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Écos des tatanes (Patrick Cintas)
Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022
[E-mail] Article publié le 9 octobre 2022. oOo La question n’est pas de savoir si la littérature du cœur ou de la forme est supérieure à celle en vogue. Cela est trop vrai, pour moi du moins. Mais cela ne sera qu’à moitié juste, tant que vous n’aurez pas dans le genre que vous voulez installer autant de talent qu’Eugène Sue dans le sien. Charles Baudelaire - Du bonheur et du guignon dans les débuts.
Le travail éditorial d’Annie Ernaux (pour ne pas dire œuvre) est sans doute d’une médiocre qualité littéraire, tant du point de vue de l’écriture que de l’invention. Il suffit d’en lire quelques pages pour s’en convaincre, comme fait l’éditeur impatient ou paresseux. Cependant, le témoignage est non seulement exhaustif, mais aussi et surtout authentique. On ne peut pas douter de cette sincérité. Annie Ernaux se situe, non pas au croisement de la littérature et de la sociologie comme elle le prétend, toute illuminée de l’argumentaire que le service de Presse a concocté pour elle, mais dans la lignée des « grands » moralistes de l’après-guerre. Et notamment, celui que l’on considère généralement comme le meilleur d’entre eux, Albert Camus. Mais là-même où Camus recherche la fable, à l’instar de son maître Kafka, voire de la parabole de Faulkner, et la trouve sans doute dans le peu d’ouvrages littéraires qu’il a laissés, hélas, Annie Ernaux propose une chronique de l’époque qu’elle traverse encore aujourd’hui ; la preuve en est que la plus moraliste des académies lui a décerné son très convoité et respecté prix. Et cette chronique, écrite aux antipodes de la littérature telle qu’on la conçoit quand on y a goûté (elle y a mis sa langue mais l’a renfournée aussi sec), est aussi exacte que l’heure qu’il est en ce moment et même avant et après. À ceci près que cette œuvre n’est pas écrite « dans le journal », tout éloignée pourtant qu’elle est de l’art d’écrire et particulièrement d’écrire des romans, la poésie n’étant pas ici évoquée, sauf en chanson et alors c’est discutable. J’y vois un effet de la démocratie qui nourrit nos pensées et la lutte qu’elles inspirent. Imagine-t-on un instant qu’une démocratie soit le siège et la raison d’une littérature aussi répandue dans les esprits que la bêtise ou l’envie ? Non, n’est-ce pas ? Par la raison que la majorité n’entretient aucun rapport avec la littérature. Ou alors elle en goûte les aspects les plus approximatifs comme en témoignent les prix octroyés annuellement. Imagine-t-on, dans le même instant, que les œuvres d’art véritables prennent la place des produits que la culture propose à ses vitrines toujours aussi diversement achalandées que possible ? Non. La culture est l’expression de la majorité, vivante majorité, par conséquent elle est l’aliment nécessaire à l’entretien de l’esprit démocratique, républicain ou autre, sans lequel nous ne sommes plus que des Chinois ou des Russes, pour n’évoquer que les meilleures d’entre les dictatures. Et alors… ? Je dis : pourquoi pas ? Je le dis parce qu’il en est ainsi depuis longtemps, voire depuis toujours et même sous d’anciens régimes moins humanisant que le nôtre. La littérature demeure et demeurera toujours une exception et les fables et les chroniques de nos moralistes continueront de n’exercer leur influence que sur la chanson et les ouvrages dramatiques. Ce qui, soit dit en passant, ne diminue en rien la valeur démocratique des travaux entrepris par les Houellebecq, Ernaux et autres produits de nos trottoirs et de nos écrans. Au contraire, ces laborieuses industries de la page bien et honnêtement remplie, comme on lève son verre parce que la mariée est toujours la plus belle, sont la preuve que la démocratie ne nuit en rien à la lente et soucieuse élaboration d’une littérature digne de ce nom : écriture, c’est-à-dire au moins aussi éloignée de l’académisme que peut l’être un pied qui n’a pas encore botté son cul. Il faut de l’élan pour désirer, Annie Ernaux n’en a pas. Patrick Cintas
Un petit livre raté et un Cahier de L’Herne plus qu’intéressant. Cliquez. |
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Commentaires :
Du bonheur et du guignon (extraits pour servir) par Patrick Cintas
Note : On peut remplacer dans le texte poète par auteur, écrivain...
