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Lèvres du silence de Marie SAGAIE-DOUVE |
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Les origines
Née en 1949, j’appartiens à la génération du baby-boom. Issue d’une famille qui allie l’aristocratie à la paysannerie, laquelle évolue vers la bourgeoisie, j’hérite d’une culture où la liberté de penser se heurte aux dogmes d’une religion, dont les interdits rythment les gestes quotidiens. Au centre se noie mon désir. L’apprentissage
Lire Colette, à l’adolescence, représente une respiration vite sanctionnée : l’auteur est à l’index. Argument mystérieux qui transforme la lecture en dangereux supplément. Une fois refermé, le volume est glissé sous le matelas, qui le dissimule. Je dévore ce monde de l’entre-deux, dont le silence ouvre ce que l’on ne dit pas. Les Fleurs du mal deviennent livre de chevet, après Le Grand Meaulnes qui m’initiait à la rêverie de la rencontre. Puis Madame Bovary me communique son goût d’encre. Un premier carnet contiendra une suite de cryptogrammes, devant lesquels je rêve d’écrire. La crainte me retient d’être lue. Etouffée, étranglée dans le chaos des affects, mon écriture se frayera un chemin. Les premiers jets
A la mort de père surgit sous ma plumele matériau de « Cirque ». Il inaugure ce lent mouvement vers le silence des mots. En 2008, il prendra place dans Lignes de fuite. La lecture d’A La Recherche du temps perdu est contemporaine de « Projection ». Seconde nouvelle qui met en scène la perte, le morcellement, sur ce même registre de l’imaginaire et du merveilleux. Cherchant de nouveaux moyens, j’explore la peinture brutalement. Comme pour éloigner la langue. Approcher la mémoire du corps… Entreprise périlleuse dont les excès amènent leur moisson d’échecs, de désillusions. L’écriture de soi ne parvient pas à dénouer l’écheveau. Une dépression s’installe, qu’accompagne la lecture de Kafka et de Beckett. Je compose « Esquisses » et « Dévotion ». Ces formes courtes, qui s’apparentent au pastiche, entreront dans Lignes de fuite. L’épreuve de la réalité me pousse à commencer une psychanalyse. Elle favorise l’anamnèse… Et déplie l’enfance. L’obstination du son
L’effort pour trouver du sens dénude la pulsion du non-sens, sans cesse à l’œuvre. Ma rencontre avec Lou, polytechnicien et schizophrène, se transforme en éternelles fiançailles. La langue nous lie, jusque dans le regard qu’elle allume, comme soleil à son zénith. Ou, dans un tête-à-tête digne de Bouvard et Pécuchet, revu par Laurel et Hardy et Buster Keaton, la voix éclate, divise l’objet, assiste à son explosion. Cette voix devient musique, rythme du silence, que la poésie saisit en sa fulgurance. Alors s’élaborent les recueils, au fil des ans, que réunit Travers&es, paru en 2007. Wandering Wanda, l’année suivante, consacre l’errance de la lettre, prenant comme emblème le personnage éponyme du seul film de sa réalisatrice. Bulles irisées la lande (à paraître) poursuit cette erratique avancée, emprunte à l’air que l’enfant souffle dans l’anneau d’eau savonneuse. Construire le chaos
Yeux clos, défilent au réveil, désordre harmonieux, des images de ma vie, des visages, des traces d’événements. La fluidité du film vu me place dans cet état d’acceptation que décrivent les livres de sagesse, loin de la douleur… Tandis que l’écriture touche des origines chaotiques, dans une joute où elles s’épousent et se déplacent comme en un combat invisible, si ce n’est en image. ![]() Combat qui prend corps grâce au chorégraphe Fabrice Dugied, au cours du spectacle Nos Mémoires qui dansent, auquel je participe. « Cri » et « crime », proférés crescendo, scandent la lente érection de mon corps, d’abord enroulé au sol, mimant dans la terreur la scène qui l’engendre, mort. ![]() Jusqu’à la montée orgasmique du crime qui découvre la jouissance. ![]() Disparition et séparation, à l’origine de ce qui se crée. ![]() Lieu de l’expérience et mémoire de ce lieu, le corps tisse le texte dans les blancs de la parole. Entre : ça ne se dit pas d’une mère, magistrale linguiste. Et : si tu cries, je t’étrangle du violeur qui écrase le désir. Dans un carnet entièrement vierge, dont j’hérite à la mort de mère, des formes que je trace se répètent, se déclinent en couleur, rythment l’espace. J’intitule la série valves & vulves. Et je prends une photo du monstre. En pleine lumière dans le miroir, il montre un dégradé de rose chair et d’ocre. ![]() Hommage à ceux qui vénèrent ce lieu. Mémoire de l’Inde, de ses temples aux apsaras offertes, yoni supportant le lingam (vulve & verge). Sa musique mimant la rencontre, quand la danseuse pieds nus martèle le sol foulé. La part de l’autre
Lire, selon Proust, c’est se lire. Tremplin d’une écriture, le livre se prête à une réécriture, celle de l’autre. L’Enfant du silence, esquisse une anamnèse, s’offre comme une partition où d’autres voix, à sa lecture, révèleraient un texte en expansion, une communauté du silence. Opéra intérieur qu’un compositeur, à son tour, donnerait à entendre. Marie Sagaie-Douve janvier 2009 |
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