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Hypocrisies - Égoïsmes *
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 Article publié le 2 octobre 2022.

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Il fut un temps où la toilette du matador de toros avant le combat était une nécessité prophylactique. Le caleçon était ébouillanté, le traje de luces impeccable du point de vue hygiénique… je me demande si les cornes du toro n’étaient pas elles aussi désinfectées… le sable… ? Le torero était à l’abri d’une mort absurde par infection alors que sa blessure ne mettait pas ses jours en danger. Le soldat des tranchées et autres positions stratégiques n’avait pas cette chance… Aucun soin n’était apporté à sa tenue ni surtout à la surface de son corps forcément peu adapté à un système de protection contre les infestations. C’est là toute la différence entre la pratique du spectacle où la mort est un jeu et une tragédie où elle est l’enjeu du futur de chacun et de tous. Je ne sais pas pourquoi je pensais à ça en pleine nuit sans sommeil… L’absence trop évidente de préservatif… Je ne connaissais pas Alice au point de lui savoir des qualités préventives à l’épreuve des balles et des cornadas. Elle n’avait pas l’air affecté par une de ces maladies qui ne réussit pas à dépeupler le monde ni à inquiéter l’esprit en proie à d’autres combats secrets. Son compagnon, qui n’était d’après elle que son imprésario et qui n’exigeait pas de paiement en nature, était hors du coup. Par contre, elle m’avoua qu’elle ne négligeait jamais l’opportunité. Elle enculait à la diable. Sa queue était un exemple de propreté et d’esthétique. Elle en prenait grand soin. Elle m’avoua que si elle avait dû pénétrer mon intimité, elle aurait pris les précautions d’usage. Mais mon anus chinois était à l’abri des calamités qui contrarient le plaisir. Il était en plus équipé d’un accélérateur de particules, celles qui autorisent les projets les plus fous. Je n’avais pas d’inquiétude à me faire. Elle me chatouilla le menton, du pur jus celui-là !

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire de toréador et de pioupiou… ? murmura-t-elle sous le drap. Tu délires ou quoi ? J’ai lu quelque chose sur le soldat, le prêtre et le poète… mais ces deux-là, ni peu ni prou. Il paraît que tu écris mais que…

— Mon esprit s’embrouille rarement au moment de… mais c’était la première fois queue…

— Il y a un début à tout… mais je ne me vois pas avec ton truc dans le cul ! Qu’est-ce qui lui est arrivé… à part le pripa… le péripa…

— Le priapisme. Je suis sorti du ventre de ma mère en bandant…

— Chouette !

— Et depuis, rares sont les moments où je peux jouir de la paix intérieure qui m’habite… J’écris là-dessus. Des tas de pages que j’ai écrites ! Et assemblées. Le plus difficile c’est de les assembler. Il s’agit de construire quelque chose…

— Comme quoi… ?

— Comme un roman. Après écrivain, je veux être romancier. Mais d’abord l’écriture. Des années que je pratique ! Le roman vient après. Quand les flics m’ont « auditionné »…

— À propos de quoi… ?

— D’Alfred Tulipe…

— Celui qui est mort… ?

— Il n’y a qu’un Alfred Tulipe ! Pour mon malheur ! Mais je ne l’ai pas tué…

— Ils t’ont charcuté… les salauds… alors que tu n’y étais pour rien ! Je n’aimerais pas qu’on me le fasse ! J’ai déjà piqué une crise… oh mais ça remonte à loin… Quelqu’un parlait de reconstruire mon entrejambe… Papa, je crois…

— Je disais… Quand ils m’ont interrogé, j’ai construit le meilleur roman que j’avais jamais écrit ! Frank Chercos a conservé les bandes. Elles sont ici, dans cette armoire. Des heures d’audition ! Et moi les menant par le bout du nez… tant et si bien qu’ils ont fini par abandonner… Ah je te jure que je regrette encore cette époque… ! Frank ! Roger !

— Mais tu souffrais ! À l’époque, le prévenu était seul contre tous !

