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Article publié le 15 octobre 2023. oOo Le « Florbelle » de Jacques Cauda [1] n’a d’équivalent existentiel (à cette hauteur du pèse-nerf du moins) que la saison en enfer de Rimbaud (toutes proportions gardées ?). Une fois lu ce roman (la saison en est un aussi), on n’a plus qu’une envie : comprendre son auteur, en suivre les actes et, selon son vouloir sadien : les journées.
Entré au château de Silling à l’âge de 17 ans, je n’en suis jamais sorti. Au contraire d’Annie Le Brun… (Cela ne sonne-t-il pas Recherche… ? Mais le lecteur va vite se rendre compte que le temps caudien ne se perd pas comme celui de Marcel —et s’il se retrouve, sa nature ne s’encombre pas de nostalgie, malgré l’omniprésence des noms de lieu et de personnage… tous réellement vécus et pour certains d’entre eux, pratiqués.) 20 journées qui représentent, comme en géométrie euclidienne (ou graphe lacanien du désir), quelque chose comme 50 ans d’existence et de plaisir tourmenté par le sens que le désir change en implication forcée et forcenée du corps lui-même, de ses composantes et dérivées. Ça commence à 17 ans, ce qui vous donne une idée exacte de l’âge de l’auteur de cette manière toute nouvelle d’écrire des romans. Va savoir ce qu’il en reste, de traces : celles qui affectent le corps et la faculté d’en penser quelque chose (trouver) ; celles qu’une œuvre éparpillée chez presque 30 éditeurs a projetées en l’air du temps (retrouver). Pour ceux qui s’intéressent (d’abord ou après selon idiosyncrasie) aux moyens mis en œuvre, disons que ce « Florbelle » est une satire dans le sens romain du terme (tel le Satiricon), c’est-à-dire un ouvrage où « la prose est mêlée de vers » ; ainsi, un prodigieux poème intitulé Chère maman s’insère parfaitement (si je puis dire) dans le récit qui nous éclaire bruyamment sur la mort de cet être chieri…
Chère maman sais-tu l’exhumation du con Lorsque je porte la beauté avariée des mots Aux lèvres de ton cercueil plein de vers grouillants ?
Si d’aventure vous n’avez pas vous-même vécu, en autant de temps ou comme il vous plaira d’entendre le temps, une existence strictement parallèle au phénomène littéraire et philosophique qui nous cerne de vie à trépas (à moins d’être complètement con), voyez ici comment on monte (avec jeu de mots) et comment, parce que le corps c’est de la merde (…j’ai appris hier…), on descend sans avoir jamais rien descendu (car je suppose que le désir de tuer n’a fait l’objet d’aucune revendication judiciaire [à développer…] [2]). Ce manque axiomatique d’expérience de la descente donne du goût à ce qu’on a imaginé de la montée… Rien à voir avec le comique camusien. Carrément organisé en actes (5 comme en tragédie classique mais je n’ai pas poussé plus loin la comparaison [à développer…]), le récit de toute une vie (laquelle ne s’y achève pas…) les imagine comme une série de journées qui servent de scènes, avec leur lot de personnages, de répliques et, sans doute par-dessus tout, de trouvailles poétiques et apophthegmatiques. Significatif en effet comme, une fois chiffonné le papier, il en reste quelque chose.
Je suis un chien dressé pour peindre. Écrire. Chier. Foutre. Parricider. Incester. Assassiner. Prostituer. Sodomiser. Aboyer. Mordre. J’ajourerais à ce manifeste : bouffer (avec esprit d’ailleurs si j’en juge par les descriptions qui valent celles de Marcel mais dans un autre sens), sachant d’avance que le corps ne suivra pas, qu’il n’ira pas aussi vite et que l’esprit se retrouvera seul à un moment donné. Ce passage du roman m’a quelque peu bouleversé, je l’avoue.
