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Chemins d'Eden - de Jacques Brou - chez Tinbad
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 Article publié le 16 octobre 2022.

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Chemins d’Eden - de Jacques Brou - chez Tinbad
Peu importe de savoir qui est responsable de la médiocrité du vers libre, étant donné que ses auteurs auraient écrit de mauvais vers de toute façon[...] Le vers libre de Pound est celui d’un poète qui a travaillé inlassablement les formes fixes et toutes sortes de systèmes prosodiques. Métrique et poésie d’Ezra Pound - T.S. Eliot.

« El curso de tu vida es un discurso, » écrit Baltasar Gracián pour introduire celui de son Criticón —cours ou discours, l’erreur étymologique (volontaire) vaut aussi en langue française pourtant peu faite, depuis de classiques interventions, pour s’adonner sans risque de mauvaises traductions aux pratiques à vocation poétique et philosophique du conceptisme. Il y a de l’espagnol chez Jacques Brou. Et cette fois, en rendant sa langue moins coriace à avaler (d’après l’éditeur), la satire montre son vrai visage : de la langue, oui, et du langage, voire de la poésie, mais ces pigments soigneusement broyés ne cachent rien du portrait amer et justement vache (et non point rosse) que la société et ses habitants prennent sur les leurs. Encore que ce ne soit pas seulement habilement écrit : ça l’est avec suffisamment de recul pour que la lecture en devienne, dès la première page, facile et prenante comme un film.

C’est que de livre en livre, Jacques Brou, palette en main, en a essayé à même la page toutes les possibles façons. On n’en arrive pas là par hasard —il est d’ailleurs important de noter que le livre de Mathias Richard, de publication mitoyenne chez le même éditeur [voir ici], propose aussi le même genre d’expérience longuement et impatiemment aboutie. L’intention éditoriale est évidente.

Évidemment, ce contenu et cet art (celui d’écrire) s’accompagne de personnages : on y retrouve, comme dans l’Espagne que je connais, celui de la mère et de ce qu’elle suppose de fils —quoiqu’il ne soit pas clairement dit si l’enfant est de l’un ou l’autre sexe —d’ailleurs la mère est-elle sexuée si elle est vierge ? Mais elle pense pouvoir le sauver cette fois… Ce qui projette sur le mur de la grotte non pas des ombres de métaphysique, mais la silhouette de l’homme, macho par définition divine, et donc victime expiatoire d’un révisionnisme en vogue. Critilio et Andrenio ne font pas mieux sur le terrain du voyage : mais au lieu de la Rome mythique et trop exemplaire, le jardin d’Éden, lieu de l’inceste premier, illustre l’horizon à peu près autant que le MacGuffin de Hitchcock.

Il n’en reste pas moins que la traversée de l’Hypocrinde par la mère et l’enfant, suivis de leurs ombres nécessaires, constitue une satire autrement pertinente que les maniérismes façon nobelprix —supermercado ¡ay muy que muy barato ! Cette fois, notre existence panoptique y trouve de quoi expliquer, voire justifier, nos comportements, dans la soi-disant réussite comme dans le plus probable échec.

Si j’étais un bon escolier, je ne me contenterais pas de fouiller, question art et tutti quanti, du côté de chez Guyotat ; j’irais, comme chemin à l’envers, jeter un œil par-dessus les Pyrénées pour revoir un peu mon Criticón avec les yeux tout neufs que ces Chemins d’Éden viennent de greffer dans mes orbites longtemps creusées par le désespoir d’être français et con de souche. Ah ! décidément ça fait un bien fou d’en savoir plus après qu’avant !

Il n’y a pas d’autres moyens de s’éloigner de la mort, au moins le temps d’exister et, par proximité, de la société des hommes, que de prendre ces chemins d’Éden. Ils traversent tout (comme Mathias Richard) —d’où leur multiplicité. Ils s’épanchent même. Avec morceaux de texte-rêve à l’épreuve de cette réalité qui nous oblige mieux à ne pas quitter les lieux. Mais ici la pensée politique n’est pas un boulet qu’on traîne, au contraire elle nous entraîne et au premier virage serré on est assez convaincu pour continuer. Encore un de ces bouquins qu’on garde par-devers soi, en cas de contrôle d’identité. Des fois qu’on n’ait pas bien tout épuisé les objets et les choses de l’amour et qu’il en reste encore quelque chose qui ne soit pas de l’amour.

C’est assez pertinent pour inspirer l’angoisse et suffisamment colérique pour qu’on n’éprouve pas de besoin psychotrope.

Un beau et judicieux roman, édité chez Tinbad, rare et précieux en ces temps de révisions chez-soi et de guerre par procuration —ô telescreen !

Patrick Cintas.

Bibliographie de Jacques Brou :

La Grande Vacance (2002), Le Penseur (2003), L’un (2003) - éditions. Léo Scheer.
La Machine à être (2009) - éditions è®e.
Tête amovible orpheline (2014), Babil (2017), Naître humain (2017) - éditions Tituli.
La histoire du hommenfant (2019), Chemins d’Éden (2022) - éditions Tinbad.

 

Toute écriture, qu’elle le veuille ou non, est politique.
Composer un livre, seul moyen de parler de soi sans assister à l’ennui des autres.
L’instant, rien d’autre, la notation pure et simple : une énorme liberté insoupçonnée est là.
Philippe Sollers

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Commentaires :

  Son de couche ! par Jacques Cauda

Cher Patrick Cintas, G.Bourson m’a souvent parlé de vous. À mon grand déshonneur, je ne vous ai jamais lu ! Votre article sur le J.Brou édité par Tinbad (où je suis tambien) me poussant à l’envie, je vais y remédier. Avec le Brou, à l’évidence ! Bien à vous, Jacques Cauda


 

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