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Article publié le 14 décembre 2008. oOo
L’espace filmique comme dévoilement de la culture africaine dans Egg of life
Paul Aimé Ekoumbamaka Le film est une création artistique au même titre qu’une chanson, qu’un masque sculpté ou qu’un roman. Alors qu’une chanson est l’aboutissement d’un mélange harmonieux de sons et de paroles, qu’une toile peinte résulte d’une savante combinaison des formes et des couleurs, un film quant à lui est le résultat d’une parfaite association d’éléments visuels et sonores. Dit autrement, le film est un discours c’est-à-dire mise en fonctionnement du langage qui recourt à divers matériaux tels les accessoires, les personnages, l’espace, la musique, les costumes etc. pour sa mise en forme. Mais en tant que discours aussi, tout film reflète à un degré plus ou moins élevé, son milieu producteur. Christian Metz l’a bien vu quand il écrivait déjà : « Tout film est au fond un documentaire.[1] » Ailleurs, allant dans le même sens nous écrivions : « Toute production artistique est un phénomène communicationnel issu d’un milieu socio-culturel donné. [2] » La tâche qui nous incombe dans cet article est justement de montrer comment la culture africaine est fortement représentée dans un film africain nigérian notamment, à travers l’usage de l’espace qui est l’une des composantes dans tout récit filmique. Seront à cet effet examinés le palais royal, la case de la prêtresse et la rivière sacrée.
I .Le palais royal Le palais est tout le premier espace que le spectateur découvre dans le film Egg of life. Il est avant tout un univers du pouvoir entre les seules mains du roi et de ses sept notables. Ils exercent ce pouvoir qui détermine même le destin de certains personnages positivement ou négativement. Espace du pouvoir, cela est vérifiable à travers le trône placé au centre de la cour du palais et qui est recouvert d’une peau sèche de lion. La présence du trône dans cet espace renvoie déjà directement à la royauté et donc au pouvoir. En effet, dans les sociétés traditionnelles africaines, c’est au palais que sont concentrés tous les pouvoirs juridique et législatif. Toutes les décisions partent du palais quant à la manière de diriger la communauté. S’agissant justement des décisions, c’est au palais que Okonkwo, le fils aîné du roi sera convoqué et interrogé au sujet de la mort de son cadet. Reconnu coupable, le roi et les notables décident unanimement de faire mourir le fils meurtrier. Ce qui sera fait dans la cour même du palais. Le palais se présente donc comme un espace juridictionnel qui disqualifie Okonkwo. En d’autres termes, cet espace n’approuve pas la conduite du fils aîné. En tant qu’actant, le palais joue le rôle d’opposant à deux niveaux : il empêche Okonkwo d’être définitivement le propriétaire du terrain qu’il a arraché à son frère. Il l’empêche aussi de continuer à vivre. Le palais se signale comme un espace soucieux de l’ordre social mais surtout comme un espace de la justice répressive, du fait de la présence de la prêtresse qui représente le bourreau. C’est en réalité elle qui est chargée d’éliminer Okonkwo grâce à ses pouvoirs mystiques. Le palais est également l’instance supérieure de décisions. Le plan d’ensemble qui cadre le roi et ses sept notables au moment de prendre la décision d’envoyer les sept filles vierges dans la forêt en dit long. Les autres membres de la communauté pourtant présents au palais ne sont pas cadrés à ce moment précis : leurs avis ne comptent pas. Il n’est pas question de procéder ici à un quelconque vote. Le principe démocratique c’est-à-dire du grand nombre est exclu de cet espace. Toutefois, le palais à travers cette décision a servi d’un côté d’adjuvant à certains personnages comme Ikemefuna. En effet, l’œuf ramené de la forêt l’a ressuscité. D’un autre côté, à travers la même décision, le palais a été un véritable opposant pour les sept filles qui voulaient bien continuer à vivre auprès de leurs familles. Mais cette décision les empêchera et six sur les sept filles trouveront la mort dans cette mission périlleuse. Au-delà de l’aspect dramaturgique, le palais est un espace sociologique qui témoigne d’un univers structuré, hiérarchisé et ordonné. C’est ainsi que chaque notable a une place bien déterminée au palais lors des réunions, et c’est le roi qui prend la parole le premier et la distribue successivement à ses notables.
II. La case de la prêtresse C’est un espace fondamentalement fermé et qui fonctionne comme censeur. En effet, si au palais les entrées et les sorties ne sont pas rigoureusement contrôlées, dans la case de la prêtresse, l’accès y est sélectif. Seules les personnes appelées à remplir des missions largement bénéfiques à la communauté en cas de crise ont le droit d’entrer. Le séjour des sept filles est donc justifié puisqu’elles sont appelées à effectuer le voyage dans la forêt de la mort, afin de ramener l’œuf qui sauvera Ikemefuna qui devra succéder à son père. Or, ces filles qui sont jeunes, sans aucune expérience, sans aucune connaissance de la forêt ne peuvent accomplir cette mission de façon efficiente. C’est pourquoi, la disjonction à leur espace originel et la conjonction à la case de la prêtresse sont nécessaires. En effet, les sept filles doivent quitter leurs cases parentales qui ne peuvent leur offrir aucune formation adéquate. Il faut qu’elles migrent vers la case de la prêtresse considérée comme un véritable centre d’instruction[3].Cette conjonction à la case de la prêtresse répond à un besoin de formation qui doit aboutir à un acte d’intégration. Les filles reçoivent des enseignements sur la forêt de la mort –les créatures qui y habitent, sa configuration géographique- et aussi des conseils pour éviter d’éventuels obstacles. Mais au-delà du rôle d’un centre d’instruction que joue la case de la prêtresse dans le film Egg of life, il apparaît que cet espace joue aussi le rôle d’autel au sens religieux du terme. C’est dans la case de la prêtresse qu’a lieu le rite qui vise à ramener Ikemefuna à la vie. Il y a d’ailleurs un élément assez significatif dans cet espace au moment où l’enfant y est introduit : il s’agit du foyer allumé et placé au centre de la pièce et qui donne à cet espace tout son caractère divin. Le feu qui est allumé et autour duquel la prêtresse tourne en invoquant les ancêtres fait de cette case un espace de guérison. Le feu est le symbole de la vie et comme le note Dominique Zahang : « Avec l’élément feu, on touche à ce que l’Afrique a le plus profond et le plus caché aussi dans les trésors de sa culture.[4] » Ikemefuna étant déjà mort et qu’humainement il est impossible de le ressusciter, il est donc d’urgence transporté dans la case de la prêtresse afin que, avec le secours des puissances invisibles, il puisse passer de la mort à la vie. La case de la prêtresse agit en véritable adjuvant dans ce sens qu’elle se met avantageusement au service des personnages, en améliorant leur condition.
