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Passion et discours idéologique dans <I>L'astrolabe de la mer</I>[1] de Chems Nadir
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 Article publié le 14 février 2009.

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Passion et discours idéologique
dans L’astrolabe de la mer[1]
de Chems Nadir
Samir Mesteri

« L’univers semble honnête aux honnêtes gens parce qu’ils ont des yeux châtrés. C’est pourquoi ils n’éprouvent aucune angoisse s’ils entendent le cri du coq ou s’ils découvrent le ciel étoilé. » - L’Astrolabe de la mer, p.86.

Toute parole qui affirme, nie, explique porte sur quelque chose qui est son référent, lequel peut-être réel ou imaginaire. Un discours sur les araignées par exemple se réfère à la classe des arachnides, par contre, un discours sur le pouvoir de l’araignée dans le conte La Montagne de l’Araignée[2]ou sur l’oiseau-conteur dans la fable Nouvelle histoire de l’oiseau-conteur[3]  est un discours passionné. Mais dans les deux cas, on « parle » de quelque chose. Même philosopher sur le vide revient à parler de quelque chose, sinon on ne dirait rien du tout.

Le sens, ou rapport du signifiant avec le signifié est donc distinct de la référence. L’Araignée, (La montagne de l’araignée) n’a pas le même sens pour l’opposant Kadath que pour le « cher peuple » victime des supercheries idéologiques. Pour le Héros insoumis, elle représenterait l’emblème d’un pouvoir corrompu et tentaculaire. La référence est ce dont on parle, le sens ce qu’on en dit, ce qu’on feint de dire ou ce qu’on ne dit pas explicitement - dans le cas de l’ironie antiphrastique[4] par exemple-. C’est dire que le référent passionné n’est pas le monde tel qu’il est, mais tel qu’il est perçu dans une culture donnée ou plutôt dans une idéologie donnée. Ainsi, la gamme des couleurs n’a pas le même sens dans les diverses cultures, le blanc n’a pas la même signification pour un boudhiste que pour un chrétien. De même pour les chiffres, le treize est de mauvais augure pour les uns, mais ailleurs il est perçu comme un chiffre quelconque. La passion détermine donc cette relativité du référent. Elle est chosiste, elles forge de toutes pièces des concepts qu’elles prend aussitôt pour des réalités. Les mêmes termes zindiq (hérétique) [5],  el mokhtara (l’élue)[6], moatazilla[7] (le parti des insoumis), soufis (les mystiques)[8], sunnite (orthodoxes) , communistes, terroriste se réfèrent à des réalités totalement différentes, selon l’idéologie de ceux qui l’emploient. Le mot le plus fluctuent et le plus chargé de passion aujourd’hui est terroriste. Il n’a pas le même sens pour un combattant palestinien que pour un occupant américain ou israélien. Chacun donne à son terme un référent opposé. Le terroriste est toujours l’autre, mais jamais soi-même. De même pour les mots : communiste, juif, arabe, indigène, etc. L’idéologie, est selon le mot de Raymond Aron « l’idée de mon adversaire », mais jamais le « terroriste » ne dira qu’il est terroriste, car en se désignant comme tel, il risque de brouiller, donc de dépassionner son référent idéologique. (1936) Le rôle donc de ce type de référent est non seulement de créer une référence, une réalité parcellaire et sectaire, mais aussi de distiller un message  visant bien entendu l’exclusion pure et simple de l’autre. Bref, il s’agit d’une « communication à hauts risques »[9], car génératrice de passion et de malentendus. Dans ce qui va suivre, Nous essayerons  d’analyser les deux stratégies discursives sur lesquelles s’appuie ce discours équivoque qui tend à créer son propre référent, à savoir l’amalgame et la présupposition.

