la jolie jeune femme qui évolue à son aise dans la galerie "Piscine" de son book, modèle nouvellisé lors de l’année 2021.

Je suis bien un inventeur comme l’évoquent mes différents essais, notamment dans l’onglet "Abstract" qui met en exergue la texture novatrice de ma littérature, en lien partiel avec le Nouveau roman ( " Du Nouveau roman à la nouvelle abstraite " ). Pour s’en détacher et l’absorber, comme le prouve la plasticité odysséenne de Magnus, concentration de fragments narratifs récurrents sans cesse régénérés, n’ayant aucun lien avec le concept d’histoire. 

 

Dans " Magnus ou l’hyperconscience narrative ", il y a ce qui s’apparente à une continuité critique des travaux de Jean-Michel Guyot sur mon œuvre en cours. Habitué qu’il est à commenter mes textes, qu’il s’agisse de nouvelles ou d’essais, il entre de plain-pied dans la déambulation de mon double, pour en restituer deux axes principaux : la présence des femmes et l’immensité de la littérature. Curieusement, il ne remarque pas que les consciences féminines rencontrées par Magnus sont pour une bonne part les modèles que j’ai transfigurés. Le " portrait narratif ", ma deuxième innovation, est bel et bien présent dans mon livre, sans qu’il soit possible de s’arrêter avec certitude sur l’un de ces modèles : Musa, Agathe, Nura, Julie... Lorsque naît Magnus, lors de l’été 2020, j’ai nouvellisé plusieurs jolies créatures. Et lorsque déambule Magnus pendant des mois, jusqu’à former ce premier opus, les jolies créatures se sont multipliées.

"Livre-monde", "saturer l’espace par la narration" : voilà deux expressions pertinentes qui démontrent que je vais encore plus loin avec le projet " Magnus ".

Ce chevalier solitaire, riche d’une conscience épaisse et en mouvement, en devenir, fait face à la Ville dans chaque nouvelle, et sa rencontre avec la matière se mêle à des considérations littéraires qui vont jusqu’à évoquer le concept de littérature abstraite cher à son auteur...

" Saturer l’espace par la problématique féminine " aurais-je envie d’ajouter.

Se diffuse indéniablement une philosophie du regard au travers de ma littérature qui s’appuie conjointement sur le vécu et le fantasme.

Quant au processus de dédoublement, justement souligné par Jean-Michel Guyot, il ne fait que se segmenter davantage d’une nouvelle l’autre, projetant ma subjectivité dans un espace-temps qui ne semble jamais assez grand.

En d’autres mots, Magnus ne fait qu’explorer sa propre subjectivité par le biais d’une narration ou odyssée sans cesse renouvelée.

Je suis donc bien l’exact inverse de Michel Houellebecq : tandis qu’il décrit la Cité, de manière sociologique et sans style, je décris ma forteresse intérieure, cette spiritualité qui se nourrit du dehors, le phagocyte, le recycle.

Pour mieux voir en moi.

Et à l’extérieur de moi.

 


 

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