III. La rivière sacrée La rivière sacrée apparaît complémentaire à la case de la prêtresse du point de vue de la continuité dramatique, et même du parcours topologique. En effet, à travers le montage narratif[5] et du phénomène de l’ellipse, la prêtresse et les sept filles passent directement de la case à la rivière sacrée, entraînant du même coup un programme narratif nouveau. Tout comme la case de la prêtresse, la rivière sacrée est fortement fermée. Ce qui n’étonne guère car l’idée de rivière sacrée suppose un espace clos, réservé à une catégorie de personnes et d’activités liées au sacré. Compte tenu de l’activité initiatique qui est par essence religieux, la rivière sacrée se révèle comme un espace de culte c’est-à-dire, un espace en rapport étroit avec la divinité. Dominique Zahang écrit justement à propos : « Sources, rivières, fleuves, lacs constituent les grands temples de la religion noire.[6] » C’est pour accomplir un acte hautement religieux que la prêtresse et les sept filles se rendent donc à la rivière sacrée. Il s’agit du rite de purification des filles. L’eau claire contenue dans la rivière sacrée et avec laquelle les filles sont lavées a une grande signification : les filles meurent symboliquement pour acquérir une nouvelle vie. C’est d’un véritable baptême dont il est question et au cours duquel les filles sont confiées à « Efuru » le génie de l’eau, pour qu’il assure leur protection. En pratique, l’initiation des sept filles trouve toute son importance dans la rivière sacrée. Si elles réussissent à pénétrer dans la forêt et à rapporter l’œuf malgré la mort de certaines d’entre elles, c’est parce qu’elles ont bénéficié de l’immunité divine au départ qui leur a permis d’affronter et de triompher des forces du mal, notamment des revenants qu’elles rencontraient dans cet espace hostile. Il est clair que l’œuf ne serait jamais venu au village si les filles étaient parties dans cette forêt, totalement démunies mystiquement. La conquête de l’œuf comme objet magique exigeait que les filles soient détentrices des pouvoirs surnaturelles. Et la rivière sacrée était indiquée pour les leur octroyer. A l’instar de la case de la prêtresse, la rivière sacrée constitue un espace d’amélioration, un adjuvant pour les personnages.
CONCLUSION Cette étude sémio-narratologique des divers espaces dans le film Egg of life est effectivement parvenue à dévoiler certains aspects de la culture africaine. Ainsi, les décisions prises par le roi et son entourage dans les sociétés traditionnelles africaines sont irrévocables, et ne sont pas soumises à un débat public. L’acquisition des connaissances visant à combattre les forces du mal ou invisibles en Afrique ne se fait pas dans les laboratoires des écoles de guerre ou des universités, mais dans des espaces ésotériques prévus à cet effet. De même, ce n’est pas dans les hôpitaux fussent-ils hautement équipés, que l’homme africain se rend pour acquérir une immunité contre les forces invisibles susceptibles de lui nuire. Une telle immunité s’obtient comme cela a été démontré dans l’étude, dans des espaces bien déterminés et dotés des pouvoirs magiques en tout cas, pour l’Africain. Le réalisateur nigérian Andy Amenechi a parfaitement rendu cette vision du monde de l’Africain par l’usage qu’il a fait de l’espace dans son film. Paul Aimé Ekoumbamaka
BIBLIOGRAPHIE Amenechi (Andy), Egg of life, Nigéria, 2003. Cayrol (Jean), De l’espace humain, Paris, Seuil, 1968. Ekoumbamaka (Paul Aimé), « Cinéma camerounais et promotion culturelle », in Cameroon Culture, Yaoundé, n°3, 2008, p.3. Gardies (André), Cinéma d’Afrique noire francophone : l’espace miroir, Paris, L’Harmattan, 1989. Hall (Edward), « Le langage de l’espace », in La nouvelle communication, Paris, Seuil, 1994. Todorov (Tzvetan), Théories du symbole, Paris, Seuil, 1977. Zahang (Dominique), Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, 1970. [1] Metz (Christian), Langage et cinéma, Paris, Larousse, 1971, p.39. [2] Ekoumbamaka (Paul Aimé), « Cinéma camerounais et promotion culturelle », in Cameroon Culture, Yaoundé, n°3, 2008, p.3. [3] La case de la prêtresse est assimilable ici à l’école moderne, où les élèves reçoivent des enseignements qui devront leur servir plus tard, à la résolution des problèmes auxquels ils feront face. [4] Zahang (Dominique), Religion spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, 1970, p.52. [5] Ce type de montage est employé pour relater une histoire de façon logique (de cause à effet) et chronologique (dans l’ordre du déroulement des faits.) [6] Zahang (Dominique), op.cit., p.38. |
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