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Goruriennes (Patrick Cintas)
Ce que c’était, les clopinettes...

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 Article publié le 4 mars 2013.

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La nuit, j’étais seul et j’avais froid. J’actionnais les petits leviers de mon apparence.

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Le Monde s’articulait dans mes cassures parce que je l’envisageais avec trop d’actes improbables et pas assez de connaissance pratique. L’homme ne mourait pas, il perpétuait son expérience sans témoins.

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Moi, je comptais sur les progrès de la science. Lui, il comptait sur les promesses du commerce. On n’était pas si différents que ça.

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Ma confiance dans les progrès de la science ne m’autorisait pas à avoir de l’espoir. Je vivais d’allocations, pas de chance.

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J’ai pas vraiment trahi. Je parlais en dormant.

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J’ai obtenu un crédit de commisération pour faire construire cet observatoire de l’Autre. C’était pas donné, mais faut que jeunesse se passe, surtout quand elle est condamnée à la douleur et à ses affres. J’avais peu voyagé. Pas grand-chose à raconter aux murs. J’évitaisles sujets qui m’fâchent.

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Je me voyais plutôt finir dans un musée avec les autres exemples de la malchance et du malheur, de la douleur aussi, de cette douleur infernale dont je n’oublierais jamais le corps destiné à lui donner raison au lieu de me rendre fou, ce qui m’aurait sauvé de la dérision comme moteur de mes pensées intimes. Je pourrais jamais rendre heureux quelqu’un.

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Au fond, c’est ce qui nous enfonce le mieux, ce degré de sociabilité qui vaut plus cher sur la place que le niveau d’instruction lui-même très au-dessus du niveau d’éducation qui ne vaut rien dans la balance. Mais j’avais pas acquis beaucoup d’instruction et l’éducation était pour moi un mauvais souvenir. J’avais fait l’effort de me « sociabiliser » sans trop emmerder mon prochain. J’avais des rêves au lieu d’en avoir un comme le recommandait le bon sens chinois et le Monde m’apparaissait comme la lente destruction de ce qui aurait pu avoir lieu si les uns ne s’en prenaient pas aux autres pour les contraindre à gagner du pognon et de l’estime. J’aieu mon erreur de jeunesse.

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Et la science progressait si lentement que l’espoir, ce palliatif de l’attente, était inconcevable.

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On en était pas à adapter les programmes en fonction de l’idiosyncrasie du malade qui accepte de les visionner pour ne pas passer pour un con. Y avait rien de tout ça dans notre société avancée. Pas de zones technologiques laissées pour compte à des minables réputés connectés au Monde et à ses flux corporatistes. Pas de zones organisées autour du Pouvoir avec la Surveillance comme vecteur des relations sociales. Et pas question de bonheur en dehors de la pratique exacerbée de la pudeur continuellement outragée par la pornographie et ses corollaires programmés par la publicité et de soi-disant oeuvres de l’esprit dont la paternité revient à des auteurs « patentés ». On en était toujours à pallier la douleur des corps touchés par les effets collatéraux dont la liste, paradoxalement, s’allongeait sans donner à prévoir la dernière douleur imaginable. On devenait de plus en plus vieux et de moins en moins civilisés, donnant beaucoup aux recherches expérimentales et rien ou pas grand-chose à la colère. Y avait que l’vieux Frank pour risquer de paraître complètement inutile. Il se sentait seul face au pari de vivre encore quitte à revivre sans cesse les mêmes péripéties. On meurt en plein rêve.

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La drogue, les amis, c’est comme les préceptes religieux : c’est bon un temps, ensuite ça devient problématique sur tous les plans de l’activité onirico-orgasmique : notamment, c’est pas possible sans toujours plus de fric, ce qui t’intègre malgré toi : tu deviens citoyen ou tu le redeviens si t’as commencé sur le tard : tu finis par te mettre à voler honnêtement, comme un employé du Monde qui ne demande que ça : que tu travailles et que tu dépenses sans compter : ya des banques pour ça : les banquises.

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Je savais de quoi je parlais quand j’en parlais à un ami qui m’abandonnait sous prétexte qu’il avait trouvé le moyen de me sauver.

