Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
II - post meridiem
La soirée chez Anaïs K. - La tante d’Anaïs K. - chapitre XVIII-1

[E-mail]
 Article publié le 18 septembre 2022.

oOo

S’appelait Constance. Née au début du siècle. Province cul du Monde. Beauté approximative. Jamais nue. Robes toujours. Vertes l’hiver, blanches aux reflets roses l’été, passait le printemps en pantalons dans le jardin et l’hiver se pelotonnait devant la cheminée qui lui inspirait « toujours, toujours » le sentiment diffus d’avoir « quelque chose à dire et à laisser » mais le temps disait le contraire et à quarante ans elle prit Anaïs sous son aile à cause d’un père qui enseignait Heidegger et d’une mère qui ne savait plus à quel saint se vouer et qui fréquentait des lieux indescriptibles quand on en ignore le vocabulaire spécialisé. Frank Chercos savait déjà tout ça. Il demanda la permission d’allumer un cigare et l’alluma. Anaïs feuilletait l’album de photos il y avait longtemps il y avait quelques clichés d’elle toute petite mais avec le temps oh ces ressemblances si lointaines « vous ne reconnaîtrez pas même mes yeux » et il se souvint qu’il les avait discrètement observés à l’audition « mais parlons de ma tante puisque vous êtes venu pour ça

— Oh ! Pas spécialement…

— Rick veut jouer et Frank s’est dit…

— Voyons ce qu’il s’est dit…

— Que je pouvais gagner… Je ne suis pas plus bête qu’un autre !

— J’en suis sûre… Ainsi vous vous sentez capable de…

— De battre le comte sur son propre terrain, oui !

— Vous battre… ? Je ne voyais pas ça comme ça… Fabrice sera éton… de… mais si vous le prenez comme ça… Dommage qu’il soit couché… Nous aurions pu…

— Cependant nous évoquions votre tante… Constance. Et cet univers très particulier construit dans ce que nos aïeuls ont désigné comme colonies…

— Je ne suis pas si vieille que ça…

— Vous voulez dire que vous étiez jeune à l’époque…

— Assez jeune en effet. Mais peut-être pas au point de ne pas faire une épouse… Mais voilà que nous reparlons de moi… Or il s’agissait de…

— Constance avait déjà un œil sur le comte, votre futur…

— Ma tante avait le sens des affaires… matrimoniales… »

Dehors, la nuit avait fondu au noir depuis une bonne heure et le plan suivant se laissait désirer, car Anaïs avait fait fermer les deux fenêtres qui autrement s’ouvraient sur un jardin d’agrément de sa composition Frank en avait perdu le souvenir sauf l’œil glauque de ces poissons qui remontaient à la surface du bassin pour l’observer comme s’il apportait un os et qu’ils étaient des chiens « ah ces Colonies ! Nous n’y étions pas si mal. Mon oncle…

— Vous aviez un oncle… ?

— Puisque j’avais une tante…

— Qui était-il ?

— Un officier. Jamais eu de relation affective avec cet être qui ne pensait qu’à s’élever dans la hiérarchie sans se soucier de ce que cette triste occupation impliquait chez les membres du foyer qu’il était censé entretenir. Ce feu ! Ma tante y veillait. Et Fabrice (mon fiancé en ce temps) avait lu Fustel et toutes ces hypothèses m’ennuyaient au point que j’ai trouvé… Mais n’en parlons pas. Je crois d’ailleurs (je n’ai jeté qu’un regard oblique sur la page en question de la Méridienne) que cet… Oriental figure en bonne place dans la première « solution » proposée par Fabrice…

— Nous en reparlerons… (Frank constata l’extinction du brasier et la cendre chuta sur le verre de la table qui les séparait lui, la comtesse et la Rouquine qui elles aussi figuraient dans ce plan alors que lui, Frank, était un)

