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Savoir trahir à dessein
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 Article publié le 15 juin 2014.

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Les paroles sont en somme toujours trop rapides. Elles sont ailées. Elle n’avait pas vraiment pu les retenir... C’était un essor de son sang ranimé par la colère. Toute la fièvre d’un transport stimulé par leurs étreintes. Un frisson, un oiseau échappé de ses mains... Fuyard et peureux à frayer sa voie jusqu’au soleil.

 Il fallait bien qu’il trouve un jour l’occasion de s’exprimer. Et puis, son manque d’expérience n’était-elle pas une excuse suffisante pouvant permettre qu’elle se ravise au dernier moment ? Lorsqu’une grand-mère se paye un godemiché, le vendeur ne fait pas tant de façons si on lui ramène l’objet jugé guère assez souple ou rugueux en suffisance, ou bien même assez décoratif entre un pot de fleur et une gitane en miniature sur la commode. Par la loupe de son esprit, elle grossissait donc tous les défauts du jeune homme, s’en faisait une sorte de viande qu’elle adorait, comme dans une transe, pouvoir découper dans tous les sens et en profondeur, au moyen des lames pourtant peu adroites de ses pensées. Et la nature de mon esprit qui, tel une sculpture moderne, cherche à la fois à tout montrer au lecteur d’un modèle torturé, agît ainsi lui même dans sa conception, cela même s’il est guidé non par la haine mais comme par le caprice hautain des nuages.

Cela au moyen de la lame de sa langue... Laquelle était bien affûtée.. Avec amour même.

Avec tout l’amour en creux dans les haines les plus intimes.

Pour pouvoir découper bien dans le filet... Elle n’avait d’yeux que pour ce qui la heurtait... s’en pourléchait... telle une chatte vicieuse... adorant y revenir, toujours par allusions, jamais en y allant de face et sans détours. Une vraie patronne en tous points. Devant ses copines, l’important fut de se faire une ordure délectable de tous les attraits dépréciés qu’elle jugeait pourtant jadis si charmants.

Elle ruminait le tout. Une pâte à mâcher aux aromates. Cette vocation s’emparait d’elle. N’en sortait plus de cette haine, à s’en faire un piédestal où pouvoir se dresser de tout son amour-propre...

les jambes bien cambrées sur ses cothurnes, le joli galbe.

Elle adorait ébaucher ces médisances. Puis passer à autre chose. Encore une fois. Toujours passer ainsi de l’ardeur de l’intérêt au dégoût dressant bientôt sa flamme. Pour y brûler ses lettres.

Comme après un petit magazine de potins on passe à un autre, dont la couverture est jugée plus prometteuse sur l’étalage... Avec des célébrités plus notables, cocues qu’elles sont de plus fraîches dates. Une fois la sournoiserie prononcée d’une voix blanche, elle pouvait revenir à ce qui l’intéressait vraiment... Exactement comme après un pet sous les draps on peut aimer en sentir un peu l’arôme prolongé puis disparu sous l’étoffe profonde de la couverture... Ainsi en est-il ici bas des sentiments auquel on paraît un temps tenir... cela vous meublant l’esprit le temps que la porte du dentiste s’ouvre enfin.

Elle se délectait de fait de cette chaleur des médisances. Entre copines. (Le pendant des salles de garde où l’on se délecte de chansons paillardes... Beaux crapauds à faire jaillir de sa bouche).

 

Comme en faisant remonter de sa gorge des mots d’argot, argile ou vase délicieuse à faire remonter vers la fleur de son esprit. Pour parvenir comme à un vertige au ralenti, superbe, et contenant pour soi toute la patience des anges. Ainsi use-t-on des mots d’argots, frôlant l’obscénité des injures amoureuses, ou les renvois de macro dans la gorge côtoient d’exquises remontées de glaires plus goûteuses encore.

 

 Au cœur de tout ce fumier raffiné, on se sent chez soi, il n’y a pas à dire.

On suffoque bien un peu puisqu’on n’est pas habitué, mais on s’y fait ensuite bien facilement.

Elle n’en avait jamais assez. Une vocation s’élevait en elle. Plus riche que l’océan grondant, à ses yeux... Il paraît à ce genre d’esprit qu’il se dépasse à ces instants... Toute sa tristesse alors s’effaça.

Une nouvelle époque paraissait enfin possible. Confortée par les conseils de ses bonnes copines, toute dernière trace de scrupule s’effaça bientôt. Et puis il y avait Fernand à présent.

(Nous voyons ici qu’elle se mettait elle-même à confondre les rôles).

Quel rêve sans limites elles se faisaient toutes... ces bonnes copines... de cette épouvante de trahison par laquelle il fallait passer, et sans hésiter... c’était un rêve merveilleux... enfin elles le tenaient, leur exaltant premier rôle. (Elles attisaient par leurs paroles, comme on pétrie l’ivoire d’un piano, leur émotion... que se fasse plus somptueuse sa mélodie !).

Après ces humbles répétitions que furent à leurs yeux les plates années précédents, si lestées par ce qui plaisait à tous... enfin elles s’en donnaient librement, laissaient à leur vocation toute latitude de les emporter...

Heureusement que ce cocu nouveau de leurs songeries était survenu dans ce décor triste et sans âme... Elles n’en demandaient certes pas tant après tout, que d’avoir de quoi se repaître un peu plus de cette belle image qu’elles se faisaient de leurs copieux mérites.

Depuis le temps qu’elles avaient la sensation de croupir sans trouver à s’exprimer. Elles se lassèrent bien vite de leur rôle de chœur ingrat.

Il était bien temps que leur pensée puisse trouver moyen de prendre les premières places. D’accéder enfin à la place des protagonistes.