 

II- passion et dissimulation

 a- L’amalgame  :

 C’est l’utilisation d’un terme réducteur, généralement péjoratif pour servir les intérêts du pouvoir qui est « toujours opaque »[10] selon l’expression de Jankélévitch. D’après O. Reboul, l’amalgame relève de l’appellation objectivante, autrement dit, un discours chosiste qui consiste à forger de toutes pièces des concepts qu’il prend aussitôt pour des réalités. Il est le croisement de trois fonctions : métalinguistiques, phatique et référentielle. En effet, la désignation du même nom par une réalité différente (métalinguistique) aboutit à les identifier (référentielle) tout en interdisant les termes qui exprimeraient les différences, donc en limitant le champ du discours et de la parole (phatique). En parlant du « Dieu sacré », le gouverneur dit :

Notre Dieu bien aimé, l’Araignée [11]

Ceci veut dire en fait qu’il ne saurait y avoir d’autre Dieu que le Dieu tutélaire, à savoir l’Araignée. Dieu, c’est l’araignée et l’araignée, c’est Dieu : la passion par excellence. Par conséquent, tous les autres dieux sont des imposteurs, mieux encore : toute autre croyance que celle-ci serait jugée comme hérétique et soupçonnable.

Cette désignation on ne peut plus tendancieuse est quasi « magique » puisqu’elle tend à faire être la chose en la nommant. C’est en quelque sorte le signifiant qui crée son propre référent. En effet, l’Araignée, qui n’est que pure invention, est tenue présente ou plutôt omniprésente dans les esprits des pauvres gens rien que par l’évocation du redoutable nom qui la désigne. Dire « l’Araignée », c’est dire Dieu, c’est croire et c’est faire être, ou du moins, suggérer une certaine existence, c’est aussi faire miroiter l’image d’un avenir meilleur. Un tel performatif est très passionné en ce sens qu’il masque la véritable nature mystificatrice de l’objet du culte, ce qui, en définitive, vise à perpétuer le pouvoir absolu du chef charismatique, à savoir le gouverneur con­fondu avec l’Araignée. L’ amalgame est d’autant plus pernicieux qu’il s’appuie sur « l’autorité » de l’adjectif possessif notre : l’Araignée devient alors le Dieu de tous, mais aussi, le dieu contre tous. Ce qui signifie aussi que le gou­verneur ne répond de rien devant son peuple dans la mesure où il se porte garant contre le terrorisme « sacré » de l’Araignée.

C’est à l’Araignée, par conséquent - en tant qu’ absence présence - de décider du sort de tous. Ainsi, la fonction incitative de cette formule objectivante est très parlante. Par de tels pro­pos insidieux et ritualisants- puisqu’ils visent à créer des réflexes passionnels-, le gouverneur incite, chaque fois, son peuple à la résignation servile et inconditionnelle. Une soumission qui est renforcée en outre par l’image horrible qu’inspire un tel insecte. C’est en cela d’ailleurs que le choix de l’araignée, en tant que symbole d’un pouvoir usurpé est significatif dans la mesure où l’imaginaire collectif en a fait un prédateur redoutable et sournois. La toile invisible qu’il tisse pour piéger ses proies dénote sa persévérance dans la mys­tification et la supercherie. L’idéologie, elle aussi est arachnéenne, puisqu’elle repose essentiellement sur l’ambiguïté et le flottement du référent. L’instrumentalisation de la passion ou plus exactement de la peur de la mort est érigée en légitime défense contre « le terrorisme » des renelles. Ainsi, les méthodes ( appelées ironiquement « les mesures d’exception ») ne sont point dénuées de totalitarisme et d’arbitraire. 

 De même, pour les nombreuses dénominations tendancieuses utilisées par le pouvoir Abasside pour discréditer la révolte des Paysans, au 9ème siècle, tels que « Renégats », « gueux »,  « misérables », « ventres vides », etc.[12]. L’antonomase d’excellence ne désigne pas tel homme ou telle femme, mais plutôt l’incarnation extrême du mal, du désordre, de l’hérésie, bref du vice à combattre et à endiguer. Ainsi, pour les sunnites orthodoxes, les libre- penseurs sont des « Zindiqs"[13], (p. 73) l’équivalent du juif maudit dans le discours du stalinisme. 

Bien d’autres exemples de dénomination passionnée nous montreront que l’ironie corrosive du discours orthodoxe aspire à détruire l’idéologie adverse en la réduisant à une grotesque hérésie, à une folie. Pire, on va jusqu’à lui dénier le droit à l’existence et à la différence. Ainsi, dans le discours officiel du pouvoir abbasside, les mots : "kharijite", Moatazilite[14] sont associés à l’impiété et au reniement parce que ses adeptes ont asservi la révélation divine au temporel et à l’exercice du pouvoir, donc à une lecture quelque peu passionnée voire forcée du texte sacré : le Coran.

