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Choix de poèmes (Patrick Cintas)
Alors l’homme
extrait de Cancionero español.

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 Article publié le 23 janvier 2010.

oOo

Alors l’homme
Patrick Cintas
Chez Amazon.fr

 

Alors l’Homme se met à fuir, à fuir et à parler, à parler

Et à tuer autant qu’il peut le temps qu’il lui reste à vivre.

On le voit dans la lande, noir et nu comme un rayon

 

De soleil. Il marche vers les montagnes qu’il connaît

De toute évidence. On téléphone à la Garde civile

Et on cadenasse les grilles des chambres où les filles

 

Sont cloîtrées. L’Homme s’est longtemps soucié

De ces mortifications. Longtemps il a remué la boue

Devant les fenêtres où elles n’apparaissaient pas si

 

Facilement. Il lui est arrivé de trouver les accords

D’une mélodie et de chanter à mi-voix ce que le désir

Inspirait à son coeur. Les sérénades ont nourri son

 

Esprit de leurs sirops d’ersatz du temps où l’existence

Annonçait l’orgasme et l’hallucination. Une fois

Il crucifia un hymen sur la porte d’un conquérant,

 

Une fois il eut le plaisir au bout des lèvres mais, comme

Plaisantait l’ami, une fois n’est pas coutume et il dut

Se résigner les autres fois, à l’attente et à la masturbation.

 

Homme, il pouvait courir plus vite que l’homme. Animal,

Il mangeait l’animal ou s’en servait à l’occasion. Pipeau

Des cimes, il éborgnait des ciels d’étoiles pour le plaisir.

 

Son chien avait renoncé à courir et même à fuir. Constance

N’aima pas le chien qui dut dormir sur le paillasson.

Constance aimait l’homme mais pas les chiens, or

 

L’Homme se sentait un peu chien, par solidarité mais

Aussi par habitude du chien, par aptitude pour l’aboiement,

Une conation qui s’achevait dans le malheur et la tristesse.

 

Alors l’Homme se mettait à fuir, à fuir et à parler, à parler

Et à tuer autant qu’il pouvait ce temps à déduire et cet autre

À estimer, ne sachant pas plus que le commun des mortels

 

S’il devait compter sur la chance ou s’en remettre au destin.

Et l’Homme croyait, croyait, tuant l’homme dans l’homme

Et la femme dans l’enfant, parlant de tout recommencer si

 

La mouche le piquait. Il traversait des contrées appartenant

Aux mélophages sycophantes qui le rendaient fou à force

De rapports aux autorités. Il allait par des chemins de traverse

 

Au lieu de se montrer dans ces voies circulatoires princières

Que sont la route et la rue, et l’escalier surtout le colimaçon

Des vieilles librairies où la poésie le nourrissait de prosodie.

 

La volatilité des poussières et la dureté diamantifère des sols

Recevaient son offrande, entre le buisson ardent et l’horizon

De la mer, au pied de ces montagnes qu’il adorait comme

 

Le simulacre de la déité si évidente à cette altitude. Il voyait

Les heures. Il voyait l’atome. Il pouvait voir l’évidence

Du fini. Mais n’écrivant que sur sa peau et sur celle de son

 

Chien, la poésie n’existait plus et promettait d’exister.

Alors il se mettait à fuir, à fuir et à parler, à parler et à

Tuer, tuer pour tuer, inlassablement comme si tout cela

 

Ne devait pas avoir d’autre fin que la destruction et l’ou

Bli. Ce n’était pas un combat, sinon il eût accepté la

Nécessité de la défaite, Hemingway. Il ne combattait pas

 

Pour tuer, il ne tuait pas pour être combattu. Il ne tuait

Que le temps, mais pas ce temps qui explique les disparitions

Et la nouveauté, non. Ce temps était celui qui demeure

 

La seule demeure, étroite et sans raison, sans raison, folle

Et rapide comme les particules de vent qui agitaient la nuit.

Parler ne servait pas ses projets. Rêver ne parlait pas à l’esprit.

 

Donner relevait du sacrifice. Prendre c’était voler ou au moins

Substituer. Ces remplacements pouvaient déplaire aux gens.

Il y avait des gens dans les sillons promis à la fertilité.

 

Il s’extasiait dans leurs bouches croissantes, provoquant

La colère et la justice, justifiant le prix à payer, profitant

Des instants de tranquillité pour penser à autre chose qui

 

Ne fût pas poésie ni Droit. Comment la société des hommes

Ne trouve-t-elle pas son équilibre de mortelle dans la justesse

Au lieu de la justice ? Dans la balance à estimer et à truquer,

 

Il y aurait la poésie et le Droit, au lieu du privilège et de

L’économie. On peut rêver à une légitimité des formes.

On peut soupçonner l’authenticité, apprécier la rigueur,

 

Croître avec la propriété. Mais n’oublions pas de parler,

Parler quand nous fuyons, fuyons une fois par jour pour

Échapper à des poursuivants moins capables de choix.

 

Nous étions au fond d’un trou figurant la diminution

De nos droits à l’existence. Lancer de la poésie en l’air

Ne servait à rien, elle retombait comme les balles

 

Du jongleur qui finit par mourir d’ennui à force de savoir

Jongler pour le plaisir. Tenez, dit l’hôte, c’est comme si

Je disais ce que je ne pense pas. Exactement cela et pas autre

 

Chose. Il fallait en convenir. Alors je fuis, je fuis et je parle,

Je parle et je ne tue pas le temps ni les hommes. On ne me

Crucifiera pas dans la cour d’une prison. Je ne suis qu’un

 

Voleur, un pirate, un escamoteur, un maître chanteur. Je fuis

Et les montagnes sont le miroir de ma déconvenue. Je parle

Et la nuit est toute la profondeur qui m’est donnée maintenant

 

Que plus rien n’existe que la rumeur et le bruit que font les

Lèvres en prononçant les sentences avant-coureurs d’un cri

Poussé par les filles au balcon. Ma queue est un hommage

 

Au sang qui la dresse par remplissage. Arrrrggglllllbbllll

lllarrrgggrrrrllllllaaaaaooooooooorrrrgggggmmmmmmmm

mmmmmmmmmmm ! Ces croix que vous soumettez

 

À mon jugement ! Ces rites qui vous honorent ! Ces beautés

De la langue et du cul ! Ces passions mises à nu par erreur !

Je ne courrais pas si je croissais, mais je cours et je plonge

 

Dans l’infini croissance du Bien, magot des travailleurs

Pour le plaisir d’y gagner les moments de loisir et d’offense

À la beauté humaine. Jet d’existences infortunées d’avance !

 

Je ne fuis pas si je ne parle pas, je ne tue pas si je m’arrête,

Vous avez raison au fond. Un peu de cohérence c’est un

Peu de ressemblance. Il faut que je me taise et que l’immobilité

 

Ne me rende pas fou. Il faut que ces convenances du non-dit

Me soient agréables finalement. Il faudrait tellement de biens

À ma pauvreté, tellement d’existences à ma solitude ! C’est

 

Impossible, inconcevable, illusoire. Je ne fuis pas pour fuir,

Je ne parle pas pour parler, je ne tue pas pour donner, je fuis

Parce que j’ai une bonne raison et je parle parce que c’est

 

Le désir et pas autre chose. Quant au meurtre, n’exagérons

Rien. Je tue petit, en miniature, sans importance. Je tue presque

Pour tuer, mais si joyeusement, dans l’infinitésimal et le vrai,

 

Pas plus. Alors cette crucifixion et ces prisons qui voyagent,

Ces procès où l’Homme est caractérisé au lieu d’être jugé,

Cette voix qui coule sur vos barbes et sur vos seins, je les tue

 

Avec les moyens de la poésie, avec mes jambes à mon cou,

Avec cette volubilité qui me sauve de l’attente en croix

Sur vos chaises des seuils. D’accord, je tue, mais sans tuer,

 

Reconnaissez que je ne tue que le temps qu’il me reste à vivre

Et que votre espérance ne me concerne pas. Je suis désespéré,

Pas coupable. Vous ne comprenez pas que c’est le désespoir

 

Et que la culpabilité est celle des points de fuite sur l’horizon

De votre cruauté d’insectes belliqueux ? Vous n’apprendrez rien

En me suivant plus vite que moi ! Vous ne donnerez rien

 

À vos enfants que cette croix relative du Bien et du mal,

Du Bien acquis et du mal donné, cela va de soi. Alors

Je fuis, je crois fuir et j’espère que je fuis encore.

 

Je vais vite, je vais bien, je vais mon petit bonhomme

De chemin. Je vais sans vous, devant vous, par désir,

Mais aussi par habitude car je ne suis pas chien, je ne suis

 

Pas ce chien que vous poursuivez dans la nuit des couteaux.

Vite, vite ! Je ne voudrais pas vous égarer. La nuit donne

Son opinion et c’est normal. Elle dit que je ne suis pas fou.

 

Comment dirait-elle que je le suis ? Non, pas pourquoi !

Comment ? Comment trouver ces mots définitifs ? Comment

Me sauver du garrot ou de la croix ? — Je ne sais pas,

 

Je ne sais pas comment ni même pourquoi. Vite, c’est

Relatif. Lentement, c’est risqué. Immobile, je ne veux pas.

Alors l’Homme que je suis fuit, fuit et parle, parle et tue

 

Tout ce qui se passe à portée de sa main qui écrit, écrit

Et recommence si la nuit est propice à d’autres jours

D’angoisse et, aussi, de cette petite haine que je cultive

 

À votre endroit, je le reconnais. D’ailleurs c’est tout ce

Que je reconnais. Vous pouvez torturer la chair de mon

Envers, jusqu’au sang et jusqu’au cul, je ne dirais rien

 

D’autre que cela : je vous hais, au fond. Je dis : au fond

Parce que je ne crois pas vraiment vous haïr. Je me crois

Capable-coupable d’amour. Mais les mots sont ceux

 

Que j’utiliserais si la parole m’était donnée. Je l’arrache,

Donc je hais. Enfin, ce sont les mots de la haine mais

Le coeur n’y est pas, vous pensez ! Ce coeur de crucifié

 

Qui fuit pour parler, parler et, à l’occasion, tuer, tuer

Ce qui est et ce qui n’est pas ou n’est plus, plus temps

Ou plus utile, plus la peine de se fatiguer à poursuivre

 

Dans cette nuit qui m’angoisse et me fonde, cette nuit

Blanchie à la chaux comme vos murs, nuit défenestrée

Au bon moment, soleil ! je ne veux plus qu’il fasse nuit,

 

Mais si ma demande est trop demander, je voudrais fuir,

Fuir et parler, parler et tuer tant que c’est possible, et si

Ce n’est pas possible, est-ce qu’au moins c’est joli ?

 

 

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