— Nous étions bien forcés de fréquenter ces… Espagnols, vous comprenez ? Une main-d’œuvre qualifiée… alors que l’indigène… vous me comprenez… Ma tante se plaignait de la chaleur et de la poussière, mais elle aimait les odeurs et les bruits… Elle avait, murmure-t-on dans la famille, une âme de poète… mais je ne suis pas bien sûre que la féminité y fût pour quelque chose. Elle en parlait comme si son enfance y avait vécu ses moments les plus… faciles… mais ce n’était pas le cas, elle a grandi ici, avec les autres, vous savez… Ils arrivaient d’Andalousie… Ils connaissaient tous les métiers. Paraissaient éduqués alors que nous étions… Je ne voudrais pas vous ennuyer avec ces…

— Mais pas du tout. J’en saurai sans doute assez pour jouer avec une bonne chance de l’emporter. Si cependant vous souhaitez rejoindre votre…

— Mettons ! (elle invite Frank à changer de cigare et lui explique, ce qu’il sait déjà, qu’il n’est pas bon de rallumer) Pendant quelques temps (mais ne me demandez pas de le mesurer maintenant que j’en ai perdu le sens), j’ai bien cru qu’un de ces… immigrés m’était destiné…

— Vous avez cru cela ! Il me semble (mais je me trompe peut-être) que cette idée n’aurait pas même pu effleurer l’esprit autrement heu de votre tante qui

— Je l’ai cru. D’autant que parmi ces hommes courts sur pattes, étroits d’épaules, mains sans justes proportions avec le corps, il y avait /mais il y avait aussi des femmes, ces femmes au regard possessif… Pensez-vous qu’un regard puisse être possessif ? Vous qui écrivez…

— Ah mais c’est que n’écris pas ! Je veux jouer, c’est tout.

— Et gagner bien entendu… Je comprends. (joignant ses mains) Heureusement je n’ai rien provoqué ! Ma tante, qui avait l’expérience qui manquait à ma curiosité d’adolescente presque majeure, sut me soustraire à cette pratique de la recherche alors même que je n’en devinais pas les interdits, surtout qu’entre ces forasteros et nous oh ! il y avait une telle distance que… la franchir m’aurait instruite mais certainement pas affranchie !

— Vous voilà revenue dans les meubles…

— Fabrice attendait sous la vigne, agacé par les guêpes qu’il chassait avec son chapeau, et sa mèche blonde suivait en même temps ce mouvement à la fois patient et leste. Ma tante se dandina alors en plein soleil, les roses de sa robe fleurissaient ses joues et tout en allant droit sur lui, elle se retournait pour me désigner et je ne savais plus où me mettre. Il s’avança et regretta son retard ou je ne sais quel défaut de sa cuirasse qu’elle lui demanda de cesser d’interposer entre lui et moi. J’ai craint une mais non il me tendit sa la table était mise et la moustiquaire caressa une chaise craqua sous ses je portais mes pois ou mes rayures je ne sais plus avec un manque d’élégance qu’il ma tante ne put s’empêcher d’arranger mes anglaises admira-t-il le détail de la dentelle je ne sais plus oh je ne sais plus c’est tellement »

Ici elle quitte les coussins qu’elle avait disposés autour d’elle comme des

— Je ne parle que de moi. Vous allez croire… (il balaie l’argument d’une main molle et lente) Pourquoi avons-nous vécu ce temps et comment s’est-il achevé sans nous ? Voulez-vous répondre sans moi ?

La Rouquine prend note. Elle a écrit TANTE en haut de la page quadrillée et tracé des petits triangles dans tous les sens puis elle rature ces traces d’impatience et se remet à l’écoute

— Je me demande bien à quoi ressemblera, sur le papier, cette mise en relation des personnages qualifiés de secondaires avec ce que nous selon ce que mais n’anticipons pas car je crois, vous connaissant, mon cher Frank, que vous avez plus qu’une idée de ce que cela représentera… sauf peut-être aux yeux du lecteur de la Méridienne, qui n’est pas différent de ce qu’on peut imaginer s’il nous arrive de perdre du temps à l’éviter.