 Quant à la dénomination antithétique de Mehdi (le « zindiq » soufi), par le pouvoir, comme le mystique blasphémateur est fortement chargée de passion. C’est lui en effet qui a toujours répété : « seuls importent le souffle et la lumière, l’interrogation et la quête…, tout le reste est imposture. » (La Montagne de l’Araignée, p.74-75)

Nous en arrivons maintenant à quelques exemples de dénigrements utilisés par le pouvoir officiel de Bagdad à l’encontre des rebelles d’El Basra, qui sont qualifiés de "Renégats"[15]. Ce terme (l’équivalent aujourd’hui de terroriste, pour désigner les résistants palestiniens, iraquiens ou autres) est réducteur en ce que le pou­voir refuse d’accorder à ces rebelles, dont l’action relève à ses yeux du sacrilège, le statut de contesta­taires politiques. Notons cependant que cette politique de la minimisation et de la désinformation est systématiquement mise en oeuvre par les médias officiels du Diwan ( cette histoire a lieu au 9 siècle). Mais, tout donne à penser que ce référent, bien qu’atemporel et aspatial, renvoie à l’actualité de l’auteur. Ainsi, chaque fois que ces pays en question sont secoués par des insurrections populaires, ce type de rhétorique passionnée est systématiquement mis en oeuve afin de ternir, déformer, voire stigmatiser l’image de l’autre. Dans le même con­texte, on trouve l’expression "ventres vides"[16] cette antonomase sert à désigner les "Zanjs" réduits ainsi à des ventres faméliques. Aussi, sont-ils obligés de se comporter sauvagement. Ce qui revient à dire que leur prétendue révo­lution égalitariste est à appréhender dans ce sens : un acte insensé, irréfléchi donc répréhensible. Si l’amalgame est fâcheux, c’est parce qu’il cherche à réduire la minorité rebelle des Karmates à des "ventres vides", à leur bestialité fondamentale, donc, en tant que tels ils seront incapables de prétendre à l’auto­détermination, encore moins à la liberté et à l’affranchis­sement. C’est ainsi que le mot mystificateur crée son propre référent passionné, en vue de baillonner l’autre et lui imposer ainsi silence.

 Non moins passionnée est la deuxième stratégie de mystification idéologique, celle de la présupposition.

b- La présupposition[17] : « C’est un élément qui n’est pas affirmé par l’énoncé, mais qu’il faudrait admet­tre pour que l’énoncé ait un sens. »

Le choix du terme « El Mokhtara », nom donné à la nouvelle cité des rebelles, est ce qui relève précisément de la présupposition mystificatrice. L’article défini de notoriété "E1" désigne ici en Arabe, bien sûr, quelque chose ou quelqu’un ayant des qua­lités exceptionnelles à l’image de "l’élu"par essence, celui qui fut désigné par Dieu comme le guide de la communauté musulmane, « el moustapha », c’est-à-dire, le prophète Mohamed. En d’autres termes, cette cité parallèle, mais asymétrique -puisqu’elle ne reproduit pas les mêmes schèmes idéologiques-, existerait par la seule volonté de Dieu. D’ailleurs, en arabe le choix de la forme passive du verbe (choisir) confère à ce mot une certaine notoriété sacrée en ce que le substantif désigne quelque chose qui été élu par une autorité occulte, l’autorité suprême. Cette nouvelle cité rebelle des kharijites[18] serait ainsi l’expression non seulement d’un démocratisme totalement aux antipodes de la conception sunnite du pouvoir, mais aussi l’expression d’une volonté divine. Le jeu sur la référentialité du terme est forcément passionné. El Mokhtara serait donc une cité rebelle choisie en définitive par Dieu et non par les hommes. L’idéologie des karmates a su enfin retourner les même arguments religieux contre ses adversaires qui le taxaient justement d’hérésie.

Toutefois, si démocratique qu’il fût, le kharijisme des rebelles ne fut pas exempt de mystifications telles que les présupposés idéologiques à caractère phatique[19]. Car, le but de cette doctrine politico‑religieuse n’est-il pas la désacralisation du pouvoir Abasside et partant l’accès "à la parole" longtemps confisquée par ce pouvoir ? Une telle attitude est en soi un appel tacite adressé aux partisans de cette nouvelle vision du monde qui se dessinait à l’époque. Une vision d’autant plus sub­versive qu’elle se frotterait au communisme primitif des "Karmates", venus de Bahraien.

Ainsi, il n’est pas nécessaire de rappeler que la fonction phatique est à la base de tout discours passionné et de tout pouvoir politique. Ce pouvoir n’a de sens que s’il impose silence aux autres, autrement dit, s’il est capable de faire l’unanimité autour d’un référent idéologique donné. Or,"El Moktara" est le fruit d’une utopie et en tant que telle elle est source de brouillage référentiel et pose donc problème au pouvoir central puisque ses adeptes ont refusé de se plier à la loi, donc d’abdiquer.

Le deuxième exemple de présupposition idéologique que nous allons examiner est extrait du discours de Rafik, le chef des rebelles karmates. Dans une de ses harangues, devant la foule des fidèles, ce dernier dit :

"Tout pouvoir de quelque masque qu’il s’affuble est réducteur et nocif"[20]

Un tel énoncé, inspiré certainement de Rousseau (« l’usurpation[21] » est l’origine de la propriété) et de l’orthodoxie marxiste, laisse voir, au moins, deux présupposés :

1 - Le pouvoir, au sens répressif du terme, n’existe pas dans la cité rebelle, contrairement au despotisme[22] du Khalifat, qui a toujours défendu l’idéologie de la force. Au nom de Dieu et de la "Maslaha" (l’intérêt suprême de la nation, les mesures d’exception), on faisait régner un pouvoir absolu et despotique. Alors qu’à "El Moktara" , la cité démocratique par excellence, il n’y aurait pas de pou­voir du tout, car toute forme de hiérarchie est annihilée. C’est le pouvoir sans pouvoir, sans autorité verticale puisqu’il coule de source et qu’il puise sa légitimité uniquement dans le refus de « l’utilisation de la vérité et son asservissement aux normes du temps »[23], comme le déclare Mehdi, le chef des mystiques qui , de cette façon rejoint Rafik, le chez de file de la gauche marxiste. C’est du moins ce qui est présupposé ici.

2 - Le pouvoir à "E1 Mokthara" s’il en existe un ‑ puisque Rafik dit "tout pouvoir" (p. 77) - n’est point mas­qué, truqué et usurpé. C’est un pouvoir translucide et sans faux semblants. Ce qui est un non sens. Car pour masquer sa nature idéologique tout pouvoir a besoin de discours fallacieux.

Ainsi, prétendre que le Kharijisme est apte à ré­sorber l’injustice et l’inégalité, voilà qui relève juste­ment de la pure mystification politique. Le souci de Rafik en tant que chef politique n’est‑ il pas d’accaparer le pou­voir de la parole, même s’il semble affirmer tout le contraire :

La politique ne se contentera plus d’être la simple conquête du pouvoir mais l’organisation du débat et de la lutte autour de l’exercice des responsabilités et des gestions (Les Lézardes du temps, p.[24]).

En attendant ces jours meilleurs, ou « les lendemains qui chantent » comme dirait Aragon, les dirigeants officiels du pays en crise ou plutôt en quête de référent idéologique seront dénoncés par les rebelles comme des usurpateurs ; car le khalifat, d’après eux, n’est point à appréhender comme un héritage, mais plutôt comme un exercice démocratique.

 La présupposition n’est pas per­ceptible uniquement dans les propos des personnages, comme nous venons de le voir dans les deux exemples précé­dents, elle l’est également dans les propos du narrateur. Ce dernier, dans une de ses réflexions sur le choix de la meilleure fable à reproduire écrit :

Et quelle procédure plus démocratique que celle qui consiste à retenir le conte qui revenait le plus fréquem­ment dans la bouche des villageois ?[25]

Un tel énoncé recèle une procédure de présupposition passionnée. En effet, de cette phrase, apparemment anodine ; se dégage l’idée que les rapports qu’entretient "l’équipe de tournage"[26] avec son metteur en scène sont démocratiques. Ce qui n’est point évident car, un peu plus loin, l’auteur utilisera le "je" à la place du "nous". I1 dit .

