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Petite maman
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 Article publié le 25 février 2013.

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J'aime les sucettes. J'ai toujours aimé les sucettes.

Lorsque je suis sage, Maman me récompense d'une énorme friandise multicolore plantée sur son bâton de bois et je suis aux anges.

Tout au contraire, quand je viens à lui déplaire, elle en vide des sachets complets dans le caniveau en ricanant...

  • Voilà mon chou, voilà ce que tu as gagné à vouloir me contrarier !

Dans ces moments-là je la hais, je voudrais qu'elle n'ait jamais été ma mère et que des méchants lui arrachent la langue et les yeux, qu'on lui roule dessus, qu'on la jette à la poubelle en petits morceaux.

Elle a Bijou, son caniche blanc qu'elle adore par dessus tout. Elle dit que c'est mon petit frère et que je dois l'aimer et le protéger.

Je n'aime pas les caniches, même en sandwiche, au ketchup ou à la mayonnaise, en tranche ou en saucisses.

Quand nous entrons dans la caravane, il faut toujours que je m'essuie les pieds. Lui, il peut rentrer crotté, ce sera toujours un ange !

Je déteste cette boule de poils qui aboie sans cesse et joue au méchant tout en ayant peur de son ombre.

Il vient sans cesse se frotter contre mes jambes et pousse le bouchon quand il me pisse dessus. Maman lui trouve toutes les excuses et c'est tout juste si elle ne me rend pas responsable de ses fuites et de ses crottes qui jonchent le tapis d'entrée.

C'est toujours à moi de les ramasser.

 Je m'imagine entrain de vider le ramasse-poussière dans la gueule grande ouverte de Bijou ou mieux encore dans la culotte de Maman lorsqu'elle dort en tas sur le divan.

Bien fait pour elle.

C'est pas ma mère. C'est pas mon petit frère. Et la caravane pue.

Maman n'a pas d'homme.

Il en passe beaucoup le soir venu ou lorsqu'elle m'oblige à aller jouer sous la pluie.

Bijou lui reste au chaud. Il a droit au spectacle. Aux petits cris et aux couinements.

Il lui arrive de chiper un sous-vêtement et de se sauver tel un rat dessous la caravane avec son trésor sentant la peau chaude et moite.

Moi, je suis accroupis sous la lune et regarde les nuages défiler en rangs serrés et je me tais.

J'ai une boule au cœur et un nœud dans la gorge. Je rêve de sucettes géantes, de plages et de vagues blanches, de cocotiers fleuris perçant le ciel bleu de leurs feuilles d'émeraude. Des poissons étincelants sautent au-dessus de l'écume pour venir mourir jusqu'à mes pieds nus, couverts de sable et de vent.

Je suis sur une île déserte et le monde m'attend.

Un monde différent.

Un monde où tout est beau.

Ce matin, je dois me débrouiller seul. Maman ronfle et digère encore sa nuit de frottis-frotta. Ça sent le vieux monsieur. Je n'aime pas cette odeur tiède et visqueuse.

Je trempe vite fait ma tartine dans mon bol de chocolat chaud tout en relisant ma leçon d'histoire. Jeanne d'Arc entendait des voix, moi je n'entends que le grincement du sommier sous les coups de butoir de nos visiteurs et ça me met mal à l'aise, vraiment.

Bijou déchire les derniers lambeaux de sa nuit entre ses pattes toutes excitées. Rapides comme les roues d'une locomotive. Collantes et courtes. Pas belles à regarder.

Le cartable sur le dos, je quitte ce bout du monde, ce coin perdu au cœur de l'absurde, me libérant pour un moment de l'univers grotesque où je vis.

Lorsque je reviendrai, je me sentirai un peu plus libre. Chaque jour la distance se fait un peu plus grande et je me sens de plus en plus étranger au petit théâtre de notre caravane.

Mais Maman sait me tenir. Lorsqu'elle sent le vent tourner, elle affiche son sourire du dimanche, sa main caresse la peau de mon visage et elle me tend radieuse un énorme sachet de sucettes.

Petite Maman qui m'adore !

Je la tuerai. Je la tuerai un jour.

Ou alors, je partirai. Sans regarder en arrière. En prenant soin de mettre le feu à la caravane. Bijou sera planté sur la porte comme une vielle serpillière, les pattes écartées et la langue pendante, les tripes à l'air. Et elle mourra de sa propre mort, étouffée dans sa bile, noyée dans le sperme et l'alcool.

Petite Maman que j'adore !

 

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