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Cahiers de Tinbad nº 15
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 Article publié le 14 janvier 2024.

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Vivre poétiquement, c’est ce qui manque à tous ceux qui Veulent écrire de la poésie, seulement l’écrire. Gilbert Bourson - lettre à P. Cintas.

 

Que Louis-Ferdinand Céline fût un « immmmmmense » écrivain ou une crapule antisémite de la pire espèce, voilà une question qui n’en est pas une : Céline était un salaud et un grand écrivain, peut-être pas immmmmmense, mais à considérer toujours dans la perspective du devenir de la littérature et de ses assises éditoriales.

Céline était un salaud et Ezra Pound un fou. Décidément, la meilleure littérature n’a pas de chance. Et peut-on lui opposer les suppositoires des Malraux, Camus et autre Jean-Sol ? Certainement pas sans l’aide des pouvoirs publics chargés de l’éducation nationale et des moyens de communication sans partage d’autorité…

Et comme il est donc question de pouvoir, la procédure de l’effacement, une vieille tradition remontant sans doute plus loin que l’Égypte ancienne, est en cours, sans burin ni marteau, avec ce que cela suppose de réseaux, d’enculades informatiques et de ventes sous le manteau. Ya qu’à voir. Cigarettes, whisky et p’tit’ pépés.

Ce dernier numéro des Cahiers de Tinbad consacre plusieurs articles, dans un ordre et une composition bien pensés, à « l’immmmmmensité » de ce valet de la pensée antisémite, colonialiste et raciste, profiteur pas si lésé que ça et pleurnicheur pitoyable. Dès l’entrée, un « Avec Céline… » tente à mon avis désespérément et honnêtement de trouver un terrain d’entente, ce qu’en effet la procédure judiciaire prévoit sous le concept de conciliation, mais au civil seulement… Or, le cas Céline relève du pénal, anciennement intitulé plus justement criminel ; et dans ce cadre bien étranger aux possibilités de tractations qui caractérisent la procédure civile, un chat est un chat et un salaud un salaud. Poing.

D’ailleurs, il n’y aurait aucune raison de sauver Céline si les chevaliers du nettoyage culturel ne s’étaient pas mis à l’œuvre pour en éteindre la flamme. Pédants !

En dehors de sa pensée criminelle, et sans doute aussi de quelques actes que l’instruction a passé sous silence ou n’a pas pu établir de façon certaine, Céline est le foyer indiscutable d’une nouvelle littérature, en tout cas d’une nouvelle manière d’en écrire, partant non plus du Verbe et de ses évangiles et autres liturgies, mais de l’homme lui-même, ce qui écarte par exemple l’hypothèse sinon de l’existence divine du moins de sa prépondérance qualifiée ailleurs d’omnipotence. Et initie aux pratiques moins soumises de l’anarchie. Un festin dont on revient changé en mieux.

Certes, Céline n’était pas un homme de Lettres bien différent, au plan comportemental, de ses collègues contemporains dont un juste portrait a été tracé à l’occasion d’un automne à Pékin : un auteur soucieux de sa renommée, ou au moins de sa reconnaissance, capable d’hypocrisie, de mensonge, de jalousie, de coups bas, à l’instar du père Petit Jean et de ses potes ; un ramassis de petits salauds capables de trahison pour empocher la subvention et la parution dans le journal ou la télé pour les plus chanceux ou pugnaces.

Céline fut-il à ce point crasseux du cœur-à-l’ouvrage par nature ou seulement en réponse à la saloperie des milieux littéraires de son époque est encore une question oiseuse à côté de laquelle son antisémitisme est la preuve qu’il pensait vraiment ce qu’il écrivait et qu’il agissait sans doute en conséquence si l’occasion lui était donnée, comme ce fut le cas pendant l’Occupation qui n’a pas fait que l’occuper.

Ce n’est donc pas en recherchant la conciliation, comme au tribunal des affaires familiales, ni en rejetant du revers de la main les saloperies immondes d’une idéologie hélas toujours en vigueur, que vous retiendrez le bras colossal, à l’heure où je parle, de la chevalerie wokiste et de ses moyens d’effacement autrement efficaces que les déclarations d’intention les mieux stylisées et idéalisées.