Je souhaiterais réaliser un film à plusieurs voix[27]

Mais l’on veut donner à penser, dans tous les cas, que le conte choisi par l’équipe doit mériter une attention particulière de la part du lecteur puisque ce dernier ne peut pas ne pas apprécier les procédures "démocratiques". Cette stratégie rappelle un procédé démagogique cher aux hommes politiques qui, pour berner leurs au­diteurs, n’hésitent pas à abuser de ce mot aux effets magiques et soporifiques. Or, de la magie à la mystification, il n’y a qu’un pas. Les idéologues de droite comme de gauche, ont toujours habilement usé de ce leurre en vue de parvenir à leur fin ultime : l’accaparement du pouvoir. Ainsi, si le metteur en scène a utilisé ce mot, c’est dans le dessein de conserver son ascendant moral sur l’équipe de tournage.

  il y a donc un présupposé insidieux dans le fait que ce discours se fonde sur l’idée implicite que la procédure démocratique est la meilleure à adopter pour le choix du conte, ce qui est un peu paradoxal évidemment. Depuis quand, en effet, l’art de raconter, de filmer, etc. - est- il une affaire de démocratie, de pluralité des voix ? Ceci n’a, en principe, rien à voir avec cela - à moins, bien entendu, qu’il n’y ait, derrière, de l’idéologie, ce qui est sans doute le cas ici. Une parodie[28], assez humoristique en somme, non seule­ment de l’usage de la démocratie, mais vraisemblablement du concept même de démocratie.

On peut dire que la présupposition dans le discours de la passion de A.M., tout comme l’amalgame, visent toutes deux la création d’un référent plus ou moins dissimulé et dissimulateur. Pour dire, par exemple, que la doctrine kharijite des Zanjs est plus crédible que celle du pouvoir officiel, l’auteur a subtilement recours à la stratégie de la fable, comme celle d’"E1" (Mokthara). Le résultat obtenu est essentiellement pha­tique puisqu’en cherchant à dénoncer une doctrine, celle des Abassides, on bascule inévitablement dans le camp adverse. De même, affirmer que la sélection du premier conte émane d’un esprit dé­mocratique, c’est faire croire au lecteur que cette pro­cédure est la meilleure.

Pour conclure, nous dirons que si l’amalgame et la présupposition sont  passionnés chez Chems Nadir, c’est d’abord parce qu’ils sont ironiques[29] et du fait aussi qu’ils dissimulent leurs prescriptions et leurs proscriptions[30], selon l’ex­pression d’Olivier Reboul. Ainsi,  si on prescrit la liberté, l’égalité et la démocratie dans certaines fables, on semble aussi proscrire une certaine lecture du référent religieux et politique, dans d’autres. Ensuite, parce que ces deux procédés dissimulent sous l’apparence de la rationalité et de l’objectivité  un certain sacré que re­vêtent des notions comme démocratie, liberté, pouvoir du peuple, élection, etc.

Néanmoins, pour Chems Nadir, il ne s’agit pas seulement de défendre l’identité nationale contre la menace de l’amnésie culturelle, mais surtout de prendre conscience de la dimension planétaire de l’homme. Et l’erreur serait de prendre parti pour l’une à l’exclusion de l’autre. Son refus d’adopter une image en préférence à une autre fait que C.D. est contre tout particularisme étriqué et contre les passions meurtrières quelles qu’elles soient. Il n’est jamais hic et nunc, mais sera. Il vit dans l’espoir de voir un jour régner le temps de « la dévastation universelle » et « des finitudes », à entendre : la fin des bêtises idéologiques. Son rêve fait de lui un apatride dépassionné, « l’errant »[31] par excellence dont la vie est un perpétuel voyage poétique.

 

   Bibliographie des ouvrages de référence

Corpus 

 Ouvrages écrits sous le pseudonyme de Shems Nadir :

L’Astrolabe de la mer, Stock Arabique, 1980.

Le silence des sémaphores, Paris, Publisud, 1982.