— Je vous suis…

— Je n’ai rien… dit la Rouquine en exhaussant son crayon et elle en applique la pointe déjà usée sur le sommet d’un petit triangle qui devient, après quelques traits, un cercle ou un confetti.

Une existence sans conquête ne fera jamais le sujet d’un bon roman. La comtesse prit le temps de montrer son fiancé comme elle le voyait lors de cette première rencontre et en marge de son récit la tante Constance semblait porter tout le poids de la tragédie coloniale sur ses épaules jamais nues, mais les bras en avaient connu d’autres, car elle ne venait pas du Paradis, même si l’Enfer personne ne peut dire qu’il en vient cette « chose » qui nous est promise nous n’en avons pas non plus la moindre idée et Fabrice avoua plus tard (à Anaïs) qu’il ne croyait pas plus qu’Ibn Sina à l’éternité de la vie et (voyez-vous, lui dit-il comme s’il professait) tout ceci n’a rien à voir avec l’existence de Dieu Anaïs (dit-elle maintenant) je ne crois pas que ma tante ait envie de parler de ces choses qui divisent les hommes et les éloignent des femmes, enfants que nous sommes ! Il la trouva non seulement séduisante, mais finalement pas si bête que ça, ravi d’avoir affaire à une jeune fille intelligente et déçu de ne pas y avoir pensé plus tôt, au moment des préparatifs du voyage intercontinental, pensé qu’il y avait au moins une chance de ne pas tomber sur une idiote comme il l’avait espéré et tandis que la tante parlait du futur comme si elle en avait visité les arcanes, il entreprit de s’intéresser aux détails que sa fiancée déclarée (à quelques jours près) énumérait à force de se taire et de ne donner rien à voir de ses jambes. Aujourd’hui il serait bien incapable de dire si le guitariste interprétait Albéniz ou Tárrega. Entre Grenade et Oviedo. « J’ai tellement aimé

(mais elle n’acheva pas et dit)

Que voulez-vous savoir de ma tante… qui n’est plus là pour… il eût été plus facile si elle... mais Fabrice a l’art de compliquer les choses au point qu’il devient difficile de…

— Gagner ! fit la Rouquine qui ouvrit encore la bouche pour b.

Rires. Sans éclats car le comte dormait. Ou s’il ne dormait pas il. Anaïs tendit l’oreille vers ce qui était censé être la direction dans laquelle la chambre du comte (pas la sienne) se trouvait et Frank voyait les personnages d’un tableau passablement obscurci par la vieillesse considérable de son vernis, sans chercher à en savoir plus sur leur destin en cours.

— Comme nous sommes intelligents quand nous ne sommes pas bêtes ! s’écria la comtesse.

Elle écrasa en experte entre le pouce et l’index le cylindre imparfait du cigare et il se mit à prévoir la flamme, tapotant du pied sur un tapis heureusement épais de bouclettes et d’ancienneté sinon elle eût interrompu son geste connaisseur en cubanos pour l’interroger sur un autre sujet qu’il n’avait aucune envie d’aborder avec elle. Il était venu pour en savoir plus sur la tante, plus que ce qu’il savait déjà et il n’était pas question de. La Rouquine, qui pratiquait la sténo, se demanda si ce flic et elle fit glisser son calepin sur sa cuisse de manière à lui faire de l’ombre et elle dit

— Nous ne disons jamais ce que nous voulons dire.

— Ou nous le disons mais d’une autre manière…

— Et personne ne nous comprend plus ! fit la comtesse en secouant le briquet, l’écoutant et constatant qu’il était. Frank sortit de sa poche une boîte d’allumettes. Elle approuva. Il pompa. Elle aimait ce geste. L’homme au cigare. Fabrice en fumait. Nous sommes allés jusqu’à…

¡No me diga ! s’écria à son tour la Rouquine.

