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Goruriennes (Patrick Cintas)
Toi, tu attendais la nuit…

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 Article publié le 6 avril 2014.

oOo

Spielberg leva un pouce :

— Super, Yougo ! Préparez-vous à la scène suivante : l’éjaculation.

Les singes me montrèrent les marques. Ue petite masturbation me ferait le plus grand bien. mais tout doux, Yougo ! S’agit pas de décevoir le Maître !

— Quand elle entrera, me dit le Roi des Singes, vous vous mettrez là (il pointa un doigt tremblant vers les marques correspondantes). Vous attendrez qu’elle ait fini de parler…

— Qui est-elle ?

— Appuyez ici pour éjaculer et là pour hurler de plaisir…

— Si j’savais qui c’est…

— C’est le personnage que vous interprétez qui sait qui et ce qu’elle est, mec. Vous avez dix secondes pour réfléchir. Ensuite, le type que vous êtes laisse la place au personnage. Elle est au courant.

Ya ceux qui ont le temps et ceux qui n’ont pas cette chance.

*

J’avais besoin de ce pognon pour changer d’existence. Sans lui, je continuais dans le remplacement, m’exposant au suicide qui faisait l’objet des recherches esthétiques de ce fucking movie. Mais Spielberg parlait de l’homme et non pas de ce qu’il savait de moi. Il visait l’universel alors que j’étais dans l’intime.

*

La Sibylle m’envoya un message codé : qu’est-ce que je vaudrais aux yeux de mes contemporains quand l’heure serait arrivée de mettre fin à cette existence épisodique qui n’avait aucune chance de marquer mon époque autrement que par un exemple choisi parmi tant d’autres que c’était perdu d’avance, la reconnaissance ? Elle avait raison : c’était qu’un jeu. Et je connaissais pas les règles.

*

La caméra s’approchait de mon visage. Pour le spectateur, tout se passerait dans ces yeux que ma mère vouait à l’observation des marges de l’existence où selon elle tout se jouait. Elle avait exercé mon regard à ces transes. Mais j’avais rarement anticipé et elle m’avait jeté à la rue pour que j’y acquière ce qu’elle appelait de l’expérience. Il n’y eut jamais la moindre trace d’expérience dans mes jeux avec les coups du sort. Et je n’ai jamais été que le spectacle de ce qui se passait à l’intérieur de mon cerveau, alors que mon corps pirouettait avec les autres, sans musique, sans rythme pour justifier la convulsion et sans amour dans les intervalles de réalité.

*

— Votre visage commence à jouer avec ce qui se passe réellement dans votre cerveau. Vous pouvez feindre si vous estimez que c’est le mieux !

C’était maintenant qu’il disait ça ! À deux doigts de la mort !

*

J’ai du venin dans mon cerveau

Et plus d’av’nir avec ma femme

J’en pense rien, pas d’état d’âme

J’suis enfin monté au créneau !

*

Je revenais au Monde après l’avoir quitté pendant peut-être une minute ou deux. J’avais sombré dans un sommeil dur comme l’acier dont il était trempé à mort, puis la paralysie m’avait écrasé de tout le poids d’une angoisse nouvelle pour moi, car elle ne promettait plus rien. Quelque chose s’était alors brisé, ou déchiré, je saurais pas dire comment ça m’arrivait, complètement en dessous de la réalité que je percevais encore malgré les changements chimiques qui affectaient mon sang. J’étais à peine lié, presque libre, retenu par une extrême douceur à la croix sous-jacente qui avait l’odeur des vieux cuirs briqués de mon enfance. Je savais pas ce que je quittais. J’arrivais pas à me faire à l’idée que je quittais tout à la fois, sans croissance du mal ni fragmentation de l’oubli.

*

Un laborantin tenait les trois seringues, plutôt des pompes à piston intégré, qui contenaient les trois substances idéales : le sommeil, la paralysie et la mort. Le sommeil blanc, la maladie verte et la mort rouge. J’étais tellement réveillé que je pouvais apprécier la vraisemblance du simulacre nécessaire à une bonne interprétation de l’idée qui trottait dans la tête de Spielberg. À la différence que j’étais pas cloué sur la croix et qu’elle était pas en bois. Si le symbole de la croix, les jambes de la Vierge, demeurait évident, le remplacement du bois (allusion au métier de Joseph) par le cuir demeurait une énigme malgré tout. Mais Spielberg affirmait que le papa était sellier dans un cortijo andalou et non pas charpentier comme le prétendait une légende tenace. Il commençait à s’énerver à cause de toutes ces questions pendantes. Je l’encourageais du regard parce que j’en avais rien à foutre de ce qui l’inspirait à mes dépens. J’avais hâte de voir les rushes. Les spectateurs apprécieraient ma douleur au degré d’érection dont la pelloche ne montrerait que l’ombre transparente et fraîche comme une après-midi passée sous la bruyère avec un verre d’anisette dans la main et le sein d’une adolescente dans l’autre.

*

J’avais quatre ans quand c’est arrivé. Bobonne riait aux éclats parce que le mec qu’était mon père venait de se prendre la queue dans un dédale de pensées religieuses.

*

J’suispas un créateur, moi ! Qu’est-ce que j’en sais de ce qui arrive aux mères si papa est encore là pour en témoigner ! Il revenait du boulot avec cette poussière tenace sous les ongles et dans les rides de son visage fatigué. Quand elle faisait couler l’eau tiède dans ses cheveux, il fermait les yeux et semblait jouir d’un ailleurs dont on avait pas idée tellement on ignorait pourquoi il avait pas tenté l’aventure ailleurs et sans nous.

*

— C’est bon, ça ! J’vois la scène ! Ça vous embête si j’utilise des crayons de couleur comme Jerry Lewis… ?

— Rien me dérange si je demeure maître de ma mort, mec !

— Je note. Quelqu’un vous donnera la réplique pour approfondir le sujet. Vous devez d’abord mourir. Le film commence par votre mort.

*

— Vous pouvez prendre sa place dans le champ. Attention au décor. C’est du papier. Ce que vous voyez est produit par la lumière. Et ce que vous entendez sort de votre bouche. Moteur !

*

Il règne ici une chaleur de corps qui cherchent des compensations aux problèmes de sensation.

*

Il trempe ses lèvres dans son verre, sans absorber les mythes. Il attend.

*

T’étais qu’un gosse à cette époque. On te reconnaissait à tes rêves. Elle avait décidé de t’aider à devenir un homme. Des hommes, elle en massacrait dix par jour. C’est dingue, cette idée de perdre un combat contre une femme qui est faite pour gagner. Elle surgissait dans leur existence, nue et couverte de cette huile que les vaincus frottaient sur ses épaules sans permission de toucher aux seins et encore moins entre les cuisses. Ils bandaient tous dans la douleur, gouttant comme des lys, se mordant la langue pour ne pas exprimer leur désir de mourir à cet instant même qu’elle choisissait pour leur mettre un doigt dans le cul. Toi, tu attendais la nuit…

 

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