— Et à poil, sans rien pour enfouir mes déchets ! Ils fumaient comme des pompiers et la fenêtre était bien fermée. Je ne me souviens pas de la porte.

— Un trompe-l’œil… On connaît ça dans le spectacle…

— Oh je connais moi aussi les planches ! Si tu remontes les pages, tu me verras sidérer les clients d’une boîte venus exprès pour assister à mes orgasmes spectaculaires…

— Tu as fait ça toi aussi… ? Et puis il y a eu ce crash… le feu… ce que tu es devenu… Ils ont dû te regretter ! Ils me regretteront quand ce sera fini…

— Je ne peux pas vivre sans toi !

— Oh non ! Ne dis pas ça ! Je t’en prie ! »

Le voyage à Brindisi était remis à plus tard. J’avais écrit à la Brindisina. Une carte postale avec une église, une boulangerie pittoresque et un vieux qui fait chabrot. Il fallait réécrire maintenant, mais la vieille me laissait sans carte postale et Alice avait peur d’en choisir une qui ne conviendrait pas à mon amie italienne. Elle devait m’attendre et se dire qu’une fois de plus je me montrais inconstant et égoïste. Je crevais d’envie de la revoir. Je l’avais quittée sans adieu. On m’avait embarqué dans ce maudit avion ! Sans bagages. Avec un fils qui allait disparaître totalement de ma vie. Et ce feu qui, d’après la voyante d’André Breton, reviendrait toujours après l’épreuve de l’eau. Seulement j’étais bien incapable de dire si le pécheur m’avait sauvé de la noyade pour que l’oracle s’accomplît. Un pêcheur sans nom, alors qu’Élise en avait un et n’avait aucun goût pour ce simple exercice de l’attente de tuer. Est-ce qu’on tue pour manger ? Non, n’est-ce pas ? Papa en était mort. Son crâne avait fini par se vider et les petits poissons avaient nettoyé l’os jusqu’à la propreté absolue. « On pourrait manger dedans ! » Que font-ils des corps une fois qu’on les a oubliés… ?

Ainsi, Alice montait et descendait du matin au soir, et la nuit elle se levait pour jeter un œil dans la chambre où je ne trouvais pas le sommeil. Elle apparaissait en nuisette qui ne cachait rien de sa véritable nature. Des pas derrière elle trahissaient d’autres curiosités. Et chaque fois que l’ambulance illuminait la nuit à peine le soleil couché, les conversations reprenaient sur le perron et je savais que le voyage finirait par ne plus avoir lieu. Elle n’entrait pas. Elle murmurait qu’elle ne pouvait pas. Elle n’était pas seule, seule pourtant à pousser la porte à l’équerre, à se pencher dans le contrejour, presque nue, retenant toute la lumière dans les tensions de son voile léger, comme un papillon de nuit revient à la même source de lumière qui clignote au rythme des heures. Au matin, elle avait tout oublié.

« Il faut que je t’explique, Titien… (je me méfiais d’elle la vieille quand elle m’appelait par mon nom civil et non pas par celui qui écrivait pour moi) Ta Brindisina ne veut rien savoir…

— Elle sait tout de moi ! Pourquoi en savoir plus ? Nous n’avons plus rien à nous dire. Il y a le soleil là-bas… ici, il pleut, le vent prend la parole à la place de l’ennui et les gens ne sont que les habitants d’une triste continuité à laquelle je ne participe pas… par nature ! C’est par nature, nom de Dieu ! que je ne crois pas en l’homme ! Je sais qu’elle m’attend !

— Hé bé non ! Elle l’a signalé au système… En termes… je suis désolée de te le dire… peu amènes ! Et je pèse mes mots… (un silence, pesant de préférence) Ça n’a pas l’air de t’affecter plus que ça…

— Mettons que je ne suis plus seul…

— Elle t’entretient dans l’illusion de son spectacle… Pure répétition. Le rideau finira par te tomber sur la tête…

— Tu ne connais rien à l’amour ! L’amour, ma vieille, il faut d’abord savoir le faire !