[…] Il serait peut-être plus judicieux, afin d’établir une description des genres de poètes relatifs et de leurs fonctions sociales associées, de se référer aux « éléments purs » proposés par Ezra Pound. Comparée d’ailleurs à une application contemporaine, les différences n’affectent en rien la liste elle-même mais les compléments nouveaux de sa description. ABC de la lecture, chapitre IV, section II.
Les inventeurs. Des hommes qui ont trouvé de nouveaux procédés ou dont l’œuvre constitue le premier exemple connu d’un nouveau procédé.
Les maîtres. Des hommes qui ont réuni un certain nombre de ces procédés et qui les ont utilisés aussi bien ou mieux que les inventeurs.
Les vulgarisateurs. Des hommes qui sont venus après les précédents, et qui n’ont pas fait aussi bien qu’eux.
Les bons écrivains mineurs.Des hommes qui ont eu la chance de naître à une époque faste de la littérature de leur pays ou bien à une époque où une certaine branche de la littérature « se portait bien ». Par exemple, ceux qui ont écrit des sonnets à l’époque de Dante ou de courtes pièces de vers à l’époque de Shakespeare ou au cours des quelques décennies suivantes ou bien encore ceux qui, en France, écrivirent des romans ou des récits après que Flaubert leur eut montré comment faire.
Les hommes de lettres.C’est-à-dire ceux qui n’ont pas vraiment inventé quelque chose mais qui se sont spécialisés dans un genre quelconque de littérature. On ne peut pas les considérer comme de « grands hommes » ni comme des auteurs qui ont tenté de donner une représentation complète de la vie ou, plus simplement, de leur époque.
Ceux qui font la mode.
Cette analyse pourrait paraître exagérément pessimiste ou carrément incohérente. Mais qu’on me cite une œuvre contemporaine ou récente qui atteigne les chevilles de ce que le poète était encore capable de faire il y a 50 ou 60 ans.
Actor – pages 81 et ss.
La plupart des poètes — véritables, sybarites, six-quat’deux — se damneraient pour un peu de reconnaissance, fut-elle celle du ventre car personne n’est indigne quand on s’explique par les tenailles de la faim. D’autres anagogies sont moins faciles à éluder au moment de porter un jugement sur les attitudes de chacun face aux contingences et aux opportunités. On dit communément qu’il faut être idiot pour refuser une chose aussi précieuse que la reconnaissance. Mieux vaut finir classique, disait Robbe-Grillet — qui confondait classicisme et académisme, qu’à la poubelle. Il n’y a pas d’autre choix. On a vite fait de choisir, surtout si au fond on a déjà l’expérience des voyages d’agrément.
La première des fonctions sociales de l’écrivain est aussi peu sociale que possible mais ne s’annonce pas seule au portillon : le poète facteur économique n’est pas qu’un moyen d’amasser significativement de l’argent. Cette fonction n’est que l’accompagnatrice ou la dérivée d’une des fonctions suivantes :
Il serait peut-être plus judicieux, afin d’établir une description des genres de poètes relatifs et de leurs fonctions sociales associées, de se référer aux « éléments purs » proposés par Ezra Pound [suite ci-dessus]
Actor – pages 80 et ss.
Parlant du conte, et de sa méthode de construction, Poe s’en prend à l’ « erreur radicale » qui les génère :
Il n’est pas difficile de reconnaître là, exactement 160 ans après, les trois créneaux savamment exploités par l’édition du livre sous la rubrique : littérature générale. Ce qui a changé, c’est par exemple ce qui surprend, parce qu’il est permis aujourd’hui de passer de la surprise romantique ou de l’émerveillement surréaliste, au frisson inspiré par la fiction de la violence et du viol et ce, souvent, sous le couvert de préoccupations morales qui fournissent le prétexte exact d’une esthétique douteuse.