 

 C’était si lassant à force, de chanter les louanges d’un bonheur qui les révulsait, à s’étaler comme cela face à elles, importun, étranger, opaque et sans que leur amour propre ne trouve le moyen d’y prendre la moindre part.

Elle tenaient leur premier rôle cette fois. Plus pour de rire. Elles y étaient. Vous m’en direz tant...

Ses voix amies faisaient écho à sa détestation. Elles faisaient chorus au grand concert d’une haine douce à se pâmer... C’était un chœur reprenant ses paroles... c’était à sentir fondre son petit abricot sous le satin de sa petite culotte... Elles faisaient écho à ses silences même. Comme pour mieux en souligner la gravité... l’implication tragique... l’écho funèbre... Cependant cela se faisaient sans rien de consciemment mauvais. Plutôt comme on se laisse entraîner tout en écoutant une vieille chanson, berceuse et ronde, et qui vous prendrait la main pour vous guider vers les ultimes confins du sommeil. 

Elles avaient donc plutôt la sensation d’être en train de se laisser dériver sur un courant irrésistible. C’était un flux de médisances. Entraînant. Sans arrêt. Frôlant toutes les perfections.

Comme une flopée d’injures atténuées, et que l’on entendrait se diffuser avec lenteur derrière la cloison d’une auberge où l’on ne passe que pour une nuit, mais où l’on s’est toutefois déjà fait nombre d’ennemis.

Elles ne voulaient pas sentir diminuer leur tranquillité. En même temps toute cette tranquillité ressentie leur empêchait d’éprouver la moindre entrave à leur désir. Alors qu’elles causaient toujours du jeune homme banni de leurs rêves.

Elles finissaient même par ne plus tant le haïr. À présent qu’il était presque évincé.

Il en devenait plus touchant, inoffensif qu’il en était à traîner sa misère vers les confins du mirage.

Ne leur avait-il pas permis de si souvent trouver de quoi causer ?

Enfin la confidente dépréciée sentait sa revanche possible.

Elle se pourléchait de toutes ces hésitations nouvelles de Louise.

Elle avait l’air de lui dire par son regard à quel point elle se doutait que toute cette histoire était depuis toujours destinée à capoter sinistrement... Et pourtant elle lui offrait son oreille discrète... Voyons... elle aurait pu écouter davantage ses conseils...cette relation était sans issue, il fallait se réveiller à un moment, c’était inévitable... (Semblable à un rapace, son esprit de confidence, trouva enfin pâture à son goût, et il planait depuis des heures entières dans un grand ciel de haine).

Alors elle observait Louise changer de rôle, ne plus jouer l’éprise, mais l’hésitante (ainsi qu’un petit animal pris de froid se terre au fond de son trou), et ce soudain changement de masque la rendait nerveuse, en fait... C’est qu’elle voyait son plan s’accomplir à la perfection, sans délai ni complication. Toutefois cette réussite charriait en son sang une sorte d’amertume (sœur des plaisirs secrets...) Cela allait un peu vite en besogne... Il lui semblait voir s’approcher le dénouement d’une tragédie... Cet emballement inverse à l’amour simulé de l’époque précédente la brusquait un peu, ainsi qu’un jeune amant pressé d’accomplir avec elle sa petite affaire dans l’ombre grasse d’une grange. 

Cependant, tout en discutant au sujet du jeune homme, sans s’en douter elles lui rendaient à coup de médisances de moins en moins voilées une forme d’hommage. Presque majestueux puisqu’indirect. Il est des haines et des ressentiments qui sont une offrande, un bouquet funèbre que l’on jette au fond d’une tombe.

Ainsi resta-il longtemps ce référent dont on ne parle plus. Celui dont l’ombre continue de hanter les mémoires... Même et surtout lorsque les paroles les plus légères étaient proférées. Solide et toujours présent, il brûlait toujours l’étoffe des mémoires. Allumer le brasier en elles de toutes les culpabilités. Il leur rendait service après tout, n’était-il pas le grand réservoir pratique où elle purent déverser sans fin tout leur ressentiment ?

Incontournable référent.

Adversaire, hostile vagabond dont l’errance sans fin ne serait jamais trop loin de leurs inquiétudes.

Il accédait par son absence au statut de monument légendaire.

Présent, il était importun, énigmatique, irritant au possible. Absent il devenait plus encombrant encore, brûlant et vivace, reflété qu’il était par l’écran troublé des consciences.

Mais parfois aussi Louise cependant se recouvra de cette absence, ainsi que d’un voile. 

Impossible donc de l’oublier totalement.

C’est que la haine à son endroit avait doucement laissé place à une autre forme de sensation, plus douce mais capable de bientôt prendre les allures tranchantes d’une obsession.

Même en s’étourdissant de petites séries inconsistantes... Ou bien de l’eau de vaisselle des potins nauséabonds. Il lui était toujours impossible d’effacer le vestige de sa présence.

Car l’important est qu’il restait au centre de leur attention. Puis que tout le mépris qu’elles croyaient émettre envers sa seule évocation était donc en somme la manifestation indirecte d’une brûlante et très pressante obsession. À sa pensée ample et souveraine elles n’échapperaient pas, même en se précipitant, comme des possédées, vers un avenir qu’elles rêvaient toujours couvert de gloire et comblé de stupre à ne plus savoir qu’en foutre, à bout qu’elles seraient de sperme et de cris étouffés ou non dans le grand lit à traversin.

Elles virent ainsi bien des soirs leurs doutes s’évanouir d’eux même en cette trop vague brume de prestige. Restait, face à elle sur l’horizon béant et sans âme, un abîme ouvert sur la mort et ses cadavres roulant sur le fond marin de leur mémoire. Ou bien un évier froid dont le robinet fait résonner sa plainte imperceptible le jour mais persécutrice toute la nuit durant.

 

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