— Et tu ne le fais pas sans ça ! »

Elle me piquousa. Inutile de préciser qu’ensuite elle en a profité pour satisfaire son voyeurisme de vieille peau ! Céline, c’était les jambes. Elle, comme Rachilde, c’est une queue dressée dans un ciel de crépuscule, au fil du vent qui vient de la montagne, comme autant de lames de rasoir. Elle me laissa seul. Le jour s’éternisait. J’entendais les bruits de vaisselle, les pas sur les marches et sur le tapis du corridor, les portes et leur léger souffle d’air, on tirait des rideaux, pliant les couvre-lits, jouant à deux en se tenant la bouche pour retenir le rire idiot qui les secouait comme s’ils retournaient en enfance… Je vous prie de croire qu’il n’y a rien comme la solitude pour mesurer à quel point son contraire n’est qu’une illusion de vie et de communauté, de travail et de rêves proposés par écran interposé. Donc, plus de voyage à Brindisi. Il ne restait plus qu’à identifier ce sacré pêcheur qui s’était enfui comme un voleur après m’avoir déposé sur le paillasson. Ils avaient fouillé les environs et même poussé jusqu’au village voisin. Remonté la rivière ou descendu vers sa jonction avec le fleuve. Porte ouverte, mais lit cadenassé. J’avais grillé mes batteries dans l’eau. J’étais donc branché sur le réseau. Et l’orage menaçait. Les volets claquaient contre les murs. Branches crissant contre la pierre. Si je refusais d’avaler, on introduisait un tuyau dans ma gorge, grimaçant eux aussi et se plaignant d’impatience qui finirait par une nutrition entérale, photo à l’appui autre patient dans un lit recevant les pâtées seringuées par des mains étrangères. Où en étais-je de mon héritage familial ?

« J’ai commandé les batteries, dit le docteur Primabor. Du turc ou du chinois. Licence usa. Design français. Vous aurez l’impression de monter sur la passerelle pour caresser sous les jupes. Mais toujours pas waterproof ! Nom de Dieu ! Il va falloir vous surveiller de près ! »

Le colis est arrivé avant Noël. L’installation des batteries nécessitait un débranchement préalable pour éviter de provoquer des étincelles. J’avais assez brûlé comme ça ! Mais plus question d’aller faire le mariole dans la flotte. Avis du médecin de bord. Et il ne plaisantait pas. Il avait organisé une projection contre le mur. J’avais tout compris dans les motifs de la tapisserie. Tout le monde avait applaudi, en turc ou en chinois. Les subventions qui me maintenaient en vie artificielle ne couvraient pas la protection waterproof. Pas plus que le risque incendie. Je pouvais m’étaler dans la merde du poulailler ou dans la rosée du matin, mais pas de flotte ni de feu. Grimper dans les arbres n’était pas recommandé, la technologie n’ayant pas encore surmonté cette difficulté, celle qui consiste à retrouver la terre ferme après l’avoir quittée, comme en cas de crash par exemple, mais je pouvais prouver le contraire et ça les laissait cois. On mangeait bien et à heure régulière, finition éjaculatoire comprise. Qui êtes-vous, Julien Magloire… ? Mais je suis Titien Labastos. On me connaît aussi sous le nom de Damiano…

« Chut ! Quelqu’un arrive…

— Vous allez avoir du mal à vous expliquer, ma chère Alice, si on vous le demande… je le crains…

— Taisez-vous et sucez ! Ce n’est sans doute rien…

— Ni personne ? C’est qui ce Kol Panglas… ?

— Je vous l’ai dit : mon imprésario. Je suis artiste de…

— Music-hall, je sais ! Mais je ne m’explique pas…

— Vous êtes trop curieux ! Sucez et taisez-vous !

— Mais c’est l’écran que vous regardez… ! J’ai l’impression de n’être qu’une machine à… Promettez-moi de me regarder au moment d’orgasmer… Je me branle !

— Comme si nous avions le choix de nos destins, jobard ! »

 

 

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