À ce commentaire désabusé de Poe, j’ajouterais celui d’Amoros qui considère peut-être plus perfidement (il y a trente ans) que la littérature des éditeurs produit trois types d’ouvrages :
On apprécie mieux alors la conclusion d’Artaud à la fin d’un de ces fragments les plus célèbres :
alors tout ceci sera trouvé bien
et je n’aurais plus besoin de parler.
RALM - La chandelle verte de Jarry comparée à celles des autres
L’après madame Ernaux par Stéphane Pucheu
CANDIDATURE AU PRIX NOBEL : L’APRES MADAME ERNAUX
La consécration d’Annie Ernaux, en ce début de mois d’octobre 2022, est une triple mauvaise nouvelle : pour la littérature, pour la France, pour l’Occident.
Et le révélateur, simultanément, de la collusion entre des institutions littéraires parfois audacieuses et l’air du temps idéologique.
En effet, le sacre de cette femme française intervient dans un contexte d’industrialisation de la littérature qui voudrait ignorer le temps du travail et l’élaboration du style, potentiellement accoucheurs de ce que l’on appelle une oeuvre. Par surcroît, elle symbolise un niveau faible, illustrateur lui aussi du contexte ultralibéral qui a contaminé nombre d’esprits créateurs si discrets au labeur, ayant tendance à se ressembler, dans une sorte de consensus dont Gallimard est le premier à tirer profit.
J’ai lu "L’Occupation" , roman qui m’a été offert il y a longtemps.
Je n’ai ressenti aucune émotion et dû déployer maints efforts pour achever l’ouvrage, taraudé par l’ennui. Sa littérature reste dans une sorte de placenta, sans aucun débordement sur le monde.
Il faut remonter à 1985 pour se souvenir d’un Nobel français digne de ce nom avec le sacre de Claude Simon, figure du Nouveau roman, même si Le Clézio est à considérer (2008), eu égard à son récit "Pawana" (1992).
Quelques noms talentueux - Pascal Quignard, Richard Millet - mériteraient ce prix, ne serait-ce que pour reconnaître la pugnacité et l’originalité de leurs efforts.
Ce n’est donc pas seulement la littérature qui est affectée, mais aussi l’image de la France, qui perd ici une occasion en or de quelque peu redorer son blason.
Je crains fort que dans un avenir proche pour ne pas dire imminent, des noms tels que Djian ou Houellebecq ne soient couronnés par une académie plus marcescente que jamais puisque soucieuse du ratio patronyme/vente et non patronyme/empreinte, sans oublier la trajectoire de l’impétrant, souhaitée aussi lisse que possible.
C’est donc également une mauvaise nouvelle pour l’Occident qui a l’habitude de truster les Nobel, et ce dans la plupart des disciplines d’ailleurs.
Ce n’est pas un Occident de référence, un Occident inventif, un Occident audacieux qui sont récompensés. Mais un Occident épuisé.
Javier Cercas, auteur espagnol, en fait le juste constat depuis longtemps, mettant l’accent sur notre déficit de remise en question.
Dernier détail et non des moindres : la participation centrale d’Annie Ernaux à l’éviction de Richard Millet de chez Gallimard, il y a dix ans, facilitée par de nombreuses plumes dont celle de Le Clézio. La ligue des bien-pensants contre le marginal... L’antagonisme sans merci entre le moralisme d’un côté et une oeuvre dérangeante de l’autre, qui nous rappelle que "on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments".
L’état des lieux établi, je conseille vivement au jury du Nobel de se pencher sur mon oeuvre, afin de découvrir la texture d’une littérature nouvelle. En d’autres termes, je le mets au défi de me lire.
Une littérature nouvelle... pourquoi ne pas sélectionner cet unique paramètre pour consacrer un auteur ?
Mais je dois, déjà, me replonger dans mon oeuvre, mise brièvement entre parenthèses le temps d’un intermède dédié à ce que l’on pourrait nommer l’actualité littéraire internationale.
Car moi, le Narrateur, je suis au travail...