Je suis une ruine. Une Rome défunte. Sade y verrait se refléter le visage du crime qui sue par tous mes pores. Mais peut-être est-ce ce qui attend tout auteur de son propre roman : cette solitude qui quelquefois s’accoquine avec la postérité… Comme si le corps, provisoire et expérimental par définition et angoisse, ne servait qu’à ça. Encore s’agit-il du corps que l’on destine à autre chose qu’à se le laisser ravir par le nécessaire travail des jours alors que la nuit se prête au sommeil considéré non pas comme repos mais comme autant de manières d’enfin savoir si on est là pour quelque chose qui ne soit pas banal. J’ai l’impression que le concept de surfiguration (le à-dadaïsme de Jacques Cauda) en est le corollaire indispensable. Jetez un œil sur les couleurs dans son œuvre peinte pour en juger [ici], où le noir de l’encre renvoie l’ouvrage à sa composition visuelle. Mais aussi bien ferions-nous, à propos de ce « Florbelle », d’évoquer la gamme musicale et ses racines de nombres imaginaires issues de la pratique de l’électronique, par exemple, entre autres conceptions de l’acoustique appliquée au « dérèglement de tous les sens ». Vigoureux opera en effet, peut-être né de l’enfance (qui sait ?) —mais en tout cas surgi de nulle part à un moment crucial où la perspective de l’avenir impose ses points de fuite sur l’horizon. Le texte apparaît vite comme une partition, avec le temps de le lire page après page, et de s’y plonger selon des modes verticaux que la proximité de l’objet peint (avec de l’encre —et, hélas, un rapetissement de l’objet dû aux dimensions de la page) et des mots qui le hantent rend aussi clair que l’eau de roche. Ici, pas une seule obscurité, ni de langage ni de sens, une espèce de pureté (il miglior fabbro), —on y voit loin, à condition toutefois de chausser l’optique d’une chronologie littéraire et de sa traversée généalogique, de Sade à ici, en passant par l’inévitable et nécessaire Rimbaud qui agit comme un champ magnétique, —un mur de bouquins (ou « grimoires ») et d’auteurs qui ont fait le Temps depuis qu’il n’existe plus comme ce qu’on sait associé à ce qu’on n’éprouve pas le désir de savoir si on préfère la vie (XXe siècle). Il n’y a pas de littérature sans machine. [à développer…] Au lecteur de décider si le forgeron en question se raconte pour se donner en spectacle, pour qu’on le plaigne et l’applaudisse peut-être de gémir (de douleur et/ou de joie), ou si, à l’instar de Henry Miller sur son dernier lit, il ne s’est mis en scène que pour parler des autres, sachant ou imaginant (ce qui revient à peu près au même, comme le mouvement et la vitesse dérivent l’une de l’autre) qu’on se ressemble tous et que nous sommes aussi en quête de savoir ce qui se passe en nous et hors de nous, notamment quand nous n’y sommes plus comme cela doit inévitablement arriver. Je pense à cette « science de l’homme » exercée par l’arabo-andalou Picasso. Je n’ai pas frissonné en lisant ce livre. Je n’ai pas eu peur. Je n’ai rien appris. Mais j’ai suivi. C’est étrange d’ailleurs comme le bon écrivain est capable de nous dire comment on fait et comment on fait après. Note : Excusez-moi d’abuser de l’italique, mais si je n’en mets pas, je réécris ce « Florbelle » —dans une version ennuyeuse à souhait (triste dissertation) —ce que n’est pas ce livre rapide digne d’un montage de Keaton ou de Laurel. Patrick Cintas. 1. ….pour la petite histoire, et pour ceux qui en doutent, Les journées de Florbelle ou la nature dévoilée est un roman de Sade, celui d’Émilie qui s’ajoute à Justine et Juliette. Hélas, ou pas, le fils de Sade l’a détruit. Reste des notes où Sade se montre très soucieux de chronologie et de vraisemblance, de romanesque pour tout dire, sans toutefois nous en révéler le contenu. Le roman devait comporter un traité de morale et un art de jouir… Une machine disparue pour toujours, mais Jacques Cauda en connaît le mode d’emploi… [ICI] 2. Le lecteur ici s’en chargera lui-même, je crois… |
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