Mais Céline appartient à une autre époque et la nôtre ne présente pas les mêmes caractéristiques sociales et politiques que la sienne. Il fut un temps en effet où il s’agissait (si toutefois la littérature est « l’histoire de la liberté ») de s’opposer aux pratiques rhétoriciennes toujours en usage malgré les cadavres des révolutions et les crimes des colonisations. Les propositions n’ont pas manqué de marquer définitivement cette époque riche en découvertes stylistiques et en nouveautés romanesques et poétiques. Pound a théorisé tout cela, entre autres. Breton, Hemingway, Faulkner et d’autres encore à l’établi. Et Céline fait partie de la poignée d’écrivains qui ont inventé des moyens de réduire la rhétorique à son tas de cendres, ce qu’elle méritait. Ô inventio !

Or, cela étant fait (bourgeoisement il faut le reconnaître), le discours en pratique aujourd’hui, qualifié de commercial par les plus savants d’entre nous, ne semble pas aussi « facile » à contrecarrer. Certes, on est passé ici de la 3e à la 4e grammaire, de l’analyse logique à la linguistique, etc., mais si je ne m’abuse, aucune œuvre majeure n’a encore réussi à s’imposer publiquement, si tant est qu’elle existe pour asseoir son auteur sur les gradins du sénat aux côtés de Céline, de Bukowski, d’Hemingway, de Faulkner, de Pound, d’Artaud, et j’en passe, non pas parce que la liste est longue, au contraire elle est courte, mais parce que je limiterai forcément ma description à ce que je sais de notre culture occidentale qui après tout n’en est une que parmi d’autres.

Autre différence d’expérience et d’expérimentions entre notre époque et la leur, ils avaient à lutter contre la connerie, ce qui, à l’occasion, a donné au monde l’œuvre monumentale de San Antonio, par exemple. Or, nous en avons fini avec la connerie, non pas qu’il n’y ait plus de cons sur la Terre (faut pas déconner non plus), mais l’infantilisme, que l’on peut considérer comme la forme la plus évoluée de la connerie si on a étudié les maths et qu’on y a pris du plaisir, est autrement complexe et difficile à envisager sous l’angle du combat. Passage du sentiment de l’Absurde à l’évidence de la Complexité (je résume). Un con, sur le ring ou hors des sentiers battus, on le bugne et on va boire un coup pour fêter ça (avec style), mais le type que l’existence a réduit à ce que l’enfance n’a jamais été, vous avez beau taper dessus, ou lui expliquer, il ne change pas, ni de forme ni de conviction. Ya du pain sur la planche…

Va falloir trouver autre chose qu’un simple recours au passé. Ya des chances pour que les œuvres de nos anciens ne nous servent pas à grand-chose pour exister autrement. Raison pour laquelle la parodie a repris le chemin du texte littéraire. Personnellement, je crains un tædium vitae général, un monde (puisque la société, même du spectacle, n’existe plus) où l’infantilisé passe à côté du désespéré sans le voir, comme dit la chanson à propos de cul (ou d’amour selon idiosyncrasie). Le poète devient parolier, le romancier conteur, le philosophe journaliste, le critique influenceur… Ça va faire mal. Et dans pas longtemps. Une idée de ce qu’il conviendrait de faire (et d’écrire donc) ? …Comme disait un ami de mon père (en leur jeunesse) : « Une p’tite guerre nous fera du bien. » Ce con (l’infantilisme n’était pas encore à la mode) est revenu des Aurès sans ses jambes.

Patrick Cintas

 

***

Mots de l’éditeur

Editions Tinbad - 127, boulevard Raspail 75006 Paris
Mél : editions.tinbad@gmail.com / Site : www.editionstinbad.com
Tél : 06.64.97.68.82

Voici le 15e numéro de notre revue interdisciplinaire Les Cahiers de Tinbad, revue d’écriture de création avant tout, mais pas que. Alors que la « politique » fait son apparition dans le sous-titre de la revue, et que le point après « littérature » a été enlevé, voici un nouvel éditorial, rédigé par l’auteur de Polaroïds, Alain Marc :

Oui, osons le dire : nous, auteurs Tinbad, nous sommes la nouvelle avant-garde. Le monde chute, le désœuvrement est grand et durable, la fin est proche. Alors re-balayons tout sur notre passage : retravaillons les mots, le corps, le sexe, le monde et l’être. La littérature, le cinéma, les arts, aussi bien cinématographiques que plastiques, la politique et la société. Revisitons la fiction, l’essai, le récit, le chant, la poésie et même la transe. Remettons sur le devant de la scène une parole forte, aussi bien par ses mots que par la plus grande modernité. Désarticulons et réarticulons. Aussi bien le monde que les mots et les idées. Réinventons tout. Re-malaxons, réassemblons les tessons épars. Revisitons les hautes figures, aussi bien de la littérature qu’artistiques, revisitons tout ! Osons être nous-même tels que nous sommes. Avec nos individualités et nos points communs. Osons attaquer les fondements trop bien installés, attaquons les soi-disantes nouvelles technologies, qui déshumanisent le monde entier à la vitesse super sonique et réaffirmons les valeurs profondes de la lecture, de la culture, du livre et du non numérique face au tout numérique et au virtuel généralisé. Réaffirmons les valeurs de la complexité face à la simplification et au grand nivellement par le bas. Nous sommes de la nouvelle avant-garde : du futur de demain par le réassemblage de l’hier.