Qu’est-ce que le Désir ? par Patrick Cintas
Cher Stéphane, je te signale, à toutes fins utiles, que les fauteuils 3 et 16 de l’académie Nobel de Stockholm sont vacants. Si jamais tu veux commencer par là… Toutefois, tu t’y sentiras peut-être un peu étranger, car ces personnages dignes d’une composition de Rembrandt ou de Hals sont de parfaits inconnus en librairie et en bibliothèque. Il ne te sera donc pas facile de préparer les courtoisies d’usage quand on arrive quelque part… en étranger. Mettons.
La question posée par cette étrange attribution est bien celle de savoir si Annie Ernaux « a le niveau ». Jusque-là, j’ai lu quelques méchantes critiques émises, à mon avis, par des écrivains en vogue qui, sur ce plan, ne valent pas mieux. Ce qui m’a contraint à lire quelques ouvrages de cette nouvelle gloire française. Heureusement, ces livres sont courts, faciles à lire, genre patronage paroissial, et s’ils leur arrivent d’inspirer l’ennui, ça n’est jamais qu’à cause des banalités et lieux communs que cette autosociobiographe, comme elle se définit elle-même, accumule faute d’en saisir l’essence. De l’auto, du socio et du bio, c’est bien exactement ce que j’ai trouvé dans ces écrits. Et qu’ils soient à l’évidence mal écrits ne me perturbe point. C’est de l’anticélinien par excellence, du contre Rimbaud, du pas avec Mallarmé, on est loin de Bukowski, aucune préoccupation littéraire ni poétique ; du rapport clair et précis, comme peut en pondre le moindre fonctionnaire zélé ou fatigué, un rien chronique, mais pas assez écrit, justement, pour en être, de la chronique.
Cet auto-socio-bio, c’est le métro-boulot-dodo qui l’a inspiré. Je pense que c’est par pure fidélité, et par peur viscérale de se tromper, qu’Annie Ernaux a adopté cette écriture plate plutôt que blanche ; rien à voir avec le minimalisme ; l’aspect clinique du rapport, sexuel entre autres, prime avant toute considération esthétique. Et c’est ainsi qu’Allah est grand… euh… c’est ainsi que la question du style est remisée avec tout ce qui a trait à l’effort de créer plutôt que de chercher à refaire. C’est un choix. Pas innocemment conçu. Il y a du militantisme là-dessous, des idées à imposer, et après tout Richard Millet méritait un coup de pied au cul et un autre dans les glaouis, pour lui apprendre à vivre —pas à écrire parce que ça, il le sait déjà. Seulement voilà : les Ernaux, Clézio et autres moralistes engagés ne donnent pas de coups de pied quand ils en ont envie ; ils vont chercher plus loin encore la manière de faire mal, très mal. Dans le langage cher à Annie Ernaux, on appelle ça se conduire comme une pute, ce qui n’est pas gentil pour les putes, mais veut dire ce que ça veut dire. Car pour arriver en haut de la butte, où règne toujours le père Ubu, il faut donner ; et donc recevoir. Je n’irais pas plus loin dans la formation de cette dangereuse métaphore, mais la misère sociale m’inspire moi aussi, et je me retiens pour ne pas finir sous le coup de la loi de 1881 sur la liberté de la Presse qu’on m’a quelquefois opposée… pour me faire du mal. Oublions donc les chamailleries des gens de Lettres, qui sont en général plutôt gens que lettrés, ainsi que les critiques venant tout droit des têtes de gondoles, jalousies que le Désir chasse d’un revers. Me cago en la leche…
Ainsi, je ne trouve pas si bête que ça que des académiciens obscurs, proches des gens par cette obscurité même, songent à décorer le thorax d’une littérature de librairie qui ne s’essouffle jamais… par manque de souffle. C’est très suédois, ça. Ce sont là des phénomènes, genre Johnny Halliday (qui était belge). Et si on a en soi un peu de cette curiosité socio mais sans l’auto ni le bio, alors l’image que le Nobel projette sur nos murs est une bonne idée. Une idée à creuser. Je m’en vais évoquer encore Okakura Kakuzō, mais l’art que notre temps propose à notre esprit est bel et bien l’art de ce temps ; il m’intéresse à ce titre. Et bien que je sois fort éloigné de l’idée d’un prix couronnant mon ouvrage (quelle putain d’antinomie, ô Ferdinand !), je n’écris pas autrement qu’Annie Ernaux : je pastiche, je simule, je me travestis, je complote même, je regarde les trains passer comme le taureau qui aime ses vaches, ce qui m’interdit sans doute le titre d’écrivain et me ravit celui de poète ; mais les mots que j’utilise à tort et à travers finissent par se déposer, comme la poussière des balais, sur cette réalité qui n’en est pas une ; et c’est bien là qu’Annie Ernaux nous ment et que l’académie Nobel la récompense pour un motif aussi mal réfléchi qu’approximatif, quoiqu’inspiré par une ambiance toute suédoise aujourd’hui fracturée en son milieu. Mais à quoi s’attendre de la part de ce qui vole bien au-dessus de nos têtes : de l’imposture et de la condescendance, quoique j’incline à penser que la sincérité de « ces gens-là, monsieur », doit bien exister quelque part : des gens pas gens du tout qui savent, par héritage ou conviction, faire la part des choses et en profiter sans état d’âme.
