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Notes sur la poésie, les mots, le monde, la poésie
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 Article publié le 14 juillet 2008.

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Notes sur la poésie, les mots, le monde, la poésie
Gilbert BOURSON
rédacteur en chef de la revue Imp Act

Gilbert Bourson avec Sylvie Larangeira, directrice de Imp Act.
impact.dicietailleurs@tele2.fr


J’ai toujours considéré que la poésie est essentiel-lement une opération rythmique, scansionnelle, engageant tout le corps dans sa langue faisant advenir le sens comme approche du monde et des choses, à travers une sonorité phonatoire, base même de toute pulsion (cf. I. Fonagy[1]).

Cette démarche suppose un théâtre inaugurant l’acte même d’écrire. Il me semble qu’un poème doive rendre compte de l’étonnement du dire, celui des choses, celui du monde, celui de l’émotion.

Le poème est interstice par lequel passe la voix interrogeant le sens de sa propre apparition. L’obscurité tient à cette émotion d’être toujours en perte de son sens, « de sa clarté ». Chaque vers d’un poème est « un larynx médusé ».

La poésie contient autant d’éléments sensibles liés à la nature, que d’éléments « purement » culturels, lesquels sont « naturellement » liés à l’émotion. Tout fait monde : langue, savoir / campagne, ville / organisme vivant, code génétique autant que linguistique. Le sens dans tout cela est la fameuse aiguille dans le tas de foin philosophique, philologique, ontologique, et la poésie, pour autant qu’elle soit autre chose qu’une fade description de sentiments, peut être un faible aimant pour rameuter le divers (visible et invisible) à l’unité primordiale. Disant « faible », j’entends relativiser le pouvoir de la poésie sur le monde, la désacraliser, lui rendre cette coquetterie, cette futilité, ce « charme », pour reprendre le terme de Paul Valéry[2], qui me semblent être plus convaincants, que ces aphonies ontologiques, métaphysiques, qui asphyxient parfois le discours poétique.

Les livres font partie du monde. Un lieu peut être un livre, évoquer des livres, être dans les livres tout comme un livre se couvre de pierres, d’herbe, de ronces, de cathédrales : je connais Venise, je l’ai lue ; si je vais à Venise, je retrouve le temps retrouvé et perdu (perdu parce que re/trouvé) et nombre de livres-lieux. Livres qui ont lieu. Livres qui toujours se livrent.

La poésie erre entre ces catégories en se peuplant de il, de elle et de nous, selon la langue qui se prend à partie d’avoir à supporter l’amoureuse initiation de la parole au monde. L’idée est femme disait Nietzsche[3], l’écriture aussi qui insiste le corps graphant son intervalle vers l’altérité. Disant le monde (du monde) la poésie se dit donc elle-même, ou plutôt dit le « donc » qui est cette émotion entre le monde et elle. Plus elle se plonge en la contemplation de sa propre formulation, plus elle désigne le lieu, ce « lieu écarté », où, comme le dit Hölderlin[4], « l’homme habite en poète ».

 Le travail poétique consiste à chercher, évoquer, convoquer, trivialiser parfois cet angle d’intrusion qui dans la langue permet d’habiter le monde ; le baroque d’un Gongora[5] ou d’un Lezama[6], résulte de ce que les matériaux convoqués par les mots qui servent à « pénétrer dans le monde », à « m’introduire dans ton/son histoire » comme écrit Mallarmé[7], se voudraient aussi nombreux que les choses qui le composent.

On ne peut cependant expliquer que le frôlement d’aile d’un oiseau parlé ou écrit, émeut autant (plus ?) qu’une aile réelle d’un oiseau réel dans un ciel réel et que le poème ne fait pas la part de l’air et de la chanson. Le réel est ce qui peut se nommer, donc l’aile parlée rejoint celle évoquée dans la choséité d’un ciel d’avril ou de septembre. L’écrivain comme l’amoureux, impatiente ses doigts sur l’agrafe d’une description : celle de son désir. Le poète est comme un skieur qui :

« fonce sur l’angle poudreux de ses genoux

qu’il plie en s’aveuglant sur l’air

jusqu’au portail de la blancheur

 

où seul son sourire demeure. »

Je crois que la qualité d’un poème, son privilège en quelque sorte, c’est d’ajouter au monde. Autant que chaque révélation d’une chose pose le statut de sa relation à l’homme en terme énigmatique, celle du poème pose à la langue qui le contenait déjà potentiellement, la double interrogation de son sens hors et dans la langue, le sens même de sa demande de sens. Un poème ne veut pas dire, il dit.

Si tout n’est pas poème au sens d’une écriture spécifiquement cadencée, rimée, agencée selon des lois prosodiques, anagrammatiques, hypogrammatiques ou autres, la fonction poétique de toute énonciation existe, tout prédicat est « poétique » en ce sens qu’il lance le dé d’une conjecturale appropriation du monde par la parole.

La poésie explore les dimensions de l’homme essentiellement de façon « érotique » : tout poème est une zone érogène de la langue (et de la typographie).

Elle est appel vers la hauteur comme l’érection mais en parlant/écoutant, lisant/écrivant vers le gouffre d’où émane l’odeur des « mots du corps ». Regardant vers l’horizon, la ligne d’écriture la borne ici où mon regard la trace (la nomme).

 


[1]La Vive Voix par Ivan Fonagy, philologue hongrois (1920-2005) éditions Payot, 1991.

[2]Paul Valéry, écrivain, poète, philosophe et épistémologue français (1871-1945)

[3]Le Gai Savoir, de F. Nietzsche (1844-1900)

[4]Friedrich Hölderlin, poète allemand (1770-1843)

[5]Luis de Gongora y Argote, poète baroque espagnol (1561-1627)

[6]José Lezama Lima, écrivain, poète et essayiste cubain (1910-1976)

[7]M’introduire dans ton histoire, poème de Stéphane Mallarmé (1842-1898), paru dans La Vogue en 1886.

 

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