à Gilbert Bourson
Qui avait bien pu déchirer la toile ?
de cette horrible façon -
et sans que personne ne vît rien
ni n’entendît le bruit de la déchirure
parce qu’il y avait aussi le bruit
un bruit qui commençait et qui s’arrêtait
et qui continuait d’exister
dans la tête du coupable
non pas que le remords l’étreignît à ce point
il se fichait pas mal de ce qu’il avait fait
ce n’était ni bien ni mal
il avait déchiré la toile d’un coup
de bas en haut
et maintenant il fallait inventer un pli
pour cacher une couture disgracieuse
bien que parfaitement exécutée
Pierre avait appris à coudre
le temps d’une guerre
qu’il n’avait pas vraiment vécue
il cousait maintenant la toile d’un théâtre
une toile qui avait été déchirée
par quelqu’un qui se gardait bien
de dire son nom
tout le monde pouvait le savoir
ce n’était pas difficile
il suffisait de réfléchir un peu
un reflet dans une bouteille
est révélateur de ce genre de chose
— Qui a déchiré la toile ?
Qui a bu la bouteille ?
c’est la même personne
on la connaît
on peut même dire que son nom
est connu de tous
et maintenant les minutes passent
les points se succèdent et s’additionnent
Pierre fait ce qu’il peut
la toile sera réparée à temps
— Si je mettais la main sur ce vaurien
qui déchire les toiles de mon théâtre
voyons... qu’est-ce que je lui ferais ?
je lui tordrais les doigts
je lui mordrais les oreilles
je lui écraserais les pieds
et pendant ce temps la toile n’est pas réparée
il faut que je me dépêche
le rideau va se lever
il faut vraiment que je me dépêche
le spectacle n’attend pas.