Mais la question de savoir si l’écriture d’Annie Ernaux, qui ne motive d’ailleurs pas l’académie Nobel, vaut le déplacement : à chacun de se déplacer, selon son véhicule et sa conduite. Pour « le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle, » déclare l’académie, associant une fois de plus un auteur français à la formidable aventure du récit entreprise jadis (ou naguère selon idiosyncrasie) par Marcel Proust. J’ai rarement lu une critique aussi platement pensée et écrite ; mais n’est-ce point justement à l’image de ce qu’Annie Ernaux, plus violente et rancunière qu’il y paraît, retourne contre notre Désir ? Ainsi les Cahiers de l’Herne, dont le look n’a pas changé, juxtaposent (sur mon bureau) l’édition des Cantos Pisans dirigée par Denis Roche et ce curieux fatras pseudo-universitaire que constitue le cahier consacré à Annie Ernaux, auquel elle a mis plus que la main. On voit là à quel point cette idéologie empoisonne la pensée, ce qui entretient les espoirs non moins venimeux de l’autre rive du fascisme. En ces temps maudits de publicité et de propagande, faut-il s’en étonner… ?
On ne se méfie pas assez de ces moralistes racoleurs (le mot est tout de même moins risqué que celui que je n’ose plus écrire tant je me sens surveillé par les proxénètes de service) dont les prophéties et les dogmes s’en prennent sans gants à ce Désir qui nous distingue… pourtant pas assez, hélas. Igitur…
« Il faut de l’élan pour désirer, Annie Ernaux n’en a pas. » (je me répète)
Un Noël avec Annie Ernaux par anonyme
Bientôt Noël. L’académie Nobel a songé à vous encore une fois. Remercions-la en achetant le dernier Annie Ernaux qui nous en dit encore plus long, cette fois sur le papa Noël qui l’a bien aidée et pas que quand elle était petite.
Extrait :
« Il s’appelait Alfred... oui déjà... comme quoi l’enfance a des secrets que la vieillesse entend... oh ! le bel alexandrin ! Sans le vouloir. Comme Victor Hugo ! Et pourtant il est là, plein de sens qu’il ne me reste plus qu’à vous révéler avec les mots que vous connaissez tous et des paroles que vous avez déjà entendues. Alfred, mon élan en peluche... Vous voulez savoir ? Lisez ce que j’en dis. Et je le dis pour ne pas le garder pour moi. Tiens ! Je vous le donne ! Ou plutôt non, je vous l’offre, c’est moins cher et ça ne me coûte rien. »
Dans toutes les bonnes librairies et même en bibliothèque :
Comparaisons nucléaires par Patrick Cintas
Il faut absolument séparer ces deux sujets étrangers l’un à l’autre : le succès obtenu par un auteur (gare à la jalousie) & la qualité littéraire de son travail (hypocrisie possible). Et ne pas immiscer dans cette conversation les saloperies qui se jouent dans les antichambres et les chiottes. Ainsi, force est de constater que le niveau a baissé, comme au lycée et partout où l’on donne des leçons.
