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L’odeur des néons (3)

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 Article publié le 27 février 2009.

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Le meurtrier environné de dunes se demandait quel chemin prendre. Les dunes, quant à elles, ne demandaient rien, se contentant de se déplacer doucement. Les chemins se perdaient entre toutes ces dunes mobiles. Le meurtrier pouvait certes se repérer en fixant la zone d’ombre cramoisie qui restait fixe, à quelque distance de là, dessinant la silhouette d’Iglotoir, aux maisons aplaties. Un vent sans force déplaçait mollement l’air. Le meurtrier eut un instant la tentation de revenir sur ses pas mais le souvenir des rues lui semblait si pénible que leur seule –( et fugace – remémoration les convainquit d’aller à l’opposé, là où il n’y avait rien. Pourtant, à peine eut-il fait quelques pas, il entendit le bruit d’un moteur s’approchant. Une jeep le suivait. Le meurtrier n’avais pas grand doute quant à la signification de cette visite. « Que faites-vous ici ? », lui demanda l’homme qui descendait du véhicule et semblait furieux ou désappointé, peut-être, par l’attitude suicidaire de cet homme qui s’enfonçait dans un désert aux limites peu sûres, sans précaution ni eau. Le meurtrier se contenta de ricaner. « Vous savez bien, pourtant, qu’on vous a dit de rester », poursuivit l’émissaire qui semblait pris de panique, en prononçant ces mots. « C’est l’odeur des néons, expliqua le fuyard, elle est si lourde, oppressante, écœurante… » L’issaire n’écoutait pas. « On vous a dit… » Le meurtrier pensa un instant expliquer tout ce qu’il jugeait insupportable, dans cette vie de rien qu’on lui faisait, mais il resta silencieux et accepta de rentrer dans la jeep, ce qui parut soulager l’homme qu’on avait chargé de récupérer le meurtrier en fuite ; La voiture redémarrait, entourée de dunes dansantes. L’émissaire se détendait : « Et puis il y a de la vie, ici ! Vous ne vous intéressez pas aux filles ? » Le meurtrier repensa à l’adolescente qui l’avait ouvertement séduit, qu’il avait entraîné dans sa chambre, avec laquelle d’ailleurs il se serait volontiers adonné à des ébats illicites, mais qui au final avait disparu de l’hôtel après une mauvaise rencontre. « Non », fit-il sèchement à l’homme qui l’interrogeait, sans même attendre qu’on le croie. « Alors, il y a des jeux », rétorqua l’émissaire sans commenter le mensonge de son passager. Mais les jeux d’Iglotoir sont un bourbier. Le jeu en Iglotoir est synonyme, plus qu’ailleurs, de mort morale et ceux qui s’y adonnent se détruisent à force d’abattre des cartes qui ne valent rien et qui l’accumulation ne fait qu’augmenter la nullité du jeu complet. Ils perdent tout attrait pour les autres occupations, certes rares ici, mais qui peuvent adoucir le quotidien d’Iglotoir, à des moments : la promenade, la boisson, sans parler du sexe qui, à ce que dit le meurtrier, n’offre pas d’intérêt ici. Très tôt, les joueurs se défont de leurs habitudes anciennes pour jeter mécaniquement des cartes souvent vierges. Ils cessent de s’alimenter. On leur sert un potage épais au goût âpre et liquoreux qu’ils amènent à leurs lèvres sans y prêter attention. Parfois, les jeunes les bousculent, les dépouillent, les laissent à terre mais s’ils agissent ainsi, c’est plutôt par une vaine méchanceté que par avidité puisque le gain qu’on peut tirer de ces victimes du jeu est ridicule. On ne joue pas pour de l’argent, ici. On joue pour rien. « Uh, uh », émit le meurtrier sans regarder son interlocuteur. Il revoyait les scènes barbares de jeunes gens surexcités qui entraient dans le bar à grand fracas et molestaient les joueurs à peine conscients du sort qu’on leur faisait. « Et le contrat ? », osa-t-il demander à l’homme qui le ramenait devant la porte de l’hôtel. « Le contrat, oui », répondit sèchement l’émissaire qui garait sa voiture devant la porte de l’hôtel. « Nous sommes arrivés. » Le meurtrier n’attendait pas de réponse. Il descendit de la voiture et retrouva l’hôtel qui semblait être resté figé, en l’absence du meurtrier. Une odeur suffocante émanait des néons du supermarché, stupidement allumés puisqu’il faisait grand jour. Il ouvrit lentement la porte mais la précaution fut inutile puisque le gardien et le portier entamaient une bouteille de liqueur de viorne, sans le hall d’accueil. Déjà il entendait leur rire éméché. « Oh, oh, ce visage ! » Et le portier : « Ah oui ! Ah oui ! » Le meurtrier ne répondit rien. Il monta à l’étage. Le couloir descendait en pente raide, comme un toboggan. Il n’y avait qu’à se laisser glisser. La chambre était tout au fond.

 

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