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León FERRARI - L'Église catholique et la peur de la Beauté
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 Article publié le 9 avril 2005.

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Voir l’exposition des tableaux de León FERRARI

Cet éditorial est présenté, non seulement avec la galerie des tableaux que León FERRARI a exposés en janvier dernier à Buenos Aires, mais aussi en parallèle avec une entrevue de Cristina Castello et de Monseigneur Antonio José Plaza, archevêque de la Plata, en 1984. Un chef-d’oeuvre du dialogue arraché à une réalité atroce.

Lire l’entrevue avec Monseigneur Antonio José Plaza

Les raisons profondes du scandale provoqué par la hiérarchie ecclésiastique à l’occasion de la rétrospective de l’artiste plastique Léon Ferrari à Buenos Aires, trouvent leur origine dans la complicité de l’Église et de l’État lors du génocide vécu en Argentine pendant la période 1976-1983.

Les preuves sont entre les mains de la Justice et connues de tous depuis le « Jugement des Juntes militaires » de cette dictature, connu comme le « Jugement du siècle ». Cette dictature, parfaite dans la conception et l’exécution des crimes contre l’humanité, est le fil conducteur de l’œuvre de Ferrari ; mais pour communiquer cette censure à la vie, à l’art et à la mémoire, la plupart des médias du monde ont préféré l’expression -quelques mots de plus, quelques mots de moins- « ... en Argentine, le scandale du Christ à l’avion  ». Ces mots faisaient allusion à l’une des œuvres, de l’ensemble des 400 exposées, dans laquelle les souvenirs du Vietnam vivront toujours dans les viscères de l’horreur. Dans la mémoire incontournable. [1]

L’exposition a été inaugurée le 30 novembre de 2004 dans le « Centre Culturel Recoleta » qui dépend du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, et immédiatement le cardinal primat de l’Argentine, Jorge Bergoglio, l’a considérée un «  blasphème ».

Le langage crée des mondes et Bergoglio le sait bien. Quels mondes a créé le langage de «  l’homme d’église » ? Il a créé le vandalisme des personnes qui se disaient catholiques -des néonazis, en fait- qui ont acclamé Hitler, en exhibant des svastikas et en détruisant une partie de l’exposition.

D’ailleurs [...ou peut-être en raison du message de la rétrospective], les entreprises mécènes de l’exposition, parmi lesquelles Movicom BellSouth et Sanyo -la première d’origine américaine et l’autre d’origine japonaise- ont retiré leur appui ; elles l’ont fait, curieusement, toutes les deux en même temps ; la prétendue Justice, de la main du juge Elena Liberatori -étrange nom de famille en la circonstance- , a fait fermer d’autorité la rétrospective.

Le juge, l’Église et les bandes des nostalgiques adorateurs de Hitler, ont voulu, une fois de plus, décréter la mort de l’art et revendiquer leurs crimes dans le pays de Julio Cortázar, Jorge Luis Borges, Bioy Casares, Osvaldo Soriano, Quino, Martha Argerich [!], Astor Piazzola, Roberto Juarroz, Antonio Seguí, Susana Rinaldi, et de tant d’autres artistes et scientifiques qui se sont évertués et s’évertuent encore à éclairer le monde.

Les monstres -peut-être des personnes ?- n’ont pas pu y réussir. Nous, les artistes qui avons toujours défendu la vie, l’art et la liberté -un seul concept, en fait-, en manifestations publiques, nous avons embrassé symboliquement le lieu de l’EXPO ; les « Mères de la Plaza de Mayo », le groupe « H.I.J.O.S » (les enfants des gens portés disparus), des personnes anonymes toujours innocentes et le Gouvernement de la Ville, tous y étaient avec nous. Et on a gagné la partie : la sentence du juge a été révoquée et la rétrospective a été visitée par 40.000 personnes jusqu’au 10 janvier ; elle est demeurée ouverte au public jusqu’au 27 février.

Quelles images celles de Ferrari ! Un cri pour garder en mémoire l’horreur vécue en Argentine durant le génocide de 1976-1983 ; bilan : 30.000 personnes portées disparues. Un génocide commis par des militaires dictateurs dont le visage occulte et organisé par les Etats-Unis était ce qu’on appelait à l’époque la « Doctrine de Sécurité Nationale » pour chaque pays de l’Amérique Noire ; pour l’Amérique Latine tout entière, on parlait de la « Doctrine de Sécurité Continentale ».

Le scandale n’a pas eu lieu seulement à cause du « Christ à l’avion ». « ...En cas de guerre, les arguments et les limites éthiques entrent dans un coin d’ombre et d’obscurité... », avait dit Monseigneur Antonio Quarracino en 1979. Sur les verres des lunettes du « ministre de Dieu » on voit reflété, précisément dans une œuvre de Ferrari, le visage de Jorge Rafael Videla.

Le lieutenant Général Jorge Rafael Videla , « en tant que Commandant en Chef de l’Armée, a fait partie de la Junte Militaire [triumvirat constitué par les commandants en chef des armées] entre 1976 et 1982. Imputé de privation de la liberté et homicide en trois occasions, de privation illégale de la liberté réitérée en seize occasions, de privation illégale de la liberté et tortures réitérées suivies d`homicides en neuf occasions et tout cela avec participation effective ».

Mais Videla n’a pas été le pire. Tous l’ont été et surtout l’indifférence de la majorité de la société argentine, toujours lente lorsqu’il s’agit de réagir en faveur de la vie. La documentation concernant cette galerie de l’effroi abonde.

C’est ainsi que les images de Ferrari sont une espèce de conscience critique du pays le plus « blond » et le plus « européen » de l’Amérique Noire.

Les images de Ferrari [2] sont un hymne dont le chœur est constitué par les hurlements des mères, pères, enfants, époux et amants des gens portés disparus. Des sépultures sans nom. L’horreur, ce sont les assassins et non pas les œuvres de l’artiste qui cherche la vie au-delà de la mort.

Il est vrai que la beauté, comme synthèse renfermant l’éthique et l’esthétique, représente la lumière pour les innocents. Il est aussi vrai que la beauté, comme synonyme de liberté et de révélation, fait peur aux exilés des aurores ; donc elle fait peur à la hiérarchie ecclésiastique, celle qui nous menace avec des enfers et des démons en même temps qu’elle met en œuvre ses propres enfers et démons. Ainsi s’est-il passé avec Monseigneur Antonio José Plaza, le personnage que je vous présente dans l’entrevue publié ici dans la RAL,M [3], aussi ancienne qu’actuelle car elle témoigne que l’Église Catholique Argentine n’a malheureusement pas changé.

Cristina CASTELLO

[1Moins célèbre, moins sujet à polémique et surtout à condamnation, en France nous avons le Christ cycliste de Jarry : Voir l’article dans ce numéro.

[2Site : León Ferrari

[3Lire l’entrevue avec Monseigneur Antonio José Plaza

 

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