Il y a loin entre le texte de Proust et les façons cucul de Modiano et d’Ernaux. Naguère, un de ces donneurs de leçon, par ailleurs enseignant de profession (je n’ose dire vocation), a proposé de retravailler le texte proustien de manière à en rendre la lecture accessible au moins au plus grand nombre. De quelle manière ? Et bien tout simplement en coupant dans la phrase selon, je suppose, un schéma principale/subordonnée réduit à ce que le souffle commun est capable de trouver, sans avoir à trop chercher, voire à ne pas chercher du tout, dans le foyer de ses poumons. Ainsi, revu dans ce sens, le texte proustien revient chez nous et tant pis s’il ne sort plus de la gueule de son auteur jugé « complexe par pur artifice et sans doute pour se rendre plus intéressant que les autres. » Je me demande si Modiano et Ernaux ne se sont pas inspirés de cet obscur professeur des travaux finis…
L’impression que me donnent ces deux exemples de réussite, c’est qu’ils prétendent nous sortir du grand merdier causé par une époque où, sans toutefois damer le pion aux usages littéraires les mieux partagés (n’exagérons rien), une flopée d’auteurs, en littérature comme en peinture et autres pratiques de la réalité mise à mal par elle-même, se sont évertués « à compliquer ce qui est pourtant simple, » je cite. On a même introduit de l’absurde entre ces deux tranches, histoire de compliquer sans risquer l’incompréhension et son rejet vomitoire, un absurde-spectacle qui a eu son heure de gloire mais qui reste sans effet aujourd’hui, comme celui qui pète en huis-clos et s’étonne de n’importuner personne au moins dans ces limites. La tendance a plutôt évolué vers la simplicité, le compréhensible sans trop d’anticipation, le facilement reproductible en famille ou en vacances. Et la formidable explosion, analogiquement nucléaire, provoquée en marge de l’Histoire par des auteurs à peu près illisibles, menace tellement l’humanisme à la mode que nos gloires vestimentaires dégainent leurs petits Jésus saignants, leurs souvenirs de quand ils étaient pas ce qu’ils sont devenus, ce qui reste de cartes postales et de talons de chèque, des senteurs même si ça sent mauvais que ça vaut mieux que le fromage des pieds évoqué au moins deux fois par Arthur Rimbaud.
Modiano et Ernaux nous sauvent ! Nobel nous sauve. Miladiou ! L’esprit académique, humanisme inquisitoire, revient au galop comme je ne sais plus quoi mais vous allez me le dire parce que vous en savez, des choses, depuis qu’Annie ne fait plus pipi au lit (aux dernières nouvelles) et que Modiano parle le suédois comme s’il était né dedans que des fois ça peut servir.
De l’explosion tant attendue (Malherbe, celui du Lagarde-et-Michard, va encore me tomber dessus) par combien de générations soumises aux pires obscurantismes que l’esprit des cavernes puisse concevoir sans se chier dessus, hé bé il en retombe encore, des retombées, pluies noires que nos cléricaux ne peuvent pas empêcher de tomber, mais ils ont tellement de lecteurs qu’on se demande si on sait lire ou si des fois on n’a pas été éduqué comme nos darons en auraient mis leurs pognes au feu.
Curieux homme (té, je ne sais pas comment on écrit homme en inclusif alors qu’on me permette, pour une fois, et je promets que ce sera la dernière, de l’écrire comme je l’ai appris du temps où je n’en étais pas encore un) —curieux homme que celui qui ne recherche que la facilité, qui choisit la négligence et l’à-peu-près, qui ne veut à aucun prix (et le prix des choses ici est la première des préoccupations quotidiennes) ne veut à aucun prix aller plus lentement quand le possible se réduit à l’instant, compulsion maîtresse du jeu commercial et politique (l’un ne va pas sans l’autre), les caractères des pages sont augmentés, le nombre de pages réduit, le texte illustré et non pas peint ou sculpté, on rencontre tellement de cons en haut lieu qu’on se demande si on ne ferait pas mieux de descendre encore plus bas que là où on était quand on est sorti pour jeter un œil sur ce qui se passe sans soi. Tel qu’il est, ce monde a-t-il vraiment besoin qu’on inclusive l’homme ? Pour en faire quoi ? Un.e connard.e qui lit Ernaux comme s’il.elle reniflait la culotte de sa mère ou les raclures byzantines du papa qui se demande, même mort pour ses enfants, comment il a fait pour en arriver là ? Je pose la question… en attendant que ça devienne un… problème.