— À quel moment il est apparu, je n’en sais rien, continua la comtesse. Il y avait toujours du monde le soir. Selon la saison, nous bavardions à l’extérieur ou au contraire dedans, dans la même lumière agitée d’insectes et d’odeurs. Fabrice parlait déjà de ses futurs voyages plus loin, encore plus loin, et des hommes l’écoutaient avec intérêt. Nous autres, femmes… Ma tante parlait des femmes. Les femmes des autres. Des femmes aussi lointaines. Une exploration sans doute de même nature. Et des visages passaient, serviteurs de l’attente qu’ils ne connaissaient pas, subissant le temps à rebours, comme c’est écrit dans le. Ah ! je n’aime pas me souvenir de tout ça et encore moins en parler mais si vous me dites que vous pouvez gagner…Fabrice, si cela arrive, si cela lui arrive, alors qu’il a prévu que ça n’arrive pas, m’en fera un fromage, les amis ! Mais j’en prends le risque !

Justement le dos de Kateb était encore visible sur la photo qu’elle regardait sans intention de la passer à ses invités. Était-ce ce jour ? Impossible de s’en. Sa tante veillait. L’Arabe ne servait pas. Quelqu’un l’avait amené avec lui. Ou elle. Sans explication. Et d’ailleurs il ne tenait pas un verre dans sa main. Et sa bouche était close. Seule ses narines frémissaient. Cependant il était assis. Balustrade ou dossier d’un canapé. Je ne me s. p. J’étais là. Ma tante se demandait ce qu’il. Mais n’osait pas interroger les. Surprit-elle le regard qu’il posa sur mes. Elle s’interposa, estima les distances, ou prit la mesure de l’enjeu. Et le lendemain il tirait l’eau du puits avec les femmes. Elles riaient. Trop selon les règles qui. Ces tissus de soleil et de lune ! Je pensais les rejoindre. Ou du moins m’en approcher d’assez près pour. Puis, après les noces, Fabrice partit. Ainsi. Femmes du puits /Voyage au loin, très loin. À telle enseigne que. Vous connaissez ma tante. Nous brodions sous la tonnelle. Ou lisions près du feu. La neige de l’Atlas. Vous comprenez ? Non, il faut l’avoir vécue pour. (un temps) Pensez-vous que vous en savez assez pour…

— Il ne le dira pas…

— J’ai ma petite idée. (autre temps) Ne pensez pas que je vais entreprendre de gagner ce concours avec les moyens d’un auteur, ni même d’un lecteur. N’oubliez pas que je suis policier. Et je l’ai toujours été…

— L’enfant que vous… ? Je n’y crois…

— Mais si, mais si. Je l’étais. Cet esprit qui fait de moi un « non-personnage » (je cite).

— Et les autres… ? Ceux qui ne sont ni p. ni n. p. ?

— Des tas. Je reconnais que c’est là une difficulté… Mais je veux la considérer comme…

— Accessoire !

— Non. Passagère. On y revient un jour ou l’autre. Et Marette ou ces quidams devant la porte de la prison occupent les dernières pages, celles que le vent emporte au moment d’en finir avec… Mais nous nous égarons, mes amies…

Le Soberano aide à. Elles sirotaient quelque chose de sirupeux. Obéissantes. Comme aux Colonies. Chevaux andalous dans la réserve de Doñana. Profils véloces et pourtant immobiles dans la nuée du matin ou du soir. Des eucalyptus en pleine turgescence. Surpris dans cette. Mais ne nous égarons pas.

— Si vous l’aviez connue… peut-être. Mais ce temps n’est plus… Nous n’avons d’ailleurs pas parlé de. C’est que je ne me souviens pas précisément. Vous me direz si ce genre de détail peut. Aux Colonies j’ai enfanté deux fois. Et deux fois je me suis trompé d’homme. Imaginez dans quel état ma tante… cette pauvre vieille à moins de cinquante ans… à l’âge où la femme sait ce que l’homme ne peut pas… Vous me direz si c’est utile… Je veux dire : pour gagner. Car je désire cette victoire… sur Fabrice qui en concevra une sacrée… Mais je ne veux pas vous influencer. Seulement vous aider.