Argument : Dans ce 15e numéro des Cahiers de Tinbad, nous consacrons un 2e dossier à l’immense écrivain Céline, suite à la publication de 3 romans inédits de lui parus chez Gallimard. C’est ici l’occasion de republier son dernier interview, avec Paris-Match, en 1960. Dans ce dossier, Fabrice Hadjadj nous donne un texte très important qui en appelle à une réconciliation autour du « cas Céline », de son point de vue de juif converti au catholicisme ; Thomas A. Ravier s’insurge contre le révisionnisme qui sévit partout pour « corriger » le passé ; Guillaume Basquin, Olivier Rachet et Claude Minière analysent et décortiquent Guerre et Londres en partant des textes, rien que des textes (l’idéologie ? foutre !). Nous republions un rare entretien entre Jean-Pierre Salgas (qui vient de nous quitter) et Philip Roth, dans lequel le goût de la lecture de Céline n’est pas absent. Jean-Claude Hauc évoque une rencontre littéraire inattendue entre la poétesse russe Marina Tsvetaïeva et Casanova. Claire Fourier, quant à elle, écrit sur le rapport de Bernard Noël au corps, dans son écriture. Enfin, Pierre Guglielmina médite sur le journal que tint Steinbeck pendant l’écriture de son grand roman À l’est d’Éden.

Avec les participations de : Louis-Ferdinand Céline, Fabrice Hadjadj, Olivier Rachet, Guillaume Basquin, Claude Minière, Éric Rondepierre, Ali Benziane, Isabel Weiss, Pierre Guglielmina, Thomas A. Ravier, Pascal Boulanger, Jean-Pierre Salgas, Philip Roth, Jacques Cauda, Jean-Claude Hauc, Claire Fourier, Didier Ayres, Jules Vipaldo, Gilbert Bourson et Jean-Hugues Larché.

La revue paraît deux fois/an, au printemps et en automne.

 

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Commentaires :

  Florilège de remarques par Stéphane Pucheu

La sottise, hélas, a de beaux jours devant elle, étant donné l’effondrement culturel des peuples occidentaux, et sans doute au-delà.

Les coups bas, la jalousie, les impostures... ces caractéristiques du monde littéraire relevées par Patrick Cintas, ne sont-elles pas tout simplement le reflet partiel de la condition humaine dans sa propre Cité ? Ou bien celles d’une époque ou l’argent compte plus que tout ? Combien de potentiels jeunes auteurs, en effet, fantasment sur la célébrité de l’écrivain, alors que celle-ci compte moins que jamais ?

Je dirai que Les guerres modernes sont des guerres infantiles.

Etre adulte en gardant son âme d’enfant... un programme de bons sens ? Révolutionnaire ? La réponse à l’ire de Patrick Cintas ? Ce que sous-tend sa critique, par surcroît, c’est aussi la ruine des rapports humains. Mais au lieu de s’en tenir au constat, ce que pensent un certain nombre de gens, il faut se remettre au travail. Les régénérer. Les reconstruire.

Avancer.

Je dirai que Le stade actuel du capitalisme, c’est l’infantilisme.

Quant à l’introduction de « Les Cahiers de Tinbad », signée Alain Marc, elle paraît frappée du sceau du bon sens. De l’énergie nouvelle. La répétition du préfixe « re » est bien la preuve qu’il faut reprendre. Alain Robbe-Grillet l’avait souligné en 2001, avec son excellent roman « La Reprise », inspiré à la fois de son œuvre et de l’état de la littérature, cette dernière se complaisant volontiers dans un courant à nouveau rétrograde, annonçant probablement la fameuse industrie littéraire qui sévit désormais, soulignée par Richard Millet depuis déjà longtemps.

Le numéro automnal n.15 de « Les cahiers de Tinbad » sent le parfum du printemps : non celui des peuples mais celui, plus largement, qui oxyde le nihilisme ambiant.

N’est-ce pas tentant ?


 

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