La question est bien celle-ci : où on va ? D’après Ernaux, on sait d’où on vient et il n’est pas question d’y retourner, d’autant que les retombées nous poussent à aller dans le sens où elle va si toutefois on la suit uniquement pour ne pas se faire chier à lire Proust dans la version originale en attendant qu’une autre version ressemble tellement à du Ernaux qu’on a eu bien raison de la lire avant que Proust ne devienne lisible, ce qu’on savait déjà, preuve qu’on n’est pas si con que ça en a l’air si jamais on lit la première page de la Recherche, jusqu’à « la douceur prochaine du retour. » Je dis ça parce que j’ai lu jusqu’à « tant de jours sont venus se placer – dans le Temps. » Même que je n’ai pas trouvé ça compliqué. Alors que les Ernaux me compliquent l’existence en me faisant passer pour un ergoteur, un mathématicien, un paon qui fait la roue alors que sans les roues les voitures ne roulent pas. Qu’est-ce que je n’apprends pas avec Ernaux ! J’en ai la mémoire sans souvenirs qui ne soient pas les siens. Où on va ? C’est simple : on va au tribunal en passant par l’église. Et pas pour regarder comme si on y était venu sans chefs d’accusation —une ! deux ! une ! deux ! Et pas une fenêtre pour constater que l’explosion nucléaire qui a nourri notre adolescence a encore de beaux jours devant nous, rien ne retombe dans le tribunal Nobel suédois. Le niçois n’eût pas manqué de soleil.
J’aime la goguette. Et j’ai sans doute lu et chanté plus de goguettiers que le ou la plus conne des lectrices d’Ernaux (je m’y fais, hé ? à cette inclusivité néologique que c’est pas la mer à boire finalement —tu peux compter sur moi, Annie !). J’aime Blek le Roc, Zembla, Bob Morane, Tartine et Battler Britton. La chanson me donne des frissons. Le cinéma m’émotionne. (J’aime la corrida mais il ne faut pas.) Mais de là à torcher le cul d’une littérature de librairie rien que pour ressembler à tout le monde c’est-à-dire à rien qui ressemble à quelque chose de rencontré sous la pluie noire qui est tout ce qui nous reste de l’explosion (voir plus haut à quoi je fais allusion), non. Je peux singer si ça vous fait plaisir, mais en singe, pas en moi, et surtout pas hors de moi !
Faut pas déconner. Et là, Virginie, Sandrine, Clémentine, Orange et j’en passe, on est en train de déconner. Comme je disais plus haut, il ne faut pas mélanger, sinon les genres, du moins les sujets à aborder dans un cadre critique à la hauteur des enjeux littéraires qui sont les nôtres aujourd’hui (ici hors sujet, mais à faire). Les histoires d’antichambre et de chiottes ne doivent pas quitter leurs tapis ni leurs selles. On commence par ouvrir le livre, à la première page, et on lit, de « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » à « dans le Temps. » Et on fait la même chose avec le Quarto que Gallimard a offert à Ernaux pour payer la passe. C’est plus facile, je le reconnais. Mais ça n’empêche pas de comparer. Et vous savez quoi ? Une fois que c’est fait, vous êtes libre de choisir Proust ou Ernaux, ou d’aimer les deux, ou de militer pour que le texte de la Recherche soit enfin revu et corrigé par la raison du plus fort. À moins que vous ayez jeté le texte proustien aux orties de votre patience, comme moi-même, pas plus digne de confiance que vous, j’ai sauté tellement de pages ernausiennes que je ne me rappelle plus combien. Ce qui ne m’honore point, je le reconnais. Et pourtant, les bons comptes font les bons amis —ce qui doit être faux, parce que je ne me sens pas coupable.