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J’étais bien, là-haut. Je savais combien ça me coûtait. Mais qu’est-ce que je pouvais me payer pour faire comme les autres ? Rien. Y avait rien d’autre sur ma liste des produits récréatifs. J’étais pas le seul. Je pouvais voir d’autres plates-formes immobiles au-dessus de la rue, des gens qui sortaient pas avec les autres et les autres impossibles à identifier avec exactitude. On communiquait pas, sauf par signaux optiques, sans conventions, sans rien pour nous rapprocher mentalement. Ça ne voulait rien dire. Comment inventer les protocoles sans au moins une contribution commune ? Je réfléchissais à ça tous les soirs avant de m’endormir.

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Ya pas d’expérience sans la possibilité du fanatisme.

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J’espérais seulement me trouver du côté de ceux que la nature avait préparés pour supporter les bienfaits de cette substance qu’on devait peut-être à un connard qui l’avait découverte par hasard, comme Goodyear la vulcanisation du caoutchouc.

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— Toujours la critique avant les bœufs, dit Bernie. C’est pas comme ça qu’on arrive.

Il voulait dire que lui, il y était arrivé parce que ses bœufs étaient devant. Mais ils avaient toujours été devant ! Alors que je souffrais de les avoir après !

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Ça clochait en surface, mais c’est en surface qu’on voyage toujours, même quand on est au fond.

*

La solidarité féminine. Faut faire avec. Si on était solidaires, nous, les mecs, ailleurs que dans un stade où on finit dans l’extrémisme, ça se passerait peut-être mieux au niveau du travail et des loisirs que dans l’égoïsme et la jalousie.

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Dans le miroir, ce type, c’était moi. Je me reconnaissais. Pas de problème de ce côté-là. Moi c’est moi et les autres c’est des cons. Je m’voyais me voir, dit quelqu’un. Ya pas plus vrai. Mon décor à moi n’avait rien à voir avec la verdure et les douces coulures de l’eau qui prétexte la nudité et finit dans un reflet somme toute infidèle et exact. Des subtilités de la conversation à usage intime. Ça m’parlait plus. J’avais commis une erreur de jeunesse et plus rien ne me parlait comme mon aspect de poubelle sentimentale.

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J’ai toujours été une espèce de preuve du contraire. J’en ai reçu, des coups, à cause de ce défaut de constitution.

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Moi je me cachais dans l’être, ce qui m’interdisait certaines faveurs comme la maison secondaire et les aventures d’un soir.

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On avait cette part de peur primitive qui nous déconnectait de la Réalité et tout le reste pouvait à n’importe quel moment tenter l’aventure de la pire des douleurs qu’on puisse s’infliger : la vérité.

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Faut ici qu’je rappelle que la Philosophie envisage les deux domaines de notre influence sur l’existence : la Connaissance et l’Action. Sous l’influence des religieux et des artistes, on a ajouté l’Éthique, associée à la Connaissance qu’elle bride en toute justice, et l’Esthétique, chargée de contenir les dépassements de l’Action. Finalement, la Philosophie, dénaturée par ces garde-fous, ne sait dire que « c’est bien » ou « c’est beau ». Si elle ne dit rien, c’est que c’est moche et mal. Ou bien elle choisit de le dire et on trinque, par exemple en expirant sous les ruines d’un combat. C’est d’ailleurs à ce niveau qu’on se bat : on est rarement d’accord sur les questions de morale et d’art, d’où les frontières, les ghettos et autres mellahs.

*

J’étais fait pourquoi ? Certainement pas pour briller autrement que dans l’exploit. J’avais aucune disposition pour l’Art ni pour les métiers du Droit. La Science faisait de moi un champ d’expérience et de confiance mutuelle…

*

Peut-être. Je veux dire : peut-être que c’est moi. Et si c’était un autre ? Si je servais à quelque chose, une fois dans ma vie, détaché à jamais de ma fonction parasitaire.

*

Je m’étais battu, je le savais. Pour qui ? J’espérais confusément que ce fût pour les miens.

*

J’avais une vague idée de ce que c’était, les clopinettes. Un type comme moi en vit sans se révolter contre la hausse des prix et les pertes de temps qui réduisent la vie à des nostalgies ridicules.

 

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