— Ça nous aidera sans doute (la Rouquine)

— C’est que nous n’avons pas toute la nuit… Demain matin… Oh ! C’est déjà demain !

— Déjà ?

Cette fois la nuit s’est durcie comme le métal après la fusion. On sent cette tiédeur du jour, le nez à la fenêtre entrouverte car un bruit. Un bruit d’homme. Les voleurs s’enduisaient de graisse de lion. Les chiens se taisaient. Et les poules disparaissaient ainsi. Vous me croyez ?

Il acquiesça. Il ne fumait plus. Deux mégots refroidissaient dans le cendrier. Elle avait fini par abandonner le briquet parmi les bibelots de la table basse. Reflet d’or. Impossible de tout dire sans. Cela s’est passé comme si rien ne. L’enfant à paraître a-t-il maudit l’enfant qui était ? Je m’en voulais. Peut-être que si j’étais restée ici. Mais on vous jette au loin parce que. Et vous n’avez rien à répondre à ce. La traversée pouvait paraître enchanteresse. Petits moutons annonciateurs d’orage ou de tempête. Je ne savais pas où j’allais. Pour savoir où on va, surtout à cet âge, il faut tourner en rond, chez soi, pas chez les autres. Au lieu de ça je suis projetée sur l’écran blanc des Colonies. Et ma tante a préparé mon futur. Nous ne savons jamais où nous avons mis les pieds. L’attente n’en est que plus tourmentée. Première fois la mer. Sauf carte postale et illustrations livres d’écolière la science comme religion. Quel pays s’en remet ? Couronne royale sur coussin de soie brodée de fanfreluches. Ou les couilles du taureau en contrejour. Ça, c’était en Espagne. Plus tard. Entre deux expéditions. La semaine des retrouvailles et du lit. L’enfant avait-il poussé ? Ou était-il déjà mort ? Ma tante dit : « Je ne l’avais pas prédit, mais ce qui est arrivé tu aurais pu le savoir ! » On ne se connaît pas à ce point. Surtout à cet âge. La Rouquine frotta l’étiquette. En effet : grosses couilles. Elle sourit. Elle n’a jamais fait le voyage de la Costa del Sol. Un jour peut-être. Mais sans les Colonies à l’horizon. Traversant des villages de gens usés jusqu’à la corde. Anaïs avait fait ce voyage. Mais dans l’autre sens. Et sa tante l’avait commenté. D’un bout à l’autre. Et en arrivant près de la rivière de son enfance, elle avait fondu en larmes. Et rien ni personne n’avait pu mettre fin à cette. Des gens qu’elle connaissait pour les avoir. Mais ses larmes n’avaient rien à voir avec leur malheur. Elle non plus n’avait pas voulu partir. Partir comme ça. Alors que les hommes, eux. Elle pouvait comprendre pourquoi Anaïs. Un Andalou eût été moins. Mais cet Arabe ô mon Dieu qu’est-ce que je vous ai. Et cet enfant qui n’est pas. Et cet autre qu’on amène dans nos bagages pour lui donner la demeure que réclame son sang. « Je vous le dis sans honte : je la haïssais ! Et je la hais encore. Est-ce que cela vous aidera à gagner ce maudit concours né de la boue que Fabrice entretient comme si j’étais.

— Calmez-vous, Anaïs. Allons nous coucher. Cessons de…

— Me laisser seule ? Cette nuit ? Alors que monsieur dort tranquille parce qu’il a inventé le « concours du siècle » (je cite) ? Si encore je partageais son lit… J’en sentirais l’odeur de chien écrasé ! Oh ! je ne dis pas ça pour vous, Frank !

