L’étranger est assis sur le banc du jardin public.

Un panneau rond et bleu partagé en deux et présentant deux silhouettes, une de femme et une d’enfant, insiste, à chaque bout de l’allée, sur la destination de l’endroit.

Un jardin public réservé aux femmes et aux jeunes enfants… ?

L’étranger a un doute. Il ne sait pas, ne comprend pas la signification exacte de ce panneau…

Réservé aux mamans et à leurs enfants, réservé aux nounous et aux enfants… Interdit aux étrangers ?

Des panneaux d’interdiction, de triste mémoire, il y en a eu beaucoup dans l’histoire. Réservé aux Blancs. Interdit aux chiens. Interdit aux noirs. Interdit aux Juifs et aux chiens….

Le square est très petit. Une allée, deux bancs flanqués chacun d’une poubelle en tôle ajourée, remplie d’emballages de paquets à gâteaux. Quelques arbres le ceinturent et le font généreusement bénéficier de leur ombre.

Il est situé au bout d’une rue bordée de pavillons tous identiques.

Derrière le banc, passe, en haut de son remblai, la voie rapide qui mène à Francfort. La gare ferroviaire n’est pas très loin et la voie ferrée frôle et ébranle le jardinet…. A chaque bout, des pavillons…

Dans le jardin d’une maison située en face du banc, un peu sur la gauche, deux femmes regardent l’homme assis de façon très décontractée. Intriguées, inquiètes. L’étranger n’entend pas leurs commentaires. De toute façon, il ne comprendrait pas.

Il décide de s’en foutre.

Il se lève et se dirige vers la gare. Il veut profiter des lueurs du couchant pour faire des photos.

C’est un artiste, mais les femmes, tout à l’heure l’ont pris pour un clodo. La rumeur doit se répandre de pavillon en pavillon. Il y a un clodo dans le jardin réservé aux mamans et à leurs enfants. On ne peut pas tolérer ça dans ce pays propre sur lui !

C’est peut-être un violeur et un pédophile ! D’ailleurs, la police va arriver dans un instant…

La gare est curieuse. Les parois des passages souterrains sont entièrement garnies de tags et de graffitis aux couleurs violentes, mais harmonieuses. Bizarres les tags ! Organisés, composés, faussement spontanés, hypocritement réalisés par des artistes professionnels. Pas question de laisser les jeunes s’exprimer librement !

L’étranger, pour rejoindre son hôtel, doit traverser à nouveau le jardin public…

Les lampadaires des rues avoisinantes brillent, maintenant de tous leurs feux.

Les pavillons sont muets. Les volets presque tous clos…

Un rideau se lève furtivement. L’étranger regarde…

Une jeune femme est derrière le voilage à demi levé, elle regarde passer l’étranger…

L’étranger fait un léger signe, le rideau se baisse lentement, le plus lentement possible, comme hésitant… Mais la femme reste derrière, avec ses peurs et ses regrets. L’étranger perçoit sa silhouette. Elle est jeune et jolie et s’ennuie beaucoup tout au long de ses journées…

A quelques pas de là, rode une patrouille de police. L’étranger s’en fiche, il a ses papiers !

 Guy SAVEL