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Écrivez pour empêcher les autres d'écrire
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 Article publié le 25 mai 2005.

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J’ai été choqué par cette formule « graphée » à la manière de Ben quand je l’ai découverte pour la première fois en en-tête de notre Ral,m, sautant aux yeux comme un gros mot. Je dois avouer qu’elle me gêne encore bien que Patrick Cintas m’ait expliqué que c’était une contrefaçon (malgré la souscription ou à cause d’elle : « Ceci n’est pas un faux ») et une sorte d’antiphrase graphique dénonçant à la fois le prétendu art conceptuel de Ben et un certain impérialisme idéologique visant à faire taire autrui. Je ne savais pas encore d’ailleurs ce que pouvait exactement être ce terrorisme intellectuel. Depuis, entraîné malgré moi dans des turbulences liées au débat autour du référendum constitutionnel, j’en ai fait l’expérience et je suis en mesure de définir quelques-unes des règles de cet art d’empêcher les autres d’écrire et de les interdire de pensée, par sa seule façon d’écrire.

Il faut d’abord s’interdire à soi-même de lire ce que les autres ont écrit comme un texte argumenté, structuré et cohérent, avançant des idées susceptibles d’être cernées, redéfinies, approuvées mais également contrées ou nuancées par d’autres idées, d’autres arguments. Non, il faut considérer a priori que tout débat est d’abord un combat et qu’il convient de définir l’adversaire, l’ennemi, par son exacte position sur le champ de bataille : il est de tel camp et donc décidé à faire triompher ses vues. Sa stratégie ne peut être que d’annihiler l’adversaire par tous les moyens, donc il ne s’agit pas d’idées, d’arguments ouverts destinés à être discutés mais d’armes destinées à terroriser et à détruire et qu’il faut détruire en retour.

Ainsi toute formulation argumentative est prise délibérément pour une injure, une attaque ou un déni de réalité : vous avancez les idées de paix, de prospérité, de démocratie pour caractériser un certain état de l’Europe actuelle et cela vous apparaît un argument positif en faveur de celle-ci et de l’avenir qu’ouvre le projet de traité constitutionnel ; vous donnez quelques exemples. Malheureux ! qu’avez-vous osé écrire là ! D’abord vous êtes aveugle ou vous voulez cacher la réalité ou vous insultez vos contradicteurs en suggérant bien évidemment qu’ils sont contre la paix, la prospérité et la démocratie ! Donc vous êtes un menteur, un manipulateur et un insulteur !

Devant une telle violence, verbale certes mais s’en prenant sans nuance à la bonne foi de celui qui n’a fait qu’argumenter, mettant en cause son intégrité intellectuelle et même morale (en l’accusant de mensonge, d’hypocrisie, de volonté de manipulation et de désinformation), vous refusez d’être traité en ennemi et déniez vous être vous-même posé comme tel. Vous protestez contre l’injure ad hominem et répliquez en essayant de recentrer le débat c’est-à-dire de ramener le pugilat à l’échange d’idées. Mais alors votre demande de mise au point, de distinguo, votre protestation appelant correction au moins en ce qui concerne les rapports entre les personnes sont balayées avec mépris et interprétées aussitôt comme des demandes de censure. Vous avez entièrement perdu votre peine car vous voilà désormais classés parmi les maîtres-censeurs, défenseurs d’une pensée unique et totalitaire, digne des plus beaux jours staliniens ! Puisque vous continuez à parler, c’est pour faire taire !

Eh bien ! l’on vous fera taire à votre tour en refusant désormais de discuter avec vous et même de vous fréquenter de quelque manière. L’on vous saluera encore une fois, une dernière fois, mais de loin, avec un plein mépris pour votre abjection, « par humanité ». Et voilà comment le débat est fini avant d’avoir commencé car vous n’avez jamais vu, ou plutôt jamais lu, les arguments de ceux qui vous ont ainsi sauté dessus et, pour cause, ils ne s’en sont pris qu’à votre attaque supposée, qu’à votre mauvaise foi, qu’à votre perversion jamais à vos idées et arguments en leur répliquant en raison.

Il s’agit bien, dans le cas évoqué, d’« écrire pour empêcher les autres d’écrire », de multiplier les invectives et imprécations, griffonnées avec rage, pour empêcher les arguments, les idées, les points de vue explicites et raisonnés de s’échanger. C’est une façon de faire, efficace et même radicale. Un tel discours qui renonce tout de suite à la raison comme à la réalité pour diaboliser l’adversaire, le caricaturer et le condamner comme odieux ou grotesque, pour l’épurer bientôt, nous fait nous souvenir, avec gêne et inquiétude, des pires errances des propos militants et des flambées gauchistes ou fascistes. Il est vraiment dommage que, dans le débat qui aura eu lieu autour du référendum pour le traité constitutionnel, certains, de part et d’autres, se soient immédiatement lancés sur cette voie qui laisse assez mal augurer de leur avenir post-référendaire.

Serge MEITINGER
24 mai 2005

 

 

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