— Je ne pensais pas provoquer cette…

— Ce que vous voyez, je le vis tous les soirs, été comme hiver. Avec ou sans concours à la clé. Vous jouez, sans doute gagnant ou du moins je vous souhaite de l’emporter, mais je ne suis pas de la partie. Je viens de . Et ça ne pouvait pas se passer ailleurs. Je suis exactement de ce temps et monsieur le sait ! Mais il sera moins fier de sa perversité quand il verra qu’il a perdu. Contre vous, Frank ! Je ne sais même pas ce que ça peut bien vouloir signifier ! Qu’en pensez-vous, Hélène ? (petit nom de la Rouquine)

— Nous ferions mieux de regagner nos… (il insiste : est-il indifférent à ma douleur ?) Je regrette tellement de…

— Tu te répètes… Nous ne pouvons pas l’abandonner. (à Anaïs) Ma compagnie suffira-t-elle à… ?

— Je ne veux pas priver Frank de votre compagnie…

— Je me prive souvent, figurez-vous (dit-il dans l’espoir que l’humour) mais j’ai tellement envie de…

— Je comprends… (voit la rousseur des cheveux, des taches)

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

— Nous nous répétons…

— Vous voyez ce tableau ?

Il le revit. Il venait de le voir. N’avait pas accordé aux personnages toute l’attention qu’ils méritaient selon elle qui le voit tous les jours et s’y perd quelquefois comme si elle lui appartenait autant que ses personnages. Oui, oui, je le vois

— Ma tante l’a peint après.

— Après… ?

— Après la mort de Jean. Vous savez… ? (elle se tourne vers la Rouquine qu’elle nomme Hélène) Je ne sais pas si vous savez ce qui…

— Elle le sait (dit Frank) Qui ne le sait pas ici ? Tout le monde connaît cette histoire. Tous savent que Lazare n’est pas ce qu’il est aux yeux de la Nation. Mais votre tante n’y est pour rien. Je pense que si elle avait pu, elle aurait…

— Ce n’est pas faute d’avoir essayé !

Ça, songe Frank sans y croire, je ne le savais pas. Mais maintenant je le sais. Je sais comment ça commence aux Colonies et comment ça se termine ici, dans le caveau familial le plus ancien du cimetière local. Que va-t-elle m’apprendre, qu’il sait, et c’est cette connaissance qui le donne gagnant, alors que j’étais sur le point de perdre, et pas que la face nom de d. sans elle, sans cette tante, rien de ce qui est arrivé ne serait arrivé. Ça change tout. L’enfant noyé. Par qui ? Mais par lui-même. Et pourquoi un gosse de six ou sept ans se jette-t-il dans l’eau avec Virginia si personne ne l’y a poussé ? Or Anaïs avait-elle une raison de le pousser ? Aucune. La tante non plus n’en avait pas. Mais elle ne s’est pas servie de ses deux mains pour le pousser dans l’eau de la mort. Elle n’a pas non plus prémédité cette poussée assassine. Elle ne connaissait rien de la nature de cette force vivante. Elle ne l’a su qu’après. Une fois l’enfant noyé. Sachant qu’Anaïs n’y était pour rien, et que ce n’était pas un accident. Comment imaginer que ça s’est passé comme ça ? Le voilà, le pouvoir de l’imagination. Voilà le moment où il se manifeste alors que tout est accompli. Et sur le chemin du retour au bercail, autrement dit de Tamanrasset à quelque part avant Dunkerque, Constance a su qu’elle ne vivrait pas longtemps avec cet imaginaire aussi vrai que s’il n’avait jamais existé. Pourquoi en avait-elle parlé à l’enfant ? Et quelle vision l’enfant avait-il eu de l’Arabe qui allait devenir le père de son frère, lequel croissait dans le ventre de sa mère, croissance dont son père clamait sa fierté d’homme alors que. Le château parut presque mélancolique de loin. On arrivait par les coteaux et la plaine s’étendait jusqu’aux montagnes toute proches. Perspective que Constance absorba comme un poison. On arrêta la voiture car Fabrice voulait voir ça. Il y avait longtemps que. Il faillit en pleurer. L’enfant allait naître. Le petit cercueil blanc arriverait lui aussi. Chaque chose en son temps.

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -