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Le Morio (Patrick Cintas)
La mission (nouvelle)

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 Article publié le 12 mars 2023.

oOo

Je venais de m’engueuler avec le cantonnier de service. 40° il faisait. À l’ombre. Et j’y étais pas, à l’ombre. Du moins j’en suis sorti pour continuer à pied. L’odeur de l’asphalte en fusion m’accompagnait. Impossible de s’en défaire. Un camion en répandait les miasmes. Et les types qui travaillaient n’avaient pas interrompu leurs processus quand je me suis mis à gueuler après celui qui paraissait être leur chef, on voyait ça au fait qu’il ne travaillait pas, semblait se la couler douce à l’ombre d’un figuier, fumant des Celtas qui empuantissaient l’accueillant feuillage où pourrissaient encore deux ou trois fruits dont les oiseaux n’avaient pas voulu. Ils étaient perchés plus loin dans les premiers eucalyptus qui pelaient au soleil, leur écorce à leurs pied, rouge comme le sang qui me montait à la tête : ils avaient coupé la route et ils ignoraient quand ils la rouvriraient à la circulation, c’est ce que me disait ce contremaître d’un autre temps, et il m’envoyait sa fumée au visage, ce qui m’a rendu nerveux, car je ne fume pas.

— On peut pas savoir à quelle heure on aura terminé, dit-il d’un air goguenard. Et si on termine pas aujourd’hui, comme ça va être le cas (croyez-en mon expérience), la route sera fermée au moins jusqu’à demain, mais je peux pas vous dire si ce sera le matin ou plus tard. On sait jamais dans ce métier. Il me manque trois hommes. (riant) Si vous vous sentez de force, je vous embauche.

Cela dit sans rire. Il avait vraiment un problème de main d’œuvre. Mais moi je suis employé au consulat. Je travaille pas avec mes mains, sauf pour écrire et des fois pour en discuter plus charnellement avec les boniches. Je vise jamais plus haut. Je tiens pas à m’expliquer une fois que c’est fait. Moi aussi j’ai de l’expérience, pas dans le même domaine, mais je n’allais tout de même pas embringuer la conversation sur ce sujet, surtout avec un type dont la gueule m’inspirait de suaves tortures que, je le précise au cas où, je n’ai jamais pratiquées qu’en rêve ou alors avec ma poupée importée de Cipango.

— Revenez demain…

— J’ai à faire aujourd’hui, pas demain ! (montrant le bull qui semblait en carafe) Vous pouvez pas le pousser un peu sur le côté ? Ça me laissera assez d’espace pour continuer mon chemin sans vous ennuyer plus longtemps.

— Mais vous ne m’ennuyez pas, monsieur ! Je vois bien que c’est moi qui vous ennuie… (un temps) J’attends la pièce…

— Vous pouvez pas le pousser sans cette maudite pièce ?

— Maudite, vous l’avez dit. Deux fois qu’elle m’oblige à tenir ce genre de conversation. (grave) Je vous dis que si c’est pas ce soir, ce sera demain. (sourirenarquois) Et si c’est pas demain, vous savez quoi… ?

— Vous allez me le dire…

— Ce sera jamais ! Alors autant que vous continuiez à pied. Vous allez à Chercos ? On ne va nulle part ailleurs par cette route. Ensuite elle se perd quelque part en arrivant au barrage, mais je n’y suis jamais monté, je suppose que ce n’est pas là votre destination, si j’en juge par votre costume. Vous devriez enlever cette cravate…

— Elle fait partie du personnage que je joue pour gagner mon pain, mon vieux. (un temps consacré à regarder le bull qui a l’air d’une bête plutôt morte que blessée) Je vois que vous n’avez pas l’intention de m’aider… Ne touchez pas à ma bagnole…

— On va en prendre grand soin, monsieur. Et vous savez comment ?

— Ne vous avisez pas…

— On ne la regardera même pas. On montera pas dessus pour cueillir des figues, si vous voulez savoir. On ne fait plus ce genre de choses depuis qu’on a passé l’âge.

Ni au revoir ni autre chose j’ai dit en passant devant le bull. Ça devait être une pièce importante, cette pièce. Les chenilles étaient entortillées dessous. Et l’huile continuait de se répandre sur la roche, jetant des reflets cristallins. Heureusement, j’avais un chapeau. J’ai desserré le nœud de ma cravate et j’ai commencé à descendre. Plus loin, je remonterais. Et ça promettait de pas me rendre l’existence facile. La Cuesta de los Alacranes qu’ils appellent ce tronçon particulièrement dur aux radiateurs. Mais une fois arrivé au sommet, je verrais le hameau. Je n’allais pas jusqu’à Chercos. J’y suis jamais allé. Et encore moins jusqu’au barrage. En vérité, je ne connaissais pas le coin. Je n’avais jamais eu l’occasion d’y mettre les pieds. Mais cette réfugiée avait hérité une maison et elle y vivait avec ses gosses en attendant la fin de la guerre et le retour de son guerrier d’époux. Je ne lui apportais rien, ni nouvelles ni de quoi améliorer son quotidien. Je n’avais rien à lui dire de la part de notre consul dont elle était une amie. Je ne venais pas de la part du consul. J’avais pris cette initiative le matin même, alors que la journée s’annonçait morose, ce qui ne changeait rien à la nature des jours, mais j’avais passé une mauvaise nuit. Je dirais pas avec qui si c’est ce que voulez savoir. Ni comment. Et surtout pas pourquoi. La digression n’est pas mon fort.

Donc j’arrive en haut sans avoir rencontré de scorpions. Je n’en ai jamais vu qu’en bocal ou alors en plastique à la télé. Je suis pas plus cultivé qu’un autre, mais pas moins non plus. Mes lettres sont seulement d’introduction. Ensuite, je me démerde avec mes propres moyens. Le hameau n’est qu’une rue qui monte ou qui descend selon le sens. De chaque côté, des maisons accolées. Des toitures effondrées. Des cours encombrées de vieilleries qui finissent ainsi leur existence. On a tous connu ça. On en vient. Mais depuis que je travaille au consulat, je n’y pense plus aussi souvent. Je me plonge dans les dossiers comme si moi-même je n’avais pas vécu ça. Voilà comment les temps ont changé. Mais nous, c’était pas la guerre. En tout cas c’était pas elle qui expliquait la misère. Je connaissais ces familles, sauf celle-là. J’en avais entendu parler chez le consul. Il avait dit : « C’est la meilleure de mes amies, les enfants. N’oubliez jamais ça. » Et comme le type qui s’en occupait était au lit avec une maladie incurable, le dossier s’est posé sur mon bureau et je l’ai feuilleté, avec dans la tête que c’était la meilleure amie du consul. En tant que travailleur étranger dans mon propre pays, j’avais intérêt à en tenir compte. Alors j’ai décidé d’y aller jeter un œil, à la maison et à ses habitants, histoire d’en savoir assez pour ne pas commettre d’impair et de perdre un emploi qui m’allait comme s’il avait été inventé pour moi. Je me suis arrêté sous un autre figuier. J’ai posé mon cul sur la roche après l’avoir dépoussiérée. Je ne tenais pas à me présenter à cette dame avec le cul poussiéreux, histoire d’en salir ses coussins. Il y avait des coussins sur les chaises qui étaient de fer forgé avec des motifs végétaux empruntés à l’imagerie antique telle qu’on la vend aux touristes. On se demande des fois ce qu’on serait devenus sans les Arabes. Mais ce n’était pas la question que je me posais alors. Il y avait quatre gosses qui jouaient devant la maison, sur la place, en plein soleil. Je voyais pas à quoi ils jouaient, mais ça ne pouvait être qu’un jeu, même si je le connaissais pas. L’un deux portait une fine moustache, sans doute taillée au bouchon. Il était le moins agité. Autant dire qu’il ne l’était pas. Il regardait dans ma direction, mais sans mettre sa main en visière, sans doute par discrétion. Je n’ai pas bronché. Je regardais ailleurs, sauf que j’ai la faculté de voir en coin, du côté droit uniquement, j’ai jamais insisté avec le gauche, un truc de famille, paraît-il. Il y avait aussi un gosse sur une chaise roulante, comme dans le dossier, ce qui confirma que je ne m’étais pas trompé d’endroit, comme ça m’est arrivé une fois et la bonne femme à qui j’adressais mes condoléances riait et j’ai cru que c’était à cause de mon accent, je ne pratique toujours pas leur langue, qui n’est pas celle de Gogol, avec la maîtrise qui s’impose toujours quand on veut être compatissant et même complice. Les deux filles qui se poursuivaient en criant comme des oies l’une était plus âgée que l’autre, presque femme si j’en jugeais à la longueur de ses jambes, et la petite était aussi belle que sur la photo. C’étaient bien eux et la maison devant laquelle ils jouaient était la leur, exactement comme sur la photo, sauf que maintenant le bougainvillier couvrait le balcon et on ne voyait plus les baies vitrées comme sur la photo. Le temps avait passé. Je ne me demandais pas qui était le moustachu ni la pubère en short. Je descendis, harcelé par le soleil, ne sachant plus si de ce côté les scorpions étaient rois. Un coup d’œil sur mes godasses me renseigna sur la poussière. Je ne pensais plus au bull ni à ce conard de contremaître. J’avais atteint mon but et il n’était pas midi. Le moustachu, dont le poil me parut authentique, s’interposa.

— Vous cherchez quelqu’un, monsieur… ?

— Je crois que c’est la maison de Nikita K., dis-je en la montrant du doigt.

— Vous ne vous trompez pas, monsieur.

— C’est elle que je viens voir. Je travaille au consulat.

— Vous avez de mauvaises nouvelles, monsieur ?

— Aucune ! Ni bonnes ni mauvaises. Je viens heu… voir…

— Et bien voyez, monsieur. Je vous ouvre.

C’était qui, ce jeunot ? Je ne le lui demandai pas. Il ouvrit la grille. Je voyais le patio. Sa fraîcheur m’attira comme la mouche le miel, tant et si bien que je marchai devant et que j’entrai le premier. Il me suivait en ânonnant. Il me bouscula un peu pour me dépasser, désignant alors une chaise et il dit :

— Je vais prévenir madame K.

Il traversa un jardinet tout planté de fleurs et monta ensuite un escalier qui se perdait dans l’ombre sous la coursive. J’entendis les gosses derrière moi et je me retournai. Le paralytique, qui était debout, regagna sa chaise avec le ballon qu’il venait de récupérer. Les deux filles m’observaient, l’une à l’entrée, s’appuyant contre la grille, l’autre plus loin en plein soleil, tournicotant une mèche en se mordant quelque chose qu’elle avait dans la bouche, sa langue ou autre chose. Sur la table trônait une bouteille d’anisette sur le point d’achever son existence. Un seul verre qui scintillait. Un ouvrage de laine, un magazine féminin, un paquet de clopes et un briquet à essence. Sinon rien d’autre que des taches sur la nappe. Un jet d’eau jouait je ne sais plus quel air et retombait en frétillant ou alors il y avait des poissons dans le bassin. Ça sentait aussi la lavande, mais l’anis l’emportait et je me demandai où étaient les verres. Sans eau qu’elle la buvait. C’était dans le dossier. Pas exactement comme ça : si votre travail vous amène à visiter madame Nikita K., n’oubliez pas la bouteille de Machaquito. Sans commentaires ni rien, qu’on aurait dit que c’était de la main du consul. Je n’avais pas amené de Machaquito, pas d’avoir oublié, mais il n’y en avait plus dans la réserve du consulat et je n’avais pas l’intention d’y être de ma poche. J’ai jamais rien donné, certes, mais je n’ai jamais rien pris d’autre que ce qu’on me doit, même que des fois on m’a donné autre chose. J’entends ses pas. Elle marche pieds nus. J’en ai le souffle coupé.

— Restez assis ! Restez assis ! On me dit que la route est coupée. (ah bon… je croyais que c’était mon souffle) Vous devez crever de soif. Juan, va chercher une cruche d’eau fraîche.

Il s’appelle Juan. Connais pas. Jamais entendu parler. Ni dans le dossier ni ailleurs. Qui est la pucelle en short ras-du-cul ? Je sais que ce paralytique s’appelle Volodymyr, mais le prénom de sa petite sœur, demi-sœur, j’arrive pas à m’en souvenir sur le moment et ça m’occupe l’esprit tandis que je me suis levé pour recevoir, dans la mienne, la main de la belle rouquine que j’ai déjà vue, mais c’était dans un film porno. Il y avait longtemps que je ne regardais plus de film porno. Je l’avais presque oubliée. C’était une de mes préférées. Mais n’allez pas croire que je confonds madame Nikita K. avec la belle Anastasia Q.

— Ils ont coupé la route hier après-midi. Et depuis, on est condamné à l’isolement. Heureusement que la mère de Juan tient une boutique où on trouve de tout.

— J’ai un peu balisé en montant la Cuesta de los Alacranes

— J’ai interdit aux enfants d’aller jouer par là. Pensez !

— Le petit garçon a perdu l’usage de ses jambes, d’après le dossier… Avez-vous reçu le fauteuil ?

— Ah il sera beaucoup mieux que celui que monsieur le maire nous avait si aimablement prêté, mais voyez-vous, c’était le fauteuil de ce basketteur dont le nom ah m’échappe… qui était tombé du train…

— Tombé d’un avion, madame. Il est tombé d’un avion, mais heureusement, l’avion ne volait pas à ce moment-là. Et j’ai su pour le prêt de son fauteuil par cet aimable maire de Chercos…

— Le pauvre est finalement mort dans un accident de voiture, voyez-vous…

— J’ignorais que monsieur le maire…

— Pas lui ! Le basketteur ! Il s’est tué avec sa belle compagne. Il conduisait un de ces engins… vous savez. Et dès lors son fauteuil est resté au vestiaire qui se trouve sous la mairie, à côté de la pièce où sont entreposés les instruments de musique. Il y a d’autres pièces là-dessous, mais je ne saurais vous dire…

— Ainsi Volo, si je puis me permettre de l’appeler ainsi…

— Faites, faites, je vous en prie.

— Volo utilise le fauteuil sans doute très sportif de ce basketteur… Mais cela ne se voit pas…

— En attendant le fauteuil que mon ami le consul nous a promis… Celui-ci, de fauteuil, est bizarrement conçu, mais je suppose que c’est en rapport avec l’usage qu’un basketteur en fait, n’est-ce pas… ?

— Je prends note, madame. Et je puis vous assurer que le fauteuil promis par monsieur le Consul vous sera livré…

— …quand la route sera rouverte, je sais. (réfléchissant, bandante comme une image) Mais je comprends que s’il se trouve dans votre voiture, qui est coincée là-bas, il n’était pas question pour vous de l’amener, par cette chaleur et cette poussière… D’autant qu’il s’agit d’un fauteuil d’enfant. Rien à voir avec ce fauteuil bizarre qui a servi à ce basketteur, mais sur le terrain seulement, car sinon il se déplaçait sur un engin à moteur que monsieur le maire ne nous a pas proposé, j’ignore pour quelle raison…

— Il y en a une, madame, il y en a une. Mais laquelle ? Je ne saurais vous le dire. (didactique) Un fauteuil privé, sans doute. Alors que le fauteuil présent appartient à l’association sportive. (certain) Je me suis renseigné, madame.

— Ce qui ne me dit rien du fauteuil qui se trouve actuellement dans votre voiture, là-bas… En s’y mettant tous, il se peut que nous le ramenions avant la nuit… Ainsi vous pourrez rentrer chez vous la conscience tranquille…

— Mais je suis tranquille, madame ! Comme vous l’avez parfaitement exprimé, il n’était pas raisonnable pour moi de transporter ledit fauteuil jusqu’ici au risque de…

— Les scorpions. (en aparté, mais j’ai très bien entendu) Ils disent tous ça ! (se levant, sans avoir touché à son verre qui rutile dans un rayon de soleil ou dans mon regard, allez savoir, le mien est vide) Mettons-nous y ! Sauf Volo, bien sûr, qui ne peut pas… et qui sera tellement heureux de… Juan ! Juan ! (il arrive en haletant) Nous avons décidé (pas moi) d’aller chercher le fauteuil dans la voiture de ce monsieur qui est bloquée comme tu t’en doutes… Dis aux filles de se chausser. Les scorpions…

Mais Juan a bondi vers l’extérieur. Il parle aux filles qui se chaussent. Le paralytique se rassoit en rouspétant. Il n’a pas envie de jouer seul. Comment je vais raconter ça au consul ? Ce sera oral. Je n’écrirais rien. Ou alors j’écrirais ce qu’il me demandera d’écrire. Il y a d’autres témoins. Des anonymes. Quelqu’un envie le fauteuil du basketteur mort. Je suis venu pour ça, aplanir. « Je compte sur vous, mon petit Torcuato, m’avait dit le consul. De la discrétion. Madame K. est une dame importante chez nous. Vous savez autant que moi ce que ça veut dire. Embarquez le fauteuil, donnez-le à Volo et on n’en parle plus. Ainsi, le fauteuil du basketteur sort de cette histoire. Je ne l’aime pas, cette histoire ! Mettez-y fin, Torcuato ! »

Pourquoi avais-je renoncé aux tenants et aboutissants de cette mission particulière ? Les scorpions n’expliquent pas tout. J’étais chez la dame K. sans le fauteuil destiné à étouffer un possible scandale. Le chantage exercé sur l’autorité de mon employeur de consul n’en était pas éteint pour autant. Il fallait souhaiter qu’en retour le fauteuil du basketteur, ainsi retrouvé, eût ce pouvoir. Je me demandais toutefois si Volo continuerait de feindre une fois atteint l’âge où les filles sont à portée de bite. C’est ce que je ferais moi-même. Je me connais. J’ignorais pourquoi il feignait et pourquoi la médecine marchait, si je puis dire, dans le coup. Je ne suis qu’un simple employé étranger par le consulat d’un pays étranger. Je gagne bien ma vie. Je ne me plains que des femmes. Et je n’ai pas d’enfants pour me compliquer la vie. Je plaignais cette dame K. La guerre, un mari au combat, l’exil, deux enfants dont l’un paraissait atteint d’un trouble mental inquiétant pour l’avenir, le sien comme celui de sa mère. Le père était en prison. Un meurtrier. Des complications à ne plus en finir ! Nous nous mîmes en marche. Dans la descente, de l’autre côté, nous vîmes les scorpions. Je ne les aurais pas vu si les filles ne me les avaient pas montrés, toutes frémissantes dans leur chair que le soleil n’épargnait pas malgré les légères chemises qu’elles interposaient entre elles et moi. Le bull paraissait toujours mort.

— Je vois que monsieur a trouvé une solution, s’écria le contremaître toujours planqué dans son figuier.

— Pauvres hommes ! murmura la dame K. —sans doute pensant aux conditions du combat que menait en ce moment son lointain époux.

Nous sortîmes le fauteuil de la bagnole. Je l’avais déplié une fois, du premier coup, mais cette fois il refusa de se laisser faire. Les filles s’approchèrent. Elles en savaient sans doute plus que moi question fauteuil de paralytique. Mais la question du moment n’était pas celle-là. Mon cerveau ne peut pas faire trois choses à la fois : voir comment on déplie un fauteuil sans s’y coincer les doigts, renoncer à la compagnie d’une femme qui me faisait rêver éveillé et déclarer que je n’avais pas l’intention de charger ce fauteuil sur mon dos de vieillard avant l’heure, j’oublie une quatrième, mais ça ne changera rien à ce récit. Le contremaître me regardait comme si je l’amusais. Je devais l’amuser beaucoup, car il ne regardait pas la femme, ou il ne la voyait pas parce qu’il était pédé. Il n’était pas pédophile non plus, et pourtant il y avait de quoi. Les filles déplièrent le fauteuil.

— On le poussera, maman, dit la petite. Tu peux te mettre dedans si tu veux.

Ça ne me regardait pas. Le consul serait informé de la manière dont j’avais assumé la mission, mais m’en tiendrait-il rigueur alors que la question du chantage exercé par l’utilisateur du fauteuil sportif demeurerait en suspens, sans compter le silence médical qui était à l’origine de la supercherie. C’était pas trop compliqué pour moi. J’en avais vu d’autres. Mais je tenais à mon boulot. J’allais fermer ma gueule. Pour toujours. Alors je bousculai les filles et étreignit les poignées du fauteuil. Madame K. n’y prit pas place et le contremaître grommela :

— Il était temps, mon vieux.

 

 

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