Le Livre des célébrations, Paris Publisud, Collection Portulans dirigée par Shems Nadir

Les Portiques de la mer, éd. Méridien Klinsiek, 1990.

 

Ouvrages cités

Abdelmalek A., La Pensée politique arabe contemporaine, Seuil 1975.

Hamon Ph., L’Ironie littéraire, Hachette 1996.

Hutchéon L. « Ironie, satire, parodie », in Poétique N° 46, avril 1981.

Jakobson R., Essais de linguistique générale, Seuil 1970.

Jankélévitch V., L’Ironie, Flammarion, 1964.

Jankélévitch et Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé, Folio, essais, 1978. 

Laoust H., Les Schismes dans l’islam, Payot 1965.

Reboul O. Langage et idéologie, PUF, 1980.

Schoentjes P., Poétique de l’ironie, Seuil 2001.


[1] L’Astrolabe de la mer, Stock/Arabesques,1980.

[2] Titre de la seconde fable du recueil, L’Astrolabe de la mer

[3] Titre de la première fable

[4] Nous renvoyons ici à notre définition de l’ironie in L’Ironie chez Gary-Ajar, (thèse de Doctorat, Paris VIII, 2006), p.16 : “ce type d’ironie repose sur une position d’autorité : celle de l’auteur qui, en disant le contraire de ce qu’il pense, croit détenir la vérité.”

[5] Voir la troisième fable, Les lézardes du temps

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Voir Philppe Hamon in L’Ironie littéraire, Hachette, 1996, p.36.

[10] V. Jankélévitch et Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé, Folio, Essais,1978, p.181.

[11] L’Astrolabe de la mer, conte n° 2 p. 43.

[12] L’Astrolabe de la_mer, p. 68

[13] Mot arabe pour désigner tous les hérétiques contestataires du pouvoir central.

[14] Voir Henri Laoust, les Schismes dans l’Islam,Payot, 1965. le Moatazilisme est une doctrine religieuse fondée par Wasil sur la fin des Omeya­des .

[15] Idbid. p. 68

[16] Ibid. p. 65.

[17] Voir Olivier Reboul in Langage et Idéologie,op.,cit., p.60.

[18] les Kharijites : Leur conception égalitaire du pouvoir met l’ac­cent sur la notion "d’El Adl" (la justice absolue )sans distinction d’extraction ou de couleur.

[19] R. Jakobson in Essais de Linguistique Générale, Seuil, 1970. D’après lui, cette fonction du langage est liée à l’accentua­tion du contact.

[20] L’Astrolabe de la mer, p. 77.

[21] J.J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, lettre à d’Alembert sur les spectacles.

[22] Voir à ce propos, Anouar Abdel Malek : La pensée arabe politique contemporaine. Seuil 1975. Dans la définition du califat, il écrit ‑ : Ce terme (califat) est phatique, à notre sens, car il possède du prestige, de la force, et un pouvoir d’attraction... Ce titre a amené toute une catégorie d’arabes et de musulmans à faire allégeance ou principat du calife... Dès lors, se dresser contre le calife, équivalait à leurs yeux, à se dresser contre l’Islam."

[23] L’Astrolabe de la mer, conte n° 3, Les Lézardes du temps, P.74.

[24] L’Astrolabe de la mer, p. 24.

[25] Ibid.

[26] Ibid.

[27] Ibid.

[28] Voir L.Hutchéon, définition et fonction de la parodie : Poétique, N°46, Avril 1981 : « En termes bakhtiniens : l’ironie est comme la parodie : un phénomène dialogique au sens où elle représente cette sorte d’échange entre l’auteur et le lecteur. »

[29] Voir à ce propos Jankélévitch in L’Ironie, Flammarion, 1964 ou Pierre Schoentjes in Poétique de l’Ironie, Seuil 2001. Nous renvoyons ici à la définition de l’ironie traditionnelle qui vise à consacrer un idéal moral ou philosophique. On l’appelle aussi ironie antiphrastique puisqu’elle repose sur le fait de dire le contraire ce que l’on pense. 

[30] O. Reboul. Langage et Idéologie, op. cit., p.87.

[31] Chems Nadir, Le Livre des célébrations, Pubilsud, p.33.

 

 

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