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Voyage au centre d'un égocentrique
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 Article publié le 14 décembre 2009.

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Un égocentrique est d’abord un égocentrique ! Qu’on me pardonne cette tautologie, mais elle est plus forte que moi, j’entends bien, pour cette raison, lui tenir tête et la réduire : un égocentrique, qu’il soit effacé - si, si, ça existe ! - ou qu’il soit le plus cabotins de hommes, un égocentrique, je le répète, c’est d’abord un égocentrique.

Pas une machine à broyer du noir, pas une personne foncièrement ou cycliquement déprimée.

Fondamentalement, l’égocentrique néglige le visage d’autrui et ce que ce visage vise, c’est ainsi que, paradoxalement, il se néglige lui-même, il manque la reconnaissance qu’autrui pourrait naturellement lui accorder, en lui donnant à entendre que sa place au soleil est partagée et non usurpée, qu’il y a de la place pour eux deux dans le grand lit de la vie et que le tiers qui s’approche de la fontaine est le bienvenu pour peu qu’il vienne en paix…

Qu’on ne s’y trompe pas : l’espace vital de l’égocentrique est sacré, mais il a besoin d’autrui pour que son territoire lui appartienne pleinement. Naturellement, il envahit l’espace. Il marque son territoire en laissant traîner ses affaires, en faisant ce que bon lui semble au moment où ça lui convient sans se soucier des autres qui cohabitent avec lui, en faisant du bruit, en écoutant de la musique, en faisant brailler la télévision…

Quand les bonnes manière s’en mêlent, quand l’idéologie est assez élaborée, c’est-à-dire assez puissante pour articuler un discours rationnel auto-justificateur, c’est là que l’égocentrique donne toute la mesure paradoxale de son être : il peut vous expliquer avec le sourire que vous êtes très important pour lui, que vous êtes même tout pour lui, que vous êtes sa vie, qu’il ne peut pas se passer de vous, et le plus drôle c’est qu’il est lucide et sincère en disant cela. Il ne tait qu’une chose : vous ne l’intéressez pas en tant que personne, vous n’êtes que son reflet, une sorte d’appendice mobile relié à lui par le fil invisible d’une communication biaisée instaurée par lui, c’est-à-dire à sens unique, le sien bien sûr…

Il faut faire comme lui il aime que l’on fasse. La liberté d’autrui, il ne la connaît pas, il ne veut pas la connaître. La connaître intimement, ce serait se mettre à la merci de l’inconnu, de l’imprévisible, de l’inédit. Ce serait terrifiant. C’est terrifiant, la mobilité, pour un monolithe. Pour un égocentrique, ce serait effrayant d’inventer à deux les règles du jeu : il perdrait le contrôle.

Il ne recherche le consensus que pour avoir la paix dans le domaine des choses pratiques. Dans l’intimité, c’est un tyran souriant ou grincheux, selon l’humeur, qui dicte aux autres ce qu’ils peuvent se permettre avec lui.

L’étiologie de l’égocentrisme est peut-être à chercher du côté d’une forme de négligence parentale : l’enfant n’a pas été choyé, ne s’est pas senti désiré, à tort ou à raison…

L’égocentrique est guetté par la mégalomanie ou bien il est travaillé par un complexe d’infériorité déguisé en manières hautaines ou paré de toutes les lourdeurs de la fausse modestie.

Ecoutez un égocentrique dire du mal de lui-même et vous verrez dans ces yeux cette petite lueur d’espoir qui dit : « Pourvu qu’il, qu’elle me contredise ! » Si vous abondez dans son sens, vous le blessez. Vous le verrez alors s’éloigner, drapé dans sa dignité, la lippe amère et le front austère, et il y a fort à parier qu’il vous fera cher payer votre dédain quand l’occasion s’en présentera.

En somme, un égocentrique prêche la faux pour savoir le vrai. Encore faut-il nuancer : il ne sait pas où se logent le vrai et le faux quant à lui-même. Il n’est pas sûr de lui. Il sent qu’il a besoin de l’opinion flatteuse d’autrui pour sortir de cette incertitude, mais il est trop fier pour se l’avouer : seul son attitude trahit son besoin, jamais ses paroles. Quand il parle, il dit toujours deux choses en même temps. Il profère un message manifeste et une message latent. 

Sa position est des plus inconfortables. Il aimerait qu’on dise du bien de lui, alors il dit du mal de lui-même dans l’espoir qu’on le contredira.

Quand c’est la mégalomanie qui prévaut chez lui, c’est-à-dire quand en lui s’affirme le désir d’emprise sur les autres, emprise qui lui permet de faire fi de ses faiblesses qu’il ressent intimement, alors nous avons affaire à un coq de basse-cour de la pire espèce, à un m’as-tu-vu vantard, voire exhibitionniste.

Qu’il soit de l’espèce mégalomane ou de l’espèce mal-aimé, deux principes gouvernent son existence :

Premier principe : « Je vais bien, donc tout le monde va bien. »

Incapable de se mettre à la place des autres, il se satisfait de son bonheur. Une seule chose peut venir le gâcher : le malheur, la maladie, les petites et les grandes misères d’autrui. Pour un égocentrique, une personne malade est une gêne. Cette dernière est priée de ne pas geindre, de ne pas se plaindre, de guérir au plus vite, bref, de ne pas parler d’elle-même.

Deuxième principe, des plus comiques sur le plan logique : « Je vais mal, donc les autres doivent aller mal aussi, mais gare à eux s’ils se plaignent ! ».

Un égocentrique malade est un spectacle à lui tout seul. Il se plaint et il voudrait qu’on le plaigne. Quand les autres vont mal, il leur en veut de ne pas se plaindre - « Comment font-ils pour ne pas se plaindre, quelle chance ils ont ! » - alors que lui en éprouve le besoin, mais aussitôt il contredit son mouvement d’humeur initial qui revient en boucle pour donner ce comportement sournoisement agressif que l’on constate quand il va mal : les autres n’ont pas le droit de se plaindre, d’ailleurs s’ils ne se plaignent pas, c’est qu’ils ne vont pas si mal que ça, alors que lui a toutes les raisons de se plaindre, pauvre de lui !

L’égocentrique pense que les autres, dans leurs malheurs, ont toujours plus de chance que lui. Ils ont la chance, même quand ils souffrent, de savoir supporter leur souffrance sans se plaindre. Ils travaillent dans des conditions difficiles ? Qu’à cela ne tienne : ils y trouvent ample satisfaction malgré leurs avanies ! L’égocentrique pense que les gens, qui travaillent dans des conditions difficiles sans se plaindre, ne se plaignent pas parce qu’elles y trouvent leur compte, et par conséquent méritent leur sort. De là à les dire masochistes, résignés à leur sort et y puisant une obscure satisfaction, il n’y a qu’un pas vite franchi par ce laborieux de la pensée qu’est l’égocentrique averti. Celui-ci se croit en effet appelé à juger de tout et de tous, installé qu’il est par ses propres soins au centre d’un univers instamment prié de lui ressembler. Paradoxe ! Un monde peuplé d’égocentriques est un cauchemar pour l’égocentrique ! Il veut être unique et pour cause ! L’égocentrique est ainsi un solitaire qui sait s’entourer…

Il manque à ce fâcheux d’avoir rencontré son Copernic…

 

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